Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous allons examiner une proposition de loi qui a pour but de promouvoir l’enseignement des langues régionales, l’utilisation de celles-ci dans des supports médiatiques par l’ouverture d’espaces d’expression en langue régionale dans les médias, dont l’audiovisuel public, ainsi que la signalétique dans l’espace public.
Je souhaite rappeler, à l’instar de notre collègue rapporteur, que notre Constitution a été modifiée en 2008 ; certains dans cet hémicycle s’en souviennent. Cela ne s’est pas fait tout seul : la réforme constitutionnelle de 2008 contenait beaucoup d’articles, et nous étions un certain nombre de députés de toutes tendances politiques à nous battre à l’époque pour que soit introduite la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution. C’est donc l’article 75-1 qui consacre les langues régionales comme faisant partie du patrimoine de la France.
Nous avions d’ailleurs été critiqués à l’époque, tant par certains qui ne veulent jamais que l’on mentionne une autre langue que le français, a fortiori dans la Constitution, que par d’autres – plutôt à l’extérieur de l’hémicycle, il faut bien le reconnaître – qui trouvaient au contraire que nous n’allions pas assez loin et que ramener les langues régionales à un simple élément du patrimoine témoignait d’une vision un peu historique, voire folklorique de nos langues régionales.
Nous avions alors trouvé un compromis parce que nous avions bien compris que si nous voulions faire entrer dans la Constitution de la République française la reconnaissance des langues régionales, il fallait une formule de ce type. Je crois que ce fut une bonne chose car cela nous permet d’avoir un appui constitutionnel. Ceux qui refusent la ratification de la Charte européenne des langues régionales ont une attitude extrêmement crispée, conservatrice, sur ce sujet, alors qu’à l’époque nous avions ouvert une porte.
Aujourd’hui, nous pourrions nous demander, madame la ministre –puisque vous êtes ministre de la culture et que le patrimoine fait évidemment partie de l’action culturelle –, si la France n’est pas en train de brader son patrimoine en la matière.
Vous avez rappelé, cher collègue Paul Molac, que la France compte soixante-quinze langues régionales : dix en France métropolitaine et soixante-cinq en outre-mer. Toutes sont classées par l’UNESCO en grand danger : il est donc de notre devoir politique de défendre, quoi que l’on pense de l’usage des langues régionales, cette partie du patrimoine de la France.
La France connaît un problème particulier, que l’on ne retrouve pas forcément dans d’autres pays d’Europe : le solde entre les nouveaux locuteurs – celles et ceux qui apprennent les langues régionales grâce à la transmission familiale ou à l’enseignement – et ceux qui parlaient une langue régionale et qui malheureusement décèdent, disparaissent, ce solde est négatif. Ainsi, le nombre de personnes en France parlant une de nos langues régionales est en recul.
Prenons l’exemple de la langue basque : la langue est la même en France et en Espagne, et pourtant le nombre de locuteurs est en hausse dans la partie espagnole du Pays basque tandis qu’il baisse dans sa partie française. On peut s’interroger sur les raisons expliquant une telle situation.
Quand on regarde les choses précisément et avec lucidité, on constate qu’il y a deux politiques : la communauté autonome du Pays basque, côté espagnol, a développé une politique forte, offensive, dans trois directions – celles que l’on retrouvait dans la proposition de loi initiale de Paul Molac, dont l’ensemble des députés du groupe écologiste étaient cosignataires – : l’enseignement, les médias et la signalétique dans l’espace public. C’est exactement la politique qui manque côté français.
À celles et ceux qui s’en tiennent toujours à une vision défensive et qui ont peur que nous ne développions les langues régionales au détriment du français, je veux dire que le raisonnement qui est le nôtre est exactement celui qui nous conduit à soutenir la francophonie. S’il existe pour cela des organismes, auxquels la France contribue financièrement, c’est bien parce que nous pensons important de défendre le pluralisme linguistique dans le monde. Nous ne voulons pas qu’une langue – aujourd’hui l’anglais, mais demain cela pourra être une autre langue – soit un rouleau compresseur « uniformisateur », parce que ce serait un appauvrissement culturel.
C’est exactement la même chose pour les langues régionales. Est-ce que plus de langues régionales, cela veut dire moins de français ? Évidemment non : Paul Molac l’a bien expliqué tout à l’heure, celles et ceux qui apprennent une langue régionale – puisque l’on parle de l’enseignement –, celles et ceux qui regardent une émission à la télévision, qui écoutent une émission à la radio ou qui, dans les collectivités locales, développent la signalétique dans une langue régionale, maîtrisent toutes et tous le français, évidemment ! C’est une question de pragmatisme !
De même, quand on défend la francophonie, on ne dit pas aux enfants de France qu’ils ne vont plus apprendre l’anglais : il est évident que nous sommes pragmatiques, dans une logique d’ouverture. Quand on défend la francophonie, on veut aussi apprendre des langues étrangères. Le raisonnement doit être le même pour les langues régionales en France.
Développer la pluralité linguistique, pour nous, écologistes, est une bonne chose en soi. Vous pourriez d’ailleurs, madame la ministre, rappeler à votre collègue de l’éducation nationale – même si j’espère qu’elle en est déjà convaincue – ce que tous les linguistes affirment, à savoir que l’enseignement immersif – celui que nous voulions reconnaître dans la première rédaction de la proposition de loi et auquel nous voulons donner les moyens d’exister – favorise ce que l’on pourrait appeler une « gymnastique linguistique » : quand on est bilingue dès son plus jeune âge, on apprend beaucoup plus facilement une troisième, voire une quatrième langue. Claude Hagège, grand linguiste français, a démontré par des études précises que cela facilite l’apprentissage de plusieurs langues.
Je voudrais finir en faisant un petit détour par l’histoire. On dit souvent que c’est la République qui a imposé le français comme langue unique de la France. C’est parfois au nom de la République que certains s’opposent, encore aujourd’hui, à la pratique des langues régionales dans l’enseignement.
Souvenez-vous de l’accord passé par Jack Lang, ministre de l’éducation nationale, avec les écoles Diwan en Bretagne : cet accord, qui visait à une intégration dans l’éducation nationale des écoles Diwan – ce sont des écoles associatives, donc de statut privé, mais qui ne demanderaient pas mieux que d’être intégrées dans le secteur public de l’éducation nationale –, a ensuite été cassé par le Conseil d’État au nom de cette vision monolinguistique de la France.
Comme souvent, l’histoire est plus complexe, puisque c’est l’ordonnance de Villers-Cotterêts, édictée par François 1er qui, en 1539, pour la première fois dans notre droit – vous savez que notre droit n’a pas commencé avec la Révolution française – a consacré cette langue. Selon certains juristes, l’édit royal, qui parle du « langage maternel francoys », ne se limitait pas à la langue française et sa protection s’étendait à toutes les langues maternelles du royaume de France, qui en comptait déjà plusieurs.
Cette idée a perduré jusqu’à la République puisqu’en 1790, l’Assemblée nationale a commencé par faire traduire dans toutes les langues régionales les lois et les décrets, avant d’être contrainte d’abandonner cet effort parce qu’il était trop coûteux. Le 14 juillet, alors fête de la Fédération, la garde nationale défilait sous les bannières des provinces de France. On n’opposait donc pas à l’époque unité nationale et reconnaissance des langues de nos provinces.
La proposition de loi de Paul Molac, dont nous sommes cosignataires, nous, les députés écologistes, ne veut rien imposer : elle ouvre des possibilités. C’est cela qui doit être notre démarche de législateur : ouvrir des possibilités pour rendre aux personnes qui le souhaitent le droit d’apprendre et de parler leur langue régionale.