pour l'avis sur « les travailleurs détachés ». Je suis pour ma part toujours membre du CESE en tant que personnalité qualifiée. Le fait que les forces qui y siègent, tant syndicales que patronales, tant associatives qu'environnementales, aient voté à l'unanimité l'avis sur les travailleurs détachés a son importance et a un sens. Nous avons procédé à une cinquantaine d'auditions, qu'il s'agisse de patrons, de salariés, de représentants de corps de contrôle, de parlementaires, de ressortissants roumains, polonais… soit un travail gigantesque. La dernière personne que nous avons entendue était Gilles Savary qui avait déjà beaucoup réfléchi au sujet et formulé un certain nombre de propositions.
La section du travail et de l'emploi ni le CESE dans son ensemble ne sont anti-européens et n'ont donc envisagé l'interdiction de la notion même de travailleur détaché puisque la libre circulation des salariés doit prévaloir en Europe. Reste qu'il nous faut examiner la manière dont on traite les questions sociales en Europe. Le principe de libre circulation des salariés ne vaut que si l'on parvient à éviter la concurrence déloyale. Aussi faut-il réfléchir à la manière dont, avec des systèmes de protection sociale et des droits du travail différents, on peut harmoniser « par le haut ».
Les cas que nous avons examinés, un peu comme en médecine, étaient des cas » pathologiques ». Prenons l'exemple de l'EPR de Flamanville : la plupart des travailleurs n'étaient pas en règle, ne bénéficiant même pas du salaire minimum, étant logés dans des conditions épouvantables, n'étant pas remboursés de leurs frais de transport et devant s'acquitter de leurs frais de nourriture. De fait, dans ces conditions, qu'il y ait ou non une harmonisation des systèmes de protection sociale, la situation est compliquée.
Si le principe « à travail égal, salaire égal sur un même lieu de travail » paraît évident, banal, nous avons dû essuyer les protestations de ceux pour lesquels il ne va pas du tout de soi. Or ce principe signifie la poursuite d'une prestation de service et non la venue de salariés qu'on paye moins que les salariés du pays d'accueil. Aussi avons-nous énoncé un certain nombre de propositions afin que les entreprises soient de véritables entreprises de travailleurs détachés et non de simples boîtes à lettres – Gilles Savary, en particulier, a beaucoup travaillé sur la façon très particulière d'utiliser les sociétés d'intérim et qui pose un vrai problème en matière de concurrence déloyale.
Toujours dans le cas français, nous proposons une réglementation qui interdise ou qui codifie les offres anormalement basses. En effet, nous avons rencontré les patrons de petites entreprises du bâtiment, dans les Bouches-du-Rhône, représentés en l'occurrence par la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB). Ils nous ont appris que des entreprises concurrentes employant plutôt des travailleurs détachés – encore une fois : ces derniers peuvent être embauchés tout à fait légalement, il ne s'agit pas ici de leur faire la chasse – proposaient leurs services à des tarifs 30 % moins élevés ! Il y a donc un problème.
Par ailleurs, les magistrats, dans certains tribunaux, étant démunis – tout comme d'ailleurs les corps de contrôle –, nous avons souhaité que soit renforcée, par circulaire, la politique pénale contre l'emploi de travailleurs détachés tombant sous la qualification de travail illégal. Ces salariés, principalement des hommes, malgré les conditions salariales et de vie très incorrectes que j'ai évoquées, gagnent plus que dans leur pays d'origine. Les syndicats polonais sont ennuyés pour en discuter dans le cadre de la confédération européenne des syndicats car nous avons là une sorte de Pôle Emploi externalisé.
Nous sommes intervenus auprès du ministère du travail pour qu'il conserve des effectifs suffisants. Un accord est sur le point d'être signé avec la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) pour l'établissement de permanences de chantier. Ainsi, si tout le monde s'y met – partenaires sociaux, corps de contrôle, États –, nous aurons une chance de renforcer la réglementation et de pousser à la modification de la directive. Un de nos interlocuteurs de la Commission européenne, s'il nous a considérés un peu comme des rêveurs, a estimé que le système que nous proposons, in fine, se mettra en place et à nos conditions, pour peu, bien sûr, que nous agissions. Faute de quoi, par exemple, un certain nombre de compagnies de transport n'emploieront que des travailleurs détachés à la limite de la légalité. Dans le même ordre d'idée, des responsables de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) nous ont dit que quand il s'agissait de ramasser les fruits, la société Terra Fecundis, notamment, amenait des gens en car, s'occupait de remplacer aussitôt ceux qui tombaient malades, de remplir elle-même les papiers des victimes d'accident du travail… Il est par conséquent indispensable que nous trouvions un terrain d'entente pour gagner.
Certes, quand on compare le nombre de travailleurs détachés à celui des salariés français, il paraît ridicule. Toutefois de grands secteurs sont affectés par ce phénomène : l'agroalimentaire, les abattoirs, le transport et la construction.
Au total, nous sommes plutôt optimistes au vu des avancées obtenues sur le plan législatif – et des avancées à venir – et compte tenu de la déclaration de la ministre du travail au CESE, selon laquelle on s'inspirait de nos travaux pour réviser la directive. Enfin, d'après ce que m'a appris le directeur général du travail, les contrôles se sont vraiment multipliés, si bien que, quand nous étions avec Gilles Savary à l'ambassade de Pologne, certains employeurs polonais étaient quelque peu agacés.
Il faut donc tenir bon et faire preuve de patience, de volonté et je reste persuadé que nous pouvons obtenir un consensus sur cette question, comme nous avons en avons été capables au sein du CESE.