Intervention de François Burgat

Réunion du 12 janvier 2016 à 16h30
Mission d'information sur les moyens de daech

François Burgat, directeur de recherche au CNRS, coordonnateur du programme « Quand l'autoritarisme échoue dans le monde arabe » :

Les modalités de la sortie de crise échappent complètement au rôle de quelqu'un qui se veut chercheur en sciences sociales mais je vais me mouiller. La sortie de crise, selon moi, ne passe pas par l'écrasement militaire de Daech. Cet écrasement est éventuellement pensable mais il n'y a pas de relève politique actuellement. Il y a un peu plus d'un mois, je me trouvais à Erbil et je m'entretenais avec un haut responsable religieux sunnite. J'ai été frappé par son éloquence : en quelques minutes, beaucoup plus convaincant qu'un Saoudien, il m'a expliqué toutes les raisons pour lesquelles un musulman kurde sunnite ne pouvait pas manger du pain de Daech. Quelle est l'alternative, lui ai-je demandé ? « Il n'y en a pas, Burgat, m'a-t-il répondu ; ils se sont alliés avec les chiites, ça a donné ce que ça a donné ; ils se sont alliés avec les Américains, ça a donné ce que ça a donné… » Que va-t-il alors se passer ? « Ça va durer, puis ça va forcément changer. S'ils ne vivent que de la ressource de la terreur, il y aura forcément une interaction et les choses vont évoluer. »

Je dis parfois que si je n'ai rien compris à l'Irak, c'est parce que j'étais trop ami avec Hocham Daoud, lui-même étant trop proche de Nouri al-Maliki : aussi ne m'a-t-il pas informé que l'Irak dysfonctionnait massivement. C'est ce que je lui ai dit tout à l'heure amicalement au Sénat. Hocham Daoud, dans un article qu'il a publié dans L'Humanité il y a quelques jours, affirme quelque chose d'essentiel et nous avertit : si vous mettez Daech par terre sans avoir prévu de solution institutionnelle alternative, vous allez fabriquer quelque chose d'encore pire. Donc, je le répète, la porte de sortie de la crise syrienne n'est pas l'écrasement militaire de Daech. Je vais vous confier un secret : il y a au moins un membre du Gouvernement qui était d'accord avec moi quand je l'ai affirmé avec une rare violence sur l'antenne de Radio France internationale (RFI), ministre dont le directeur de cabinet m'a appelé pour me rencontrer, me disant du bien de mon argumentaire.

C'est que nous sommes entrés dans la crise syrienne par la mauvaise porte. Nous avons expliqué au monde entier pendant quatre ans que nous ne pouvions rien faire, à cette nuance près que nous avons déclaré, après le massacre à l'arme chimique, que nous étions éventuellement prêts à y aller. Et la question n'est pas de mener, ou pas, une politique d'ingérence puisque la crise syrienne est déjà le produit d'une ingérence massive : il n'y aurait pas eu de crise sans l'ingérence iranienne et russe. Depuis 2012, le régime syrien vit d'une perfusion de ressources militaires étrangères. La crise syrienne est internationale. N'aurions-nous pas dû, à tel moment, rééquilibrer les ressources militaires pour rendre possible une sortie politique ?

Le représentant de l'Union européenne, encore à Damas, m'a déclaré ne pas croire aux négociations annoncées parce que, pour qu'il y ait une transaction politique, il faut que les deux acteurs sentent qu'il s'agit d'une porte de sortie. Or Bachar al-Assad n'a plus besoin de porte de sortie : toute son opposition militairement dangereuse est fracassée par les frappes russes. En une phrase : la porte de sortie de la crise syrienne revient à abandonner l'option « tous contre Daech et seulement contre Daech », organisation qu'on doit donc laisser subsister un certain temps, et consiste à reprendre le processus politique en Syrie qui ne sera possible que si nous ne chatouillons pas Bachar al-Assad. Les Russes sont cyniques, ils ne sont pas amoureux de Bachar al-Assad, ils veulent nous ennuyer, nous faire un bras d'honneur, attitude à laquelle il faut ajouter un coefficient d'islamophobie chez Poutine. L'Iran et la Russie doivent être les acteurs de ce changement.

J'en viens à la question sur les minorités avec une phrase provocatrice : Bachar al-Assad n'est pas le protecteur des minorités, mais il les instrumentalise pour se protéger. Si vous voulez que des minorités vivent bien dans leur environnement, il faut vous occuper de la majorité. Il faut que le système politique, dans cette région du monde, soit fonctionnel pour que personne n'éprouve le besoin de s'en prendre au plus faible pour envoyer des messages aux Occidentaux afin de les faire changer de dispositif. La question des minorités ne peut pas être le prisme à travers lequel nous lisons la crise.

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