… même si nous avons des divergences de fond sur les solutions proposées. Ces divergences sont l’expression de visions distinctes de l’avenir de l’agriculture et plus largement du système économique. La vôtre, monsieur le rapporteur, c’est que l’objet essentiel de notre action devrait se fonder dans un intangible moule libéral en s’attaquant pour l’essentiel à la seule question de la compétitivité – le terme est d’ailleurs mentionné dans le titre de votre texte. Pourtant, c’est bien la guerre économique que mènent depuis trente ans les tenants du libéralisme et de la libre concurrence qui tue notre agriculture et sacrifie des centaines de milliers d’exploitations familiales à travers toute l’Europe ! C’est une erreur de croire que la course à la compétitivité et donc à une concurrence toujours plus féroce et moins-disante en matière économique, sociale, sanitaire et environnementale puisse apporter une réponse durable à la crise. Cela n’aboutira qu’à une fuite en avant continuelle qui ne résoudra pas fondamentalement le problème.
Pour sa part, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine considère que notre agriculture est porteuse de valeurs, de missions, qui ne sont pas compatibles avec une économie de marché mondialisée où la concurrence est libre et non faussée. C’est sur le difficile combat pour une régulation à l’échelle mondiale, européenne et nationale que nous devons appuyer notre analyse afin de trouver des réponses à la crise agricole. L’ampleur de cette crise aurait dû finir de convaincre de la nécessité d’outils et de mesures fortes en matière de gestion des prix et des volumes. Si nous ne nous attaquons pas au problème de la répartition de la valeur ajoutée au sein des filières et aux prix d’achat aux agriculteurs, nous ne répondrons pas à leurs besoins et nous n’assurerons pas leur survie.
J’en viens directement au contenu du texte que vous nous présentez, monsieur le rapporteur, et à ces articles les plus structurants.
L’article 1er a une vertu : il aborde explicitement la problématique des prix d’achat aux agriculteurs. Mais il ne traite que d’une partie du problème : celui de la hausse des coûts de production et de la nécessité d’intégrer des éléments concernant ces coûts dans la définition des contrats. C’est bien sûr un élément important, je le reconnais bien que je ne sois pas un fervent adepte de la contractualisation. En effet, le seul recours au contrat, sans définition de prix d’achat minimum ou de prix plancher, ne permet pas de renverser les rapports de force entre producteurs, transformateurs et distributeurs. Il y a un constat que nous devrions partager : depuis l’adoption de la loi de modernisation de l’agriculture en 2010 et les balbutiements de la contractualisation, les prix d’achat n’ont-ils pas continué de dégringoler ?
De plus, la promotion de la contractualisation sert trop souvent à masquer l’enjeu de fond : celui d’une véritable politique publique en matière de prix qui s’attaquerait à la problématique centrale de la répartition de la valeur ajoutée entre les différents acteurs. Ma conviction profonde est que nous ne réglerons pas la question de la rémunération décente des agriculteurs par quelques mesurettes telles que la modification de l’article L. 631-24 du code rural précisant uniquement que la cession des produits agricoles destinés à la revente ou à la transformation « peut » être subordonnée à la conclusion de contrats.
Il est d’ailleurs étonnant que votre groupe, monsieur le rapporteur, veuille modifier, même à la marge, les garanties des prix de vente des produits agricoles par le biais des contrats après avoir contribué à défaire toute régulation en matière de conditions générales de vente. Je m’adresse plus particulièrement en disant cela à ceux qui votèrent la loi du 4 août 2008 relative à la modernisation de l’économie, dite « loi LME », autrement dit « loi Michel-Édouard » – Michel-Édouard Leclerc. Les plus anciens ici savent que je défends depuis longtemps l’idée d’un mécanisme beaucoup plus coercitif et incitatif dans la formation des prix d’achat pour les agriculteurs : un coefficient multiplicateur encadrant strictement les marges de la distribution au service des producteurs, en particulier en période de crise. Aussi, cet article 1er ne me paraît-il pas être à même de répondre aux enjeux actuels.
L’article 2 prévoit, quant à lui, une conférence de filière annuelle, sous l’égide du médiateur des relations commerciales agricoles crée par la loi d’avenir pour l’agriculture. Elle réunirait « les représentants des organisations de producteurs, des entreprises et des coopératives de transformation industrielle des produits concernés, de la distribution et de la restauration hors domicile ». Il s’agirait d’examiner « la situation et les perspectives d’évolution des marchés agricoles et agroalimentaires concernés au cours de l’année à venir ». Si cette proposition va dans le bon sens, elle me semble insuffisante, voire dérisoire au regard de l’absence d’objectif précis assigné à cette conférence dans le texte.
Je suis favorable moi aussi à une conférence interprofessionnelle annuelle sur les prix – par filière ou par production –, mais débouchant sur de véritables négociations sur la définition de prix plancher. Une négociation annuelle sur les prix ne doit pas avoir pour seul objectif d’observer, mais bien d’agir en faveur des prix d’achat aux agriculteurs. Nous devons malheureusement faire le constat aujourd’hui de l’inefficacité dans la durée des négociations ponctuelles, le plus souvent d’ailleurs à l’initiative du ministre chargé de l’agriculture, intervenant en période de baisses importantes des prix d’achat. Le monde agricole admet très largement la nécessité de mettre en place de véritables outils d’intervention sur la fixation des prix d’achat des productions agricoles. Ce devrait être l’objectif d’une telle conférence annuelle. Je constate aussi, monsieur le rapporteur, que vous proposez de limiter les participants à cette conférence de filière en excluant notamment les représentants syndicaux des premiers intéressés, à savoir les agriculteurs. Je pense au contraire que doivent y être associés non seulement les représentants des organisations de producteurs mais également l’ensemble des organisations syndicales agricoles sans restreindre le champ de leur représentativité.
L’article 3 me paraît tout aussi restrictif dans son ambition. On a du mal à comprendre son objectif : êtes-vous favorable comme moi à l’étiquetage obligatoire de l’origine sur tous les produits agricoles à l’état brut ou transformé pour le bienfait des agriculteurs et des consommateurs ou vous contentez-vous, comme on peut le penser à la lecture de cet article, de ménager la susceptibilité, voire l’extrême frilosité des transformateurs et du secteur de la distribution en avançant une mesure symbolique indiquant « que tout consommateur qui en fait la demande » peut avoir des précisions sur le contenu de l’ingrédient principal ?
L’étiquetage de l’origine n’est pas un enjeu secondaire à géométrie variable ! C’est un enjeu prioritaire dans la bataille que nous devons mener face à la libéralisation des échanges agricoles car les agriculteurs comme les consommateurs savent bien que les conditions sanitaires, sociales, économiques et environnementales de production du boeuf américain, argentin ou polonais ne sont pas les mêmes qu’en France !
En ce qui concerne le chapitre II du texte, vous proposez également des mesures qui, tout en abordant les problèmes de fond concernant le financement et l’investissement agricole, ne s’attaquent pas aux problèmes les plus fondamentaux. Pourquoi ne pas exiger que l’organisme bancaire ne puisse pas refuser le report de paiement demandé par l’exploitant agricole ? Pourquoi ne pas poser clairement le constat de la dérive financière du secteur bancaire, dont les conditions d’accès au crédit sont toujours plus strictes, et qui joue de moins en moins leur rôle de financement du développement agricole et d’établissements de crédit pour le secteur productif agricole ?
Enfin, les chapitres III et IV contiennent une série de dispositions qui portent en germe une refonte plus globale du système de Sécurité sociale, sous les dehors toujours séduisant de l’allégement des charges.
Je ne vous surprendrai pas, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en vous répétant que l’héritier d’Ambroise Croizat que j’essaie modestement d’être est tout à fait opposé à la remise en cause des principes fondateurs de la Sécurité sociale, tout comme à la multiplication des allégements et exonérations de cotisations, notamment lorsqu’elles s’effectuent sans concertation préalable avec les partenaires sociaux et les gestionnaires des régimes.
En fait, votre mets manque de fraîcheur : il s’agit d’un réchauffé de la TVA sociale. À l’opposé, monsieur le rapporteur, pourquoi ne pas proposer que le revenu financier du secteur bancaire, de l’agroalimentaire et de la distribution soit mis à contribution pour élargir l’assiette des recettes au bénéfice des régimes sociaux des agriculteurs et des retraités agricoles, plutôt qu’ajouter cette charge aux consommateurs dont le pouvoir d’achat est de plus en plus contraint ? On sent bien, avec ces dispositions, que nous touchons là, comme je l’ai dit en introduction, à notre divergence de fond – dois-je dire idéologique, monsieur Falorni ? – quant aux mesures de soutien indispensables au maintien de notre agriculture.
C’est pour ces seules raisons, non pour afficher une quelconque posture, mes chers collègues, que, tout en saluant le travail de M. le rapporteur, nous ne voterons pas ce texte.