Intervention de Rudy Salles

Séance en hémicycle du 14 janvier 2016 à 15h00
Suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRudy Salles :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons a pour objet de supprimer la publicité à caractère commercial dans les programmes destinés à la jeunesse sur les chaînes de télévision publiques.

Sur le principe, ce sujet ne semble pas poser de difficulté particulière. Chacun, sur tous les bancs, partage en effet le souhait d’éviter aux jeunes enfants une exposition excessive à la publicité alors que nous savons que le taux d’écoute quotidienne des enfants de quatre à quatorze ans est d’environ deux heures par jour, sans compter le temps passé sur les ordinateurs ou sur les tablettes. Nombre de ces enfants sont livrés à eux-mêmes et regardent la télévision seuls dans leur chambre. Outre le risque de visionner des programmes non appropriés à leur âge, cette surexposition médiatique a indéniablement des effets sur leur comportement alimentaire puisque la promotion de produits nutritifs représente la plus grande part de la publicité à la télévision. Nos enfants sont, n’en doutons pas, des cibles privilégiées pour les distributeurs.

Lors des travaux préalables à l’examen de cette proposition de loi, la portée de celle-ci a été précisée, la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse ne concernant alors plus que le service public audiovisuel, c’est-à-dire France Télévisions.

Mes chers collègues, vous n’êtes pas sans savoir que, lors de l’examen de cette proposition de loi en commission, le groupe UDI était plus que réservé sur la faisabilité d’une telle réforme. Au moment du débat en séance publique, il nous semble toujours impossible de faire abstraction des enjeux financiers qui se cachent derrière.

Nous ne sommes pas opposés à la suppression de la publicité qui entoure les programmes jeunesse, nous sommes mêmes ouverts à une réflexion sur la suppression de la publicité dans l’ensemble du service public audiovisuel, mais il faut que cette démarche s’inscrive dans une réforme globale de l’audiovisuel public qui réaffirmerait la position particulière de France Télévisions en révisant son format. Le groupe comporte déjà cinq chaînes, et on nous en annonce même une sixième pour le mois de septembre. Je crois qu’un jour ou l’autre, il faudra se poser la question de savoir si le service public peut être aussi important tout en diluant ses missions à travers des chaînes qui ne correspondent plus aux finalités qui leur ont été fixées – je pense à France 4 par rapport à la jeunesse, à France Ô, qui ne traite plus d’outre-mer ou encore à France 3, qui assure de manière assez insuffisante sa mission régionale.

En outre, les avis divergent sur le coût d’une telle mesure : 2 millions ou 10 millions ? Vous conviendrez que la marge est importante. En ces temps de contraintes budgétaires, il ne nous est pas permis de légiférer dans de telles conditions. Quant à la future chaîne d’information, nous sommes dans le flou le plus artistique sur son coût alors que l’audiovisuel public n’arrive pas à boucler son budget.

On ne peut pas se contenter d’estimer dans l’approximation les effets potentiels de la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse tant sur le secteur de la publicité que sur les chaînes de télévision. Comment France Télévisions pourrait-elle compenser cette perte alors que les conditions budgétaires sont déjà contraintes pour le groupe ? Chacun d’entre nous se dit attaché au service public audiovisuel : comment dès lors ne pas voir que cette mesure risquerait de mettre en péril la réalisation de ses missions ? En effet, une baisse des recettes aurait, à n’en pas douter, une incidence terrible sur la création audiovisuelle et cinématographique.

Mes chers collègues, nous voilà donc face à un débat qui dépasse très largement l’objectif initial de cette proposition de loi en ce qu’il touche non seulement aux sources du financement de l’audiovisuel public, mais également au coeur même de ses missions.

En commission, la majorité a fait preuve de sagesse en proposant que le Gouvernement remette un rapport au Parlement évaluant l’impact sur le marché publicitaire et sur les ressources de France Télévisions d’une suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique. Un rapport de plus. La solution proposée par la commission me paraît satisfaisante, mais a-t-on désormais besoin d’une loi dont l’unique objet serait de proposer un rapport ?

On sait bien, monsieur le président de la commission, que, chaque fois que l’on nous propose un rapport, chacun lève les bras au ciel en disant : « Non, ça suffit ! » On n’a pas suffisamment d’étagères à l’Assemblée pour ranger tous les rapports que personne n’a lus.

Pourquoi ne pas imaginer plutôt une mission d’information sur la régulation de la publicité, qui proposerait des pistes afin de rééquilibrer le marché publicitaire entre les différentes chaînes et les différents médias ? Il y aurait là un véritable travail à fournir, non seulement au niveau national, mais aussi au niveau européen.

Par ailleurs – c’est un constat avéré – le marché publicitaire se déplace de plus en plus vers internet, qui représente un quart du marché publicitaire global en France. Pourquoi ne pas évaluer la recomposition du paysage publicitaire, d’une part, et préparer la réforme du financement de l’audiovisuel, d’autre part, en s’inspirant par exemple du modèle britannique et de la BBC ? Je vous rappelle que la BBC ne diffuse aucune publicité, ce qui lui évite de courir après l’audimat des chaînes privées et lui permet de proposer, à des heures de grande écoute, des programmes originaux et conformes à la mission du service public.

Mes chers collègues, nous sommes tous ici attachés à l’audiovisuel public. Nous exigeons beaucoup de lui, tant en matière d’indépendance, que de création, de pluralisme, ou encore de bonne gestion. Le modèle économique actuel n’est pas viable, dans la mesure où il est fondé sur une surévaluation quasi systématique des objectifs publicitaires de France Télévisions et conduit invariablement à une course à l’audience.

Depuis 2009, la situation de France Télévisions est encore plus paradoxale, dans la mesure où les chaînes du groupe, qui ne peuvent plus diffuser de messages publicitaires en soirée, à destination d’un public adulte, et au moment où les spots publicitaires sont les plus rémunérateurs, en diffusent en journée, lorsque les programmes sont notamment destinés à des jeunes téléspectateurs. Cette absence de cohérence n’est pas à la hauteur de l’exigence que chacun formule pour le service public.

Nous nous inquiétons également du positionnement stratégique de France Télévisions par rapport à ses concurrents privés. En effet, comment ne pas être troublé par la similitude de l’offre proposée par France 2 et TF1 ? Comment définir la ligne éditoriale de France 4 ? Peut-on vraiment présenter cette chaîne comme une chaîne jeunesse ? Je dirais plutôt qu’il s’agit d’une chaîne bouche-trou, destinée à occuper un créneau de la TNT. Quant à la chaîne France O, chacun reconnaît qu’elle souffre malheureusement d’un problème d’identification, et ce, au détriment des territoires ultramarins, pourtant riches d’un patrimoine multiculturel.

Enfin, je ne parlerai pas du projet de nouvelle chaîne d’information en continu, car ce n’est pas le sujet de ce texte, mais vous conviendrez que ce nouvel acteur ne pourra que fragiliser un secteur déjà dense. Madame la ministre, je suis désolé du flou qui entoure ce projet : nous avons entendu Mme Ernotte déclarer que cette chaîne ne serait diffusée que sur les tablettes et les téléphones, mais tout le monde sait bien, à présent, qu’elle chaîne figurera sur la TNT. Il faut que vous clarifiiez les choses rapidement et que nous sachions, in fine, combien ce projet nous coûtera.

Ainsi, bien que nous adhérions à l’esprit initial de cette proposition de loi, il nous semble impossible de soutenir le texte en l’état. Pour lutter contre les effets néfastes de la publicité, il nous faut agir de manière pragmatique et raisonnée, et en dehors du cadre législatif, en approfondissant par exemple l’autorégulation des chaînes. La charte alimentaire mise en place en 2013, plus ambitieuse encore que celle de 2009, a eu des effets concrets, à la fois sur la démarche qualité de la publicité, et sur les engagements des chaînes de télévision en matière d’éducation nutritionnelle auprès des jeunes publics. S’agissant du texte, tel qu’issu des travaux de la commission, il nous semble inutile, puisqu’il prévoit seulement la publication de ce fameux rapport.

Aussi, pour des raisons, tant de forme que de fond, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants confirmera la position qu’il avait adoptée en commission et votera contre la proposition de loi.

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