Intervention de Valérie Corre

Séance en hémicycle du 14 janvier 2016 à 15h00
Suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Corre :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, madame la rapporteure, mes chers collègues, l’étude de cette proposition de loi nous permet de réfléchir à la place qu’occupe la publicité dans notre société. Déclinée sur de nombreux supports, elle est en effet très présente dans notre quotidien ; elle est même, sans aucun doute, trop présente. Supprimer la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique est une proposition à laquelle je souscris donc pleinement.

Cette proposition de loi vise à protéger les plus jeunes publics – en l’occurrence, les enfants de 3 à 12 ans – de la publicité commerciale, mais uniquement dans les programmes jeunesse des chaînes du groupe France Télévisions.

Cette question est importante pour le développement des enfants car, nous le savons, certaines campagnes publicitaires peuvent favoriser une mauvaise alimentation, des comportements à risque, une exposition à des images choquantes mais également véhiculer des stéréotypes.

Je salue, à nouveau, le travail de Mme la rapporteure, qui a auditionné nombre d’acteurs des secteurs de l’audiovisuel et de la publicité, afin de faire concrètement le point, entre autres, sur l’autorégulation en matière de films publicitaires.

Il ressort de ces auditions que la publicité télévisée à destination des enfants fait déjà l’objet de plusieurs contrôles importants, en particulier sur les chaînes publiques. Contrôle par l’État, d’abord, qui encadre strictement les publicités diffusées à la télévision, à travers les dispositions du décret du 27 mars 1992 définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, mais aussi par l’action du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA.

Nous pouvons citer à ce propos la signature par l’ensemble des chaînes de télévision d’une charte dite « alimentaire », afin de prévenir les comportements à risque dans les publicités et permettant de financer en parallèle des programmes d’éducation à la nutrition, lesquels ont représenté 1 410 heures de diffusion en 2014 – un chiffre en constante augmentation depuis 2009.

Contrôle également par les annonceurs eux-mêmes, dans une démarche d’autorégulation efficace, par délégation du CSA : ainsi, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, l’ARPP, administrée par les annonceurs, les agences et les médias, exerce un contrôle préalable sur l’ensemble des spots publicitaires diffusés.

Les situations de grignotage, de surconsommation alimentaire ou de repas pris devant un écran, qui sont les cibles de cette proposition de loi, sont par exemple déjà proscrites afin de lutter contre le développement des comportements alimentaires à risque.

Ensuite, des jurys de déontologie publicitaire, composés de magistrats, peuvent être saisis par des citoyens ou des associations a posteriori, en cas de diffusion d’une campagne jugée choquante. Cet outil de contrôle est fortement sollicité puisque l’on recense aujourd’hui environ 2 000 plaintes par an, principalement en raison de références à des stéréotypes genrés dans certaines publicités.

Enfin, contrôle par la régie publicitaire de France Télévisions, puisque la publicité est déjà absente des programmes jeunesse à destination des enfants de 3 à 6 ans. De plus, les campagnes publicitaires du secteur alimentaire, principalement visées par cette proposition de loi, ne représentent que 8 % des publicités diffusées dans les programmes jeunesse, contre 92 % pour le secteur des jeux et jouets ou de la distribution.

À l’inverse, le secteur alimentaire est le premier investisseur en termes de publicité sur les autres créneaux horaires, toutes chaînes confondues. Ce constat atteste donc bien une autorégulation du service public en matière d’exposition des plus jeunes à la publicité, en particulier alimentaire.

Ce qui est apparu également durant les auditions, c’est le flou sur les conséquences financières qu’aurait la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse de la télévision publique. En effet, le CSA et France Télévisions, qui utilisent pourtant des méthodes de calcul divergentes, évaluent les pertes de recettes à environ 20 millions d’euros ; le sénateur Gattolin, défenseur du texte au Sénat, annonce, lui, un chiffre d’environ 7 millions d’euros.

Comme vous l’évoquez vous-même dans vos travaux, madame la rapporteure, il existe donc une forte incertitude sur le chiffrage des pertes financières à prévoir pour la télévision publique. Or, madame la ministre l’a indiqué, le groupe France Télévisions fait déjà face à une équation budgétaire difficile, nous le savons tous.

Pour résorber le déficit, estimé à 50 millions d’euros environ, nous avons, lors du projet de loi de finances pour 2016, abondé les crédits de France Télévisions de 25 millions, tandis que le groupe s’est engagé dans un programme courageux de 25 millions d’euros d’économies sur les coûts de fonctionnement, sans suppression d’emplois.

Les conséquences d’une perte sèche d’un montant allant de 7 à 20 millions pourraient donc s’avérer désastreuses pour le groupe France Télévisions, qui investit chaque année, à titre de comparaison, 29 millions d’euros dans la production de programmes d’animation.

Il est donc important de s’assurer que l’objectif de ce texte, partagé par un grand nombre d’entre nous, sur les différents bancs de l’hémicycle, ne se traduise pas par un affaiblissement du service public de la télévision, voire par des pertes d’emplois.

Le même constat peut être fait concernant les chaînes privées ciblées par plusieurs amendements. Les recettes publicitaires de celles-ci diminuent en effet actuellement du fait de l’émergence du digital.

C’est pourquoi le texte adopté par la commission des affaires culturelles et de l’éducation renforce les objectifs de la proposition de loi initiale, tout en se garantissant de toute conséquence négative imprévue.

Ainsi, l’article 1er renforce le contrôle du CSA sur la maîtrise par l’ensemble des chaînes de leur espace publicitaire et sur l’autorégulation du secteur de la publicité, un contrôle qui devra déboucher sur des préconisations concrètes et une protection renforcée des jeunes publics.

L’article 2 pose, lui, le principe de la suppression de la publicité commerciale dans l’ensemble des programmes jeunesse de la télévision publique et prévoit un rapport sur l’impact concret de cette mesure sur le secteur de la publicité comme sur les finances du groupe France Télévisions. Ce rapport devra présenter des pistes de compensations financières et permettre au législateur de définir, en toute connaissance de cause, les modalités de la suppression de la publicité. Il devra être remis au plus tard le 30 juin 2017, c’est-à-dire six mois avant la date d’entrée en vigueur prévue, à savoir le 1er janvier 2018 afin, je tiens à le préciser, de ne pas décaler dans le temps l’application de cette disposition.

La proposition de loi représente donc une avancée importante pour les enfants et aussi pour le service public de la télévision sans risquer d’en affaiblir la compétitivité.

Mais je souhaite que ce texte soit également l’occasion d’amorcer un débat plus large sur la place de la publicité sur internet, média qui ne fait pas aujourd’hui l’objet d’une régulation satisfaisante. En effet, de plus en plus d’enfants délaissent les programmes jeunesse de la télévision au profit de portails vidéo de type YouTube, sur lesquels les publicités diffusées ne ciblent pas spécifiquement les jeunes enfants. Cela peut donner, par exemple, un épisode de dessin animé introduit par une publicité au profit d’un jeu vidéo déconseillé au moins de dix-huit ans… On voit l’aberration. De plus, l’exposition des plus jeunes à la publicité ne se limite pas aux médias ou aux programmes jeunesse puisqu’elle fait, et on peut le regretter, partie intégrante de notre société.

La protection des plus jeunes publics passe peut-être avant tout par une éducation aux médias et, en ce qui concerne notre débat, à la publicité afin de développer chez eux le sens critique, la capacité d’analyse et le recul nécessaire sur les messages véhiculés.

Cet éveil est, en complément d’éventuelles nouvelles mesures législatives, le plus sûr moyen de lutter contre une trop grande influence de la publicité sur leurs modes de vie et de consommation.

Je salue, à ce titre, le programme Media Smart Plus, soutenu par la Commission européenne et la CNIL, qui propose des kits pédagogiques à destination des enseignants du premier et du second degré afin d’éveiller les enfants au décryptage des publicités présentes dans leur environnement. Depuis sa création, ce sont ainsi 430 000 élèves du primaire et 380 000 collégiens qui ont bénéficié de ce programme, dorénavant mieux armés pour appréhender en tant que citoyens les messages publicitaires.

Je souhaite donc que la notion d’éducation à la publicité et aux médias, notamment dans le cadre des enseignements complémentaires nouvellement prévus, ne soit pas oubliée dans le débat sur la préservation des plus jeunes publics vis-à-vis de la publicité.

Nous devons ainsi nous saisir de toutes les dimensions du débat dès aujourd’hui pour assurer l’efficacité des intentions de cette proposition de loi et, de ce fait, déboucher sur une grande loi de protection des publics en matière de publicité.

C’est la raison pour laquelle, partageant pleinement les intentions du texte adopté en commission, le groupe socialiste, républicain et citoyen votera en faveur de cette proposition de loi, modifiée pour en améliorer la mise en oeuvre.

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