Intervention de Thierry Mandon

Réunion du 12 janvier 2016 à 16h15
Commission des affaires économiques

Thierry Mandon, secrétaire d'état chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Je suis heureux de répondre à votre invitation.

S'agissant tout d'abord de la situation générale de la recherche et de la place de la recherche française dans le monde, que Madame la présidente a bien présentée en introduction, je soulignerai le paradoxe français : si les dépenses publiques de recherche, qui s'élèvent à 0,8 % du PIB, sont dans la moyenne des pays de l'OCDE, les dépenses privées, qui représentent 1,48 % du PIB, sont, en revanche, à un niveau plus faible que dans les pays avec lesquels nous sommes en compétition – États-Unis, Allemagne, Japon, Angleterre. Contrairement donc à une idée reçue, le niveau de soutien public à la recherche en France est dans les meilleurs standards mondiaux, tandis que celui de la recherche privée est plus faible – et reste de mon point de vue trop faible aujourd'hui.

Dans le budget que vous avez voté, vous avez veillé à ce que les crédits de la recherche soient stabilisés en 2016 par rapport à ce qu'ils étaient en 2015, et je vous en remercie. Ce n'était pas gagné et je me réjouis que la politique de réduction des dépenses n'ait pas touché les organismes de recherche. J'ai en outre deux informations complémentaires importantes à vous fournir. La première porte sur la réserve. Comme vous le savez, après le vote du budget, certains crédits sont mis en réserve pour gérer les aléas de l'exécution budgétaire. Les taux de réserve de droit commun, qui sont de 0,5 % pour la masse salariale et de 8 % pour les dépenses de fonctionnement courant, ont été reconduits pour 2016. Cependant, les organismes de recherche bénéficient d'un statut particulier puisque ces taux ne sont, respectivement, que de 0,35 % et de 4,85 %. En outre, après la mise en réserve, est appliqué ce que l'on a coutume d'appeler le « rabot » qui altère la nature du budget voté par les parlementaires. Or, et c'est nouveau, cette année, ce coup de rabot n'a pas été appliqué aux dépenses de recherche dont l'exécution sera donc conforme au budget adopté. Je tiens à le souligner car j'en avais pris l'engagement lors de l'examen du budget.

Dans le budget que vous avez voté, l'Agence nationale de la recherche (ANR) est dotée de 555 millions d'euros. Il s'agit probablement là d'un niveau plancher, l'agence jouant un rôle très important pour favoriser l'émergence de nouvelles équipes. En deçà de ce chiffre, il lui serait difficile d'y parvenir. Le taux de réponses favorables aux appels d'offres de l'agence, de l'ordre de 10 %, reste faible : il nous faudra donc, dans les années qui viennent, trouver les moyens de le relever de manière que les équipes ne soient pas découragées de répondre aux appels d'offres. J'ajoute qu'au cours de ces dernières années, l'agence a nettement amélioré son organisation. Il faut désormais mettre l'accent sur la simplification, d'une part, des procédures de réponse et, d'autre part, des évaluations menées par l'agence.

Vous avez fait référence à la stratégie nationale de recherche qui a été présentée en fin d'année et qui est l'aboutissement d'un long travail engagé par Mme Geneviève Fioraso. La définition d'une telle stratégie vise à ce que nous disposions, dans les années à venir, d'une matrice de défis et d'enjeux essentiels pour le pays, qui structure à la fois les appels d'offres publics mais aussi l'action des différents opérateurs de la recherche publique, voire de certains industriels. Cette stratégie fait une très large place aux questions de développement durable. Vous évoquiez la mise en oeuvre des décisions de la COP21 : nous l'avions, d'une certaine manière, anticipé en élaborant cette stratégie, au coeur de laquelle se trouvent les enjeux de transformation énergétique, de nouvelles énergies et de stockage de l'énergie.

Il faut toujours chercher à être meilleur – c'est la démarche que les chercheurs nous invitent à suivre – et à adopter un esprit critique, y compris vis-à-vis de ce que nous faisons. Peut-être peut-on regretter que dans cette stratégie, la place accordée aux sciences humaines et sociales soit insuffisante. Nous menons actuellement une réflexion pour voir comment nous pourrions engager une action spécifique en faveur de la valorisation des sciences humaines et sociales en 2016 – nous aurons l'occasion d'en reparler.

Dans le cadre de la mise en oeuvre de la stratégie nationale, le Premier ministre a annoncé que des centres de convergence feraient l'objet d'un programme spécifique du programme d'investissements d'avenir qui doit être lancé dans les tout prochains jours. Il s'agit concrètement d'une dizaine de laboratoires pluridisciplinaires de recherche menant également des actions de formation à partir d'un appel à projet. Ce programme sera doté de quelque 195 millions d'euros. Ces laboratoires seront sélectionnés au cours de deux échéances, l'une en juillet, l'autre en décembre. Dans différentes régions de France, de nombreux opérateurs attendaient avec impatience cet appel d'offres : il sera lancé très prochainement.

Vous avez évoqué à juste titre la question européenne. Nous nous mobilisons beaucoup pour que la France, puissance de recherche au niveau européen, joue, dans les instances européennes, un rôle plus important qu'actuellement. Les experts français au niveau européen sont sous-représentés dans bon nombre de disciplines – ce qui a malheureusement des conséquences très concrètes pour nous. Il y a donc une présence à organiser, plus fortement que nous ne l'avons fait jusqu'alors.

Il y a néanmoins en la matière des motifs de satisfaction. Le premier réside dans l'augmentation du budget européen de la recherche qui s'élève à 77 milliards d'euros contre 50 milliards dans le budget précédent. Le second est que la vision des questions de recherche à la Commission européenne – principalement sous l'influence du nouveau commissaire M. Carlos Moedas, Portugais très connaisseur de ces sujets – couvre désormais toute la chaîne, depuis la recherche fondamentale jusqu'à l'innovation la plus applicative. Cela étant, l'Europe, qui cherche à dégager des moyens pour financer des politiques nouvelles telles que l'accueil des réfugiés, est susceptible de procéder à des régulations budgétaires en 2016. Il nous faudra donc veiller à ce que soit préservée la dépense de recherche européenne – qui est l'une des rares dépenses européennes véritablement transnationales et qui incarne l'avenir de notre continent.

J'en viens aux sujets susceptibles de nous mobiliser dans les semaines et les mois qui viennent.

S'agissant de la politique d'innovation, j'ai effectivement souligné la nécessité de veiller à ce que la France ne devienne pas un incubateur mondial. Je m'explique. Depuis dix ans, de nombreux dispositifs ont été institués et des moyens financiers considérables déployés, pour faire en sorte que les organismes publics et les universités s'intéressent à la recherche appliquée – tout en continuant, car c'est vital, à faire de la recherche fondamentale. Cette politique a porté ses fruits. Il y a dix ans, lorsqu'on invitait les universités à s'intéresser à ce qui se passait dans les entreprises, elles n'étaient pas toujours très enthousiastes. Aujourd'hui, ces deux univers se sont rapprochés. Mais ce rapprochement, qui s'est effectué par le déploiement de très nombreux outils – les instituts de recherche technologique (IRT), les pôles de compétitivité, les sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT), les dispositifs régionaux – risque de conduire au développement d'une administration de l'innovation, entre la recherche et les entreprises. Qui plus est, les ressources que plusieurs de ces organes permettent de dégager du fait des relations qu'ils nouent avec les entreprises privées financent le fonctionnement même desdits organes. Ces recettes ne permettent donc pas le ressourcement de la recherche. Des universités et des organismes produisent des connaissances valorisées par les entreprises, par l'intermédiaire de ces outils, et n'obtiennent pas le juste retour de la valeur ainsi créée. Nous sommes en plein travail d'inventaire, en lien étroit avec le ministère de l'économie, de l'industrie et du numérique. Nous avons notamment demandé à une enseignante du Massachussetts Institute of technology (MIT), Mme Suzanne Berger, spécialiste de la production dans l'économie de l'innovation, de dresser un bilan complet de ces dispositifs et de nous indiquer, très librement, comment améliorer ou simplifier notre politique d'innovation.

Dans le domaine spatial, nous sommes très fortement mobilisés, depuis la conférence intergouvernementale de Luxembourg, en faveur du futur lanceur de satellites Ariane 6 qui permettra, en quatre ans, de réduire de 50 % le coût de lancement des satellites dans l'espace grâce à une prouesse technologique. Nous sommes en train de structurer, tant en France qu'au niveau européen, ce projet formidable fondé sur une rupture technologique et sur la mobilisation d'équipes industrielles et de chercheurs de l'Europe entière.

J'évoquerai pour terminer deux chantiers que nous nous apprêtons à engager dans les prochains jours.

Le premier consiste en une grande consultation des laboratoires et organismes sur la simplification des démarches relatives aux appels d'offres et à la gestion du personnel – démarches qui polluent la vie quotidienne des laboratoires de recherche. Nous réunissons des groupes de travail depuis deux mois à cette fin et proposons une consultation ouverte sur un site internet, à laquelle peuvent librement participer tous les organismes, laboratoires de recherche et universités de même que les chercheurs s'exprimant à titre personnel. Cette consultation s'achèvera à la fin du mois de février par un recensement des propositions formulées sur le site. Nous les traiterons entre février et juin afin de lancer un plan de simplification en ce domaine en juin 2016.

Le second chantier, plus long, vise à la transformation de notre administration centrale. Cette dernière est de qualité mais elle fonctionne aujourd'hui selon des règles datant d'avant l'autonomie des établissements universitaires. Elle n'est pas suffisamment dotée d'outils nouveaux même si elle a fait d'énormes progrès ces derniers mois. L'autonomie ne veut pas dire la disparition de la puissance publique mais le repositionnement du centre sur les fonctions stratégiques, d'orientation et d'évaluation ex post. Les acteurs autonomes resteront pleinement libres de leurs choix stratégiques et de leur mise en oeuvre.

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