C’est dommage, car ces questions, et notamment celle de la place des régions dans ce dispositif, doivent être sérieusement travaillées. Les premiers mots de l’exposé des motifs donnent le ton, comme si l’univers avait basculé en 2012, transformant un monde merveilleux en débâcle.
Le mauvais bilan de l’alternance ne date pourtant pas de 2012. En la matière, le bilan du quinquennat précédent était déjà mauvais, alors même que le gouvernement d’alors accumulait les annonces péremptoires et les objectifs ambitieux. Pourtant, le premier recul date bien de cette période, avec une baisse globale de 3 % entre 2008 et 2011, et un outil – le portail de l’alternance – lancé à grand renfort de communication par Laurent Wauquiez, dont tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire qu’il a coûté cher pour un résultat quasi inexistant.
La caricature que l’on trouve dans votre exposé des motifs ne nous sera d’aucune aide dans ce dossier. Elle ne peut qu’être un obstacle à une juste appréhension du problème.
Pourtant les questions que la proposition soulève sont d’actualité. La question de la décentralisation de certaines compétences en matière d’apprentissage doit être posée. Les écologistes y sont depuis toujours favorables, et c’est encore plus vrai en matière d’apprentissage. On ne développe pas l’apprentissage sans les régions, encore moins contre elles.
Cette question sérieuse doit donc être traitée sérieusement, ce que votre proposition ne fait pas. Il est à cet égard significatif que votre collègue Gérard Cherpion, avec qui je ne suis pas toujours d’accord, mais dont chacun s’accorde à dire qu’il connaît particulièrement bien le sujet, n’est pas signataire de votre proposition. Gageons qu’une meilleure association avec les spécialistes que comptent vos rangs aurait pu vous éviter quelques erreurs et confusions.
Votre proposition pose trois questions : la place des lycées professionnels, l’âge d’entrée dans l’apprentissage et la mobilisation des branches autour de banques régionales de l’apprentissage.
Vous souhaitez « donner aux apprentis les mêmes droits et conditions de travail que les salariés ». Vous prétendez qu’en « alignant les apprentis sur un statut similaire aux autres salariés, un chef d’entreprise pourra lui confier des missions identiques aux autres salariés, l’incitant ainsi à recourir à l’apprentissage et à faire confiance à ses apprentis ». C’est méconnaître profondément ce qu’est l’apprentissage.
L’apprenti, c’est celui qui est en train de s’initier à quelque chose, nous disait Chrétien de Troyes, qui fut le premier à importer ce mot dans la langue française. Cela signifie deux choses : d’une part, on ne peut lui confier les mêmes tâches qu’un salarié qualifié. En d’autres termes, l’apprenti n’est pas un salarié à bas prix. D’autre part, l’apprenti est en formation, ce qui emporte deux conséquences : il a encore besoin d’une formation intellectuelle et pratique qu’il trouve dans son cursus scolaire et chez l’employeur qui le forme à adapter son savoir à ses réalisations.
La spécificité de l’apprenti ne peut donc conduire à fusionner les lycées professionnels et les CFA. L’éducation nationale ne forme pas seulement à devenir un professionnel mais aussi un citoyen et un acteur de sa propre vie. La forme de l’enseignement dans les lycées professionnels est différente de celle des CFA, ce qui permet à l’élève de choisir la forme la plus adaptée pour lui et à des jeunes, mais aussi à des moins jeunes, qui ont parfois déjà quitté le cycle scolaire, de reprendre à 20 ou 25 ans une formation en alternance, ce que le lycée ne permet pas.
La question de l’âge est d’ailleurs présente dans votre texte, non pas pour étendre l’âge d’entrée en apprentissage au-delà de 25 ans mais pour l’abaisser à 14 ans. Certains élèves de troisième montrant des capacités de travail remarquables dès leur stage d’observation en entreprise, pourquoi attendre, dites-vous ? Parce que, si l’on poursuit réellement l’objectif d’émanciper les jeunes il faut leur donner les armes pour ce faire ; pour qu’ils soient un jour de bons professionnels, et pas seulement de bons ouvriers ; qu’ils puissent envisager de monter leur entreprise et qu’ils aient pour cela des connaissances sur l’entreprise, le droit, la comptabilité, et pas seulement la maîtrise d’un savoir-faire ; pour qu’ils soient citoyens, parents, qu’ils développent éventuellement d’autres talents que leur habileté au métier qu’ils choisissent à seize ans ; pour qu’ils puissent continuer à se former, à changer de vie et de métier, à s’investir dans la vie publique, dans leur vie familiale, dans l’éducation de leurs enfants, dans la vie de leur quartier et de leur cité.
Voilà ce qu’est l’objectif d’émancipation, et voilà pourquoi l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans. Voilà pourquoi la question de l’âge de l’apprentissage ne doit pas être posée en termes d’abaissement, mais en termes d’élévation jusqu’à l’âge de 25 ans. Il n’y a pas d’âge pour vouloir devenir boulanger, ébéniste ou horticulteur, si l’on a découvert à 30 ans que c’était le métier qui nous passionnait. C’est ce principe de la formation tout au long de la vie qu’il faut penser et mettre en acte.
J’en viens à la question de la banque régionale. L’idée de la plateforme en ligne est intéressante, mais les expériences passées ont montré combien l’exercice pouvait être inutile s’il n’était pas précédé d’une vraie analyse des besoins et d’une réflexion sur sa conception technique. Or, votre proposition n’aborde absolument pas ces dimensions.
Vous dites vouloir associer les branches, monsieur le rapporteur. Certes, mais l’avez-vous fait ? Les avez-vous rencontrées ? Si c’est le cas, que vous ont-elles dit ? Sont-elles prêtes à financer ? Sont-elles toutes organisées à l’échelle des nouveaux territoires régionaux ? En d’autres termes : sont-elles prêtes ? De tout cela, nous ne savons rien.
Tous ceux qui ont pratiqué les dispositifs de ce type savent combien la question est compliquée parce que chaque branche tend à s’affirmer comme spécifique dans son organisation ou sa pratique et que l’on ne peut présupposer son accord avant de l’avoir concrètement recherché et d’en avoir recherché les possibilités.
Ce travail préalable est indispensable et nous devons le mener avant de nous engager.
Reste donc cette question du rôle des régions – la véritable question n’est d’ailleurs pas tant celle de la place des régions dans le dispositif de l’apprentissage que de savoir comment créer au mieux une adéquation entre les besoins en formation et les possibilités de se former.
Les régions ont ici un rôle essentiel à jouer, pas seulement pour répondre aux besoins de main-d’oeuvre des entreprises – comme vous le pensez – mais également pour anticiper les évolutions de notre monde et les besoins futurs, notamment dans ces filières émergentes liées à la transition écologique de l’économie.
Il y a là une double exigence de proximité et de mobilité.
En tant qu’écologistes, nous pensons que la région est l’échelon territorial pertinent pour connaître les besoins du territoire mais il faut aussi que les régions s’organisent, dans la proximité, pour comprendre le projet de celle ou de celui qui va se former et pour le conduire vers la trajectoire qui lui va le mieux.
L’un des facteurs d’échec de notre système d’apprentissage réside dans l’inadaptation des parcours de formation aux volontés des apprentis et des lycéens.
Nous avons trop d’élèves démotivés par une inadéquation de la formation avec leurs envies, avec leurs volontés, démotivation qui peut mettre à bas les meilleurs potentiels. Il faut à tout prix l’éviter et penser les conduites des trajectoires d’apprentissage dans l’écoute des futurs apprentis.
Si décentraliser a un sens, c’est de permettre cette double proximité mais cela ne s’arrête pas là. Décentraliser au profit des régions n’aura de sens que si ces dernières jouent un rôle d’ouverture vers l’espace national et européen. Nos dispositifs doivent permettre cette mobilité européenne et doivent être pensés dans cette finalité. L’essor des savoir-faire français ne s’est jamais fait dans l’enfermement national. Au contraire, c’est la circulation des savoirs, depuis les débuts du compagnonnage dans l’Europe médiévale jusqu’aux échanges contemporains, qui a permis l’essor de l’artisanat et de l’industrie en France et en Europe. Cette dimension est essentielle et il faut que la loi la consacre.
Votre proposition, monsieur le rapporteur, soulève indéniablement des questions qu’il faut prendre à bras-le-corps, tout le monde le reconnaît, avec des évaluations sérieuses et des analyses approfondies qui ne figurent pas dans ce texte.
En attendant le débat autour du projet sur la formation professionnelle qui devrait avoir lieu en avril et qui sera présenté bientôt en Conseil des ministres – nous pourrons alors reprendre une partie de ce travail de façon sérieuse – le groupe écologiste rejettera cette proposition de loi.