Intervention de Yves Durand

Réunion du 13 janvier 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Durand, président du comité de suivi de la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République :

Ce rapport est le fruit d'un important travail, de plus d'un an, réalisé par le comité de suivi de la loi. Ma présentation liminaire sera brève, afin de laisser place au débat.

Premier point : le comité de suivi a tenté de répondre à deux questions.

La première : qu'est-ce qu'appliquer une loi ? En effet, l'article 88 de la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République a créé un comité de suivi chargé de vérifier l'application effective de la loi et de produire un suivi, et ce afin d'éviter la multiplication des rapports d'évaluation. Ce comité, d'un genre plutôt rare, est donc chargé de suivre la loi en train de s'appliquer. D'ailleurs, dans les pays qui ont mis en oeuvre un véritable suivi législatif, celui-ci se fait, je dirais, « au fil de l'eau », c'est-à-dire au moment même où la loi s'applique.

Deuxième question : la loi du 8 juillet 2013 s'applique-t-elle ? Le comité a souhaité examiner le plus honnêtement possible les leviers et les freins à l'application de la loi, en s'interrogeant sur l'éventualité de la faire évoluer. Certains dispositifs créés par la loi peuvent effectivement se révéler difficilement applicables. Nous en avons conclu que la loi n'est pas figée, qu'elle doit être dynamique.

Deuxième point : le comité de suivi s'est attaché à mettre en place une méthodologie.

D'abord, nous avons organisé de très nombreuses auditions et visites sur site, ce qui nous a permis de comprendre comment les acteurs – enseignants, directeurs d'école et chefs d'établissement, responsables de l'administration centrale, etc. – vivent les objectifs de la loi.

Ensuite, nous avons défini des critères d'évaluation à la fois objectifs et pérennes. En effet, il ne suffit pas que les décrets d'application soient pris pour que la loi s'applique correctement. Une loi s'applique réellement lorsque les acteurs sur le terrain en ont perçu le sens et la cohérence. Nous avons donc établi dix critères, parmi lesquels le délai de prise de la réglementation, mais aussi le pilotage et l'accompagnement des mesures, la mise en mouvement des pratiques, la modification de la perception des acteurs et des usagers.

Troisième point : le comité de suivi a déterminé les sujets qu'il souhaitait suivre. Le champ de la loi est si vaste que nous avons fait le choix dans ce premier rapport de ne pas examiner l'ensemble des dispositifs, afin d'éviter d'être superficiels. Nous nous sommes donc focalisés sur quatre sujets.

Le premier sujet est la priorité donnée au premier degré. Les acteurs ont fait état de la difficulté de sa mise en oeuvre. En outre, cette priorité a été occultée dans le débat public par la mise en place de la réforme des rythmes scolaires.

Le deuxième sujet concerne la réforme de la formation des enseignants, levier majeur notamment de la mise en oeuvre de la priorité au primaire. Il ne peut y avoir de système éducatif efficace et juste sans formation adéquate des maîtres. À cet égard, le rapport s'interroge sur le sens d'une formation professionnalisante et constate que la réforme est encore au milieu du gué. Quel modèle de formation choisir : le modèle disciplinaire universitaire ou un véritable modèle intégratif ? En la matière, il y a encore un tâtonnement : tous les acteurs ont souligné la difficulté à mettre en oeuvre le tronc commun, et le questionnement sur la place et la nature du concours est omniprésent.

Le troisième sujet relève des nouvelles instances indépendantes, le Conseil supérieur des programmes (CSP) et le Conseil national de l'évaluation du système scolaire (CNESCO). Le premier a pour mission de formuler des propositions sur les enseignements. Que faut-il enseigner aux élèves qui seront les citoyens de demain ? Rude tâche ! Le second a pour mission de diffuser une méthodologie de l'évaluation du système éducatif.

Le quatrième sujet est, comme vous l'avez indiqué, la place des parents dans le système éducatif. Sur ce point, nous nous sommes attachés à définir le terme « coéducation » – qui figure dans la loi – en nous appuyant bien sûr sur les conclusions du rapport précité de Mme Valérie Corre.

En dernier point de mon intervention liminaire, je souhaiterais insister sur les trois grands obstacles à l'application effective de la loi pour la refondation de l'école, à la fois dans sa lettre et son esprit, identifiés par le comité.

D'abord, la loi n'aborde pas un certain nombre de domaines, si bien que l'ambition de la refondation nécessite d'aller plus loin. En d'autres termes, cette loi doit avoir un prolongement. Je pense en particulier à cette question essentielle : qu'est-ce que le métier d'enseignant ? Le nouveau cycle CM1-CM2-6ème est essentiel pour la continuité éducative, la mise en oeuvre de l'école du socle commun ; or les professeurs des écoles, d'un côté, et les professeurs du secondaire, de l'autre, ont un statut différent et une culture différente. Cette difficulté devra être surmontée grâce à des dispositifs que le législateur devra définir.

Ensuite, l'application de la loi a pris, pour des raisons diverses, un certain nombre de retards. Je pense en particulier aux nouveaux programmes, qui doivent être élaborés par le CSP. Dans ce contexte, et alors que les programmes sont la « matrice » du métier d'enseignant – pour reprendre l'expression d'une directrice d'école –, les enseignants sont un peu perdus, même s'ils vivent intensément leur mission.

Enfin, un troisième obstacle apparaît dans la succession trop rapide des réformes qui donne l'impression qu'une réforme en chasse une autre, voire l'occulte. C'est ainsi que la priorité au premier degré a été occultée, dans un premier temps, par la mise en place des nouveaux rythmes scolaires, puis, dans un second temps, par le débat sur la réforme du collège. Pourtant, la réforme du collège constitue la suite logique de la refondation de l'école primaire.

Voilà pour les difficultés d'application de la loi, qui, je m'empresse de le dire, sont surmontables, pour peu que nous en ayons la volonté politique.

Je ne peux terminer cette présentation sans adresser mes remerciements sincères à tous les acteurs et personnalités que nous avons rencontrés, avec lesquels nous avons mené un travail empreint d'une remarquable écoute. Je remercie également l'ensemble des membres du comité du suivi, les quatre députés cités par M. le président, ainsi que nos amis sénateurs Dominique Bailly, Marie-Annick Duchêne, Brigitte Gonthier-Maurin et Michel Savin, mais aussi les quatre personnalités désignées par le ministre en charge de l'éducation, Mme Béatrice Gille et M. Alain Bouvier, qui se sont énormément impliqués dans ce suivi, tout comme M. Khaled Bouabdallah, président de l'université de Lyon, vice-président de la CPU, et Mme Viviane Bouysse, inspectrice générale de l'éducation nationale, groupe enseignement primaire. Je félicite enfin Mme Virginie Gohin, inspectrice d'académie-inspectrice pédagogique régionale, également présente parmi nous ce matin, qui a assuré le secrétariat général du comité de suivi, immense travail réalisé avec des moyens matériels limités.

Ce rapport, j'ai l'honneur et le plaisir de le présenter au nom de l'ensemble du comité de suivi. Mes collègues qui vont s'exprimer au nom de leur groupe le feront aussi au nom du comité de suivi. Ce dépassement des clivages partisans démontre que l'école doit nous rassembler au-delà de nos différences.

En conclusion, notre travail doit continuer en reprenant l'esprit de la concertation de l'été 2012. À cet égard, une journée d'échanges nous permettrait de faire participer à nos réflexions l'ensemble de ceux qui font l'école.

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