Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi « visant à favoriser le développement régional de l’apprentissage » que nous allons examiner est tout à la fois datée quant à son diagnostic et dépassée quant à sa méthode.
Elle est datée quant à son diagnostic car son exposé des motifs recèle un certain nombre d’erreurs ou d’approximations.
D’abord, la description supposée de l’apprentissage dans notre pays ne correspond pas aux chiffres donnés par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES. Il est ainsi inexact de fantasmer sur un âge d’or d’expansion de l’apprentissage sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy quand il n’a été que stabilisé.
De même, il est inexact de brosser un tableau catastrophique de l’apprentissage depuis 2012 quand la baisse du nombre d’apprentis constatée en 2013 tend à diminuer depuis et que la tendance est même à la hausse pour les formations supérieures – j’y reviendrai.
Ensuite, l’alignement souhaité des conditions de travail des apprentis sur celles des salariés est la négation même non seulement du statut forcément plus protecteur accordé aux mineurs mais, surtout, de ce qu’est l’apprentissage, lequel doit conserver sa dimension de formation : c’est une période particulière, certes, car immergée dans l’entreprise, mais cela reste une période de formation.
C’est aussi une période de jeunesse, donc d’une maturité et d’une responsabilité en construction qui justifient pleinement des règles spécifiques. Aligner le statut d’un apprenti mineur sur celui d’un salarié, c’est faire croire qu’un mineur est déjà un adulte, qu’il est capable d’évaluer les situations et les risques éventuels de la même façon qu’un adulte.
Permettre l’apprentissage dès 14 ans soulève les mêmes réserves. J’en ajouterai même une : plus l’apprenti est jeune, plus les exigences dans la formation dispensée par l’entreprise sont importantes. Abaisser l’âge de l’apprentissage, c’est augmenter les contraintes qui pèsent sur l’entreprise, donc, augmenter les freins au recours à l’apprentissage.
Enfin, les louanges du modèle allemand doivent être nuancées car, aujourd’hui, il ne répond pas forcément aux aspirations des jeunes qui souhaitent construire leur parcours de vie professionnelle au sein de formations décloisonnées.
C’est pourquoi la présente proposition de loi est aussi dépassée quant à sa méthode. Une fois de plus, l’apprentissage est traité à part, il n’est intégré ni dans une stratégie ni dans une politique plus générale de formation englobant toutes les filières dans laquelle l’apprentissage serait non pas la voie de ceux qui ne réussissent pas à l’école mais une voie de formation adaptée à certains métiers et qui répondrait à l’aspiration de certains jeunes désirant un enseignement plus intégré, plus directement en prise avec l’entreprise.
La méthode est tout aussi contestable par le choix d’une proposition de loi alors que l’adéquation des contraintes et des obligations de formation à la vie des entreprises pourrait relever plus normalement du dialogue social.
Cela éviterait par exemple de renouveler l’erreur de 2008, quand le baccalauréat professionnel en trois ans a constitué « un frein important au développement de l’apprentissage » – pour reprendre les termes mêmes de notre collègue Monique Iborra dans son rapport Travail et Emploi rédigé à l’occasion de la loi de finances. Les entreprises n’ont en effet pas souhaité s’engager sur une durée de trois ans.
En fait, la querelle de l’apprentissage doit s’effacer au profit d’autres enjeux qui la dépassent largement, au-delà des réflexes partisans ou syndicaux : je veux parler de ceux concernant la formation et l’emploi.
Là, nous avons beaucoup de chemin à parcourir quand le réflexe du patron des patrons consiste encore trop souvent à réclamer toujours plus d’aides de l’État et des régions, en oubliant qu’il faut aussi plus d’intelligence et de mobilisation collectives pour faire vivre ce que certains n’hésitent pas à appeler un « pacte républicain ».
L’apprentissage répondra à ces enjeux quand nous saurons bâtir ensemble des dispositifs banalisés au sein de l’ensemble de l’offre de formation, quand la voie de l’apprentissage sera simplement l’un des choix possibles, l’une des étapes proposée aux jeunes dans la construction de leur parcours professionnel, quand l’apprentissage sera l’un des outils auquel chaque jeune peut avoir recours pour trouver sa place dans la société.
Le succès de l’apprentissage pour les seules formations supérieures montre que les jeunes savent s’emparer de cet outil et se l’approprier. C’est aussi la voie à suivre pour les autres formations.