Intervention de François Burgat

Réunion du 12 janvier 2016 à 16h30
Mission d'information sur les moyens de daech

François Burgat, directeur de recherche au CNRS, coordonnateur du programme « Quand l'autoritarisme échoue dans le monde arabe » :

…qui, du reste, n'étaient pas les premiers du genre, le président d'une chaîne de télévision à vocation internationale exigeant qu'on n'y voie plus des gens qui expliqueraient les tensions en Syrie et en Irak en termes d'opposition entre chiites et sunnites car il y a, désormais – il serait temps de s'en apercevoir – les bons et les méchants.

En guise d'entrée en matière très provocatrice sur les sujets sur lesquels, à tort ou à raison, vous considérez que je puis me prévaloir d'une expérience, je dirai que, dès lors que nous adoptons une posture unilatérale pour comprendre l'origine de nos problèmes, nous sommes inefficaces et même contre-productifs. Nous devons par conséquent faire l'évaluation la plus lucide possible des dysfonctionnements du « vivre-ensemble » sur le plan international comme sur le plan national. Par dysfonctionnement du « vivre-ensemble », j'entends que la distribution des ressources entre les différentes composantes du tissu national n'est pas fonctionnelle. On me reprochera de vouloir moins de pauvres ou moins de riches – certes, dans un cas de figure idéal ; reste que nous pouvons toujours réaffecter les ressources, économiques mais aussi symboliques, à travers notre capacité à donner à tous les segments de la société la possibilité de se considérer comme accueillis à égalité dans le paysage médiatique.

J'avais pris un exemple, lors de mon audition par la commission des affaires étrangères, très surpris de ce que sa présidente n'en soit pas familière : le pire de ce que nous ayons fait jusqu'à présent a été de fabriquer de fausses élites musulmanes et de leur donner la parole au nom de leurs coreligionnaires. Le rapporteur se souvient sûrement de mon exemple et, lui, l'avait immédiatement compris car j'imagine que quand il entend l'imam Chalghoumi s'exprimer au nom des musulmans, alors qu'on a choisi ce monsieur pour son incapacité abyssale à aligner trois phrases, il se sent humilié, ostracisé, stigmatisé, comme tout Français de confession musulmane qui se demande quel peut bien être ce système qui le fait représenter par des gens dans lesquels il ne se reconnaît pas. On touche là du doigt un dysfonctionnement des mécanismes de représentation des musulmans.

À côté de ce « modèle analphabète » il y a le « modèle savant » selon lequel, dans l'espace public, nous n'acceptons que les musulmans amputés de toute dimension oppositionnelle – nous aimons bien les musulmans intelligents, pourvu qu'ils cautionnent le discours de domination sur leur communauté, faute de quoi nous les traitons d'intégristes ; en effet, ce que je dis, moi, François, si c'était Mohamed qui l'exprimait, il serait traité d'intégriste. En cessant de jouer avec les mécanismes de représentation des musulmans, vous allez ouvrir la soupape de la cocotte-minute. Laissons les musulmans adopter une posture oppositionnelle.

On m'accuse d'être trop gentil avec les musulmans. Non : j'aime bien mon pays et, du fait de l'intérêt que je lui porte, il y a vingt ans déjà, j'affirmais que si l'on avait laissé participer au débat public davantage de musulmans râleurs, protestataires, nous aurions fait moins de conneries dans les régions du monde concernées, nos politiques étrangères auraient été plus fonctionnelles et nous aurions peut-être entendu les grincements des dysfonctionnements des systèmes politiques maghrébins qui ont mis des années à parvenir à nos oreilles. Nous nous serions peut-être rendu compte qu'il ne fallait pas mettre tous nos oeufs dans le panier de Ben Ali – comme on l'a appelé jusqu'à la dernière minute. Pour ceux qui trouveraient que jusqu'à présent je n'ai tapé que sur la gauche, je vais maintenant m'en prendre à la droite (Sourires) : Mme Alliot-Marie, dans le contexte des printemps arabes, a proposé un surcroît de fonctionnalité à l'appareil répressif tunisien.

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