Intervention de Pouria Amirshahi

Séance en hémicycle du 28 janvier 2016 à 9h30
Violation des embargos — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPouria Amirshahi, rapporteur de la commission des affaires étrangères :

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez dit l’essentiel sur la genèse de ce projet de loi, sur son état d’esprit général et sur son enjeu majeur, à savoir la pénalisation, qui n’est pas prévue aujourd’hui dans notre droit interne, de toutes les violations d’embargos – pas seulement ceux sur les armes. Ce projet de loi, que vous nous invitez à adopter, a été adopté par la commission des affaires étrangères, enrichi de quelques amendements que je vais vous présenter.

On observe effectivement une nouveauté dans les relations internationales contemporaines. Certes, les embargos ne sont pas nouveaux : on sait que les blocus existent depuis Hannibal, et même bien avant, mais ils étaient alors utilisés directement comme une arme de guerre, comme un moyen d’organiser un siège. La grande nouveauté, c’est que ces embargos constituent désormais un outil pour éviter la guerre, et même parfois un instrument de négociation diplomatique. Ils ont d’ailleurs des effets divers, qu’il nous faut régulièrement évaluer : c’est pourquoi la commission des affaires étrangères a proposé de créer une commission chargée de la coordination et de l’évaluation des régimes d’embargo. J’y reviendrai tout à l’heure.

Ainsi, l’embargo est devenu un outil moderne de notre diplomatie contemporaine. Depuis le début du XXe siècle, 200 régimes de sanctions économiques ont été décidés. La moitié l’ont été au cours des vingt dernières années. C’est dire combien ces embargos constituent un élément très important de l’actualité géopolitique !

J’ai évoqué les régimes de sanctions économiques mais, comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État, le point de départ de la réflexion était le contrôle et la pénalisation de toutes les violations d’embargos sur les armes. En 1998, le Conseil de sécurité de l’ONU nous a invités à prendre des mesures en la matière. Contrairement à d’autres États, la France a beaucoup tardé à transcrire ces dispositions dans son droit interne. Depuis cette date, elle a enrichi sa réflexion en ratifiant, en 2014, le traité sur le commerce des armes, mais aussi en étendant le champ des embargos aux activités économiques et financières.

L’alinéa 4 de l’article 1er me semble d’ailleurs très important, car il définit pour la première fois ce qu’est un embargo : « Constitue un embargo ou une mesure restrictive au sens du présent chapitre le fait d’interdire ou de restreindre des activités commerciales, économiques ou financières ou des actions de formation, de conseil ou d’assistance technique en relation avec une puissance étrangère, une entreprise ou une organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou avec leurs agents ou toute autre personne », en application de notre loi nationale, d’accords internationaux ou de résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.

J’ai mentionné la loi nationale car l’une des nouveautés du projet de loi est d’autoriser la France – même si cela pouvait aller de soi – à décréter un embargo sur tel ou tel pays considérant qu’il peut s’agir d’une arme diplomatique potentielle.

Les embargos sur les armes sont loin d’être une question mineure : 875 millions d’armes à feu, 500 000 morts par an dont 80 % de civils. Elle mérite que nous y réfléchissions sérieusement, en conscience, d’autant que les appréciations peuvent être diverses. On peut avoir le sentiment que vis-à-vis de l’Iran – alors que le président Rohani est en France – il y a eu des effets permettant de détendre une situation géopolitique internationale et de contraindre l’Iran à renoncer à se doter de l’arme nucléaire. Mais est-il certain que les sanctions à l’égard de la Russie soient à l’origine du ralentissement de son économie ? Cela n’est pas établi. En tout cas, il y a des effets humanitaires catastrophiques, je pense aux centaines de milliers de morts en Irak du fait des embargos successifs qui ont été imposés à ce pays.

Nous devons ouvrir sur le sujet un débat national dont j’espère que l’opinion publique, pour peu que nous y contribuions, s’en saisisse. Car l’on observe de plus en plus, ici ou en Europe – il suffit de lire les médias – que les gouvernements sont enclins à gouverner par la peur, ce qui donne à penser que la guerre, le chaos géopolitique du monde nous fragilisent en permanence, figent les démocraties et empêchent les sociétés civiles de s’approprier des débats essentiels, et de s’interroger sur la politique étrangère.

Or, dès lors que notre diplomatie recoure de plus en plus aux embargos, à la fois comme des armes de paix, mais également comme des armes de contrainte, avec des conséquences qui peuvent être lourdes, nous devons, pour des raisons de transparence et d’éducation populaire, informer régulièrement nos compatriotes des contenus et des effets des embargos, ainsi que de la nécessité de mener des évaluations régulières pour éventuellement les remettre en cause, les prolonger ou encore les renégocier.

La commission des affaires étrangères a, parfois en suivant des propositions de la commission de la défense, adopté plusieurs amendements relatifs à la condamnation pénale des personnes morales. Elle a également adopté une forme de réévaluation des peines en fonction de la valeur des biens plutôt que des sommes, nous en reparlerons au cours du débat. Elle a aussi intégré la condamnation pénale des personnes morales. En outre, elle s’aligne sur le régime des douanes puisqu’elle permet désormais les saisies et destructions de biens dans le cadre de la violation des embargos. Elle permet par ailleurs aux douanes de se référer à cette nouvelle dimension du code pénal, si la loi est adoptée, pour agir avec plus de cohérence dans l’interpellation et les saisies.

Une commission d’évaluation présenterait l’avantage de coordonner l’action du Gouvernement au niveau interministériel. Car sont concernées la justice, l’économie, les affaires étrangères et la défense. La transmission des informations serait ainsi facilitée ainsi que l’appropriation par les parlementaires et nos compatriotes des enjeux liés aux embargos, dans leur principe et leurs effets. Cela contribuerait à une meilleure évaluation des actions entreprises par notre pays.

Ce texte constitue une adaptation éminemment moderne de notre droit pénal aux nécessités diplomatiques de notre temps. Il est indispensable en effet de réfléchir à nombre de questions géopolitiques et stratégiques quand on parle d’embargos. Ils sont non seulement variés et divers, mais posent des questions lourdes de temporalité : on sait toujours quand débute un embargo, rarement quand il prendra fin, ainsi que le dit notre collègue Myard.

En tout état de cause, il est plus que jamais nécessaire de se poser régulièrement des questions sur la pertinence d’un tel levier d’action diplomatique et stratégique. Aussi, je vous invite à voter en faveur de cette adaptation dans notre droit national, en faveur de ce projet de loi qui ne fera que doter notre pays d’un outil pénal supplémentaire, de le renforcer, de le moderniser et de le mettre en phase avec la modernité de notre action diplomatique.

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