Les combattre en marquant une limite irréductible, au-delà de laquelle nous ne pouvons plus cheminer ensemble au sein de la communauté nationale.
Aujourd’hui, comme à ses origines, la déchéance de nationalité est la réponse collective des Français vis-à-vis d’autres Français qui ont choisi de porter gravement atteinte à la vie de la Nation. C’est un geste qui marque l’union de tous ceux qui respectent le pacte républicain contre tous ceux qui le brisent. Ce n’est pas une manière de distinguer ; c’est, au contraire, une manière d’affirmer ce qui nous unit.
Il est donc logique, essentiel même, de consacrer ce principe à l’égard de tous les Français ; qu’il s’applique à tous avec la même exigence. Or aujourd’hui, seuls ceux qui ont acquis la nationalité française peuvent en être déchus, s’ils ont une autre nationalité. Le Conseil d’État a considéré, dans son avis du 11 décembre 2015, que pour ouvrir la possibilité de priver un Français de naissance de sa nationalité, il fallait une révision constitutionnelle.
C’est pour cela qu’après de nombreux débats avec toutes les composantes de la représentation nationale, le Gouvernement a souhaité que soit inscrit ce principe d’égalité dans notre Constitution. Ce texte, garant de la légalité républicaine, ne fera ainsi aucune distinction fondée sur la naissance, sur le mode d’acquisition de la nationalité ou sur la détention d’une ou plusieurs nationalités.
Pour affirmer ce principe le plus clairement possible, j’ai proposé, à votre commission des lois, le 27 janvier dernier, une évolution du texte présenté en Conseil des ministres. Je me félicite une nouvelle fois de la qualité du dialogue que nous avons eu, qui a conduit à une adoption large de cet amendement. Compte tenu de la procédure d’examen spécifique aux projets de loi constitutionnelle, cet amendement sera réexaminé en séance. Il s’agit désormais d’un amendement de votre commission ; mais le Gouvernement a souhaité, lui aussi, le présenter à nouveau, cette fois devant vous tous.
Cette mesure de déchéance a aussi un objectif très concret : éloigner durablement de notre territoire les individus dangereux constituant une menace avérée.
Avec le Président de la République, nous avons beaucoup écouté, beaucoup consulté. Nous avons eu le souci de construire une communauté de vues fondée sur des principes juridiques clairs, validés par le Conseil d’État, respectueux de nos engagements internationaux. L’amendement que présentera à nouveau le Gouvernement est le fruit de ce dialogue, dialogue qui se poursuivra tout au long du processus de révision.
Nous touchons, avec la déchéance de la nationalité – et nous avons entendu le débat public, l’avis des juristes, des intellectuels – à un élément essentiel de la personne. La sanction proposée est grave. Elle nous oblige à regarder loin, à ne pas seulement considérer les quelques jours qui viennent, mais sans doute, je le disais, la décennie qui s’annonce.
Cet amendement inscrit donc au coeur de la Constitution le principe de l’égalité de tous devant l’exigence républicaine. Il encadre également les condamnations pouvant entraîner une telle sanction. Seules sont retenues celles prononcées pour les actes les plus graves, constitutifs de crimes ou délits attentatoires à la vie de la Nation. En effet, le Gouvernement considère qu’il est nécessaire de retenir aussi les délits, car en matière de terrorisme, certains d’entre eux traduisent une intention criminelle redoutable, révélatrice là aussi d’une rupture avec la communauté nationale. Nous renouons ainsi avec l’intention initiale du Gouvernement d’inclure la sanction pour délit terroriste ou atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, une demande exprimée également par l’opposition, mais pas seulement.
Troisième disposition de l’amendement : nous avons considéré, parce que c’est un principe essentiel de notre droit, que la sanction devait pouvoir être individualisée au maximum, c’est-à-dire ajustée au plus près de la dangerosité. C’est pourquoi déchéance complète de la nationalité et déchéance des droits qui y sont attachés sont présentées dans une même disposition.
Dans un souci de transparence et de lisibilité, et en réponse à une demande tout à fait normale, le Gouvernement a adressé à la représentation nationale l’avant-projet de loi qu’autoriserait cet article 2 du projet de révision constitutionnelle. Le Conseil des ministres a adopté mercredi dernier les trois orientations fortes de ce texte.
D’abord, l’unification juridique des régimes de déchéance de nationalité. La même peine sera applicable à toute personne condamnée, quelle que soit l’origine de son appartenance à la Nation.
Ensuite, la délimitation des infractions d’atteinte à la vie de la Nation dont la condamnation peut entraîner une déchéance de la nationalité. S’agissant des délits, seuls ceux pour lesquels la peine encourue est de dix années d’emprisonnement sont concernés. Ce rappel est nécessaire, tant j’ai entendu d’éléments faux à ce sujet. Et je voudrais aussi rappeler – qui s’en est ému alors ? – que six Français ont été déchus de leur nationalité ces deux dernières années, après avoir été condamnés pour le délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
Troisième orientation de l’avant-projet de loi : la déchéance de nationalité, aujourd’hui prononcée par décret après avis conforme du Conseil d’État, deviendra une peine complémentaire prononcée par le juge pénal. Cette sanction sera ainsi prononcée plus rapidement, en une seule et même fois, contrairement à la procédure actuelle. Et, conformément au droit en vigueur, au principe d’individualisation des peines, il n’y aura aucune automaticité. Il s’agit d’une mesure lourde de sens, qui exige une réflexion au cas par cas.
Enfin, il a été décidé au cours de ce même Conseil des ministres d’engager rapidement la ratification de la convention du 30 août 1961 sur la réduction des cas d’apatridie.
Mesdames, messieurs les députés, cette révision constitutionnelle est un moment exceptionnel, qui se déroule dans un contexte lui-même exceptionnel.
Je comprends, bien évidemment, qu’il puisse y avoir des débats. Sur un sujet aussi important, ils sont légitimes, et même indispensables à notre démocratie. Certains disent que ces débats prennent trop de temps. Mais enfin ! Toute révision de cette nature, parce qu’elle touche au fondement de ce que nous sommes, demande de lui consacrer la durée nécessaire. C’est d’ailleurs ce que prévoit la Constitution elle-même, même si, je le répète, cette révision s’inscrit dans des circonstances particulières, celles des attentats du 13 novembre qui ont fait 130 morts et des centaines de blessés.
Ce moment exceptionnel nous met tous face aux plus importantes responsabilités. Il exige de nous de la hauteur de vue. Par respect pour la parole donnée devant la représentation nationale par le chef de l’État trois jours après ces attentats. Par respect pour les Français. Leur courage, cette impressionnante force de caractère qu’ils ont démontrée, doivent être pour nous un commandement, une injonction à nous rassembler. Et quoi de mieux que notre texte constitutionnel, le socle même de notre démocratie, pour le faire ?
Face à la menace, face à toutes ces déchirures de notre société – je pense aux actes antisémites, antimusulmans, antichrétiens –, face aux risques de tension, de division, nous devons être forts, donc unis, parce que nous sommes en guerre, parce que nos soldats sont engagés en Syrie et en Irak.
Et ce qui fait notre unité, ce sont nos valeurs, notre État de droit, notre tradition républicaine, notre conception ouverte, bienveillante, mais aussi exigeante, de la Nation. La Nation qui doit rester cette adhésion volontaire à ce qui nous unit, cet ensemble de droits, cet ensemble de devoirs auxquels nul ne peut déroger. C’est aussi cela qu’avec la plus grande force, nous rappelons aujourd’hui.