Intervention de Arnaud Richard

Séance en hémicycle du 27 janvier 2016 à 15h00
Protection de l'enfant — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Richard :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, toutes les familles heureuses se ressemblent, mais les familles malheureuses le sont chacune à leur façon. C’est ainsi que commence le roman de Tolstoï Anna Karénine, et c’est le constat d’une triste réalité toujours pleine de sens.

Bien que la commission mixte paritaire n’ait pas abouti, je tiens à souligner le large consensus obtenu dans nos deux assemblées sur la nécessité de cette proposition de loi initiée par nos collègues sénatrices Muguette Dini et Michelle Meunier. En effet, la portée de ce texte est essentielle : améliorer la gouvernance nationale et généraliser les bonnes pratiques éprouvées localement afin de garantir aux enfants, sur l’ensemble du territoire, la meilleure protection possible.

Comme cela a été rappelé lors des lectures successives, il n’est pas ici question de remettre en cause l’équilibre initial de la loi de juillet 1989, relative à la prévention des mauvais traitements, complétée par la loi de 2007. Pour autant, il nous faut faire évoluer notre arsenal juridique, et cela sur plusieurs points.

En effet, force est de constater que, neuf ans après la promulgation de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, s’il y a eu des avancées importantes, son application se caractérise encore par des carences, des retards et des inégalités territoriales.

À titre d’exemple, je citerai les récents propos du Défenseur des droits, qui s’inquiétait qu’un tiers des départements de France n’aient pas mis en place le projet pour l’enfant. Sans ce document, il est en effet difficile, voire impossible de vérifier la cohérence et la pertinence des actions menées au niveau local. C’est un outil fondamental dans la mesure où il permet de donner de la lisibilité aux parcours, là où la protection de l’enfance est souvent critiquée pour son opacité.

Aujourd’hui, les départements, chefs de file de l’aide sociale à l’enfance, sont dans une situation dramatique et il est nécessaire de renforcer leur action. Nous ne connaissons que trop bien les difficultés auxquelles ils se heurtent : augmentation du nombre de placements, augmentation de la durée moyenne des placements, situations de plus en plus complexes, arrivée de mineurs isolés, et ce dans un contexte budgétaire particulièrement dégradé.

Chacun le sait, les conseils départementaux sont confrontés à une véritable impasse budgétaire et si les débats se concentrent aujourd’hui sur le RSA, madame la secrétaire d’État, toutes les prestations délivrées par les départements sont menacées. Pour mémoire, les départements consacrent chaque année 7 milliards d’euros, soit environ 20 % de leurs dépenses, à l’action sociale, et ce chiffre est d’ailleurs en constante augmentation.Dans le même temps, les dotations de l’État et les dotations de mutation à titre onéreux, les fameuses DMTO, diminuent, de façon drastique pour certains départements. Cette situation communément appelée « effet ciseau » est alarmante, car derrière chaque prestation sociale, il y a souvent des familles en grande souffrance.

Nous regrettons, au groupe UDI, que ce texte n’aborde que trop peu la question du financement de la protection de l’enfance, pourtant au coeur des enjeux. Mais c’est une spécificité de cette majorité que d’évoquer les sujets sans les contraintes financières...

Mes chers collègues, la protection de l’enfant n’est pas un protocole écrit à l’avance : c’est bien un travail quotidien, fait avec une grande abnégation. Suivre des familles, évaluer les risques, les prévenir est une lourde et immense responsabilité. Les acteurs de la protection de l’enfance sont également les référents de près de 300 000 jeunes pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance. Ils incarnent la cohésion sociale de notre pays en protégeant et en accueillant les enfants issus de familles que la vie a fragilisées, abîmées, parfois détruites.

Le travail accompli par l’ensemble des acteurs tant institutionnels qu’associatifs est à saluer car il s’effectue dans des conditions sociales et financières particulièrement difficiles. Chaque jour, ces hommes et ces femmes sont confrontés à la détresse et à la précarité des familles. Ils oeuvrent avec détermination pour leur venir en aide et, souvent, protéger les plus vulnérables d’entre nous.

Après l’échec de la commission mixte paritaire, il nous reste une vingtaine d’articles à examiner. Si la plupart des mesures ne posent pas de difficultés particulières, plusieurs font encore débat, la rapporteure l’a très bien dit.

L’article 1er de la proposition de loi prévoyant la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance ne fait pas consensus entre nos deux assemblées. Ce dispositif a été supprimé par le Sénat puis rétabli par l’Assemblée nationale. Il s’agit pourtant là d’une mesure essentielle de gouvernance. En effet, cet organisme serait chargé de proposer au Gouvernement les grandes orientations nationales de la protection de l’enfance, de formuler des avis et d’évaluer, ce qui est éminemment important en la matière, la mise en oeuvre des orientations retenues. Il apparaît indispensable de conférer à la protection de l’enfance une véritable impulsion nationale compte tenu, cela a été dit et répété maintes fois, du manque de coopération et de la persistance de cloisonnements entre les différents secteurs et services d’intervention.

Sur l’article relatif au versement de l’allocation de rentrée scolaire lorsqu’un enfant est confié au service d’aide sociale à l’enfance, nous rejoignons la position de nos collègues sénateurs et de nos collègues députés Les Républicains. L’allocation de rentrée scolaire devrait être versée au service auquel l’enfant est confié. Il s’agit non pas de pénaliser plus encore des familles que la vie a maltraitées, mais seulement de parvenir à un équilibre et à une allocation juste et efficace des ressources. Il s’agit d’une question d’équité et de responsabilité. Pour autant, j’entends votre position en la matière, madame la secrétaire d’État.

Les députés UDI, qui avaient porté et défendu une proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique pour les agressions sexuelles sur les mineurs, soutiennent tout particulièrement l’inscription de l’inceste dans le code pénal. En effet, introduire l’inceste dans notre droit en tant qu’infraction à part entière participera à reconnaître enfin la spécificité des violences et des traumatismes endurés par les enfants qui en sont victimes. Il n’était que temps.

Enfin, sujet moins grave, l’évolution du régime fiscal pour les enfants adoptés encore mineurs au décès de leur tuteur est une mesure de justice qui, nous l’espérons, pourra être appliquée pleinement et sereinement.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe UDI soutiendra cette proposition de loi, non sans les quelques réserves que je me suis permis d’exprimer dans cette discussion générale.

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