Intervention de Gilles Savary

Réunion du 20 janvier 2016 à 8h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Savary :

Je félicite les membres du CESE pour leur travail remarquable qui fait aujourd'hui référence, en particulier parce qu'il est le plus complet, plus complet en tout cas que nos propres travaux s'inscrivant davantage dans une perspective législative – mais qui n'en placent pas moins la France à l'avant-garde en Europe.

Certes, la polémique sur le travail détaché se poursuit puisqu'elle est inépuisablement utile sur le plan politique pour certains, mais il faut rappeler qu'il y a eu 1 200 contrôles l'année dernière alors même que les décrets n'ont été publiés que tardivement, en cours d'année, parce qu'il fallait attendre la réorganisation des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Notre texte de loi a complètement bousculé le ministère du travail qui a donc procédé à cette réorganisation au niveau régional et au niveau départemental avec, en particulier, la création de cellules de lutte contre le travail illégal, alors que, jusqu'à présent, les inspecteurs français négligeaient ce type de contrôle faute de suivi judiciaire et parce qu'il s'agissait de fraudes complexes qui les mobilisaient pendant deux voire trois mois.

Nous sommes à pied d'oeuvre et le contrôle est désormais possible. Et ce n'est pas un hasard si, au cours du colloque organisé par l'ambassade de Pologne pour signifier que la France devenait xénophobe ou discriminatoire, ce qui n'est absolument pas le cas – Les Échos ont d'ailleurs publié dès le lendemain un très bel article –, nos interlocuteurs nous ont reproché d'exercer sur eux une trop grande pression. Or, quand on décide de contrôler le jeu de poker, ce sont les joueurs qu'on contrôle. Il se trouve que les Polonais ont fait de cette filière – à savoir la prestation de service internationale (PSI) – un véritable secteur économique, un poste d'exportation ou d'entrée de revenus. Pourquoi pas ? Je ne suis pas contre le travail détaché – nécessaire, il existait avant la construction européenne et il existera après – mais nous ne devons pas nous laisser impressionner par l'idée que nos pratiques seraient discriminatoires : nous nous mettons seulement à contrôler. L'Europe ayant beaucoup de difficultés à mener ces contrôles, la France y pourvoit et, de ce point de vue, nous avons assaini la situation dans une très large mesure.

Ensuite, vous connaissez ma position : le vrai sujet, c'est le détachement d'intérim. Les Français eux-mêmes en abusent. En Alsace et en Lorraine, un certain nombre de chefs d'entreprise veulent bien recruter des Français mais à condition qu'ils passent par une société d'intérim extérieure afin de ne pas payer de charges sociales. Il s'agit de viser non les seuls Polonais, mais tous ceux qui s'engagent dans l'optimisation sociale qui a pour effet – injustifiable – de tarir le financement de nos sécurités sociales. Au-delà de toute approche morale sur les conditions de travail, qui sont très importantes, on ne peut accepter que des secteurs entiers basculent dans le recrutement de gens qui ne paient pas leurs charges sociales. Il faut donc contenir le détachement là où il est utile, nécessaire, là où il a existé depuis le fond des âges – ce que j'appelle le détachement d'accompagnement des échanges de biens et de services entre pays : on envoie un ingénieur à l'extérieur pour faire une réparation, assurer un service après-vente, pratique légitime et saine.

Je me suis rendu auprès des représentants de la Commission européenne la semaine dernière. Ils sentent bien qu'il y a un malaise et ils vont avancer, comme d'habitude, dans le sens d'un compromis. Il s'agira éventuellement d'établir des salaires minimums de référence par branches – s'inspirant ainsi curieusement du modèle allemand –, de fixer des durées de détachement, là aussi par branche. On m'a assuré par ailleurs qu'on réformerait la coordination de la sécurité sociale dans le sens, peut-être, d'une petite compensation au non-paiement des charges. Enfin, le formulaire A1, qui fait l'objet de nombreuses falsifications, sera réformé. Ces pistes de travail sont pour l'heure au congélateur en attendant le référendum britannique dans la mesure où la coordination des sécurités sociales constitue un épouvantail pour nos voisins d'outre-Manche. Nous devons profiter de cette période pour faire un intense lobbying européen.

À aucun moment, nous ne pouvons opposer aux Polonais que nous n'avons pas besoin de leurs travailleurs. J'ai pu constater chez moi, dans le secteur viticole, la grande force de la prestation de service internationale ; on dit aux viticulteurs : « Vous avez quatre hectares à vendanger ; quatre hectares, c'est trois jours, vous signez là ! » Comme il s'agit d'un contrat commercial, le chef d'entreprise n'a pas à gérer le recrutement de vingt-cinq vendangeurs, deux qui ont mal quelque part, trois qui trouveront que le travail est trop dur, un qui tombe malade… Cette pratique est irréversible ; mais elle peut être le fait de sociétés d'intérim polonaises établies en France. La question n'est pas qu'on ne veut pas de travailleurs polonais, mais qu'on ne veut pas de travailleurs polonais low cost.

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