Intervention de Jean-Charles Taugourdeau

Séance en hémicycle du 14 janvier 2016 à 15h00
Ancrage territorial de l'alimentation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Charles Taugourdeau :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi de notre collègue Brigitte Allain visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation. Cette initiative fait suite à la mission d’information sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et alimentaires que j’ai présidée et dont vous étiez, madame Allain, la rapporteure.

D’emblée, je souhaite rappeler la définition des circuits « courts » et des circuits de « proximité », notions que l’on confond bien souvent. En ce qui concerne les circuits courts, il ne s’agit pas d’une question de distance, mais du nombre d’intermédiaires entre le consommateur et le producteur.

Je m’explique. En un clic sur internet, il est possible de commander à un agriculteur situé en Alsace, par exemple, une pièce de boeuf, qui sera expédiée sous vide : dans ce cas, il s’agit d’un circuit court. Le circuit de proximité signifie la proximité géographique et implique de trouver à proximité de chez soi un agriculteur qui fournira la même pièce de boeuf.

À mon tour, je tiens à me féliciter de l’organisation des travaux et de la qualité des auditions. J’y ai participé pendant six mois. La diversité des personnalités auditionnées ainsi que les déplacements sur le terrain ont permis aux membres de la mission parlementaire d’avoir une vision d’ensemble, ce qui était indispensable.

Il n’est nullement question de contester l’utilité des circuits courts ou de proximité tant pour les consommateurs – lesquels recherchent de plus en plus la qualité, la fraîcheur des produits et des prix intéressants – que les producteurs dont les relations avec la grande distribution sont déséquilibrées.

Je souligne néanmoins que l’intérêt du consommateur ne va pas toujours de pair avec celui du producteur, et inversement.

La présente proposition de loi présente comporte cinq articles. L’article 1er vise à introduire des produits issus de l’agriculture durable – de saison, IGP ou indication géographique protégée, AOC ou appellation d’origine contrôlée, biologiques – dans la restauration collective publique en veillant à la proximité géographique. L’introduction de ces produits dans la restauration publique n’est pas sans rappeler les objectifs de l’article 48 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement.

Eu égard à la Commission de Bruxelles, il faut prendre garde que la proximité ne soit pas considérée comme une entrave à la liberté de la concurrence. En outre, toujours s’agissant de la proximité, il faut s’interroger sur la réaction des artisans et des commerçants si la proposition de loi est adoptée. Ne voudront-ils pas, à terme, bénéficier de la même disposition ? Les artisans ne demanderont-ils pas au maire de leur commune d’acheter les produits qu’ils fabriquent dans la commune si le maire en a besoin au motif de l’ancrage local ? L’ancrage local n’est pas réservé qu’à l’agriculture.

Il ne faudrait pas non plus que les maraîchers soient totalement dépendants des cantines scolaires, donc de la fermeture éventuelle de classes. Il faudra les prévenir que réaliser 70 ou 80 % de son chiffre d’affaires avec une ou deux cantines dans un même secteur peut être gênant pour l’entreprise.

À l’heure où nos entrepreneurs ont besoin de gagner en compétitivité, nous regrettons non pas les nouvelles mesures, mais leur volet contraignant, notamment les délais trop courts. Rendre obligatoires de tels objectifs en imposant des délais trop courts posera de nombreux problèmes non seulement aux collectivités locales, mais également aux producteurs. On a d’ailleurs constaté que la production de produits bio ne suivait pas la demande.

Les entreprises seront donc confrontées à un nouveau casse-tête car, sur certains territoires, il est difficile de bénéficier d’une diversité de production agricole suffisante pour respecter cet objectif. Il serait préférable de laisser aux acteurs de la restauration publique la liberté de valoriser les produits de proximité.

L’article 2 élargit les missions de l’observatoire de l’alimentation et le transforme en observatoire de l’alimentation et des circuits cours et de proximité. Nous craignons de nouvelles contraintes administratives.

L’article 3 élargit le périmètre des plans régionaux de l’agriculture durable qui deviennent des plans régionaux de l’agriculture et de l’alimentation durable. L’article 4 vise à intégrer dans la responsabilité sociétale des entreprises des exigences en matière d’alimentation durable.

Monsieur le ministre, ces entreprises subissent déjà suffisamment de contraintes pour que l’on n’en rajoute pas. C’est la raison pour laquelle nous proposons de supprimer l’article 4.

L’article 5 vise à étendre le dispositif « fait maison » aux restaurants collectifs. Nous n’y sommes pas opposés, mais j’appelle cependant votre attention sur la complexité de cette notion. On n’est pas toujours d’accord sur ce qu’elle recouvre.

Notre groupe partage l’objectif louable de promouvoir les filières de proximité et de valoriser les produits de nos terroirs. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes inscrits dans une démarche résolument constructive afin que la mise en oeuvre de la proposition de loi soit pragmatique et efficiente.

Ainsi, nous vous avons mis en garde quant à la confusion possible entre circuits courts ou de proximité et produits de qualité. En effet, un produit dit « de proximité » ou issu d’un circuit court n’est pas automatiquement gage de qualité, et un produit de qualité peut très bien avoir été produit et transformé au-delà du périmètre établi pour un circuit de proximité.

Par nos amendements, nous souhaitons améliorer la rédaction de la proposition de loi pour faciliter son application. D’une part, nous entendons intégrer une vision plus large de l’ancrage territorial de l’alimentation en privilégiant la notion d’ « alimentation durable », qui concernerait les filières garantissant une production et une transformation faites en France, c’est-à-dire en métropole et dans les territoires ou départements d’outre-mer. D’autre part, nous souhaitons que la notion de proximité géographique tienne compte des spécificités territoriales en termes de productions agricoles. Enfin, nous avons exprimé nos préoccupations sur l’impact budgétaire de ces nouvelles obligations pour les collectivités territoriales, qui sont déjà mises en difficulté, monsieur le ministre, par la baisse de la dotation générale de fonctionnement.

Aux termes de la dernière phrase de l’article 1er, « Ce taux est fixé à 40 % à compter du 1er janvier 2020, dont 20 % de produits issus de l’agriculture biologique ». Pour preuve de notre volonté d’améliorer le texte, je vous avais signalé, en commission, que cette rédaction conduisait à un taux de 8 % de produits issus de l’agriculture biologique, soit 20 % de 40 %.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion