Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 26 janvier 2016 à 15h00
Droit des étrangers — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, le 23 juillet dernier, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture un texte dont le titre était : « Projet de loi relatif au droit des étrangers en France ». Le Sénat a changé cet intitulé, le transformant en : « Projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration ». Pour parler franchement, le lexique sénatorial ne me paraît pas totalement inapproprié au regard du contenu des dispositions du texte, même dans sa version rétablie.

Le Sénat a considérablement durci le projet de loi, il est vrai, avec notamment l’adoption d’un amendement prévoyant des quotas déterminés par le Parlement pour chaque catégorie de séjour. Il a également limité l’octroi du nouveau titre de séjour pluriannuel aux titulaires d’un CDI, aux entrepreneurs ou aux personnes exerçant une profession libérale et aux étudiants inscrits en master. La droite sénatoriale a souhaité réduire les conditions d’accès de l’aide médicale d’État, via un forfait de trente euros pour en bénéficier. Nous le savons, c’est une de ses obsessions. Il a également restreint les conditions du regroupement familial et a conditionné le droit au séjour pour raisons médicales à l’absence totale de traitement dans le pays d’origine.

Dans ce cadre, l’échec de la commission mixte paritaire en novembre 2015 ne fut nullement une surprise. Ce fut même une bonne nouvelle. Le 20 janvier dernier, de nombreux amendements ont été adoptés en commission des lois, essentiellement pour rétablir le texte dans sa version votée en première lecture par notre assemblée. Toutefois, celle-ci nécessite encore quelques autres améliorations, même si – je le sais pour avoir réussi à me faufiler à la fin de la réunion qui s’est tenue au titre de l’article 88 –, le rapporteur n’a pas émis d’avis favorable sur d’autres amendements que ceux du Gouvernement. Peut-être le débat parlementaire permettra-t-il de le faire fléchir.

Certes, le projet de loi initial allonge les durées de validité de la carte de séjour avec le principe de titre de séjour pluriannuel de quatre ans succédant au titre de séjour temporaire d’un an et avant la délivrance de la carte de résident de dix ans : une bonne mesure, issue du rapport Fekl, nécessaire pour lutter contre la précarité des titres – nous l’avons suffisamment souligné pour ne pas la saluer. En revanche, le texte instaure un principe de surveillance permanente avec, de surcroît, la levée inédite du secret professionnel pour plusieurs organismes et leur personnel.

En effet, les dispositions des articles 8 et 25 du projet de loi obligent une longue liste d’administrations ou d’entreprises publiques et privées à fournir toute information que les agents de la préfecture jugeront utile pour le contrôle « de la sincérité et de l’exactitude des déclarations souscrites ou au contrôle de l’authenticité des pièces » des personnes titulaires d’une carte de séjour, sous peine d’une amende de 7 500 euros.

Pourtant, dans son avis du 20 mai 2015 sur le texte, la Commission nationale consultative des droits de l’homme dénonce « une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale garanti à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ». Pour le Défenseur des droits, c’est même « la disposition la plus contestable du texte », d’autant plus que la loi prévoit déjà le retrait du titre lorsque les conditions ne sont plus remplies, conformément à l’article L. 311-8 du CESEDA.

De plus, comme nous l’avons dit en commission, l’étude d’impact ne précise nullement les modalités de ce contrôle aléatoire. À mon sens, cette disposition consiste à nourrir un soupçon permanent qui alimente un climat détestable.

Autre point important : l’interdiction automatique de retour sur le territoire français. Le Conseil constitutionnel avait estimé dès 1993 que, « sans égard à la gravité du comportement ayant motivé » l’arrêté de reconduite à la frontière, « le prononcé de ladite interdiction du territoire par l’autorité administrative ne répond pas aux exigences de l’article 8 de la Déclaration de 1789 ». C’est pourquoi l’interdiction du territoire ne peut être systématique.

En outre, mes chers collègues, qui peut nier que l’article 15, qui prévoit une interdiction de circulation sur le territoire français prononcée à l’encontre de ressortissants européens pour abus de droit ou menace portée par l’étranger à l’encontre d’un intérêt fondamental, cible tout particulièrement les populations roms, singulièrement stigmatisées ?

Mes chers collègues, je regrette également que ce texte n’interdise pas la rétention pour les mineurs. Malgré les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a condamné ces rétentions en les qualifiant de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, malgré l’avis du Défenseur des droits, qui a indiqué qu’en limitant le placement des enfants en rétention, le texte « consacre au contraire dans la loi des pratiques condamnables au regard des articles 3, 5 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme », cette mesure demeure. En 2014, plus de 5 600 enfants ont été enfermés, dont 110 en métropole et plus de 5 580 à Mayotte. C’est inacceptable.

S’agissant des étrangers malades, il est regrettable que l’examen de la situation du malade soit transféré des agences régionales de santé à l’Office français de l’immigration et de l’intégration – l’OFII – qui, vous le savez, est un organisme placé sous tutelle du ministère de l’intérieur. Sur ce même point, il convient également de consacrer l’autorisation provisoire de séjour au profit des deux parents d’un enfant gravement malade. C’est une question d’humanité, comme l’a dit une collègue socialiste lors de l’examen du texte en commission des lois.

Mes chers collègues, ce projet de loi augmente les cas de décisions préfectorales portant obligation de quitter le territoire français, tout en restreignant considérablement les délais de recours, notamment pour les personnes détenues. Ces dernières auront quarante-huit heures pour saisir le tribunal administratif, qui devra statuer dans les soixante-douze heures par juge unique. Eu égard aux multiples difficultés rencontrées par un détenu étranger, croyez-vous réellement que l’on puisse parler sérieusement d’un recours effectif ? Pour ma part, je pense que ce dispositif est tout à fait contraire à notre Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme. De même, compte tenu des pouvoirs restreints du juge des libertés et de la détention à l’égard des personnes placées en zone d’attente, nous pouvons affirmer que sa saisine n’est que de pure forme.

Mes chers collègues, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe n’a pas manqué de réagir à nouveau à ce texte. Il a notamment appelé notre assemblée à prohiber, sans exception, les privations de liberté des mineurs isolés maintenus en zone d’attente et des mineurs accompagnant leurs parents retenus en centre de rétention administrative – ce n’est pas la première fois qu’il fait cette remarque ! Il a également souhaité le rétablissement de la présentation au juge des libertés et de la détention, dans un délai de quarante-huit heures, des personnes placées en centre de rétention administrative. Il a demandé à la France d’exécuter pleinement l’arrêt Souza Ribeiro contre France, rendu en 2012 par la Cour européenne des droits de l’homme, en conférant un effet suspensif de plein droit à l’ensemble des recours contre les obligations de quitter le territoire français, en métropole comme en outre-mer. Enfin, il a encouragé notre pays à conserver le dispositif d’aide médicale d’État, sans réduire l’étendue de la prise en charge ni conditionner son bénéfice au paiement d’un droit d’entrée. Pour ma part, comme je l’ai dit en commission, j’adhère à ces recommandations, qui ne sont pas sans importance.

Mes chers collègues, comme nous l’avons vu tout à l’heure dans l’échange un peu musclé entre M. Ciotti et le ministre de l’intérieur, la gauche se trouve trop souvent accusée à tort de laxisme en matière d’immigration. Pourtant, elle ne fait preuve d’aucune souplesse, d’aucun angélisme sur cette question. Le Gouvernement indique d’ailleurs, chiffres à l’appui, qu’il « fait mieux » que l’ancienne majorité en matière d’expulsions. Il rappelle souvent la nécessité de lutter contre les filières de passeurs, les réseaux mafieux et les bandes criminelles organisées. Mais je crois, pour ma part, qu’il convient de ne pas criminaliser la solidarité citoyenne. Notre assemblée doit évidemment organiser une immigration légale, car les demandeurs de regroupement familial, par exemple, ont le droit fondamental de mener une vie familiale normale.

La peur de l’autre et l’obsession du contrôle ne doivent pas nous guider. Tel sera notre état d’esprit au cours de ce débat. En fonction des amendements qui seront acceptés par M. le rapporteur et Mme la secrétaire d’État, nous verrons s’il convient de changer le vote que nous avions décidé en première lecture – nous nous étions alors abstenus. Cher président de la commission des lois, le suspense est total !

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