Intervention de Fatiha Dazi-Héni

Réunion du 13 janvier 2016 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Fatiha Dazi-Héni, enseignante à l'IEP de Lille et chercheure à l'IRSEM :

Les Saoudiens ont aujourd'hui beaucoup plus confiance dans la coopération avec les militaires français qu'avec les militaires américains. D'ailleurs, après avoir investi autant d'efforts pendant près de trente ans pour développer un partenariat stratégique avec l'Arabie saoudite et les voisins du Conseil de coopération du Golfe, il n'est pas nécessairement opportun de remettre complètement en question cette relation de confiance, que ce soit en raison des problèmes de gouvernance au sein de l'État Al-Saoud ou en vue d'un rééquilibrage dans la perspective du retour de l'Iran.

D'autant que les Iraniens ne vont pas nous tomber immédiatement dans les bras, compte tenu de ce qu'a été la position de la France pendant les négociations sur le dossier nucléaire. Cela reflète d'ailleurs un problème interne à notre pays : les directions chargées des affaires stratégiques et de la prolifération nucléaire au sein du Quai d'Orsay et du ministère de la défense ont pris le dessus sur l'expertise régionale, qui a été quelque peu méprisée. D'où l'impression qu'on a eue de voir les « néoconservateurs » dominer lors des négociations sur le dossier nucléaire iranien, quelle qu'ait été la coloration politique des gouvernements français successifs.

La famille Al-Saoud compte en effet 2 300 princes mais la famille dans son ensemble plus de 20 000 personnes, dont une centaine d'altesses royales. Le fait que les décisions régaliennes soient prises aujourd'hui par trois personnages au sommet de l'État suscite beaucoup de contestation, mais bien davantage au sein du premier cercle du pouvoir qu'au sein de la société. On ignore ce que cette contestation peut donner et si elle va s'organiser plus amplement au sein de la société à la faveur du plan d'austérité et de la tentative de créer un nouveau pacte social. En tout cas, ce sera compliqué, car on assiste à une répression à tous crins, qui touche non seulement les jeunes salafistes qui basculent dans le djihadisme, mais aussi les contestataires pacifistes tels que les membres de l'Association saoudienne des droits civils et politiques, ce qui est assez préoccupant. Mohammed ben Nayef, ministre de l'intérieur et prince héritier, a une vision ultra-sécuritaire. Cette politique suscite des interrogations et contribue à fragiliser le royaume.

Le roi Abdallah a eu le mérite de mettre la place et le rôle de la femme saoudienne au coeur du débat, ce qui n'avait jamais été le cas auparavant. La situation des femmes était le meilleur argument pour essayer de mettre la population saoudienne au travail : diplômées de l'enseignement supérieur à près de 60 %, elles n'ont malheureusement accès qu'à très peu de secteurs professionnels et acceptent souvent des emplois en deçà de leurs qualifications, à la différence des hommes. Les femmes saoudiennes concourent de manière fondamentale à la cohésion sociale. Comme dans nos sociétés, elles jouent un rôle central dans l'éducation des enfants et sont donc un vecteur du changement des mentalités. En Arabie saoudite, le taux de célibat des femmes et le taux de divorce sont très élevés, ce qui soulève la question du statut de la femme, qui est toujours sous la tutelle d'un homme – mahram. Toutes ces questions ont été évoquées du temps du roi Abdallah, qui était très populaire auprès des femmes saoudiennes.

Aujourd'hui, ces questions ne sont pas au coeur des préoccupations du roi Salman, qui est un conservateur beaucoup plus proche de l'establishment religieux officiel que ne l'était le roi Abdallah. Cependant, il ne remet pas non plus en cause l'héritage de son prédécesseur : il a laissé les femmes voter et se présenter aux élections municipales. Les conseils municipaux n'ont pas beaucoup de prérogatives, mais c'est un symbole qui a son importance.

La priorité de la monarchie, aujourd'hui, c'est de réussir le pari du passage à une société post-pétrolière, avec un prix du baril qui restera bas. L'Arabie saoudite contribue d'ailleurs elle-même à l'effondrement des prix en défendant ses parts de marché avec beaucoup d'agressivité, notamment en Asie. Certains disent que c'est aussi pour compromettre le retour de l'Iran sur le marché pétrolier et affaiblir la Russie, ce qui n'est pas faux, mais ce n'est pas l'objectif premier.

À la différence d'Al-Qaïda, qui était très dépendante des financements qu'elle recevait d'individus fortunés d'Arabie saoudite ou du Koweït, Daech s'autofinance très largement, notamment grâce à l'exploitation des puits de pétrole et au pillage de la banque centrale de Mossoul. C'est l'organisation terroriste la plus riche de tous les temps. Même si certains riches citoyens du Golfe parviennent certainement à lui transférer des fonds, elle n'a guère besoin de ces ressources annexes.

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