Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons a pour objet de conforter et de renforcer un dispositif qui est déjà mis en oeuvre, afin d’assurer une bonne application du protocole additionnel à l’accord de garanties entre la France, la Communauté européenne de l’énergie atomique – Euratom – et l’Agence internationale de l’énergie atomique, dite Agence de Vienne, l’AIEA, que la France a signé dès 1998.
Le physicien nucléaire que je suis de formation aime rappeler que l’énergie atomique n’est pas produite par l’agitation brownienne superficielle des électrons, mais bien par la fission ou la fusion. Il en va de même en matière de non-prolifération nucléaire. Dans ce domaine, la France est exemplaire. Elle se situe même en tête de classe.
Trois niveaux de contrôle s’exercent sur notre territoire : un contrôle national sur les matières et les installations nucléaires, un contrôle de sécurité très poussé dans le cadre d’Euratom, et enfin les inspections menées par l’AIEA dans le cadre de notre accord de garanties, signé en 1978. Les acteurs français sont donc étroitement contrôlés. Ils l’ont voulu et respectent leurs engagements.
La France a fait le choix de souscrire un nouvel engagement sous la forme d’un protocole additionnel à son accord de garanties avec Euratom et l’AIEA. Ce texte, signé en 1998, a été ratifié en 2003 et il est entré en vigueur l’année suivante. Ce qui nous est proposé aujourd’hui n’est donc pas une loi de ratification, car nous l’avons déjà adoptée, mais une loi d’application. Son objet est de nous doter des moyens juridiques pour tenir nos engagements dans les meilleures conditions.
Par ce protocole, la France a souhaité participer au renforcement des moyens de vérification de l’AIEA, ce qui est apparu comme une véritable nécessité dans les années 1990, après la découverte de programmes militaires clandestins en Irak. Cet objectif s’est renforcé lors de la découverte de programmes de même type en Corée du Nord et en Iran. Un modèle de protocole additionnel a donc été adopté en 1997 par le Conseil des gouverneurs de l’AIEA, afin d’améliorer les capacités de détection de l’Agence.
La France a négocié son propre protocole additionnel sur la base de ce modèle commun, mais en tenant compte de la spécificité de son profil, celui d’un État doté, au sens que prend ce terme dans le traité de non-prolifération. Il fallait aussi prendre en compte notre participation à Euratom, à qui nous adressons des renseignements et qui exerce des contrôles en France.
Avec ce protocole additionnel, nous avons souscrit deux engagements principaux, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État.
Tout d’abord, le protocole additionnel élargit la gamme des renseignements que nous adressons à l’AIEA. Nous lui transmettons des informations sur les activités de coopération menées avec des États non dotés de l’arme nucléaire. Ce sont eux qui intéressent l’AIEA, et non le cycle du combustible nucléaire français pour lui-même. En tant qu’État doté, nous n’avons pas à apporter de garanties sur le fait que nous ne menons pas d’activités liées à un programme nucléaire militaire en France.
Le second point essentiel consiste dans le fait que nous avons accordé un droit d’accès plus étendu aux inspecteurs de l’AIEA sur notre territoire, les fameux « accès complémentaires ». Il s’agit de permettre à l’Agence de résoudre toute question ou toute contradiction qui serait relative aux renseignements que nous lui communiquons. Les accès complémentaires peuvent aussi permettre à l’Agence de recueillir d’éventuels indices sur des activités nucléaires clandestines qui seraient menées par des États non dotés.
Les éventuelles vérifications de l’AIEA sur notre territoire, au titre de ce protocole additionnel, ont donc un objet très différent de celles que l’Agence peut mener dans les États non dotés.
Notons qu’à ce jour, aucun accès complémentaire n’a eu lieu en France à la demande de l’AIEA. En effet, contrairement à d’autres inspections internationales, les vérifications ne sont pas régulières ou systématiques. En outre, la France n’a pas éveillé de soupçons dans ce domaine.
Pour autant, un dispositif a été mis en place autour du Comité technique Euratom, organe placé sous l’autorité du Premier ministre et bénéficiant de l’appui technique de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l’IRSN. Des exercices ont été organisés en France pour vérifier l’efficacité de notre réponse, dans l’hypothèse où l’AIEA demanderait à exercer un accès complémentaire sur le territoire français.
De même, le mécanisme de déclaration à l’AIEA fonctionne bien. De très nombreux renseignements sont fournis chaque année, voire chaque trimestre pour les exportations de biens sensibles, en termes de prolifération.
Le fait qu’un tel dispositif existe déjà, et qu’il ait fait ses preuves, contribue peut-être à expliquer le retard accumulé dans l’examen du texte qui nous est proposé. Celui-ci a été déposé initialement à l’Assemblée en 2005 – il y a onze ans –, puis retiré, puis redéposé en 2007 au Sénat, qui l’a adopté en 2013. Cela fait donc plus de onze ans que le protocole additionnel français est en vigueur, et plus de dix-sept que nous l’avons signé. Pourtant, nous n’avons toujours pas adopté sa loi d’application.
Ce parcours législatif peu vaillant n’est pas tout à fait à la mesure de l’engagement de notre pays sur les questions de non-prolifération, qui est très réel. J’ai pu le constater lors des auditions que j’ai menées. Nous avons eu face à nous des acteurs français très compétents et très mobilisés au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale – le SGDSN –, au comité technique Euratom – le CTE –, au ministère des affaires étrangères, au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, et chez nos industriels.
La situation est paradoxale. Notre protocole additionnel est déjà en vigueur et il est déjà appliqué dans des conditions satisfaisantes, mais cela n’enlève rien à l’utilité du projet de loi d’application, bien au contraire. Celui-ci nous offre l’occasion de sécuriser le dispositif existant, notamment dans deux directions essentielles.
Tout d’abord, il s’agit de rendre directement opposables en France les obligations de déclaration qui s’imposent en raison du protocole additionnel. Celles-ci sont mises à la charge de l’État, mais il faut bien rassembler les informations, les compiler et les transmettre à l’AIEA.
Ce projet de loi crée donc des obligations déclaratives nouvelles qui s’imposeront directement aux déclarants français. Ceux-ci ne sont pas tous des exploitants nucléaires. Il existe en effet de nombreux autres acteurs, relevant du secteur de l’industrie, de la recherche, de la formation – sans parler de ceux qui interviennent dans l’entretien de nos centrales –, et qui n’ont pas tous la même taille qu’EDF, AREVA ou le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives. Ce dispositif permettra de garantir que toutes les informations sont collectées dans les meilleures conditions.
Ensuite, nous allons nous doter de moyens supplémentaires pour remédier à d’éventuelles difficultés qui surgiraient dans l’application du protocole additionnel. D’une part, le projet de loi crée des sanctions pénales, conçues pour être dissuasives. D’autre part, un mécanisme permettra de saisir le juge judiciaire en cas d’entrave aux vérifications internationales.
Ce mécanisme, initialement prévu pour l’application du seul protocole additionnel, a été étendu au Sénat à d’autres inspections internationales : celles que mène l’AIEA au titre de notre accord de garanties, qui est un engagement distinct du protocole additionnel ; mais aussi les contrôles exercés par EURATOM en France.
Au-delà de ces aspects techniques, le projet de loi permettra de confirmer notre participation et notre soutien aux systèmes des garanties de l’AIEA.
Ce texte répond au souci d’exemplarité de la France en matière de non-prolifération nucléaire. La démarche qui nous est proposée consiste à renforcer notre droit interne pour garantir l’application du protocole additionnel dans les meilleures conditions.
Cette démarche est en pleine cohérence avec les positions que nous défendons sur la scène internationale. Nous plaidons pour un renforcement du système des garanties de l’AIEA, qui passe par l’universalisation du protocole additionnel, en conjonction avec un accord de garanties généralisées. C’est le nouveau standard de vérification.
À ce titre, je rappellerai seulement que l’une des demandes adressées à l’Iran était précisément de ratifier et d’appliquer son propre protocole additionnel. C’est essentiel pour le rétablissement de la confiance dans la finalité pacifique du programme nucléaire iranien.
Notre positionnement international sur les questions de non-prolifération suppose bien sûr que nous fassions preuve d’exemplarité. L’image de la France souffrirait beaucoup de toute difficulté rencontrée dans la mise en oeuvre concrète de son protocole additionnel. Ce serait d’autant plus regrettable que nous sommes loin d’avoir à rougir de notre action, bien au contraire.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission n’a pas eu à examiner d’amendements sur ce projet de loi. Nous avons considéré, en effet, que la priorité était désormais d’avancer. Je vous propose donc d’adopter en l’état ce texte, déposé en 2005, enrichi par le Sénat sur quelques points. Je considère que l’équilibre atteint est satisfaisant et que nous ferons ainsi oeuvre utile.