Intervention de Christophe Sirugue

Séance en hémicycle du 4 février 2016 à 21h30
Développement régional de l'apprentissage

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Sirugue :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le sujet que nous évoquons ce soir est d’une importance incroyable parce qu’il nous interroge à la fois sur l’avenir de nombreux jeunes de notre pays et sur notre capacité à organiser leur formation et leur qualification. C’est un choix, voire une exigence que de décider qu’il s’agit là d’une politique publique forte qui nécessite volonté et moyens, comme l’ont rappelé le Président de la République et le Premier ministre.

Il faut toutefois faire le constat que c’est d’abord une politique publique en difficulté. Les chiffres, qui ont été rappelés par notre rapporteur et par plusieurs collègues, sont clairs : l’apprentissage n’a jamais réussi à atteindre les objectifs qui lui avaient été donnés tant sous la présidence de M. Sarkozy que sous celle de l’actuel Président de la République : 500 000 jeunes apprentis. Je crois inutile de nous lancer dans des propos accusateurs : c’est pourquoi je regrette l’exposé des motifs retenu par M. le rapporteur, tant les raisons objectives de ce constat reposent, pour une part, sur le plus grand nombre de collégiens s’orientant vers les classes de seconde générale ou technologique et, pour une autre part, sur le ralentissement de l’activité économique – c’est notamment le cas dans le secteur du bâtiment.

Que ce soit une politique publique en difficulté, nous le vérifions également au nombre important des ruptures de contrats, qui approchent les 30 % et frôlent même les 50 % dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration. De plus, dans 80 % des cas de rupture, l’arrêt de l’apprentissage est définitif. Ce sont là des difficultés sur lesquelles il conviendrait de nous interroger car elles constituent autant d’enjeux sur lesquels nous devrions concentrer plus particulièrement nos débats. L’apprentissage est enfin une politique publique en difficulté du fait que, trop souvent, il est présenté comme une orientation par défaut, alors même qu’il est une voie de formation et de qualification de plein droit ou d’excellence, pour reprendre le terme généralement utilisé.

Cette proposition de loi, qui a pour ambition – vous nous l’avez assuré – d’apporter une réponse à la hauteur de l’enjeu, ne relève aucun de ces défis, ne répond à aucune de ces difficultés. Vous essayez de nous faire croire qu’en quatre articles – voire en trois si j’omets un amendement de coordination –, vous pourriez résoudre l’ensemble de la problématique de l’apprentissage. Or qui peut croire que l’enjeu auquel nous sommes aujourd’hui confrontés puisse être réglé au travers de ces trois articles ?

L’article 1er propose que les régions gèrent les formations professionnelles initiales. Alors qu’elles jouent déjà un rôle important dans les CFA – vous le savez –, vous voulez y adjoindre les lycées professionnels, ce qui revient à nier la place de l’éducation nationale et à oublier les avancées importantes que la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a permis d’engager, notamment en rééquilibrant les rôles du recteur et du président de région au profit de ce dernier. Vous cherchez par cet article à renforcer le rôle des régions : c’est déjà fait. Cet article ne sert donc à rien.

L’article 2 propose la mise en place d’une grande banque régionale d’apprentissage. Or la région n’a pas besoin de la loi pour mettre en place cet outil, puisqu’elle détient depuis 1985 une compétence de droit commun en matière d’apprentissage, qui lui permet de le mettre en place. Ce deuxième article ne sert donc à rien, lui non plus. Enfin l’article 3 vise à abaisser l’âge de l’apprentissage à 14 ans, au mépris des directives européennes que la France a ratifiées en 1994, selon lesquelles les États membres veillent à ce que l’âge minimal d’admission à l’emploi ou au travail ne soit pas inférieur à l’âge auquel cesse l’obligation scolaire à temps plein imposée par la législation nationale, ni en tout cas, à 15 ans. Encore un article pour rien.

Il est par ailleurs essentiel, surtout lorsque l’on se veut rapporteur d’un texte sur un sujet aussi important que celui-ci, de ne pas manier l’amalgame ni de faire des erreurs. Or vous maniez l’amalgame en comparant l’apprentissage avec les emplois aidés et les contrats d’avenir. Il s’agit là de deux outils dont nous avons besoin parce qu’ils répondent à des situations différentes. Essayer de montrer dans une discussion dont je n’arrive pas à discerner la finalité qu’il y aurait compétition entre ces outils me paraît une erreur.

Erreur, aussi, lorsque, du haut de cette tribune, vous continuez de véhiculer des idées fausses, qui nuisent au recrutement d’apprentis, comme l’interdiction de monter sur une échelle, alors que cette règle a été corrigée, comme d’autres. Malheureusement, une partie des artisans, aujourd’hui, n’en est toujours pas totalement convaincue. Un rapporteur n’a pas à répandre ce genre d’appréciations totalement inexactes.

Ce sujet important, voire essentiel, nécessite la mobilisation de tous. Si vous voulez tendre vraiment la main, comme vous l’affirmez dans l’exposé des motifs, alors, faites-le, puisque vos nouvelles fonctions vous y autorisent. En revanche, le texte que vous nous proposez ne nous engage pas dans cette direction. Son exposé des motifs, qui est une diatribe violente contre le Gouvernement, me semble presque plus important que les articles. Je le regrette profondément.

C’est la raison pour laquelle, bien évidemment, nous ne pourrons pas voter ce texte.

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