Madame la présidente, madame le ministre, chers collègues, de réforme en réforme, la formation professionnelle semble dans l’impasse, malgré les 31,5 milliards d’euros qui lui sont consacrés chaque année. Cet argent, versé à hauteur de 43 % par les entreprises, se perd dans un système d’une opacité sans égale.
Avec 2,5 % de la masse salariale consacrée à la formation professionnelle, notre pays est celui qui fournit le plus d’efforts en faveur de la formation professionnelle, loin devant l’Allemagne et ses 1,5 % ou le Royaume-Uni et ses 1,1 %. Pourtant, nous sommes très loin des objectifs : en 1993, la loi quinquennale fixait un objectif de 500 000 apprentis et, en 2014, seuls 273 000 contrats avaient été signés.
Seuls 4,4 % des jeunes Français sont en apprentissage, contre plus de 31 % en Allemagne. Il y a donc urgence, et ce n’est manifestement pas un problème de budget. L’étude du programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes – PIIAC – de l’OCDE, parue l’an dernier, devrait nous inciter à changer de cap, puisqu’elle indique que le niveau de compétence des Français est inférieur à celui de la plupart des pays de l’OCDE. L’échec scolaire amène chaque année 160 000 jeunes de 15 à 24 ans à quitter l’école sans qualification, ni diplôme. Malheureusement, la formation professionnelle est aujourd’hui davantage employée comme une tentative de régler des difficultés sociales, au détriment de son usage premier, à savoir l’acquisition et la valorisation de compétences dans un objectif d’employabilité.
La dévalorisation de la formation professionnelle n’aide pas au redressement de cette voie, pourtant indispensable au dynamisme de notre pays. C’est au moment où la formation professionnelle a été happée par l’éducation nationale qu’elle a entamé sa dégradation dans la conscience collective. La hausse du chômage, qui touchait les diplômés de l’enseignement professionnel dans de plus grandes proportions, aggravait alors cette dégradation. Impulser une évolution des mentalités est indispensable pour briser l’image négative de cette filière.
Il faut pour cela intégrer des dispositifs de préapprentissage à l’école, par l’intermédiaire d’intervenants professionnels qui font découvrir leur métier et confrontent aussi bien les élèves que les professeurs aux attentes du monde professionnel. Il faut promouvoir les filières d’apprentissage et d’alternance, y compris auprès du corps enseignant, par les nouvelles sections en phase avec les filières en développement, par la limitation des contrats aidés, qui freinent les filières d’apprentissage et d’alternance, par le rétablissement des allégements de charges, par la revalorisation, enfin, du salaire de l’apprenti. Les apprentis devraient par exemple être accompagnés dans leurs démarches d’obtention de logement, et il serait souhaitable que les internats des lycées qui disposent de lits inoccupés – et ils sont nombreux – soient plus ouverts aux apprentis. Enfin, une revalorisation symbolique est nécessaire, qui pourrait passer par l’ouverture de filières professionnelles dans les établissements de centre-ville passant pour les plus prestigieux.
Cette proposition de loi tend vers l’hyper-régionalisation de la formation professionnelle. Or force est de constater que d’importantes disparités existent entre nos régions. Ainsi, une étude du Centre d’études et de recherches sur les qualifications met en évidence plusieurs facteurs créant des disparités entre les régions, parmi lesquels l’histoire du système éducatif régional, les contextes socio-économiques régionaux, ou encore la hiérarchie des priorités politiques. C’est donc avant tout une réforme scolaire dont il est besoin, avec en premier lieu la suppression du collège unique, qui a fait, depuis quelques années, la démonstration de son échec.
Une sélection dès le début du secondaire devrait permettre aux élèves de bénéficier de la filière revalorisée de l’apprentissage dès 14 ans. Cette filière doit être revalorisée, afin de lutter contre l’illettrisme, qui touche un nombre croissant d’apprentis, et d’en faire une voie choisie, et non une voie subie. Pour cela, la formation doit ouvrir les portes de l’emploi, et les régions jouer leur rôle d’impulsion, afin de mieux coordonner l’offre de formation et les possibilités de débouchés professionnels. En effet, la formation peut être une arme contre le chômage, à condition qu’elle soit organisée en fonction de la demande réelle des entreprises et du monde du travail, ce qui, dans un certain nombre de régions, n’est malheureusement pas le cas. Les jeunes doivent être orientés vers les filières qui recrutent ; le contenu pédagogique doit être adapté aux besoins de l’entreprise, sans en écarter les savoirs fondamentaux.
En l’espèce, le principal levier de la région est le schéma prévisionnel des formations, qu’elle détermine en synergie avec le rectorat, et qui définit les filières à privilégier. Elle doit donc rationaliser les investissements, en rendant moins nombreuses les filières saturées. C’est par exemple le cas de certaines filières d’enseignement professionnel n’offrant que peu de débouchés, comme le secrétariat. Il s’agit aussi de mieux anticiper quelles seront les filières d’avenir. La région doit donc peser pour que soit progressivement réduit le nombre d’établissements proposant de telles formations – et j’ai bien compris que tel était l’objectif de votre proposition de loi.
La tendance au regroupement des centres de formation d’apprentis doit aussi être endiguée, afin que l’ensemble des territoires puissent en bénéficier. Mais favoriser le développement de l’apprentissage ne se fera pas sans un soutien aux entreprises régionales : une priorité d’accès aux marchés publics de la région, via une clause adéquate, devra être mise en place pour les entreprises employant au moins un apprenti : c’est selon moi une bonne façon d’encourager et de récompenser les entreprises qui font cet effort de formation, et cet effort financier.
Les débouchés relatifs à l’apprentissage sont réels : il convient pour cela de ne pas se cantonner à des projets ou à des propositions s’apparentant à de la communication politique, à l’instar de cette banque régionale, totalement inutile au regard des prérogatives du président de région, qui est déjà compétent pour mettre en lien les entreprises et les apprentis, selon les modalités qu’il souhaite.
Je ne voterai donc pas cette proposition de loi, même si la disposition qui ramène la limite d’âge de l’apprentissage à 14 ans me semble être une bonne chose.