Intervention de Françoise Geng

Réunion du 20 janvier 2016 à 8h30
Commission des affaires européennes

Françoise Geng, présidente de la section du travail et de l'emploi du Conseil économique, social et environnemental :

(CESE) (2010-2015). Nous vous remercions, Jean Grosset et moi-même, d'avoir organisé cette audition. Je tiens à excuser l'absence de Bernard Cieutat pour raisons personnelles. Je précise par ailleurs que si j'étais bien présidente de la section du travail et de l'emploi du CESE au moment de l'élaboration et du vote de l'avis, je ne le suis plus dans la mesure où mon mandat n'était pas renouvelable.

Le travail du CESE a été particulièrement bien accueilli par l'ensemble des partenaires – représentants des personnels, des employeurs…– qui, par-là, montraient qu'ils souhaitaient voir le sujet traité. On sentait bien qu'il y avait un caillou dans la chaussure mais qu'il fallait marcher malgré tout.

Vous avez rappelé, Madame la présidente, que l'Union européenne estimait à 1,2 million le nombre de travailleurs détachés. Nous pensons que ce chiffre est très inférieur à la réalité car les moyens de contrôle sont insuffisamment coercitifs. J'ajoute que très peu de femmes sont concernées par le détachement étant donné les secteurs professionnels concernés, qu'il s'agisse du bâtiment, gros pourvoyeur, ou de l'agroalimentaire – toutefois dans une moindre mesure en France qu'en Allemagne. En ce qui concerne l'hostilité de la Pologne, nous avons rencontré son ambassadeur qui ne s'est pas montré très allant sur le sujet et a défendu comme il pouvait la position de son pays en faisant valoir que la législation existait et qu'il fournissait une main-d'oeuvre particulièrement bien formée ; aussi, selon lui, devrions-nous être contents d'accueillir des travailleurs aussi qualifiés et à un tel prix. L'ambassadeur a ajouté que la venue en France de ces travailleurs était une manière de participer à la répartition sociale au plan européen et que le salaire qu'ils gagnaient était un plus économique pour leur pays.

Il nous a semblé que la révision de la directive n'était pas seulement souhaitable mais incontournable. En effet, il est impossible de dresser un bilan très détaillé du flux des travailleurs détachés et la coordination entre les pays, qui permettrait un meilleur encadrement, est inexistante ou en tout cas inefficiente. Il faut trouver un système de « traçabilité » plus performant, à l'image du système belge LIMOSA (Landenoverschrijdend Informatiesysteem ten behoeve van MigratieOnderzoek bij de Sociale Administratie – Système d'information transfrontalier en vue de la recherche en matière de migration auprès de l'administration sociale), qui puisse être connecté à l'ensemble des pays et permette d'avoir une vision précise de ces flux.

Il résulte des auditions auxquelles nous avons procédé que, tant du point de vue de la protection des salariés eux-mêmes et de leurs droits que du point de vue du contournement du dumping social ou, en tout cas, de l'utilisation de la directive en question pour pratiquer le dumping social, il faut établir une réglementation bien plus transparente et coercitive. En effet, les salariés en question font l'objet d'une exploitation d'un autre âge, qu'il s'agisse de leurs conditions d'hébergement ou de rémunération. Si la directive en vigueur était appliquée correctement, le dumping social n'existerait pas puisque le coût de l'hébergement et celui des transports devraient être pris en compte. Si le différentiel salarial de 30 % avec le salaire minimum du pays d'accueil était appliqué, il n'y aurait pas de bénéfice pour les entreprises qui « détachent ».

Il convient donc, j'y insiste, afin d'obtenir un système plus transparent et efficient économiquement et socialement, de renforcer les moyens de contrôle et nous avons tout à y gagner, quand bien même il faudrait pour cela augmenter le nombre d'agents. L'Europe ne peut pas continuer à laisser ces travailleurs aller dans différents pays, en particulier en France, dans de pareilles conditions qui portent tort à des entreprises françaises qui, elles, sont contraintes de respecter un certain nombre de règles. C'est la condition pour que l'Union européenne progresse en tenant compte des aspects économiques, certes, mais aussi sociaux.

L'avis sur les travailleurs détachés a été voté à l'unanimité par le CESE, ce qui reste exceptionnel ; une unanimité qui traduit bien la volonté de l'ensemble des partenaires qui représentent la République au sein du Conseil qu'on révise la directive et que la France encadre mieux sa législation.

Suivant la demande du Premier ministre, nous avons particulièrement insisté sur la place des partenaires sociaux : ils peuvent jouer un rôle de contrôle et de conseil pour les salariés au sein de leur entreprise. Nous préconisons donc la création de bureaux syndicaux chargés de l'information et de la défense des travailleurs détachés.

D'autres pays européens ont signé avec le Gouvernement une demande de révision de la directive. Même si ce geste est insuffisant aujourd'hui pour la déclencher, il faut maintenir la pression.

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