Ce rôle des régions, nous l’avions déjà inscrit dans la loi NOTRe, que vous n’aviez pas votée : j’avais défendu, lors de son examen, un amendement qui fut repris par le Gouvernement, et qui vous permettra dès demain, si vous le souhaitez, de lancer une expérimentation pour coordonner l’ensemble du service public de l’emploi, hors Pôle Emploi.
Bref, nous aurions vraiment pu, faisant fi de l’idéologie mais avec conviction, voter votre proposition de loi si elle avait apporté des éléments nouveaux et représenté une véritable politique de développement de l’apprentissage. Mais votre texte, écrit dans l’urgence en période électorale, se résume à quatre articles qui n’abordent pas les problèmes de fond.
Je passerai rapidement, car on en a parlé, sur l’exposé des motifs agressif, et dont le seul mérite est de vous faire passer pour l’homme providentiel – ce que l’on comprend facilement, en période électorale –, tout en nous désignant comme les fossoyeurs de l’apprentissage. Permettez-moi de vous le dire, mon cher collègue, les événements ultérieurs, grâce auxquels vous avez été élu à la présidence de la région, auraient dû vous inciter à plus de modestie – mais passons.
L’article 1er de votre texte tend à fusionner les CFA avec les lycées professionnels, les uns étant actuellement gérés par les chambres de commerce et d’industrie et les chambres des métiers, donc par les entreprises, et les autres par l’éducation nationale. En fait, cette proposition revient à remplacer l’administration de l’éducation nationale par l’administration régionale, ce qui va à l’encontre du rôle qu’il faudrait reconnaître aux entreprises – car il est aujourd’hui insuffisant – en matière d’apprentissage ; elle irait à l’encontre de la réactivité et du caractère opérationnel que nous devons précisément rechercher. Vous créeriez, en somme, une énorme machine, comme vous l’aviez fait avec Pôle Emploi.
Si des décloisonnements sont nécessaires entre ces deux formes d’apprentissage, votre proposition ne réglerait rien, et elle provoquerait inévitablement des conflits lors de sa mise en oeuvre. Il faut d’abord rapprocher les cultures avant de les fusionner.
Enfin, la loi sur la refondation de l’école permet désormais au président de région – et c’est pourquoi votre discours est de mauvaise foi, je suis au regret de vous le dire – d’arrêter la carte des formations en apprentissage en lieu et place du recteur, comme c’était le cas avant l’adoption de cette loi que vous n’aviez pas votée.
L’article 2 permet aux régions de créer des banques régionales de l’apprentissage qui établissent des liens entre les besoins des apprentis et les entreprises ; mais rien ne vous empêche de le faire dès demain si vous le voulez : tout le monde le sait sauf vous, apparemment. Vous semblez donc oublier ou même ignorer les lois contre lesquelles, forcément, vous avez voté. Grâce à l’actuelle majorité, la région a vu ses prérogatives renforcées, et vous êtes, monsieur le président de région, maître à bord en ce qui concerne la mise en oeuvre de la politique d’apprentissage.
Enfin, l’article 3 s’apparente à une veille rengaine : nous ne pouvons accepter l’apprentissage à 14 ans, non par un refus idéologique, mais tout simplement parce qu’une telle disposition serait contre-productive : elle induirait des ruptures précoces et des réorientations en cours de scolarité, et elle ignore que la loi sur la formation professionnelle – que vous n’avez pas non plus votée – permet aux jeunes de 14 ans d’entamer un cycle de formation par voie scolaire ou stagiaire de la formation professionnelle – que vous financez, monsieur le président de région – en attendant l’âge de 15 ans, ce qui constitue un sas de préapprentissage nécessaire pour le suivi des « décrocheurs ». Cette possibilité répond à vos préoccupations et aux nôtres.
Si vous nous aviez proposé la même chose que Mme la ministre, à savoir un statut pour les maîtres d’apprentissage ; un statut de l’apprenti qui valorise l’apprentissage ; des mesures permettant d’aller plus loin dans la réforme du financement de la taxe d’apprentissage, que nous avons été les seuls à conduire ; et si vous nous aviez dit votre détermination à exercer la compétence qui vous revient, celle des régions, en matière d’orientation, alors nous vous aurions suivi, non pas les yeux fermés, mais presque.
Vous voyez, mes chers collègues, qu’avec les meilleures intentions on peut être, en légiférant de façon superficielle et précipitée, complètement à côté des buts que l’on poursuit : telle est la raison essentielle, et pour ainsi dire la seule, de cette motion de rejet préalable. Il ne s’agit pas d’une posture mais de l’expression d’un réel intérêt que nous portons à la politique de l’apprentissage et à son développement.