Intervention de Antoine Herth

Séance en hémicycle du 4 février 2016 à 9h30
Compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAntoine Herth, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Le hasard du calendrier nous amène à en débattre dans un contexte où le désespoir des agricultrices et des agriculteurs est plus vif que jamais, face à un effondrement des marchés des produits agricoles inédit et durable qui touche les productions végétales et, plus encore, les productions animales.

Mes chers collègues, nous avons le devoir d’entendre ces cris de détresse et pour mission de comprendre et d’analyser les causes de cet affaissement des prix agricoles.

Nous avons, en effet, j’en suis sûr, la volonté d’y répondre ensemble en votant des mesures efficaces et courageuses. La crise touche quasiment tous les secteurs de production. Et d’abord le secteur de l’élevage.

Les 6 000 producteurs spécialisés de porc français ont épuisé leurs réserves de trésorerie et s’enfoncent dans l’endettement. Sauf exception, les producteurs laitiers ne couvrent plus leurs charges : ils ont le sentiment d’être emportés par une lame de fond qui touche toute l’Europe et au-delà.

Les aviculteurs sont également dans la tourmente face à la menace de l’influenza aviaire. Quant aux éleveurs de bovins, qui sont réunis en congrès en ce moment, ils ont conscience de devoir faire des choix stratégiques s’ils veulent se donner une perspective d’avenir.

Mais je ne voudrais pas réduire mon propos aux productions animales car, bien qu’elles se trouvent de loin dans la plus mauvaise posture, les productions végétales sont également, et malheureusement, concernées.

Le marché des céréales est, lui aussi, touché par une baisse des cours sans précédent alors que l’industrie sucrière s’interroge face à la disparition programmée des quotas. Enfin, les producteurs de fruits et légumes, ainsi que les viticulteurs, constatent qu’en dépit de toutes les annonces, les coûts de main d’oeuvre font toujours l’objet de distorsions de la part de la concurrence européenne.

Face à cette situation, le Gouvernement, et vous-même, monsieur le ministre, avez le sentiment d’avoir fait le maximum, en attribuant des aides d’urgence pour sauver ce qui se peut. Le maximum ? Oui, peut-être. Mais êtes-vous certain, monsieur le ministre, d’avoir fait l’essentiel ?

Car vous énumérez des aides par millions, mais ce que demandent nos paysans, ce ne sont que quelques centimes de plus sur le prix du lait et du cochon. Ils n’attendent pas des millions !

Ils attendent, en revanche, d’être mieux armés face à la concurrence. Ils attendent que leurs projets soient soutenus par la nation et que celle-ci leur accorde, enfin, le respect et la reconnaissance qu’ils méritent.

Mes chers collègues, si nous tentons de résumer et d’analyser les causes qui provoquent autant de difficultés dans la ferme France, nous pouvons identifier plusieurs aspects de la crise qu’elle subit.

La conjoncture – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre – est d’abord particulièrement défavorable.

Un changement complet de paradigme a, ensuite, eu lieu : il n’y a plus un marché mais des marchés, chaque débouché nécessitant une parfaite adaptation du produit en termes de gamme de qualité comme de prix. Pour le dire de façon abrupte : les agriculteurs et les filières agricoles doivent désormais vendre avant de produire. L’identification du produit devient désormais un élément clé de cette nouvelle approche du consommateur.

L’organisation des filières est, en outre, une des faiblesses de notre chaîne alimentaire. Malgré les lois et règlements successifs, la question de l’organisation des producteurs, celle de la contractualisation avec l’aval comme celle liée à la négociation des prix – qui reste marquée par un déséquilibre manifeste entre partenaires – restent posées. Tous ces sujets restent en chantier.

La capacité d’adaptation et de modernisation des filières agroalimentaires est, enfin, malheureusement entravée par un excès de réglementation et de surcoûts franco-français. C’est par exemple le cas de la transposition de certaines directives européennes. Résultat ? Faire abattre un porc dans un abattoir français coûte dix euros de plus que dans un abattoir étranger !

Enfin, dans un contexte de prix fluctuants et de marges tendues, le modèle actuel de financement, de couverture des risques et de transmission des exploitations agricoles trouve ses limites.

Tel est l’objet de cette proposition de loi qui s’articule autour de trois chapitres.

Le premier s’attache à instituer des relations plus justes et plus transparentes entre le producteur et le consommateur. Ainsi, l’article premier prévoit la prise en compte des coûts de production dans la contractualisation. Les articles 2, 2 bis et 2 ter s’attachent à rendre le dialogue entre acteurs des filières plus constructif.

Enfin, l’article 3 est certainement le plus important. Dans un marché qui se segmente, il est vital que le consommateur puisse différencier l’origine des produits.

Le second chapitre vise à faciliter l’investissement et à mieux gérer les risques financiers en agriculture. L’article 4 revient sur la question du report d’échéances pour les emprunts bancaires en cas de crise. Les articles 5 et 5 bis proposent la création de nouveaux supports de financement du développement des activités agricoles.

Les articles 6, 6 bis et 6 ter reviennent sur les dispositions fiscales permettant le développement des assurances contre les aléas. Comme sur les articles précédents, j’ai déposé, comme beaucoup de nos collègues, des amendements tenant compte des avancées qui ont d’ores et déjà, depuis l’examen du texte par le Sénat, été inscrites en loi de finances. Enfin, l’article 7 ouvre le sur-amortissement exceptionnel aux bâtiments qui en étaient jusque-là exclus.

Le troisième et dernier chapitre a pour vocation d’alléger les charges qui pèsent sur les entreprises agricoles. Les articles 8, 8 bis A et 8 bis, prévoient d’alléger les contraintes et les excès de la réglementation française pesant sur les installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE.

L’article 9 réinstaure l’exonération des charges patronales que votre majorité avait supprimé en 2012 et l’article 9 bis élargit le bénéfice du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, à l’ensemble des associés d’une société. L’article 10 améliore l’allégement des cotisations sociales pour les jeunes agriculteurs. Les articles 11 et 11 bis tendent à alléger la fiscalité des exploitations agricoles pour leur apporter une bouffée d’oxygène en ces temps de crise aigüe. L’article 12 prévoit que le Gouvernement présente un plan de simplification en faveur de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

Un mot, pour conclure, de l’article 13. Contrairement à ce que vous avez prétendu, monsieur le ministre, il ne constitue pas un manifeste en faveur d’une hausse généralisée des impôts. Cet article de gage est en effet, vous le savez pertinemment, une figure imposée aux parlementaires par l’article 40 de la Constitution, le Gouvernement étant seul habilité à procéder à des redéploiements budgétaires.

La commission a examiné l’ensemble de ces articles ainsi que plusieurs amendements. Son vote a conduit à leur rejet, ce dont nous prenons acte. Mais je m’interroge, et j’interroge la majorité : est-ce bien le bon message que vous souhaitez adresser aux agriculteurs français et, plus généralement, à nos concitoyens ?

En abordant ce débat, je me suis rappelé les commentaires qui ont suivi le scrutin du 13 décembre dernier. Nombreux étaient ceux qui disaient que, face à une crise, en l’occurrence politique – celle dont nous traitons étant économique – il fallait sortir des visions partisanes et qu’au contraire les bonnes volontés de tous bords devaient se manifester pour apporter des solutions concrètes aux grandes difficultés que traverse notre pays. Tout cela semble aujourd’hui oublié.

Ce texte est cependant une opportunité que nous pouvons saisir pour faire la preuve de notre capacité à construire ensemble.

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