Intervention de François Burgat

Réunion du 12 janvier 2016 à 16h30
Mission d'information sur les moyens de daech

François Burgat, directeur de recherche au CNRS, coordonnateur du programme « Quand l'autoritarisme échoue dans le monde arabe » :

Certes, mais elles ne peuvent pas être ce qui détermine notre action. L'autre jour, j'entendais un débat sur l'Irak et l'un des protagonistes déplorait le départ des chrétiens de Mossoul. Son interlocuteur, de Mossoul, lui a répondu que, depuis trois ans, 5 % des chrétiens en sont partis mais que si l'on prend le chiffre des dix dernières années, il s'élève à 60 % ! Le statut des minorités dans le tissu politique oriental n'a pas été structurellement affecté par les derniers épisodes, mais il a été instrumentalisé de façon particulièrement visible. Aussi le départ des chrétiens d'Irak est-il un phénomène structurel qui n'a pas du tout attendu l'émergence de Daech. Encore une fois, pour protéger les minorités, il faut s'occuper efficacement de la majorité. Il faut que le système politique redevienne fonctionnel dans l'ensemble de l'espace concerné afin que le segment faible de la société ne paie pas le prix de la tension, du dysfonctionnement du système politique central. Ainsi, quand un couple va mal, c'est la femme qui en paie le prix et parfois c'est le chien qui reçoit des coups de pied.

Pour ce qui concerne la question posée par M. Faure, il faut comprendre que Daech peut occuper un certain espace grâce à ses ressources propres. Il faut arrêter de considérer qu'il s'agit d'une marionnette de l'Arabie Saoudite. Toutefois, dans certains cas, la présence de Daech n'est pas due à la présence de ressources positives mais à une manoeuvre tactique du régime syrien. Si Daech est entré dans Palmyre, où l'armée syrienne n'a absolument pas combattu, j'ai le sentiment que c'est parce que le régime souhaitait que les soldats de Daech fassent ce qu'on savait bien qu'ils allaient faire : nous emmerder, frapper où ça fait mal, à savoir toucher les antiquités. Qui souhaite le maintien de Daech ? Celui qui l'instrumentalise, à savoir – c'est une évidence absolue – le régime syrien. Je me souviens, lors des négociations de Genève I, qu'un membre de la délégation syrienne brandissait sa tablette ou son téléphone portable en disant : « Vous voulez que je vous montre le siège de Daech à Rakka ? Pourquoi ne le bombardez-vous pas ? » Le régime syrien ne s'en est pas pris de façon frontale à Daech. Depuis le début du conflit, il voulait Daech qui lui-même ne voulait pas, en priorité absolue, la fin du régime syrien.

L'internationalisation du conflit s'est bien sûr également réalisée au profit de Daech mais je ne pense pas que le phénomène des djihadistes sans frontières, des sunnites en colère venus de 170 pays, fasse basculer le rapport de force du point de vue militaire, quand bien même ces enfants ont dans la poche une arme qui compte sur le terrain : l'attentat-suicide.

Pour ce qui est de l'influence des acteurs étatiques, il faut toujours établir une dichotomie entre les régimes et les opposants : vous avez énormément de Saoudiens au sein de Daech mais aussi de très nombreux Kurdes. On peut dire que les rangs de Daech sont composés des sunnites mécontents, des citoyens du monde qui, dans 170 pays, se sentent exclus et cherchent à se venger et à s'épanouir ailleurs. Par conséquent, Daech profite des dysfonctionnements des systèmes politiques régionaux et internationaux. Qui a intérêt à l'existence de Daech ? Une grande partie des opposants saoudiens – et l'Arabie Saoudite est un régime malade –, ses opposants pensant que le renouvellement politique de ce pays passe par une victoire de Daech. L'organisation ne compte pas, en revanche, d'Iraniens du fait de la fracture sectaire. Ainsi ai-je commenté ironiquement l'arrivée au pouvoir des Houthis à Sanaa en estimant qu'on pouvait au moins être sûrs que la guerre contre Al-Qaïda allait prendre un tournant tant on reprochait à l'ancien gouvernement de faire seulement mine de lutter contre cette organisation. Reste que la fracture sectaire les empêche, tout comme les Iraniens, de soutenir Daech. En dehors de cette fracture sectaire, ce sont tous les mécontents des systèmes politiques de la région qui soutiennent Daech et cela représente pas mal de monde, voilà le problème.

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