Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, je ne sépare pas le débat sur ce projet de loi des circonstances que notre pays affronte et qui nécessitent, à mes yeux, une qualité et une profondeur nouvelles du débat politique, surtout sur un enjeu fondamental qui engage notre avenir.
Je veux saluer l’état d’esprit constructif qui a présidé à nos travaux jusqu’ici. J’espère d’ailleurs qu’il durera tout au long de notre débat. Cet état d’esprit constructif est indispensable, parce que le numérique n’est pas un enjeu sectoriel, qui intéresserait seulement quelques spécialistes : il est désormais structurel, tant l’accélération en cours, celle de la quatrième révolution industrielle, bouleverse toutes les dimensions de la vie sociale. Nous ne sommes qu’au début d’une reconfiguration généralisée de nos rapports au savoir, à l’information, à la culture, de nos modes de production et de consommation, et même – cela commence, cela viendra – de notre rapport au pouvoir. Ouverture, partage, liberté, économie collaborative, innovation, création de valeur : les potentialités sont extraordinaires.
Vous avez dit, madame la secrétaire d’État, qu’il fallait appréhender ce nouveau monde sans fatalisme ni naïveté.
Je reviendrai sur le fatalisme, mais je veux souligner devant la représentation nationale qu’on ne peut effectivement pas faire preuve de naïveté quand s’installe une surveillance de masse qui piétine les libertés fondamentales des citoyens, quand l’exploitation massive des données peut conduire à prévoir les comportements et donc à remettre en question la notion même de libre arbitre.
On ne peut pas faire preuve de naïveté quand la sécurité nationale peut être menacée sans que nous ayons les moyens d’agir, comme s’en inquiète l’état-major des armées, et quand nous constatons que de grandes plates-formes ne respectent pas nos lois, qu’elles diffusent des images de viols et de propagande djihadiste, parce qu’elles estiment que leurs conditions générales d’utilisation sont plus importantes que nos lois.
On ne peut pas faire preuve de naïveté quand la création de valeur nouvelle, à partir de l’exploitation des données, échappe à l’impôt, quand la taille critique atteinte par des acteurs dominants leur donne un avantage tel que la concurrence est faussée et que toutes nos entreprises doivent se soumettre à leurs plates-formes.
Cela signifie que nous pourrions avoir les conséquences de la révolution en cours, en termes de destructions d’emplois et de valeur, sans en avoir les avantages.
Vive l’internet libre, collaboratif et ouvert ! Mais nous voyons bien que celui-ci est mis en péril par une logique de privatisation. Le cyberespace est dominé par des oligopoles soumis à un droit étranger, à une souveraineté étrangère. Mes chers collègues, les systèmes d’exploitation dominants ne sont pas apatrides !
Et dans le laps de temps où toutes les activités migrent sur le réseau, notre dépendance à l’égard de ces grands acteurs et notre perte de souveraineté augmentent d’autant. Cette situation est de plus en plus intenable.
En effet, à défaut que ce soient les responsables politiques européens qui réagissent avec vigueur par exemple après l’affaire Snowden, ce sont des décisions de justice, celle de la Cour de justice de l’Union européenne, qui enjoignent les États membres à prendre des mesures mettant fin au transfert des données des citoyens européens aux États-Unis. Alors oui, il est temps que la République reprenne la main.
C’est pourquoi madame la secrétaire d’État, contrairement au Conseil d’État, j’approuve pleinement le titre de votre projet de loi « pour une République numérique ». Et je suis bien d’accord avec vous lorsque vous dénoncez le « lobby de l’impuissance » qui considère, sous prétexte que le cyberespace est planétaire, que l’on ne peut rien faire.
Ce projet de loi comporte des avancées ; il introduit des règles élémentaires qui jusqu’ici faisaient défaut. À mes yeux, notre ambition doit viser à construire notre souveraineté numérique. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, d’avoir donné un avis favorable à l’amendement que j’ai proposé afin qu’un travail sérieux s’engage sur cette question fondamentale.
La souveraineté numérique est une question d’intérêt national qui doit tous nous rassembler !