Intervention de Laurence Rossignol

Séance en hémicycle du 27 janvier 2016 à 15h00
Protection de l'enfant — Présentation

Laurence Rossignol, secrétaire d’état chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, madame la rapporteure pour avis, mesdames, messieurs les députés, nous abordons une nouvelle lecture de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant. Ce texte s’est considérablement enrichi au cours de son cheminement parlementaire. Si la commission mixte paritaire n’a pas permis d’aboutir à un texte conforme, nous sommes néanmoins très proches de voir les nombreuses avancées de cette proposition de loi adoptées et enfin traduites dans le quotidien des enfants.

Un grand chemin a été parcouru depuis le début du travail que j’ai engagé autour de la protection de l’enfance, il y a près de dix-huit mois. Si cela peut paraître long, c’est que nous avons fait le choix du temps nécessaire, celui de l’écoute et de l’échange. Dès les prémices de ce travail ont émergé deux observations, partagées par tous, qui ont été le point de départ de ma réflexion.

D’abord, la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance est une bonne loi. Elle contient des avancées importantes qui peuvent toutefois être confortées et renforcées. Ensuite, des améliorations doivent être apportées au dispositif de protection de l’enfance pour adapter les réponses institutionnelles aux besoins des enfants et garantir davantage de cohérence entre les acteurs sur l’ensemble du territoire.

Ces constats avaient certes été pointés dans les rapports qui se sont intéressés à cette politique publique et que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer dans cette assemblée. Mais ils étaient surtout soulignés par les professionnels et les élus eux-mêmes, signifiant ainsi leur volonté que soit réformée la protection de l’enfance et d’être les acteurs de cette réforme, au risque de mettre en question leurs propres pratiques.

La volonté politique ajoutée à la volonté des acteurs d’être associés à l’évolution de la politique publique qu’ils mettent quotidiennement en oeuvre ont guidé la construction d’une véritable méthode de travail.

La concertation qui en a découlé ne s’est pas limitée à recueillir les témoignages des acteurs et à en dresser une synthèse en laissant unilatéralement le ministère en déduire une feuille de route. J’ai vraiment souhaité une concertation qui s’apparente à de la co-construction, basée non seulement sur l’écoute mais aussi sur l’échange, qui laisse la place à la confrontation des idées et à la liberté de parole – une réflexion qui prenne en compte les témoignages et les propositions de ceux qu’on entend rarement, comme les anciens enfants de l’aide sociale à l’enfance, leurs parents ou les bénévoles.

Avec le recul, je suis convaincue que cette méthode, qui fait la force de la feuille de route 2015-2017 pour la protection de l’enfance et des 101 actions qui la composent, sera profitable. Cette feuille de route, vous le savez, s’appuie sur deux vecteurs complémentaires : la loi et l’accompagnement des professionnels dans l’évolution de leurs pratiques. Nous sommes en train d’aboutir sur le volet législatif et je profite de cette nouvelle lecture pour rappeler que c’est l’évolution de la loi qui structure la réforme en cours.

La proposition de loi des sénatrices Michelle Meunier et Muguette Dini fut une formidable opportunité législative pour procéder aux ajustements et aux clarifications nécessaires. Enrichie par les travaux de la concertation, elle est devenue le support législatif d’une réforme porteuse de sens. Seule la loi a ce poids symbolique, cette capacité intrinsèque à être le reflet d’une société et de ce vers quoi elle veut tendre.

Oui, la réforme de la protection de l’enfance nous invite à un questionnement, à un changement de regard sur l’enfant, sur sa place dans notre société, sur le respect que nous lui devons en tant que personne et sur l’effectivité de ses droits.

Je me trouvais il y a deux semaines à Genève pour défendre la position de la France devant le Comité des droits de l’enfant et témoigner de notre changement de regard qui affecte l’ensemble de nos politiques publiques. Le texte que nous examinons aujourd’hui participe de la démarche, initiée par le Président de la République le 30 septembre dernier, en vue de la construction d’une stratégie nationale pour l’enfance qui tienne compte de la situation des plus vulnérables.

La réforme de la protection de l’enfance traduit dans la loi cette vision partagée. Malgré la multiplicité des professionnels qui interviennent auprès des familles, malgré les cultures différentes, nous nous sommes très vite accordés sur la définition d’objectifs partagés, directement inspirés des valeurs et des principes de la convention des droits de l’enfant.

Très naturellement, le meilleur intérêt de l’enfant et la perspective de bientraitance, notamment institutionnelle, se sont imposés comme le socle sur lequel il convenait de construire chacune des dispositions de ce texte. Lorsqu’on appréhende la mise en oeuvre d’une politique publique par le prisme de son premier bénéficiaire, a fortiori s’il s’agit d’une politique sociale, certaines réponses apparaissent spontanément et certains verrous, conceptuels ou idéologiques, sautent.

Si j’insiste sur cette philosophie partagée de la protection de l’enfance, c’est parce qu’elle constitue, à mes yeux, l’une des deux évolutions majeures portées par cette réforme.

C’est l’attention portée à l’enfant et la meilleure prise en compte de ses besoins qui guident toutes les dispositions de ce texte, depuis la définition de la protection de l’enfance jusqu’aux mesures concrètes prises pour garantir davantage de stabilité dans les parcours ou soutenir les jeunes vers l’autonomie. Je pense notamment aux dispositions relatives aux jeunes majeurs et particulièrement au versement de l’allocation de rentrée scolaire, sur laquelle un consensus ne s’est encore pas dégagé. Je défendrai sans relâche cette mesure de justice sociale aux termes de laquelle un jeune bénéficiera à sa majorité d’un petit pécule, d’un filet de sécurité qui lui permettra de faire face à l’imprévu. C’est un geste fort qui montrera au jeune qu’il est soutenu dans cette période de grande fragilité qu’est la transition vers l’âge adulte.

Cette attention portée à l’enfant, à l’adolescent, dans la diversité de ses besoins, implique évidemment de mieux prendre en compte les ressources de son environnement pour construire, avec lui et toutes les personnes qui comptent pour lui, des réponses adaptées, que ce soit dans le cadre de l’élaboration du projet pour l’enfant ou dans une démarche de prévention, en favorisant l’action des réseaux de solidarité.

J’ai veillé, comme vous le savez, à ce que le texte que nous examinons aujourd’hui s’enrichisse de dispositions favorisant l’accompagnement des parents qui font face à des difficultés dès la période périnatale.

La seconde évolution majeure de la réforme est certainement l’affirmation d’une gouvernance renouvelée, là encore dans la perspective du meilleur intérêt de l’enfant.

Vous le savez, la feuille de route pour la protection de l’enfance, si elle fixe les grands objectifs à atteindre, définit aussi les leviers par lesquels nous pourrons les atteindre. Aux côtés de l’évolution de la formation et du soutien à la recherche, la gouvernance constitue certainement le levier le plus ambitieux de la réforme de la protection de l’enfance.

J’ai très vite été frappée par les inégalités territoriales, par le besoin de cohérence et de décloisonnement exprimé par les acteurs. C’est pourquoi la loi affirme le rôle de l’État en matière de protection de l’enfance, mais un État à sa juste place, un État partenaire des départements, un État garant dans une gouvernance renouvelée.

L’affirmation du rôle de l’État ne doit pas être appréhendée comme un pas en arrière de la décentralisation, ce qui d’ailleurs n’irait pas dans le sens de l’histoire. Le rôle de l’État en matière de protection de l’enfance est de donner du sens à cette politique publique et de l’inscrire dans une véritable stratégie nationale pour l’enfance. Il est ensuite d’apporter un cadre qui serve de repère à chaque territoire et à chaque acteur, qui garantisse l’égalité de traitement des enfants mais qui permette aussi l’épanouissement des initiatives et des singularités locales.

C’est le sens de la création du Conseil national de la protection de l’enfance, instance nationale de pilotage, à la fois interministérielle et opérationnelle, chargée d’impulser, de coordonner et d’évaluer la mise en oeuvre de la politique de protection de l’enfance.

Les observatoires départementaux, soutenus par l’Observatoire national de l’enfance en danger – ONED – accompagneront cette gouvernance renouvelée en nous apportant ce qui nous fait défaut aujourd’hui, à savoir une véritable capacité d’observation des besoins et des réponses apportées aux enfants à l’échelle nationale.

Mesdames et messieurs les députés, nous avons engagé, il y a plus d’un an, un travail conséquent visant à centrer l’action d’une politique publique sur son principal usager, l’enfant – sans oublier ses parents – et à faciliter l’intervention des professionnels. Même si de nombreuses actions de la feuille de route sont déjà mises en place, il est important que ce texte puisse être rapidement adopté pour se traduire concrètement dans le quotidien des acteurs.

Cette promulgation rapide, je l’ai défendue à Genève lors de l’examen du cinquième rapport de la France devant le Comité des droits de l’enfant de l’ONU. Le petit nombre des questions – et non le peu d’intérêt – suscitées par la politique de protection de l’enfance qui, en 2009, avait été vivement critiquée, me laisse penser que, même si beaucoup reste encore à faire, nous avançons dans la bonne direction, celle d’une politique véritablement respectueuse des droits de l’enfant. Je vous remercie.

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