La séance est ouverte.
La séance est ouverte à neuf heures trente.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames, messieurs les députés, je suis devant vous, à cette tribune, car, il y a près de trois mois, notre Nation a pris le deuil, frappée une fois de plus – et frappée comme jamais – par le terrorisme islamiste, par le djihadisme, dont le but, le but de guerre, est de s’attaquer de la manière la plus radicale à nos valeurs, ces valeurs que la France incarne depuis si longtemps aux yeux du monde.
La menace terroriste est là : inédite, globale, durable. Hors de nos frontières, au Sahel, au Levant, mais aussi, de plus en plus, tout près de nous, de l’autre côté de la Méditerranée, en Libye. Sur fond de chaos et de vide politique, les groupes djihadistes s’implantent et prospèrent. L’entrée du monde arabo-musulman dans une phase de convulsions, de tensions, dont la rivalité multiséculaire qui se réveille entre chiites et sunnites est une manifestation, est une donnée géopolitique structurante.
Malgré les revers subis dans leurs sanctuaires, Daech – l’État islamique – et Al Qaïda continuent d’étendre leur influence. Nous venons juste de franchir le seuil de 2 000 Français, ou individus résidant en France, impliqués dans les seules filières syro-irakiennes.
Parmi eux, 1 012 se sont rendus sur place depuis la France et 597 s’y trouvent toujours – soit 57 % de plus que le 1er janvier 2015. Au moins 161 y ont trouvé la mort. Ce sont autant d’individus et de plus en plus de femmes – près d’un tiers – qui ont fait le choix de partir vers ces zones de combat. Autant de fanatiques embrigadés, prêts à frapper leur pays.
La menace – potentielle celle-là –, ce sont aussi ces jeunes, filles et garçons, qui n’ont pas encore franchi le pas, mais qui se radicalisent, fascinés par cette idéologie de mort, magnifiant la violence, niant les consciences, et se nourrissant souvent d’un antisémitisme virulent. Vous êtes nombreux à avoir fait ce constat, sur tous les bancs, en particulier Malek Boutih, Éric Ciotti, Patrick Mennucci et Sébastien Pietrasanta, dans leurs travaux. La lutte contre cette radicalisation sera l’affaire d’une génération.
Nous sommes entrés dans un nouveau monde, nous avons changé d’époque et les Français, sortis d’une certaine forme d’insouciance, savent que le terrorisme nous fait la guerre, et que nous sommes en guerre. La menace terroriste est là. Elle va durer.
En décembre dernier, deux projets terroristes ont été déjoués, portant à onze le nombre de tentatives évitées en 2015.
En janvier, l’action commise devant un commissariat de police, dans le 18éme arrondissement de Paris, et la tentative de meurtre contre un enseignant d’une école juive à Marseille ont montré, à nouveau, que les modes opératoires étaient imprévisibles.
La France est une cible. Elle n’est pas la seule. À l’étranger, ces dernières semaines, plusieurs attentats ont été commis : à Bamako, à Istanbul, à Djakarta, à Ouagadougou.
Face à cela, les Français nous réclament de tout faire pour les protéger. Ils nous demandent l’unité, une unité sans faille.
Cette exigence d’unité, d’unité nationale, était au coeur des décisions prises dans la nuit même du 13 novembre : état d’urgence, rétablissement du contrôle aux frontières, mobilisation immédiate de nos forces de sécurité, de nos armées et de la justice.
Puis, il y eut la réunion, à l’Élysée, des groupes parlementaires, des formations politiques, le dimanche 15, pour créer les conditions du rassemblement. Elles n’étaient pas évidentes, après ce choc. Mais les Français ont imposé l’union. Et elle a été rendue possible parce que le Président de la République a fait un serment devant le Parlement, réuni en congrès à Versailles, le 16 novembre.
Et moi, je garde cette image qui restera gravée dans ma mémoire : ce moment où l’ensemble de la représentation nationale, l’ensemble des élus de la Nation, femmes et hommes, furent tous debout, applaudissant le Président de la République, le Président de tous les Français.
Mesdames, messieurs les députés, je crois que ce moment solennel nous engage. Cette sincérité de chacun, cette évidence, ne doit pas s’évanouir.
C’est dans cet élan que, dès le mardi, le projet de loi prorogeant l’état d’urgence a été adopté par le Conseil d’État. Puis présenté, le mercredi, en conseil des ministres, le jour même où était donné l’assaut à Saint-Denis, pour neutraliser ceux qui voulaient probablement, à nouveau, frapper massivement à la Défense. Le texte a ensuite été adopté le jeudi par l’Assemblée nationale à la quasi-unanimité, enfin par le Sénat, en des termes identiques, et promulgué. En une semaine, nous tous, collectivement, avons su faire face.
Ce serment, cet engagement du 16 novembre, c’est aussi cette révision constitutionnelle qui nous occupe aujourd’hui. Son but : adapter notre Constitution, le plus haut de nos textes de droit, celui qui s’impose à tous les autres, à la réalité de la menace. L’adapter en y inscrivant la possibilité de recourir à l’état d’urgence. Ce sera l’article 36 alinéa 1. Cette mesure, dont le Conseil d’État a dit toute l’utilité dans son avis du 11 décembre dernier, lui donnera un fondement incontestable, au plus haut de la hiérarchie des normes. Ce n’est pas le cas aujourd’hui !
Il faut inscrire dans notre bloc de constitutionnalité le régime de circonstances exceptionnelles le plus fréquemment utilisé sous la Vème République. Car les deux régimes particuliers envisagés par la Constitution pour faire face aux crises, qu’il s’agisse de l’article 16 ou de l’article 36 sur l’état de siège, ne prévoient pas le type de situation à laquelle la France a été confrontée, et peut l’être à nouveau !
Cet article ne modifie en aucun cas, j’y insiste, les conditions qui actuellement justifient la mise en oeuvre de l’état d’urgence. Il encadrera au contraire strictement les motifs de son déclenchement et de sa prorogation. Ils ne pourront plus, comme c’est aujourd’hui le cas, être modifiés par une loi ordinaire. Nous graverons ainsi dans le marbre le caractère exceptionnel de l’état d’urgence.
Il est sain, pour une démocratie, de réserver la possibilité d’édicter des normes aussi sensibles à une majorité qualifiée. Le régime juridique des perquisitions administratives et des assignations à résidence sera précisé et complété par un projet de loi ordinaire. Il a fait l’objet d’une communication lors du dernier conseil des ministres. Et il vous sera officiellement transmis à l’issue de la procédure de révision constitutionnelle.
Il s’agira, d’une part, de créer des mesures individuelles de contrainte graduée et flexible, dans le respect des droits des personnes et, d’autre part, d’améliorer le régime juridique des perquisitions administratives. Nous achèverons ainsi la révision de la loi de 1955, engagée avec la loi du 20 novembre dernier.
Sans cette base constitutionnelle, au regard des évolutions de la jurisprudence intervenue depuis 1958, il aurait été difficile, voire impossible, de prévoir le régime de saisie administrative et de retenue temporaire.
Je le dis une nouvelle fois avec force : l’état d’urgence est un régime dérogatoire, aujourd’hui prévu par la loi – et demain, si vous le décidez, par la Constitution. Inscrire l’état d’urgence dans la norme suprême, c’est subordonner son application au droit. C’est la définition même, essentielle, de l’État de droit.
Vous avez présenté, mesdames, messieurs les députés, lors de l’examen du texte par la commission des lois, de nombreux amendements, notamment pour inscrire dans la Constitution le contrôle par le Parlement de la mise en oeuvre de l’état d’urgence, contrôle que vous exercez d’ailleurs déjà par un engagement sans précédent de votre commission des lois, contrôle voulu par celui qui en fut le président, M. Jean-Jacques Urvoas. Le Gouvernement est favorable au renforcement de ce contrôle et à la volonté que vous avez exprimée.
Le Gouvernement est également prêt à restreindre la durée de prorogation à une période maximale de quatre mois, renouvelable. C’est une avancée par rapport à la loi de 1955, qui ne prévoit aucune limite temporelle. Chaque prolongation devra donc faire l’objet d’un projet de loi, préalablement examiné par le Conseil d’État et, à chaque fois, ouvert à un recours éventuel devant le Conseil constitutionnel.
Ce que nous mettons en place, ce sont des mécanismes de contrôle très stricts sur le plan politique, comme sur le plan juridictionnel.
Mesdames, messieurs les députés, vous le savez, le 26 février, sans autre décision, l’état d’urgence prendrait fin. Aussi, parce que la situation l’exige, le Gouvernement a décidé de déposer, d’abord au Sénat, le 9 février prochain, le projet de loi prorogeant ce régime pour trois mois supplémentaires.
J’entends dire que l’état d’urgence ne se justifie plus, qu’il n’y a plus de « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ». Ce n’est pas l’analyse du Gouvernement. Le ministre de l’intérieur le redit régulièrement aux groupes parlementaires qu’il reçoit place Beauvau, ou à l’occasion des réunions qui ont lieu tous les quinze jours à Matignon pour informer le Parlement à la fois de la menace terroriste, de la mise en oeuvre de l’état d’urgence et des initiatives diplomatiques ou militaires de la France. Et ce n’est pas non plus l’avis du Conseil d’État, qui a considéré, au regard de la situation, que cette nouvelle prolongation était justifiée et conforme à notre État de droit.
Oui l’état d’urgence est efficace, indispensable pour la sécurité de nos compatriotes. En trois mois, 3 289 perquisitions administratives ont permis la saisie de 560 armes, dont 42 armes de guerre ; 341 personnes ont été placées en garde à vue et 571 procédures judiciaires ont été ouvertes ; 407 personnes ont été assignées à résidence. Des mosquées radicales et des salles de prière ont été fermées. Des associations ont été dissoutes par le Conseil des ministres.
Les filières sont déstabilisées. De nombreux individus sont identifiés et placés sous surveillance. D’ailleurs, un des projets terroristes déjoués a pu l’être grâce à une perquisition administrative, menée dans le cadre de l’état d’urgence.
Et les tribunaux administratifs ont joué leur rôle, jusqu’à l’annulation et la réparation de certaines décisions. Mais le nombre d’annulations demeure très limité. Évitons également les caricatures : l’application de l’état d’urgence n’affecte en rien le débat démocratique. Tous les journalistes de ce pays peuvent exercer librement leur profession, et c’est heureux. Des élections régionales ont eu lieu, trois semaines après les attentats du 13 novembre. Le droit de manifester n’est en aucune manière entravé.
L’état d’urgence est bien sûr un régime provisoire. Et si sa prolongation jusqu’au 26 mai est nécessaire, c’est aussi pour permettre au Gouvernement de prendre les mesures qui renforceront, dans la durée, les moyens des autorités judiciaires et administratives pour lutter contre le terrorisme. C’est le sens du projet de loi présenté, il y a deux jours, par le garde des sceaux et sur lequel vous aurez à vous prononcer à partir du 1er mars – texte dont vous savez d’ailleurs qu’il est en préparation depuis plusieurs mois.
J’en viens à l’article 2 de ce projet de loi constitutionnelle. Il modifie l’article 34 de la Constitution pour que les conditions dans lesquelles une personne, même née française, peut être déchue de sa nationalité – dès lors qu’elle est condamnée pour atteinte grave à la vie de la Nation – relèvent du domaine de la loi.
Je crois qu’au moment où notre pays s’interroge, nous avons besoin d’actes qui rappellent ce qu’est la nation française, ce que cela veut dire, être français.
Être français, c’est – comment mieux le dire qu’avec les mots de Renan ? – « un plébiscite de tous les jours » ; c’est partager nos valeurs d’égalité, d’ouverture, de tolérance ; c’est une envie de construire l’avenir ensemble.
Voilà ce qu’est l’idéal qui est au coeur de la République et de la construction nationale ! Comment, dès lors, ceux qui rejettent nos valeurs, qui déchirent avec rage et violence le pacte républicain, qui s’engagent dans une armée terroriste pour tuer leurs propres compatriotes, pourraient-ils rester français ?
La déchéance de nationalité fait partie intégrante de la République. Tout a commencé en 1848, avec le décret combattant l’esclavagisme. La communauté nationale a dit alors clairement son refus. Elle a clairement exclu de son système de valeurs, de sa communauté nationale, ces Français esclavagistes, c’est-à-dire ces Français qui considéraient qu’un être humain pouvait être privé de sa liberté, devenir la propriété d’un autre, être exploité, échangé, négocié, humilié, mutilé et battu comme un vulgaire objet ou un animal.
Les textes de 1915 et 1917, puis celui de 1927 – adopté par le gouvernement d’union nationale de Raymond Poincaré –, ont confirmé l’inscription de la déchéance dans la tradition juridique républicaine. Il y a aussi le décret-loi de 1938 et l’ordonnance de 1945, qui restaure un régime normalisé de la déchéance de nationalité. Il y a enfin, plus récemment, les lois de 1973 et 1993, qui instaurent le régime actuel de l’article 25 du code civil ; la loi de 1996, qui étend la sanction de la déchéance aux crimes et délits terroristes ; et les lois de 2003 et 2006, modifiant les limitations temporelles de cette sanction.
Tous ces textes ont un même objectif : combattre les ennemis de la République et de la France.
Les combattre en marquant une limite irréductible, au-delà de laquelle nous ne pouvons plus cheminer ensemble au sein de la communauté nationale.
Aujourd’hui, comme à ses origines, la déchéance de nationalité est la réponse collective des Français vis-à-vis d’autres Français qui ont choisi de porter gravement atteinte à la vie de la Nation. C’est un geste qui marque l’union de tous ceux qui respectent le pacte républicain contre tous ceux qui le brisent. Ce n’est pas une manière de distinguer ; c’est, au contraire, une manière d’affirmer ce qui nous unit.
Il est donc logique, essentiel même, de consacrer ce principe à l’égard de tous les Français ; qu’il s’applique à tous avec la même exigence. Or aujourd’hui, seuls ceux qui ont acquis la nationalité française peuvent en être déchus, s’ils ont une autre nationalité. Le Conseil d’État a considéré, dans son avis du 11 décembre 2015, que pour ouvrir la possibilité de priver un Français de naissance de sa nationalité, il fallait une révision constitutionnelle.
C’est pour cela qu’après de nombreux débats avec toutes les composantes de la représentation nationale, le Gouvernement a souhaité que soit inscrit ce principe d’égalité dans notre Constitution. Ce texte, garant de la légalité républicaine, ne fera ainsi aucune distinction fondée sur la naissance, sur le mode d’acquisition de la nationalité ou sur la détention d’une ou plusieurs nationalités.
Pour affirmer ce principe le plus clairement possible, j’ai proposé, à votre commission des lois, le 27 janvier dernier, une évolution du texte présenté en Conseil des ministres. Je me félicite une nouvelle fois de la qualité du dialogue que nous avons eu, qui a conduit à une adoption large de cet amendement. Compte tenu de la procédure d’examen spécifique aux projets de loi constitutionnelle, cet amendement sera réexaminé en séance. Il s’agit désormais d’un amendement de votre commission ; mais le Gouvernement a souhaité, lui aussi, le présenter à nouveau, cette fois devant vous tous.
Cette mesure de déchéance a aussi un objectif très concret : éloigner durablement de notre territoire les individus dangereux constituant une menace avérée.
Avec le Président de la République, nous avons beaucoup écouté, beaucoup consulté. Nous avons eu le souci de construire une communauté de vues fondée sur des principes juridiques clairs, validés par le Conseil d’État, respectueux de nos engagements internationaux. L’amendement que présentera à nouveau le Gouvernement est le fruit de ce dialogue, dialogue qui se poursuivra tout au long du processus de révision.
Nous touchons, avec la déchéance de la nationalité – et nous avons entendu le débat public, l’avis des juristes, des intellectuels – à un élément essentiel de la personne. La sanction proposée est grave. Elle nous oblige à regarder loin, à ne pas seulement considérer les quelques jours qui viennent, mais sans doute, je le disais, la décennie qui s’annonce.
Cet amendement inscrit donc au coeur de la Constitution le principe de l’égalité de tous devant l’exigence républicaine. Il encadre également les condamnations pouvant entraîner une telle sanction. Seules sont retenues celles prononcées pour les actes les plus graves, constitutifs de crimes ou délits attentatoires à la vie de la Nation. En effet, le Gouvernement considère qu’il est nécessaire de retenir aussi les délits, car en matière de terrorisme, certains d’entre eux traduisent une intention criminelle redoutable, révélatrice là aussi d’une rupture avec la communauté nationale. Nous renouons ainsi avec l’intention initiale du Gouvernement d’inclure la sanction pour délit terroriste ou atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, une demande exprimée également par l’opposition, mais pas seulement.
Troisième disposition de l’amendement : nous avons considéré, parce que c’est un principe essentiel de notre droit, que la sanction devait pouvoir être individualisée au maximum, c’est-à-dire ajustée au plus près de la dangerosité. C’est pourquoi déchéance complète de la nationalité et déchéance des droits qui y sont attachés sont présentées dans une même disposition.
Dans un souci de transparence et de lisibilité, et en réponse à une demande tout à fait normale, le Gouvernement a adressé à la représentation nationale l’avant-projet de loi qu’autoriserait cet article 2 du projet de révision constitutionnelle. Le Conseil des ministres a adopté mercredi dernier les trois orientations fortes de ce texte.
D’abord, l’unification juridique des régimes de déchéance de nationalité. La même peine sera applicable à toute personne condamnée, quelle que soit l’origine de son appartenance à la Nation.
Ensuite, la délimitation des infractions d’atteinte à la vie de la Nation dont la condamnation peut entraîner une déchéance de la nationalité. S’agissant des délits, seuls ceux pour lesquels la peine encourue est de dix années d’emprisonnement sont concernés. Ce rappel est nécessaire, tant j’ai entendu d’éléments faux à ce sujet. Et je voudrais aussi rappeler – qui s’en est ému alors ? – que six Français ont été déchus de leur nationalité ces deux dernières années, après avoir été condamnés pour le délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
Troisième orientation de l’avant-projet de loi : la déchéance de nationalité, aujourd’hui prononcée par décret après avis conforme du Conseil d’État, deviendra une peine complémentaire prononcée par le juge pénal. Cette sanction sera ainsi prononcée plus rapidement, en une seule et même fois, contrairement à la procédure actuelle. Et, conformément au droit en vigueur, au principe d’individualisation des peines, il n’y aura aucune automaticité. Il s’agit d’une mesure lourde de sens, qui exige une réflexion au cas par cas.
Enfin, il a été décidé au cours de ce même Conseil des ministres d’engager rapidement la ratification de la convention du 30 août 1961 sur la réduction des cas d’apatridie.
Mesdames, messieurs les députés, cette révision constitutionnelle est un moment exceptionnel, qui se déroule dans un contexte lui-même exceptionnel.
Je comprends, bien évidemment, qu’il puisse y avoir des débats. Sur un sujet aussi important, ils sont légitimes, et même indispensables à notre démocratie. Certains disent que ces débats prennent trop de temps. Mais enfin ! Toute révision de cette nature, parce qu’elle touche au fondement de ce que nous sommes, demande de lui consacrer la durée nécessaire. C’est d’ailleurs ce que prévoit la Constitution elle-même, même si, je le répète, cette révision s’inscrit dans des circonstances particulières, celles des attentats du 13 novembre qui ont fait 130 morts et des centaines de blessés.
Ce moment exceptionnel nous met tous face aux plus importantes responsabilités. Il exige de nous de la hauteur de vue. Par respect pour la parole donnée devant la représentation nationale par le chef de l’État trois jours après ces attentats. Par respect pour les Français. Leur courage, cette impressionnante force de caractère qu’ils ont démontrée, doivent être pour nous un commandement, une injonction à nous rassembler. Et quoi de mieux que notre texte constitutionnel, le socle même de notre démocratie, pour le faire ?
Face à la menace, face à toutes ces déchirures de notre société – je pense aux actes antisémites, antimusulmans, antichrétiens –, face aux risques de tension, de division, nous devons être forts, donc unis, parce que nous sommes en guerre, parce que nos soldats sont engagés en Syrie et en Irak.
Et ce qui fait notre unité, ce sont nos valeurs, notre État de droit, notre tradition républicaine, notre conception ouverte, bienveillante, mais aussi exigeante, de la Nation. La Nation qui doit rester cette adhésion volontaire à ce qui nous unit, cet ensemble de droits, cet ensemble de devoirs auxquels nul ne peut déroger. C’est aussi cela qu’avec la plus grande force, nous rappelons aujourd’hui.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. Dominique Raimbourg, rapporteur et président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la justice, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, le 16 novembre dernier, nous avons su nous rassembler et, par là même, rassembler tout le pays dans une réponse unanime aux attentats qui l’avaient frappé. La révision constitutionnelle qui nous est présentée aujourd’hui est l’occasion de perpétuer ce rassemblement.
La révision constitutionnelle est l’occasion de faire en sorte que notre peuple soit rassemblée, uni et debout face au terrorisme, ce qui est la plus belle et la meilleure réponse que la démocratie puisse apporter à ce genre de comportement.
Cette révision constitutionnelle est l’occasion de nous montrer forts face à ces menaces, mais en même temps de nous montrer justes. C’est le sens de cette révision : être à la fois fort et juste.
Être fort, c’est le sens de l’article 1er qui constitutionnalise l’état d’urgence. En l’inscrivant celui-ci dans la Constitution, il fait en sorte que la totalité des mesures de sécurité qui seront prises désormais ne pourront, dans leur principe, faire l’objet de contestations. Certes, on objectera que le Conseil constitutionnel, à plusieurs reprises, a déjà partiellement validé l’état d’urgence. Mais dès lors qu’il est inscrit dans la Constitution, ces mesures, dans leur principe, ne pourront pas être contestées.
Inscrire l’état d’urgence dans la Constitution, c’est être fort parce que cela rendra difficiles les dérives autoritaires qui viendraient affaiblir nos libertés et pourraient être mises en oeuvre si notre pays tombait dans des mains moins respectueuses de la démocratie que les nôtres.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Et cette constitutionnalisation interdit de revenir en arrière.
Mais, en même temps, il faut être juste et prendre un certain nombre de garanties – vous les avez énumérées, monsieur le Premier ministre – pour faire en sorte que ce régime dérogatoire ne porte pas des atteintes inutiles et excessives aux libertés dans une période qui, par définition et par nature, est forcément restrictive des libertés.
Ces garanties sont apportées. C’est l’interdiction de dissolution de l’Assemblée pendant la durée de l’état d’urgence ; c’est encore la mise en place du contrôle parlementaire et sa constitutionnalisation.
Monsieur le ministre de la justice, vous avez, en qualité de président de la commission des lois, mis en place de façon conjointe, en lien avec l’opposition, un contrôle parlementaire qui a parfaitement fonctionné.
Paradoxalement, dans un interview, M. le Défenseur des droits vous rend hommage lorsqu’il dit : « Je suis inquiet, mais dans le même temps, sur l’ensemble des plus de 3 000 perquisitions qui ont été faites, je n’ai reçu que 49 réclamations ».
Certes, ce sont 49 réclamations de trop, mais statistiquement la preuve est faite que les dérives n’ont pas été trop nombreuses, même si l’on peut concevoir qu’il n’est jamais agréable pour personne d’être perquisitionné et que nous ne devons pas rester trop longtemps dans cet état d’urgence.
La constitutionnalisation c’est aussi l’encadrement des prolongations, ce qui est encore une garantie. Et nous inscrivons aussi dans la Constitution le contrôle par le juge administratif. Cela va de soi, me diront certains d’entre vous. Pour autant, il fallait l’inscrire. Et je vous rappelle qu’il ne figurait pas dans la loi de 1955. N’était prévu qu’un contrôle par des commissions administratives.
C’est cet effort qui nous rend plus forts, parce que précisément nous le faisons avec justice.
Monsieur Popelin, vous n’allez pas engager une discussion avec M. Lellouche ! Laissez parler le rapporteur !
Être fort et juste, c’est donc le sens de l’article 1er, mais cela doit aussi être celui de l’article 2, et je veux bien concevoir que ce soit plus difficile. Car être fort et juste, dans le cadre de l’article 2, cela veut d’abord dire savoir trouver la peine qui convient. La peine, nous l’avons expliqué cent fois, c’est ce qui sanctionne, mais c’est aussi ce qui unit tous ceux qui se comportent correctement. En la matière, la peine doit exprimer notre réprobation et le dégoût que nous inspirent les actes terroristes qui ont été commis. C’est pourquoi nous avons introduit la déchéance de nationalité.
La déchéance de nationalité, cela veut dire deux choses. D’abord, que ceux qui ont commis de tels actes se sont extraits eux-mêmes de la communauté nationale. Et l’on peut se demander s’ils ne se sont pas extraits de l’humanité même, même si cette constatation ne doit pas nous amener à les traiter de façon inhumaine. C’est pourquoi la déchéance de nationalité figure à l’article 2.
Dans le même temps, au moment où l’on prononce cette peine, il faut garder le sens de la mesure et être justes. Vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, aucune distinction n’est faite entre les Français. L’article ne comporte aucune mention qui pourrait signifier qu’il existe une quelconque stigmatisation. La même peine s’appliquera à l’ensemble des Français.
De la même façon, cette peine peut s’appliquer de façon progressive puisque sont prévues à la fois la déchéance de nationalité et la déchéance des attributs de la nationalité. La palette est large pour répondre aux actes terroristes.
Et puis nous prenons des précautions, qui sont celles existant dans la loi d’application. Tout d’abord, cette peine sera réservée aux délits les plus graves.
Ensuite, et c’est important, alors qu’il est déjà possible aujourd’hui, pour certains crimes et délits, de déchoir de leur nationalité des Français qui ont été naturalisés, nous unifions le régime de la sanction à l’encontre de l’ensemble des Français, quel que soit leur mode d’acquisition de la nationalité.
Enfin, nous prévoyons le contrôle du juge. La déchéance de nationalité sera désormais prononcée par le juge pénal à titre de peine complémentaire, un juge qui, ayant connaissance de l’ensemble des faits qui sont reprochés, modulera la sanction pénale et pourra l’assortir d’une déchéance. Vous le voyez, nous introduisons des garanties qui jusqu’alors n’existaient pas.
Voilà l’essentiel de ce projet de révision constitutionnelle.
Mes chers collègues, mais je ne suis pas certain qu’il me faille vous appeler mes chers collègues, non que vous ne me soyez pas chers ou que vous ne soyez pas mes collègues, mais parce qu’un peu de solennité conviendrait mieux pour terminer mon exposé. Nous sommes ici les représentants de la Nation et, à ce titre, je veux vous appeler « mesdames, messieurs les députés » pour vous dire que je nous souhaite, à l’occasion de cette révision constitutionnelle, d’être à la fois justes et forts. C’est ainsi que nous aiderons notre pays à résister aux menaces que nous a décrites M. le Premier ministre.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
J’ai reçu de Mme Cécile Duflot une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à Mme Cécile Duflot.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous vivons des heures lourdes, l’un de ces moments où chacun, chacune, doit personnellement porter sa part de vérité pour assumer ses responsabilités. Alors, je pèse mes mots. Et pour énoncer en une phrase ce que je pense du sujet qui nous occupe, j’emprunte les mots, souvent cités, de Montesquieu : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ».
Que n’a-t-il été entendu par le Gouvernement, comme d’autres voix plus actuelles, celle de Pierre Mazeaud et ce matin celle de Robert Badinter, qui disent l’inutilité de ce texte ! Cela nous aurait dispensé de l’épreuve que nous traversons ensemble.
Oui, c’est bien d’une épreuve politique qu’il s’agit. De celles qui déterminent le destin d’une Nation. De celles qui révèlent – ou pas – la capacité d’un pays à tenir bon sur ses valeurs fondamentales ou, au contraire, sa faiblesse de se laisser entraîner par les tourments de l’histoire.
Oui, nous aurions pu nous en dispenser. Pardon de le dire avec vigueur et sans précautions oratoires, mais ni l’état d’urgence ni la déchéance de nationalité ne requièrent une révision constitutionnelle.
Sur l’état d’urgence, le Conseil constitutionnel a répondu dès 1985 aux objections, et à nouveau en décembre 2015.
La déchéance de nationalité ne requiert pas davantage de modification constitutionnelle. Les décisions du Conseil constitutionnel de 1996, puis de janvier 2015 sont venues la conforter. Et l’article 23-7 du code civil prévoit déjà que « Le Français qui se comporte de fait comme le national d’un pays étranger peut, s’il a la nationalité de ce pays, être déclaré par décret (…) avoir perdu la qualité de Français ». J’y reviendrai.
La révision est donc tout simplement inutile…
…parce qu’elle place notre Constitution, c’est-à-dire notre socle commun, sous le joug de la contingence.
Or, l’article 89 de la Constitution prévoit justement que les révisions constitutionnelles sont impossibles lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. On ne peut réformer sereinement la Constitution dans ces conditions. Quand des troubles nous assaillent, le sujet doit être non pas de modifier la Constitution, mais de la protéger et de la préserver.
Nous devons raison garder et nous prémunir de toute forme d’emportement. Je présenterai en fin de texte un amendement permettant d’étudier la conformité des procédures de révision constitutionnelle, parce que nous sommes en train de commettre un précédent qui pourrait être fâcheux.
L’étude par le Conseil des révisions, entre le vote de la loi constitutionnelle et son approbation par le Congrès ou par le peuple, est nécessaire. Nul besoin de prévoir de supra-constitutionnalité. Il s’agit simplement de s’assurer de la validité des procédures de révision et d’éviter, comme le souhaitait vivement Guy Carcassonne, un « blanc-seing donné par avance à n’importe quelle révision votée n’importe comment, par n’importe qui, dans n’importe quelles circonstances ».
De quoi est-il ici question ?
L’article 1er crée un nouvel article 36-1, après l’article 36 sur l’état de siège, qui inscrit dans la Constitution la possibilité de décréter l’état d’urgence. Il reprend la rédaction suggérée par le Conseil d’État. Je l’ai dit, il est curieux d’avoir à étudier une réforme constitutionnelle sur l’état d’urgence lorsqu’on se trouve en état d’urgence.
Dans sa décision du 22 décembre, le Conseil constitutionnel a considéré que cette constitutionnalisation n’était pas indispensable. Je cite le huitième considérant : « La Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence ».
Loin d’être une garantie supplémentaire en matière de libertés, comme cela nous a été dit, la constitutionnalisation aurait comme effet utile d’alléger une partie des garanties constitutionnelles, qui seraient alors mises sur le même plan. Comme l’indique le rapport, la constitutionnalisation autorisera une vaste révision des mesures dérogatoires prévues par la loi de 1955.
Selon le Gouvernement, cette constitutionnalisation de l’état d’urgence est nécessaire pour une nouvelle modification de la loi de 1955 qui permettrait la retenue administrative d’une personne perquisitionnée ou autoriserait la saisie administrative d’objets et d’ordinateurs durant les perquisitions administratives.
Il est donc faux d’affirmer, comme cela a été fait avec une légèreté proche de la désinvolture, que le Gouvernement se contente de constitutionnaliser un régime existant. Il vise au contraire à l’alourdir, à l’affranchir des limites constitutionnelles actuelles et à passer par-dessus le pouvoir judiciaire. Il me paraît néfaste de s’engager plus avant dans cette voie.
Des magistrats ont ainsi alerté à raison sur le recul de leurs pouvoirs. On aurait tort de faire peu de cas de leurs alertes.
Dans le même temps, des pouvoirs essentiels ont été transmis aux parquets ou aux préfets. La loi relative à la lutte contre terrorisme de 2014, la loi relative au renseignement ou encore le prochain projet de loi de réforme de la procédure pénale sont des éléments lourds de cette tendance.
L’état d’urgence en est le cas le plus abouti, et certainement le plus grave.
Nous avons également regretté le refus de la commission des lois de prévoir que la loi qui fixera les modalités de l’état d’urgence, non son déclenchement ou sa prolongation, serait une loi organique et non une loi simple. En novembre, lors de la prolongation de l’état d’urgence, nous avons modifié ce régime en toute hâte – en presque 48 heures –, en l’alourdissant de mesures importantes comme le blocage administratif des sites internet, l’extension des possibilités de dissolution d’associations ou le placement sous surveillance électronique des assignés à résidence – je l’avais relevé lors des débats. Ces ajouts ont été faits dans des délais très brefs, pour que le Parlement ne puisse pas pleinement prendre conscience de l’ampleur des changements votés.
Dans le même temps, monsieur le Premier ministre, vous demandiez au Sénat de ne pas saisir le Conseil constitutionnel du texte, évoquant le risque qu’il y avait à le faire. Je regrette que ces propos aient été tenus. Ils dénotent une dérive inquiétante : le Conseil constitutionnel n’est pas un risque ; c’est un garde-fou essentiel de notre vie démocratique.
Dès lors que la loi de 1955 est actualisée et stabilisée, il semble indispensable de garantir que les prochaines réformes se feront dans des délais minimaux satisfaisants – nous parlons de quinze jours – et avec un contrôle systématique de constitutionnalité.
J’en viens maintenant à la question de la déchéance de nationalité. L’article 2 modifie l’article 34 de la Constitution, qui porte sur le domaine de la loi. Cet article 34 prévoit actuellement que la loi fixe notamment les règles concernant la nationalité. L’article 2 du projet de loi initial ajoute qu’il fixerait notamment « les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». C’est, là aussi, une reprise de la rédaction suggérée par le Conseil d’État, afin d’éviter de créer un article uniquement consacré à la déchéance de nationalité dans la Constitution.
Toutefois, je note qu’au sein de l’article 3, la nationalité serait séparée des autres champs du code civil, comme si l’on refaisait un code de la nationalité. Cette rédaction, comme vous l’avez dit, n’est évidemment plus d’actualité.
En la matière, le Gouvernement n’a cessé d’évoluer dans ses rédactions, multipliant hésitations et formulations.
L’objectif du Gouvernement, comme l’exposé des motifs le rappelle, est de lever une inconstitutionnalité qui résulterait d’une éventuelle reconnaissance par le Conseil constitutionnel d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Oui, nous parlons bien d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Il est également possible que la déchéance d’une personne née française soit considérée par le Conseil comme une disproportion excessive entre la gravité des faits en cause et la sévérité de la sanction. Au-delà du « lit de justice constitutionnelle », je note que nous allons inclure à l’article 34 de la Constitution un élément fondamentalement contraire à l’article 1er qui prévoit que « la France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Notre collègue René Dosière a utilement rappelé en commission que la déchéance de nationalité figurait dans la majorité des constitutions de la Première République.
C’est vrai. Mais c’est oublier que le dernier régime à l’avoir massivement utilisé fut le régime de Vichy.
Exclamations.
Il ne s’agit pas ici de faire des parallèles hasardeux, mais, que cela vous plaise ou non, il s’agit de rappeler un traumatisme de notre histoire, né dans un Parlement composé de parlementaires français. Oui, c’est ce qui nous est arrivé !
Il ne s’agit pas ici de ne pas regarder en face qu’à la Libération, ceux qui ont reconstruit notre pays ont préféré à la déchéance le crime d’indignité nationale, avec une peine associée. C’est la vérité historique !
Notre droit prévoit déjà tant la perte, qui sanctionne un état de fait, que la déchéance de nationalité. Mais l’un comme l’autre excluent l’apatridie. En effet, la perte de nationalité, prévue aux articles 23 à 23-9 du code civil, résulte d’un acte volontaire ou d’une situation de fait. La déchéance de nationalité résulte, elle, d’une décision de l’État, et est prévue par les articles 25 et 25-1 du code civil. Elle ne concerne pour l’instant que les personnes binationales naturalisées françaises depuis moins de dix ans ou quinze ans ayant été condamnées pour différentes infractions graves.
Actuellement, la loi ne prévoit pas la déchéance des personnes binationales née françaises. Cette distinction dans la déchéance entre Français de naissance et Français d’acquisition se justifie par un rapport différent à la nationalité. Dès lors, la déchéance est une mesure décidée par l’autorité administrative qui avait précédemment fait un choix, celui de naturaliser la personne.
Tel est l’objet principal désormais de cette révision constitutionnelle : inscrire la déchéance de nationalité de personnes nées françaises au sein même de notre pacte fondamental, la Constitution.
Au moment même où la Nation a besoin d’être rassemblée, elle est divisée. Pour ne pas inscrire dans le marbre constitutionnel cette inégalité, tout en la maintenant dans les faits – ou peut-être finalement en ne l’y maintenant plus –, le Gouvernement a décidé de proposer une troisième rédaction de l’article 2, associée à un projet de loi.
Les exégètes amateurs ont fait deux lectures différentes de cet amendement. La première est que cette rédaction neutre, tautologique, n’emporterait aucun effet utile en ne précisant pas les cas pour lesquels l’inconstitutionnalité devrait être levée. La seconde, partagée par le Gouvernement, est plus inquiétante. Le projet de loi ne ferait plus de différence entre les personnes nées françaises et les Français par acquisition. Il n’évoquerait plus non plus la question des binationaux. Comme je l’ai entendu de votre bouche, monsieur le Premier ministre, cette question ne serait renvoyée qu’au projet de loi simple, modifiable par n’importe quelle assemblée, dans n’importe quelles circonstances, et aux engagements internationaux de la France qui interdisent l’apatridie.
Nous aurions nous-mêmes peur d’interdire l’apatridie, alors nous nous réfugierions, mollement et faiblement, derrière des engagements internationaux, derrière une ratification, qui n’a pas été faite en 1961.
Avec la nouvelle rédaction du Gouvernement, la protection contre cette abomination est donc gommée dans la Constitution. Elle serait éventuellement renvoyée à la ratification de conventions, celle de l’Organisation des Nations unies de 1961 ou celle du Conseil de l’Europe de 1997. Mais une protection constitutionnelle est toujours préférable à une convention, que la France n’a signée qu’avec réserve, ou à une simple mention dans la loi.
La nouvelle version permettra également, ce qui est encore plus grave, la déchéance pour de simples délits,…
…là où le projet de loi initial se limitait au crime. Bien que l’avant-projet de loi simple ait une lecture restrictive de ces délits – en dehors des cas liés au terrorisme, combien de déchéances de nationalité ont-elles été prononcées depuis trente ans ? –, rien ne nous garantit qu’une autre majorité ne modifiera pas ce qui reste un avant-projet. Je rappelle que nous avons voté, ici même, que l’apologie du terrorisme pourrait être punie de sept ans de prison. Ce délit peut facilement entrer dans la définition constitutionnelle et être considéré comme un délit portant une atteinte grave à la vie de la Nation. Ce concept de vie de la Nation est d’ailleurs peu défini, différent des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation. Ce n’est pas cette rédaction qui a été choisie.
Par ailleurs le projet de loi prévoit que la déchéance de citoyenneté serait une peine complémentaire, décidée par un juge, sous la pression que nous connaissons.
Quant à l’efficacité de cette mesure dans le combat contre le terrorisme, qui doit nous rassembler, à chaque instant et sans mollir, tous s’accordent à dire qu’elle sera au mieux purement symbolique, au pire totalement contre-productive.
Vous-même l’avez écrit, monsieur le garde des sceaux, dans vos anciennes fonctions :…
…la mesure peut accroître la martyrologie de ceux qui se dressent contre notre pays et contre ses valeurs.
Ainsi, une personne déchue de sa nationalité n’est même pas obligatoirement expulsée. Plusieurs personnes déchues de leur nationalité ces dernières années ne sont pas expulsables vers l’Algérie, du fait des risques de tortures. Elles enchaînent les assignations à résidence sur notre territoire.
En 2010, le Gouvernement avait prévu dans un projet de loi d’étendre la déchéance aux meurtriers de policiers. La gauche s’était alors fortement mobilisée contre, et avec quels arguments ! Si la mesure que nous étudions aujourd’hui était présentée par un gouvernement issu de l’opposition actuelle, je pense que ce ne serait pas moi qui parlerais devant vous, mais le président du groupe socialiste, républicain et citoyen, et peut-être même avec des mots encore plus imposants. Voilà la vérité !
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste. – « C’est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Au Sénat, une partie de la droite et une partie du centre avaient pourtant approuvé cette mesure, mais le Gouvernement avait finalement accepté le retrait de l’article. Ce que la droite a fait, sur un sujet si fondamental pour notre pays, la gauche n’en serait-elle pas capable ? Il le faut pourtant.
Notre vieille nation à besoin de pondération et d’esprit de concorde pour résister au vent mauvais qui souffle sur tout le continent. Une loi de circonstance, concoctée à la hâte risque de venir altérer la conception que nous avons de l’égalité de tous les Français devant la loi.
On me dit, et l’on dit souvent, que les Français sont majoritairement acquis à l’idée de la déchéance de nationalité. Cette pseudo-majorité puise sa source dans l’écoeurement légitime qui envahit chacun de nous quand nous imaginons que des Français s’en prennent à d’autres Français. On est tenté de se dire que s’ils ont prêté leurs bras meurtriers à la haine c’est qu’au fond, ils n’étaient pas vraiment Français, puisque d’ailleurs ils avaient notre pays en horreur. Alors pourquoi refuser de les déchoir d’une nationalité qu’eux-mêmes récusent violemment ?
Parce qu’à cet instant précis, mes chers collègues, nous emprunterions le chemin de nos ennemis. Notre conception de la nationalité en ressortirait à jamais blessée. Notre vivre ensemble serait marqué à perpétuité par l’esprit de suspicion qui distinguerait les Français en catégories. Inscrire la déchéance dans notre Constitution, c’est au fond laisser l’insensé dire le sens commun, laisser l’aliéné prescrire l’ordonnance, laisser le fanatique décider d’un traitement qui nous empoisonnerait tous. Leur haine ne saurait dicter notre conduite collective.
Tenons la déchéance pour ce qu’elle est, une diversion commode mais inefficace, et attachons-nous plutôt à rebâtir un esprit républicain trop longtemps délaissé. La priorité n’est pas la révision de la Constitution ; c’est la réinvention de la République.
Car la République n’est pas une idée morte. Elle est notre maison commune. Ses fondations sont solides, mais son visage est aujourd’hui défiguré par la montée de l’esprit de sécession, par les divisions, par les communautarismes étouffants. Parce que nous ne disons plus ensemble ce que signifie être Français, nous vivons un temps d’hypertrophie des identités particulières.
Or la République est le régime qui, sans abolir les identités singulières, les transcende en une identité plus haute. Elle est donc plus que jamais d’actualité. La République est une tension vers le commun : elle ne souffre aucun relâchement. La République est un combat qui se mène dans le ciel des idées, mais aussi dans la glaise des conditions matérielles d’existence de nos concitoyennes et concitoyens.
Après janvier 2015, monsieur le Premier ministre, vous aviez eu des mots très forts pour dénoncer les inégalités de condition, parlant même d’apartheid. Au choc des mots a succédé le vide des actes. Pourquoi ? Pourquoi une telle inconsistance des politiques publiques ? Pourquoi des quartiers laissés à l’abandon, qui méritent autre chose que l’éternel mensonge d’une égalité toujours évoquée et jamais mise en actes ?
Que l’on me comprenne bien à cet instant : je ne dis pas un seul instant que le terrorisme est le fruit d’un déterminisme social qui dédouanerait les auteurs de ces crimes odieux de leur fardeau de sang. J’affirme, au contraire, que, dans la guerre de mouvement qui nous oppose aux terroristes semeurs de mort, la question première est de les empêcher d’enrôler les esprits faibles, perdus, ivres d’ignorance et de haine qui les rejoignent. Certains ont dit qu’il ne fallait pas chercher à comprendre, qu’il n’y avait rien à comprendre. Je veux ici plaider le contraire et affirmer que notre devoir d’élucidation de ce qui nous arrive n’a jamais été si grand. Parce qu’en vérité notre sécurité passe autant par le renforcement de mesures policières que par la déconstruction minutieuse des procédés par lesquels on fabrique un terroriste.
Vous ne pouvez rien contre un gosse de dix-sept ans qui a décidé de poser une bombe quelque part.
Tout effort contre lui se retournera contre vous. « Mettre une violence contre la violence, c’est la chose la plus sotte qui puisse être faite. Il faut tenter de retirer le point douloureux ». Ces mots sont de Germaine Tillion, qui a voulu qu’ils soient lus lors de ses obsèques, en avril 2008, en présence de notre ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy.
Vous ne pouvez quand même pas comparer la Résistance au djihad ! C’est incroyable !
Germaine Tillion parlait de l’Algérie, dont elle était l’une des plus grandes connaisseuses. Je me garderai bien de donner des leçons à qui que ce soit, et, dans notre histoire, à ceux, conduits au Panthéon, qui ont vécu dans leur chair, mieux que nous, ce qu’il convenait de faire dans des périodes troublées. Il y a, je le sais, sur tous les bancs de cette assemblée, des hommes et des femmes de conviction,…
…il y a des démocrates sincères et libres, qui font passer la fidélité à leurs convictions avant la discipline de parti. Ce n’est pas une question de droite ou de gauche, même si chacun, sans doute à cet instant, puise dans sa propre tradition de pensée les arguments pour s’opposer à cette révision de la Constitution. Cela ne doit pas être davantage une question de calcul politicien.
Nous voyons d’ailleurs bien que la gauche, en voulant mettre un adversaire dans l’embarras, a jeté nos valeurs aux oubliettes. Ce qui doit nous animer, c’est une question de conception de notre démocratie. Nous sommes ici les garants de la Constitution. Nous devons refuser de voter une réforme qui, pour la première fois, réduit sensiblement nos libertés. Voilà en vérité l’enjeu du débat qui s’ouvre.
Et voilà ce qui m’amène à demander le rejet de ce projet de révision constitutionnelle. La France mérite mieux que cette palinodie que nous vivons depuis plusieurs semaines,…
…qui nous voit abjurer nos valeurs pour afficher le masque de l’autoritarisme. La tyrannie de la communication nous fait perdre la tête. Nous mimons la guerre au lieu de la mener avec la meilleure de nos armes : la démocratie, celle que les terroristes ont prise pour cible. L’État de droit est une force ; il n’est pas une faiblesse.
L’état d’urgence ne saurait devenir un état d’exception permanent. Ou alors, sans le dire, nous changerions de régime, insidieusement, mais en basculant durablement dans une forme d’arbitraire érigée en système.
Je comprends que l’on pense différemment, mais serait-il possible, à cet instant, que cessent injures, quolibets et caricatures qui visent à enfermer ceux de nous qui défendent ici, comme je le fais, les grandes valeurs qui sont au coeur de notre République, dans le rôle de naïfs angéliques n’entendant rien aux affaires de sécurité nationale ?
Oui, c’est par la peur d’un discours contraire que l’on fait taire ceux qui s’interrogent. Il en est toujours ainsi. Mais la naïveté, c’est de croire que la modification proposée de notre Constitution ne blessera pas durablement notre démocratie et nous protégera magiquement des attaques terroristes. Nous sommes engagés dans un cycle de long terme. Le courage commande de le dire, plutôt que d’agiter des symboles mal maîtrisés. Par temps de crise, l’unité demeure notre bien le plus précieux et, je l’ai dit à Versailles, devant vous tous, elle ne doit pas nous faire hésiter. Mais la réforme proposée divise profondément. Je ne peux m’empêcher de penser que notre pays vient de gâcher une occasion historique de refonder le contrat qui nous lie. Le débat aurait dû porter sur ce qui nous rassemble, sur les moyens de conjurer ensemble les menaces qui nous accablent, de nous défaire des maux qui nous signent. Nous y étions disposés. Les parlementaires et les Français ont joué le jeu de l’unité nationale, et nous avons récolté en retour une proposition dont les arrière-pensées tacticiennes apparaissent chaque jour davantage comme un fiasco collectif.
Désormais, comme un canard sans tête courant en tous sens à la recherche de compromis boiteux qu’il n’est même plus capable d’assumer publiquement – comme l’attestent les propos du porte-parole du Gouvernement –, le Gouvernement cherche une porte de sortie pour s’échapper du piège qu’il s’est tendu à lui-même. À la vérité, il y en a une, monsieur le Premier ministre : le retrait pur et simple de ce projet de révision constitutionnelle inutile et dangereux. Les plus éminents juristes, je l’ai dit, ont exprimé oppositions et réserves sur ce texte. Mais j’ai entendu vos propos : le retrait du texte se heurterait à un « serment » fait à Versailles.
Le discours du Président, pris dans sa lettre, affirmait pourtant deux choses : il n’était pas question d’introduire la déchéance de nationalité dans la Constitution et, surtout, il fallait éviter de créer des apatrides. C’est le contraire de ce soi-disant serment qui est ici proposé.
Je veux le dire avec un peu de gravité : nous sommes en démocratie, et c’est le Parlement qui vote la loi. Si ce palais de la République forme clôture pour le Président d’icelle, c’est pour ne jamais être subordonné à un seul. Mais c’est pourtant le Président de la République que je vais citer : le 27 mai 2015, jour où deux hommes et deux femmes entraient au Panthéon pour être, selon ses mots, « donnés en exemple à la France tout entière pour inspirer les générations nouvelles », la France – je le cite à nouveau – avait « rendez-vous avec le meilleur d’elle-même ».
J’ai cité Germaine Tillion, mais c’est à présent son amie de Ravensbrück que je veux prendre en exemple. Cette vieille dame frêle a parlé ici même, à cette tribune. Cette femme qui a vécu les pires horreurs de la déportation a dit, à cette place exacte, le 15 avril 1997 : « Après les terribles épreuves que lui ont fait subir l’oppression nazie et celle de ses complices de Vichy, la France a resouscrit à un pacte avec les valeurs républicaines. »
Puisque nous vivons aujourd’hui une nouvelle montée d’atteintes aux valeurs fondatrices de notre République, il ne sert à rien de les défendre morceau par morceau, tout en tolérant par ailleurs des reculs. La seule riposte possible, la seule voie consiste à nous rassembler et à mettre en oeuvre plus de démocratie. La démocratie, ici, c’est vous, chers collègues, et moi. Elle nous oblige. Elle est entre les mains de chacune et de chacun d’entre vous, en conscience. Geneviève de Gaulle-Anthonioz aimait à citer Georges Bernanos, un homme qui n’a pas hésité à penser et à agir contre sa famille quand l’assignation prudente à l’obéissance semblait être l’évidence confortable.
Ce sont ses mots que je vous laisse ici, ce matin tranquille et peut-être banal de février, qui pourrait finalement être celui qui a ouvert une plaie qui risquerait de devenir béante dans notre pacte commun : « L’honneur est un instinct, comme l’amour. »
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Madame la présidente Duflot, je vous ai évidemment écoutée avec attention. Ici, il n’y a que des républicains, des hommes et des femmes de conviction qui aiment leur pays, qui aiment la France, ses valeurs, qui connaissent bien l’histoire de notre pays et qui sont d’ailleurs attentifs dans tous les choix, tous les actes que nous faisons. C’est, bien sûr, le rôle du Gouvernement – tel est en tout cas son engagement – de respecter l’État de droit, nos libertés fondamentales et nos valeurs.
La constitutionnalisation de l’état d’urgence avait été demandée par le comité Vedel en 1993 et – comme le Président de la République, que vous aimez à citer, le rappelait dans son intervention devant le Congrès – par le comité présidé par Édouard Balladur, en 2008, mais cette proposition n’avait finalement pas été retenue. Au sein du comité Balladur siégeait Guy Carcassonne, qui a disparu il y a trois ans, et avec lequel je partageais bien des analyses et des combats. Ces deux comités, Vedel et Balladur, proposaient donc de constitutionnaliser l’état d’urgence. Il est d’ailleurs assez étonnant de considérer – tel était le constat formulé par le comité Balladur – que les deux états de crise – l’article 16 et l’état de siège – figurent dans la Constitution, tandis que le troisième, qui serait amené à être utilisé plus fréquemment, ne le serait pas.
J’ai confiance dans le Conseil constitutionnel. J’ai uniquement souhaité que l’on aille vite. Vous savez d’ailleurs aussi bien que moi, madame la présidente Duflot, que le Conseil constitutionnel, grâce à la réforme de 2008, peut être davantage saisi.
Puisque vous aimez à le citer, vous auriez d’ailleurs pu rappeler que le Président de la République – c’est la première fois depuis 1958 que cela se fait sur une loi ordinaire – a saisi le Conseil constitutionnel sur la loi renseignement, qui a été adoptée par une immense majorité de parlementaires, à l’Assemblée et au Sénat. Et, à quelques dispositions près, qui ont été corrigées, ce texte a été validé par le Conseil constitutionnel. Or, vous n’avez cessé – ce qui est votre droit – de combattre cette loi, au motif qu’elle serait « liberticide », alors qu’elle offre des moyens supplémentaires à nos services de renseignement dans cette guerre contre le terrorisme.
Oui, en effet, comme l’a rappelé il y a un instant Dominique Raimbourg, président de la commission des lois et rapporteur du projet de loi de révision constitutionnelle, il faut constitutionnaliser l’état d’urgence pour mieux garantir son encadrement par la loi fondamentale, dans le cadre de notre État de droit.
Madame Duflot, vous affirmez, à propos de l’article 2 et de la déchéance de nationalité, que la révision constitutionnelle ne serait pas utile, et qu’elle serait même dangereuse, en faisant un certain nombre de références au passé et en citant des grandes voix, qui nous impressionnent et nous impressionneront toujours. J’ai rappelé, il y a un instant, la tradition républicaine ; j’aurais pu également citer les choix effectués par la Première République, mais je suis parti de la Deuxième République. J’ai rappelé les lois ou les décrets-lois qui ont été adoptés au cours de la première partie du XXème siècle. J’ai aussi rappelé le rétablissement d’un régime normalisé de la déchéance de nationalité, à la Libération, par ces gouvernements qui regardaient eux aussi la vérité en face, et qui sortaient de cette période sombre. Mais je veux le rappeler : Vichy, ce n’est pas la République !
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
C’est une part de la France, mais ce n’est pas la République, et aucun d’entre nous ne peut se sentir, en quelque façon que ce soit, engagé par les actes de ce régime. Et puisque vous disiez, à très juste raison, qu’il fallait sortir des quolibets, des approximations et des caricatures, je vous demande seulement, dans le rappel qui est fait de cette période sombre, de ne pas associer la démarche et la volonté du Gouvernement, et de quiconque se trouvant dans cette assemblée, avec cette période qu’aucun de nous ne peut supporter.
Mêmes mouvements.
Comment expliquer l’avis du Conseil d’État du 11 décembre 2015, selon lequel la déchéance de nationalité des Français par la naissance relève d’une modification de la Constitution ? Vous faites état, et c’est normal, de la nécessité de rappeler cet article fondamental de la Constitution, qui rappelle cet autre principe fondamental de la nation et de la République qu’est l’égalité. Mais le principe d’égalité n’est pas contredit par les dispositions soumises à votre examen concernant la déchéance. En effet, aujourd’hui, seuls des Français naturalisés peuvent être déchus de leur nationalité, à condition qu’ils soient binationaux. Plusieurs déchéances de binationaux ayant acquis la nationalité française sont d’ailleurs intervenues, pas uniquement au cours de la période actuelle, mais également au cours d’autres périodes marquées par le terrorisme, notamment sous la présidence de Jacques Chirac, où la France a hélas connu une campagne terroriste de grande ampleur. Bernard Cazeneuve et moi-même, lorsque j’étais ministre de l’intérieur, avons pris un certain nombre de décisions à ce sujet. Vous étiez d’ailleurs vous-même au Gouvernement, si je ne me trompe, lorsque j’ai engagé ces déchéances. C’était votre droit de ne pas les accepter, mais il s’agissait, là aussi, de déchoir de leur nationalité des Français binationaux ayant acquis leur nationalité. Au regard du principe d’égalité, madame Duflot, je considère qu’un Français ayant acquis sa nationalité – je parle d’expérience – est tout aussi français qu’un autre compatriote ayant obtenu sa nationalité d’une autre façon.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Au nom même de cette égalité, je pense qu’il faut inscrire cette mesure dans la Constitution : c’est ce que nous faisons avec la nouvelle rédaction de l’article 2 adoptée par la commission des lois.
Madame la présidente Duflot, je partage votre point de vue, la nation a besoin d’être rassemblée, et il me semble qu’elle l’est, fondamentalement. Les attentats du mois de janvier 2015 donnèrent lieu à la grande manifestation du 11 janvier. D’une manière plus générale, les Français se sont, à nouveau, pleinement approprié tous les symboles de la République. Après les terribles attentats du 13 novembre, qui ont voulu frapper la nation, la France, non seulement ses valeurs, mais aussi son art de vivre, sa jeunesse, c’est-à-dire son avenir, les Français se sont plus que jamais réapproprié la nation. Je l’ai dit devant votre assemblée, le 13 janvier : un certain nombre d’entre nous pensons que nous avions oublié, depuis trop longtemps, de parler collectivement de cette belle idée de nation, comme si les frontières n’existaient plus, comme si, dans un monde global, les appartenances, ce que nous sommes, notre histoire, nos valeurs communes, avaient disparu. Je suis heureux de cette réappropriation, tout comme de ce que vous avez dit il y a un instant sur la République et la nation. Oui, la nation a besoin d’être rassemblée autour de nos valeurs, elle a besoin que l’on soit patriote, que l’on brandisse le drapeau français, que l’on rappelle quels sont les symboles et les devises de la République, que l’on chante La Marseillaise – oui, madame Duflot, je suis heureux que chacun renoue avec cette tradition qui a été trop souvent oubliée, y compris à gauche.
Oui, bien sûr, la nation doit être rassemblée, mais elle a aussi besoin d’être protégée. En effet, de qui parlons-nous, madame Duflot ? Nous parlons de terroristes, qui ont pris les armes, qui se sont engagés dans une armée étrangère et qui tuent d’autres Français. Nous parlons d’eux, nous ne parlons de personne d’autre !
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Nous ne parlons pas de binationaux, nous ne parlons pas d’autres Français, nous parlons de terroristes. La nation a donc besoin non seulement d’être rassemblée, mais aussi d’être protégée, ce à quoi tendent tous les choix que nous faisons depuis 2012, et que nos prédécesseurs ont pu aussi être amenés à faire, les deux lois qui ont été votées – celle relative à la lutte contre le terrorisme et la loi sur le renseignement – et le projet de loi qui va être présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice, ici même, dans quelques semaines, après avoir été examiné par le Conseil d’État et préparé depuis des semaines, pour ne pas dire des mois, par Christiane Taubira – qui l’a elle-même approuvé en conseil des ministres. Ce projet de loi qui a été complété par des dispositifs présentés par le ministre des finances et par le ministre de l’intérieur donnera, de fait, plus de moyens aux policiers, aux gendarmes et aux juges. Mais, comme le rappelait hier, encore une fois, le garde des sceaux, dans une interview au journal Le Parisien –, ce texte sera appliqué dans le respect de la Constitution, c’est-à-dire du rôle de la justice et du juge. Au-delà des débats que nous avons, madame Duflot, tous les actes que nous accomplissons respectent l’État de droit et les libertés.
Enfin, nous traversons des circonstances exceptionnelles. Et c’est sur point, me semble-t-il, qu’il y a une grande différence entre nous. Nous sommes dans un monde qui a profondément changé, qui nécessite de l’engagement, de la clarté, qui nécessite de sortir de toutes les ambiguïtés. Les débats fondamentaux de notre société, sur ce qu’est la nation, ce qu’est être français, ont bien été soulevés. Le rôle et la place des religions sont également débattus. Il y a un questionnement, ce qui est normal, avec l’Islam et au sein de l’Islam. Il y a un questionnement sur l’avenir de la jeunesse. Aucun d’entre nous ne fera une analyse lapidaire de ces mouvements. Nous sommes tous en réflexion, nous cherchons les solutions, nous tâtonnons parfois, parce qu’il faut apporter une réponse. Quand il y a des centaines, des milliers de jeunes, madame Duflot, qui sont gagnés par cette radicalisation, quelle est la réponse ?
Je vous ai écoutée attentivement, madame Duflot. Comme l’a dit très justement Dominique Raimbourg voilà quelques instants, la réponse doit être juste et forte. Elle doit être forte et juste. La Nation, la République, la France, dans ces moments-là, doivent se rassembler autour de ces principes : la force, pour combattre le terrorisme, pour gagner cette guerre, et la justice, parce que c’est au nom de l’État de droit, de la démocratie et de nos valeurs que nous gagnerons cette guerre. Tel est l’engagement du Gouvernement.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Nous en venons aux explications de vote sur la motion de rejet préalable.
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Notre groupe voit deux motifs de ne pas adopter cette motion de rejet préalable.
Premièrement, le texte comporte deux articles. En votant la motion de Mme Duflot, nous rejetterions l’article 1er du projet de loi constitutionnelle, alors que, comme cela a déjà été dit à la tribune, et nous aurons l’occasion d’y revenir, nous avons besoin d’assortir l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution de garanties quant à sa mise en oeuvre. Nous en avons d’autant plus besoin que, depuis 2008, les questions prioritaires de constitutionnalité peuvent parfaitement conduire à une interprétation de l’application de l’état d’urgence différente de celle qui est livrée dans les deux décisions du Conseil constitutionnel. De notre point de vue, nous en avons surtout besoin parce qu’inscrire dans la loi fondamentale que l’État peut se voir octroyer des moyens exceptionnels pour faire face à un événement d’une gravité exceptionnelle nécessite de garantir aux Français que jamais, quelles que soient les majorités qui se succéderont, un tel dispositif ne pourra être utilisé pour remette en cause notre système démocratique. Or, adopter la motion qui nous est présentée reviendrait à éliminer cette garantie des libertés publiques et de notre système démocratique qui est l’objet même de l’article 1er et de la constitutionnalisation de l’état d’urgence.
Deuxièmement, et nous y reviendrons longuement au cours du débat, la déchéance de nationalité n’est pas une mesure antirépublicaine, elle n’est pas étrangère à notre histoire. Ce n’est pas quelque chose qui classerait les uns du bon côté des valeurs morales et nationales et les autres du mauvais côté. La déchéance de nationalité a plusieurs fois été appliquée dans notre histoire, précisément comme symbole de l’attache que chacun porte aux valeurs les plus fondamentales et les mieux partagées de la nation.
Telles sont les deux raisons pour lesquelles nous voterons contre cette motion de rejet.
Chers collègues, permettez-moi de préciser en préambule de mon explication de vote que je ne représenterai qu’une partie de la majorité du groupe sur ce sujet.
Pour montrer que Mme Duflot a raison, je m’appuierai sur les propos tenus par Mme Mireille Delmas-Marty – je suppose que tout le monde ici la connaît – au cours d’une audition menée mardi dernier par la commission des affaires européennes et par lesquels celle-ci nous expliquait pourquoi elle pensait que cette réforme constitutionnelle était une erreur.
Tout d’abord, l’article 1er du texte introduirait un déséquilibre entre les trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, au profit de l’exécutif, ce qui serait une nouveauté grave pour notre République.
Ensuite, le deuxième argument, qui concerne la déchéance – j’ai toute légitimité à le rappeler en tant que présidente de la commission des affaires européennes – tient au fait que la Cour européenne des droits de l’homme pourrait juger que le texte n’est pas conforme à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment à ses articles 8 et 3. Le projet restreint tout d’abord de manière excessive le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8. Il serait ensuite une violation de l’article 3 en ce qu’il permettrait de renvoyer des personnes déchues de la nationalité française dans des pays où la torture est pratiquée.
Comme cela a été rappelé également au cours de l’audition, un parricide, qui commet le pire des crimes, tuer son père, conserve sa nationalité. Choisir son sol ou être né sur un sol revient en quelque sorte à être de son père. De ce point de vue, la nationalité est une qualité dont on ne peut déchoir un individu.
En conclusion, il me semble que cette proposition de réforme constitutionnelle a été avancée sous le coup de l’émotion et qu’il est temps aujourd’hui de revenir en arrière, car nous sommes revenus à la raison.
La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, la Constitution est la loi fondamentale de la République. Elle est l’ossature de nos institutions. On ne peut la modifier que pour des raisons majeures, car de sa stabilité dépendent et sa force, et sa pérennité.
En 2008, le Parlement a accepté la modification de la loi fondamentale. Les radicaux l’ont acceptée, car celle-ci ouvrait de nouveaux espaces de citoyenneté. Aujourd’hui, la nation est menacée par des forces terroristes. On peut dès lors admettre que le texte de la Constitution soit enrichi pour répondre à cette menace. C’est pourquoi nous estimons légitime de compléter la Constitution par de nouvelles règles relatives à l’urgence que l’on aurait pu appeler « l’état de nécessité ».
L’article 2 du projet de loi prévoit une réponse juste et forte, monsieur le président de la commission ; pour ma part, je propose une réponse républicaine et radicale. Pourquoi cela ? Parce qu’au sujet de la déchéance de nationalité, nous avons entendu les arguments pour et les arguments contre. Incontestablement, des questions se posent et elles doivent amener une discussion. Adopter la motion de rejet préalable, ce serait renoncer à la discussion.
Je pense sincèrement, et c’est la position de M. Schwartzenberg, notre président de groupe, qu’il eût fallu préférer à la mesure de déchéance de nationalité celle de la déchéance des droits attachés à la nationalité ; c’eût été tellement plus simple ! Une telle proposition aurait pu tous nous rassembler. Je ne désespère pas de convaincre la majorité des députés, notamment sur la catégorie des infractions concernées par la procédure de déchéance, qui doit être réservée non pas aux crimes et aux délits les plus graves, mais aux seuls crimes constituant une atteinte grave à la vie de la nation. Voilà qui pourrait nous rassembler les uns et les autres.
Par cette volonté de discussion – la discussion, c’est le radicalisme même –, c’est le côté républicain que nous voulons renforcer. C’est pourquoi nous ne voterons pas la motion de rejet préalable.
Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Sur la motion de rejet préalable, je suis saisi par le groupe écologiste d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. François Asensi, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, nous voterons cette motion de procédure. Est-il sérieusement raisonnable d’entamer cette discussion alors que nous n’avons pas encore de certitude sur l’application du fameux article 2 ? En effet, quelles en seront les conséquences au regard de la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, non encore ratifiée ? Celle-ci prévoit la possibilité, dans certains cas, de créer des apatrides.
Depuis l’annonce faite par le Président de la République à Versailles en novembre dernier, nous ne comptons plus les différentes hypothèses sur la version finale de cet article, hypothèses imaginées pour que l’exécutif puisse sortir de ce piège. La première version qui nous a été soumise en commission prévoyait une déchéance pour les binationaux nés français, qui aurait consacré dans notre texte suprême la stigmatisation d’une partie de nos concitoyens. Les oppositions à cette inégalité fondamentale ont été telles que le Gouvernement nous a finalement proposé par voie d’amendement une nouvelle version de cet article qui dit une chose et, dans le même temps, nous présente un avant-projet de loi d’application de la révision constitutionnelle qui en dit une autre.
Puis, aujourd’hui, une nouvelle version est annoncée, qui aboutit en fait au même résultat que la deuxième. Est-ce la dernière ? Tout cela devient vraiment très compliqué. Selon les versions, nous chutons soit sur la déchéance pour les seuls binationaux, soit sur la déchéance pour tous, et donc la création d’apatrides. Dans un cas comme dans l’autre, c’est un recul considérable. La patrie des droits de l’homme ne peut assumer de renoncer aux principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Qui peut prendre cette responsabilité, de surcroît dans une telle précipitation, pour ne pas dire dans une telle cacophonie ?
Bien évidemment, un argument devrait suffire à convaincre l’ensemble de cet hémicycle d’adopter cette motion : une modification de la Constitution, qui a vocation à perdurer quelles que soient les majorités en place, ne peut se concevoir très sereinement. C’est une des raisons qui motivent les membres de notre groupe à voter cette motion, et une raison de plus de rejeter complètement ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.
Notre groupe souhaite y voir plus clair sur les intentions du Gouvernement, puisque sur un sujet aussi grave, aussi important, nous regrettons l’improvisation juridique de celui-ci, qui nous propose des textes différents toutes les quarante-huit heures, toutes les soixante-douze heures ou, à tout le moins, régulièrement, au point que plus personne ne comprend vraiment ce que souhaite le Gouvernement.
D’ailleurs, le Premier ministre l’a évoqué tout à l’heure, de nouveaux amendements nous seront proposés dans les heures qui viennent.
Nous souhaitons donc le débat, car nous souhaitons y voir plus clair sur ce que souhaite l’exécutif.
Monsieur le Premier ministre, vous avez, à de nombreuses reprises, évoqué le rassemblement des Français derrière ce sujet si important. Mais si vous voulez que les Français soient rassemblés, la moindre des choses serait que ceux qu’ils ont portés au pouvoir au sein de notre République soient eux-mêmes rassemblés.
Lorsqu’on regarde cette majorité, si fragmentée, si divisée, si explosée
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen
Comment voulez-vous que les Français soient rassemblés, monsieur le Premier ministre, lorsqu’ils voient que ceux qu’ils ont portés au pouvoir n’arrivent pas à se rassembler sur des sujets aussi importants ?
Vous êtes aux responsabilités, vous avez l’ardente obligation de montrer aux Français votre union sur des sujets aussi importants.
Monsieur le président, nous souhaitons donc que le débat continue, qu’il soit sain. Le Parlement ne doit pas se voir confisquer un débat aussi important pour l’avenir et qui porte sur les droits fondamentaux de nos compatriotes.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. René Dosière, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Face à la violence barbare, qui n’a pas disparu, le Président de la République appelle à l’unité nationale, par-delà les postures, les arrière-pensées, les préoccupations primaires ou dogmatiques.
La révision constitutionnelle constitue une illustration concrète de cette unité nationale, puisqu’elle exige un texte commun à la droite et à la gauche. L’examen en commission des lois a permis de mieux encadrer l’état d’urgence en prévoyant que l’Assemblée ne peut être dissoute durant cette période. Voilà bien le rôle protecteur de la Constitution : éviter qu’une majorité de circonstance n’utilise sa force pour attenter à l’État de droit.
Quant à la déchéance de nationalité, l’évoquer dans la Constitution s’inscrit dans une tradition vieille de 225 ans, puisqu’elle figure dans la première Constitution française, celle de 1791, celle qui comprend en avant-propos la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen reprise en préambule de notre Constitution actuelle et dont le texte, annoté de la main même de Robespierre, est consultable à la bibliothèque de l’Assemblée. Et ce retrait de la nationalité sera repris dans les Constitutions de 1793 – l’an I –, de 1795 – l’an III – et de 1799 – l’an VIII. Lointain successeur de Condorcet, de Camille Desmoulins, de Saint-Just, pour ne citer que les plus célèbres députés de la Révolution originaires de mon département, je vous invite par conséquent à suivre leur exemple en votant cette disposition.
L’inscription dans notre Constitution de cette sanction pénale applicable à tout Français sans distinction d’origine, de race ou de religion évitera à l’avenir la banalisation de la déchéance de nationalité et mettra fin au régime discriminant qui existe présentement. Une fois encore, nous vérifions que la Constitution nous protège des excès des lois votées par des majorités de circonstance. Il est donc opportun de débattre de ce texte en rejetant cette motion de procédure.(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 146 Nombre de suffrages exprimés: 143 Majorité absolue: 72 Pour l’adoption: 23 contre: 120 (La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)
J’ai reçu de M. Noël Mamère une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Noël Mamère.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, ma demande de renvoi en commission du projet de loi de constitutionnalisation de l’état d’urgence et de la déchéance de nationalité se fonde sur plusieurs motifs juridiques et politiques que je vais tenter d’expliciter ici. Je dois préciser auparavant, afin de dissiper tout malentendu, que je n’étais pas opposé à l’instauration de l’état d’urgence de douze jours tel que l’a décidé le Président de la République après les tragiques attentats du 13 novembre.
Dès le 19 novembre, cependant, je me suis opposé avec cinq de mes collègues à sa prolongation de trois mois ainsi qu’au durcissement de la loi de 1955 au motif que de telles dispositions préfigurent l’état d’exception permanent que vous voulez à présent graver dans le marbre de la Constitution, monsieur le Premier ministre. Je me félicite de constater que nous sommes rejoints aujourd’hui par de nombreux autres parlementaires, de gauche comme de droite, qui prennent enfin conscience de la dangereuse restriction apportée à nos libertés.
Mieux, le débat a maintenant lieu dans la société. Des personnalités comme Jacques Attali, Pierre Mazeaud, Jacques Toubon et Patrick Weil s’élèvent de plus en plus nombreuses contre ce projet de loi indigne et vous demandent d’y renoncer. Amnesty international a publié hier un rapport allant dans ce sens. Samedi dernier, à Paris comme dans de nombreuses villes de province, nous étions des dizaines de milliers, autour de la Ligue des droits de l’Homme et du collectif « Stop état d’urgence », à dire que nous ne céderons pas. Non, monsieur le Premier ministre, la France n’a pas peur et sait se réveiller lorsque ses principes fondateurs sont mis en cause !
C’est cette France-là, debout, que nous aimons, celle qui ne se soumet pas devant ceux qui veulent l’abattre ! Chaque jour qui passe voit reculer la peur que vous entretenez au nom de la guerre au terrorisme, même si l’opinion est encore majoritairement favorable à ce projet de loi. Nous devons continuer inlassablement à l’éclairer et l’alerter sur les dangers démocratiques découlant du sentiment d’insécurité que suscite votre dérive sécuritaire au nom de l’union sacrée et sous l’effet de la peur. Non seulement l’histoire a montré que l’union sacrée est une défaite de la pensée, mais votre projet institue un mode de gouvernance par la peur, ce carburant politique si pratique qui sert à masquer votre impuissance.
Le texte que vous nous soumettez est inutile et redondant, ce qui constitue le premier motif de notre demande de renvoi en commission. La loi de 1955 qui a institué l’état d’urgence existe. Plusieurs pouvoirs l’ont utilisée. Pour mémoire, nous célébrerons dans trois jours le cinquante-quatrième anniversaire du massacre de Charonne survenu le 8 février 1962. C’est en vertu de cette loi que le préfet Papon a fait intervenir la police contre les manifestants pour la paix en Algérie.
Bilan : neuf morts, neuf militants syndicalistes et communistes qui furent enterrés par un million de personnes.
Cela s’est produit sous la République, monsieur Mennucci, et non sous le régime de Vichy. Par conséquent, votre observation ne tient pas. Et j’insiste : auparavant, le 17 octobre 1961, le même Papon, sous le couvert de l’état d’urgence et des pouvoirs spéciaux, a fait assassiner des centaines d’Algériens à Paris.
C’est encore l’état d’urgence qui a été instauré en 2005 pour mater les banlieues en révolte. Aujourd’hui, vous allez plus loin, monsieur le Premier ministre, en nous demandant de graver l’état d’exception dans le marbre de la Constitution. Cela n’est rien d’autre qu’un détournement de notre loi fondamentale au nom de circonstances certes dramatiques et de misérables calculs politiciens. Nous sommes bien loin du Montesquieu des Lumières qui recommandait de ne toucher à nos libertés que d’une main tremblante !
D’ailleurs, le constituant de 1958 n’a pas abrogé la loi du 3 avril 1955, mais il ne l’a pas constitutionnalisée non plus. Dans une récente décision relative à la rédaction de la loi du 20 novembre 2015, le Conseil constitutionnel n’exclut pas que le législateur prévoie un régime d’état d’urgence. La constitutionnalisation que vous proposez n’est donc pas juridiquement nécessaire, car le régime de l’état d’urgence n’a nullement été ébranlé par la jurisprudence malgré les recours introduits pour en contester la nature.
Vous voulez donc transformer la Constitution en un ensemble d’articles de circonstance dictés par l’émotion, en un « chiffon de papier », pour reprendre les termes de François Mitterrand. Si au moins vous aviez inscrit dans votre projet de loi, comme le demandait déjà le même François Mitterrand dans Le coup d’État permanent, la suppression de l’article 16 conférant les pleins pouvoirs au Président de la République, on aurait compris l’ouverture d’un tel débat. Non seulement vous le maintenez, mais vous intégrez de fait la notion d’état d’exception permanent dans la Constitution.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que nous sommes confrontés au terrorisme. Faut-il rappeler ici les années70, 80 et 90, en particulier l’année 1995 ? Des lois antiterroristes majeures ont été adoptées en 1986 et en 1996 après des vagues d’attentats. Dans les années 2000, d’autres textes ont été votés en réaction au 11 septembre 2001 et aux attentats de Madrid en 2004 et de Londres en juillet 2005. Ainsi, depuis 1986, les affaires terroristes échappent aux juridictions ordinaires. Les enquêtes sont confiées à des magistrats instructeurs et des procureurs spécialisés. Les cours d’assises jugeant les crimes terroristes sont composées exclusivement de magistrats et ne comptent aucun juré.
Dans les années 90, l’expression « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » apparaît dans le code pénal et devient un délit passible de dix ans de prison en 1996. En 2006, 2008, 2011 et 2013, d’autres textes prennent en compte le développement du cyberterrorisme. Autrement dit, depuis 1986, nous avons déjà débattu d’une vingtaine de lois sur le terrorisme. Nous nous apprêtons à en examiner, au mois de mars, une nouvelle qui suscite déjà un tollé parmi les plus hauts magistrats de ce pays, atterrés par le recul du juge judiciaire derrière le procureur, le policier et le préfet.
À la veille des élections présidentielle et législatives de 2017, il vous faut donc, monsieur le Premier ministre, donner l’impression que vous répondez aux attentes d’une opinion en état de sidération face aux attaques perpétrées par des islamo-fascistes. Cela n’est qu’une apparence visant à faire croire que l’État protège la population alors qu’il ajoute au contraire le spectacle de la confusion à l’horreur des crimes commis. La droite hier et la gauche aujourd’hui donnent toujours le même spectacle d’une démocratie qui ne croit plus en sa force. J’ai donc la désagréable impression de me répéter, constatant d’une majorité à l’autre la mise en orbite d’un État d’exception sans fin.
Deuxième motif : la rupture d’égalité que vous instituez en constitutionnalisant la déchéance de nationalité. Sur ce sujet, tout a été dit et bien dit, notamment par Mme Taubira. Ce débat nauséabond ne sert à rien en matière de lutte contre le terrorisme, mais divise gravement la population en créant une souffrance chez nos compatriotes binationaux, désormais considérés comme une sous-catégorie de citoyens.
En fait, vous êtes en train de créer des étrangers dans leur propre pays. Mais les citoyens sont libres et égaux en droit, point barre ! Le président Larcher a d’ailleurs dit le mot de la fin : Il faut arrêter là ! Continuer reviendrait à commettre une forfaiture au regard des principes intangibles du droit du sol. En effet, en quoi l’article 2 consacrant la déchéance de nationalité de citoyens nés français et disposant d’une autre nationalité protège-t-il l’unité de la nation ? Quel État acceptera d’accueillir un citoyen déchu de sa nationalité française au prétexte que nous souhaitons nous en débarrasser et qu’il détient la nationalité du pays ?
Les Français sont de plus en plus nombreux à ne rien comprendre à ce débat dont vous changez les termes tous les quatre matins, quand ce n’est pas au soir de discussions de couloir entre le premier secrétaire du parti socialiste, le président du groupe socialiste à l’Assemblée et les chefs de la droite. Vous êtes en train d’armer une bombe à fragmentations qui créera une fracture avec 3,7 millions de binationaux en France et à l’étranger et vous affaiblissez l’image de la France. Le modèle français est fondé sur le droit du sol et l’égalité. De grâce, n’introduisez pas le ver raciste dans le fruit ! Vous ne servez que Marine Le Pen et tous ceux qui croient que seuls les Français de souche sont de vrais citoyens, des « patriotes », comme elle dit !
Troisième motif : le caractère inconstitutionnel de cette révision. La Constitution n’est pas un texte fourre-tout où l’on range les petites humeurs d’un gouvernement ayant le goût des bottes qui claquent ; c’est un texte que l’on touche avec précaution tant il régit l’ensemble de notre droit. Seule l’énonciation des libertés fondamentales et du fonctionnement des institutions publiques peut le composer. Il est contestable d’y insérer une sanction pénale. Surtout, le temps de la modification constitutionnelle n’est pas celui des circonstances ; c’est un temps plus long qui doit laisser place à la réflexion.
Il faut donc regarder de plus près l’article 89 de la Constitution qui prévoit les circonstances dans lesquelles celle-ci peut être révisée. Cet article a pour objet de limiter l’arbitraire et de s’assurer que l’essence de notre texte fondamental ne soit pas atteinte par des révisions opérées dans la précipitation. Son quatrième alinéa dispose qu’« aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». Or l’article 412-1 du code pénal définit un attentat comme suit : « Constitue un attentat le fait de commettre un ou plusieurs actes de violence de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l’intégrité du territoire national ». C’est précisément pour ce motif que vous avez mis en place un dispositif d’exception. Par conséquent, je soutiens que les conditions de révision de la Constitution ne sont pas réunies, à moins d’en violer l’article 89. Un renvoi en commission est donc nécessaire afin d’examiner si les conditions d’une telle révision sont réunies.
Quatrième motif : l’inefficacité de vos mesures. La formulation vague des mesures d’urgence et l’absence de toute autorisation judiciaire préalable ont entraîné une application excessive, dépassant la stricte proportionnalité requise par la situation. D’après les statistiques officielles, les autorités ont procédé à 3 242 perquisitions entre le 14 novembre 2015 et le 29 janvier 2016. Quatre perquisitions ont abouti à l’ouverture d’une enquête pénale pour une infraction effectivement liée au terrorisme selon le droit français. De même, l’inefficacité de l’article 2 du projet de loi est patente. Quel djihadiste peut être convaincu de s’arrêter dans sa folie meurtrière par peur d’être déchu de sa nationalité ?
En fait, en rejetant ces djihadistes hors de la nation, vous demandez à des États tiers de supporter des échecs à la place de notre société qui ne veut pas le faire.
L’inefficacité de ce texte tient enfin à son double effet. Comme le souligne le syndicat de la magistrature, …
… le risque d’une répression aveugle et disproportionnée que comporte l’état d’urgence ne menace pas simplement le citoyen dans l’exercice quotidien de ses libertés mais contribue, par un surcroît d’arbitraire, à la dispersion des forces répressives. Partant, il diminue sensiblement la capacité des autorités à faire face au phénomène criminel qu’elles prétendent combattre.
Cinquième motif : le manque d’évaluation sérieuse des lois sur l’état d’urgence. La loi doit protéger, mais il faut raison garder et se demander si nous avons progressé, de combien de cas nous discutons et si nous n’avons pas déjà tous les outils dans notre arsenal juridique. Il ne sert à rien d’empiler les lois fondées sur l’émotion. Il ne sert à rien de légiférer encore et encore au risque de noyer les juges chargés d’appliquer ces lois souvent mal ficelées. L’État et la représentation nationale devraient raisonner dans le calme et la sérénité, hors de toute logique électoraliste, pour voir comment appliquer les textes existants et s’en donner les moyens, car telle est la question.
Sixième motif : le refus du populisme pénal. Vous procédez en effet à un détournement de la loi en la soumettant à la tyrannie de l’émotion. Ce texte non seulement démontre l’échec des précédentes lois relatives au terrorisme, soit une vingtaine depuis 1986, mais renforce chez les victimes, et c’est sans doute le plus grave, le sentiment de l’impuissance de l’État. Une fois la Constitution révisée, on est en droit de se demander quelle sera la prochaine étape et quelles digues protectrices de nos libertés tomberont encore. Ce texte est donc un acte de défiance à l’égard de la magistrature et une injure aux juges qui font leur travail dans des conditions précaires.
Pour le Président Sarkozy, les juges étaient des « petits pois » ; pour le Président Hollande, ils sont des auxiliaires de la police.
Le grand juge Aharon Barak, ancien président de la Cour suprême israélienne, disait au séminaire de la Cour européenne des droits de l’homme, le 29 janvier dernier, que « le rôle des juges est de garantir la légalité de la lutte contre le terrorisme pour sauvegarder la démocratie » et que, face au terrorisme, « les juges ne doivent être ni naïfs ni cyniques, mais doivent exercer un contrôle fort ». C’est une grave erreur de penser que les juges doivent limiter leur contrôle quand le terrorisme nous menace. D’autant qu’ils peuvent d’ores et déjà prononcer les peines que vous souhaitez instaurer. Ce ne sont pas les lois qui manquent, mais les moyens pour les appliquer – chaque fait divers le démontre !
Septième motif : la systématisation de l’exception que vous êtes en train de réaliser avec ce « paquet », comprenant la constitutionnalisation et la prolongation indéfinie de l’état d’urgence, et la nouvelle loi antiterroriste visant à modifier le code de procédure pénale. Cet ensemble doit se lire dans une évolution profonde de la démocratie, commencée justement sous la Ve République, avec l’article 16 de la Constitution. Ce n’est pas un phénomène franco-français : le Patriot Act devient la norme des sociétés occidentales qui se sentent fragilisées par les nouvelles menaces, par la mondialisation des crises écologiques et sociales, ainsi que par l’émergence de nouveaux fascismes à caractère ethnique ou religieux.
Face à la montée de ce déclinisme, une société de contrainte et d’hypersurveillance est en train de se mettre en place, et vous y contribuez largement. La loi relative au renseignement, contre laquelle nous sommes un certain nombre à nous être élevés, et le renforcement du contrôle sur internet, prévu dans la loi prorogeant l’état d’urgence, en sont d’autres illustrations.
Le projet de loi relatif à la procédure pénale, qui sera examiné à partir du mois de mars, est, de ce point de vue, emblématique : perquisitions de nuit, efficacité accrue des contrôles d’identité décidés par le procureur de la République, inspection visuelle et fouille des bagages. De même, une personne dont le comportement – je dis bien le comportement – paraîtrait lié à des activités terroristes pourra être retenue pendant quatre heures afin que sa situation soit examinée, et ce sans qu’elle puisse être assistée d’un avocat. La réforme assouplit les conditions dans lesquelles les policiers pourront tirer : ils pourront ouvrir le feu face à un individu armé qui ne les vise pas, mais qui vient de tuer et qui semble prêt à recommencer immédiatement.
Huitième motif : le changement fondamental que vous introduisez avec la notion de délit prédictif. Vous êtes en train d’instituer la présomption de responsabilité, en rupture avec le droit français. Comme dans le film Minority Report, vous créez les conditions d’une société de suspicion. La loi de prorogation de l’état d’urgence n’a-t-elle pas instauré la notion de « comportement » ? Jusqu’ici, aux termes du droit pénal français, les autorités judiciaires pouvaient prononcer des assignations à résidence contre des personnes mises en examen, c’est-à-dire contre lesquelles il existe des indices graves ou concordants sur leur participation à la commission d’une infraction. Ces dispositions nous font quitter le domaine du législatif pour entrer dans le domaine du psychiatrique, qui permet toutes les interprétations et peut servir à stigmatiser n’importe qui.
Nous n’acceptons pas ces glissements successifs, qui transforment les principes mêmes sur lesquels reposent notre justice et notre Constitution. Le délit prédictif, c’est la matrice même du Patriot Act : tous suspects a priori. C’est la fin de la présomption d’innocence, le début de l’État sécuritaire et de surveillance.
Neuvième motif : l’instrumentalisation du Parlement et du Congrès pour un marchandage politicien inacceptable. Vous inaugurez une nouvelle méthode en utilisant le Parlement et le Congrès comme faire-valoir de vos desseins politiques. Avec ce projet de loi, monsieur le Premier ministre, vous vous transformez en pompier pyromane. À des fins idéologiques, vous rajoutez une couche de textes inapplicables.
En réalité, comme pour le débat lié à l’identité nationale, c’est finalement le Front national qui nous révèle le sens de votre loi. Conséquent avec lui-même, et ne voulant pas faire l’objet d’une OPA inamicale sur son électorat, il soutient et votera la constitutionnalisation. Il révèle ainsi le message à peine voilé que vous adressez à ceux des Français qui se sont égarés sur ses rivages.
De plus, ce texte est le produit d’un marchandage entre le président des Républicains et le Président de la République. Le premier, Nicolas Sarkozy, a obtenu, quoique vous en disiez, la stigmatisation des binationaux, donc la mise en cause in fine du droit du sol, et l’extension de la déchéance de nationalité à tous les délits. L’autre, François Hollande, a obtempéré pour obtenir un Congrès unanime à Versailles, lui permettant d’entrer en campagne malgré ses résultats catastrophiques en matière de lutte contre le chômage et ses reniements successifs.
Ce quinquennat avait commencé par les promesses non tenues du droit de vote pour les étrangers extracommunautaires – pourtant adopté une fois par cette assemblée et une autre fois par le Sénat –, de la lutte contre la finance, ou encore de l’abandon des contrôles au faciès ; il se termine avec la déchéance de nationalité et le démantèlement du code du travail.
Dixième et dernier motif de ma demande de renvoi en commission : loin de protéger la nation, votre projet la fragilise. Ceux qui ont frappé la France le vendredi 13 novembre avaient une cible : l’État de droit, l’esprit d’ouverture et la diversité qui caractérisent les sociétés démocratiques. Leur objectif était clair, il le demeure : créer les conditions d’une guerre civile au coeur même du pays, en y introduisant la haine, en s’attaquant aux libertés qui font notre vie de chaque jour : la liberté de circuler, de se réunir, de manifester, de s’exprimer…
Ces djihadistes qui tuent au nom de Daech n’ont pas de frontières. Ils se meuvent dans un espace transnational et dans le cyberespace. Ils recrutent dans toute l’Europe, en Afrique, au Moyen-Orient. Ils sont en partie, d’ailleurs, le fruit des interventions occidentales en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, dont nous n’avons jamais tiré le bilan. Sans doute parce que nous n’avons jamais eu à nous prononcer sur le bien-fondé de ces interventions.
Vous auriez pu choisir une autre voie et décréter l’état d’urgence sociale et démocratique. Après les attentats d’Oslo et de l’Île d’Utøya, commis en 2011 par Anders Breivik, le Premier ministre norvégien n’avait-il pas déclaré : « La réponse à la violence est encore plus de démocratie, encore plus d’humanité » ? Au lieu d’apaiser, tout en organisant sérieusement la lutte contre les fascistes de Daech, vous vous attaquez aux binationaux, vous instituez les assignations à résidence et les perquisitions au faciès. Vous nous faites entrer dans une société du soupçon.
Vous dénonciez à juste titre, monsieur le Premier ministre, « l’apartheid territorial et social ». Au nom de la lutte contre la culture de l’excuse, vous en êtes maintenant à renforcer cet apartheid. Un gouvernement de gauche aurait au contraire, s’il était vraiment de gauche, renforcé la culture de paix au détriment de la logique de guerre ; introduit dans la Constitution le droit de vote des étrangers extracommunautaires ; aboli les contrôles au faciès et les camps de rétention. Aujourd’hui, avec votre gouvernement néoconservateur, nous nous retrouvons face à des lois qui stigmatisent une partie de la population et qui criminalisent les mouvements sociaux.
L’état d’urgence a commencé par l’assignation à résidence de vingt-six écologistes.
Le parquet, qui est sous vos ordres, a poursuivi les huit syndicalistes de Goodyear. Vous menacez les chômeurs de rendre leurs indemnités dégressives. Où allez-vous donc vous arrêter dans le reniement de tout ce qui a constitué la gauche depuis la Révolution française ?
Votre gouvernement s’inscrit dans la lignée de ceux de Guizot, de Thiers, de Jules Moch, de Guy Mollet et de Sarkozy. Il n’a plus rien à voir avec ce que nous sommes, ou ce que nous devrions être, nous, la gauche, ni avec celles et ceux qu’elle a toujours défendus : les pauvres, les opprimés, les invisibles, les dépossédés, le peuple ! Vous participez à la dépolitisation du peuple, en lui faisant croire que quelques symboles suffiront à empêcher de nouveaux attentats. Vous mentez donc sciemment.
Le terrorisme est le produit d’un faisceau de raisons géopolitiques, sociales, historiques. Comprendre, ce n’est ni excuser ni justifier. Comprendre, c’est prévenir et, surtout, mieux combattre ce qui n’est pas un phénomène surnaturel, mais le produit de conditions historiques qu’il est nécessaire d’analyser.
Depuis plus de cinquante ans, la France soutient en Afrique des régimes criminels, précieux clients de l’industrie française de l’armement, producteurs de matières premières stratégiques, marchés juteux pour les entreprises françaises – comme l’a montré la dernière publication de WikiLeaks, sur la République centrafricaine – et parfois, investisseurs opportuns en France.
Sous votre quinquennat, comme sous le précédent, une alliance s’est opérée avec l’Arabie saoudite, califat qui, excepté son compromis sur le pétrole avec les grandes puissances, n’a rien à envier aux idéologies et aux idéologues de l’État islamique ni à sa pratique en matière de décapitations et de punitions par le fouet.
De même, vous érigez le Qatar et l’Égypte en partenaires à qui l’on peut vendre des armes, lesquelles sont ensuite utilisées contre leurs citoyens ou arrivent dans les mains de groupes djihadistes. Tout cela est pitoyable.
Ceux qui ne voudront pas mettre la main dans l’engrenage fatal que vous nous proposez aujourd’hui seront une nouvelle fois qualifiés à l’envi de bien pensants, de droits-de-l’hommistes – expression forgée par l’extrême droite –, de laxistes, d’angéliques et d’irresponsables.
Pourtant, si nous n’agissons pas pour protéger la démocratie, nous savons que la démocratie ne pourra pas nous protéger. Pour toutes ces raisons, au nom du droit et de la morale, je vous propose d’adopter la présente demande de renvoi en commission.
Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe écologiste, sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je voudrais apporter des éléments de droit à la démonstration de Noël Mamère. Sur la forme, le renvoi en commission dans une procédure de révision constitutionnelle n’a pas l’effet habituel, puisque c’est le texte du Gouvernement qui sert de base à la discussion. Le renvoi en commission n’aurait d’autre conséquence que de faire perdre du temps.
Je comprends donc que la motion de Noël Mamère lui offrait l’occasion d’une expression politique – c’est bien là son droit.
S’agissant de l’article 1er, à l’inverse de ce qu’il a tenté de démontrer, la constitutionnalisation de l’état d’urgence est protectrice pour les libertés individuelles. Le régime de l’état d’urgence est exceptionnel, et c’est pour cette raison qu’il doit être limité. Il serait incongru que ce régime, déjà utilisé à six reprises depuis son adoption, ne figure pas dans la Constitution, alors que les deux régimes qui ne servent jamais, et heureusement – d’une part, celui prévu à l’article 16, d’autre part celui prévu à l’article 36 et relatif à l’état de siège – eux, y figurent.
Faire entrer un texte dans la Constitution, c’est sécuriser les libertés face aux mesures dérogatoires qu’il autorise à prendre. La loi du 3 avril 1955 met treize mesures à la disposition de l’autorité administrative. Le contrôle parlementaire initié par votre assemblée, que va reprendre Dominique Raimbourg, avec Jean-Frédéric Poisson, vise justement à s’assurer qu’il n’y a pas de débordements – et tel est bien le cas. Le Conseil d’État, dans son excellente décision du 11 décembre 2015, a fixé un cap, mais en l’absence de fondement constitutionnel, les libertés individuelles courent un risque. En inscrivant l’état d’urgence dans la Constitution, nous permettrons au juge constitutionnel, s’il devait être saisi, de faire valoir le droit. Je ne vois donc que des intérêts à l’article 1er.
L’article 2 relatif à la déchéance de nationalité fera l’objet d’un long – et légitime – débat. J’aurai l’occasion d’intervenir sur les amendements, mais à ce stade, je voudrais donner un sentiment. La déchéance de nationalité, ce n’est pas un symbole, mais un principe. Elle constate une déchirure définitive. Ne renversons pas les termes du débat : ce sont les terroristes qui ont quitté la nation, ce sont eux qui ont déchiré le contrat !
Le juge actera que ceux qui se vautrent dans l’ignominie n’appartiennent plus à la communauté nationale. Le philosophe Pierre Fougeyrollas écrivait que « la nation, c’est une émotion » ; parce que nous aimons la nation, nous ne pouvons pas tolérer cette déchirure. La déchéance, c’est simplement – c’est déjà beaucoup – un principe.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur Mamère, si vous voulez intervenir à ma place, n’hésitez pas ! Vous défendez une motion de procédure et vous souhaitez y répondre : voilà sans doute votre vision pleine et entière du débat démocratique.
Il y a tellement d’excès, tellement d’insultes dans vos propos que cela ne sert à rien d’y répondre, à moins de le faire de manière aussi cinglante et précise que Jean-Jacques Urvoas.
Depuis les attentats de janvier 2015, j’essaie, sans y parvenir à chaque fois – il faut être modeste devant cet objectif – de faire en sorte que le débat public soit à la hauteur, que nous échangions des arguments fondés. Il est normal que des désaccords existent, mais les comparaisons auxquelles vous vous livrez sont suffisamment insupportables pour que l’on n’y réponde pas.
Je vous répondrai néanmoins d’un seul mot. Il y a un instant, vous avez affirmé que l’union sacrée signait la défaite de la pensée, évoquant la « dérive sécuritaire » et proférant, d’ailleurs, des mensonges à propos du projet de loi que le ministre de la justice, garde des sceaux, va présenter dans quelques semaines. Je vous rappelle que ce projet de loi a été préparé par la précédente garde des sceaux, Christiane Taubira, que vous avez citée par ailleurs.
Sur cette union sacrée, nous avons un désaccord profond. L’expression « union sacrée » a été utilisée en 1917 et 1918 pour permettre à la France de gagner la Première Guerre mondiale. Cette union est plus que jamais nécessaire. Elle ne remet pas en cause le débat démocratique. Elle ne fait pas reculer les libertés. Elle n’empêche pas la presse de s’exprimer. Elle n’empêche pas de manifester. Elle empêche encore moins, et heureusement, les uns et les autres de s’exprimer dans cette enceinte – vous venez d’ailleurs de le démontrer. L’union sacrée est un impératif.
Vous ne souhaitez pas cette union sacrée, vous ne souhaitez pas ce rassemblement. C’est votre droit. Mais souffrez, monsieur Mamère, que pour réviser la Constitution, pour faire face au terrorisme et à ces actes de guerre, je tente et nous tentions, les uns et les autres, de rassembler. Nous voulons agir avec la majorité, bien sûr, mais aussi avec l’opposition et avec l’ancien président de la République, aujourd’hui président d’une formation politique, Les Républicains. Telle est notre conception de l’union sacrée. C’est l’honneur de la France, et en effet, puisque vous l’avez murmuré au moment où je prenais la parole, c’est aussi notre conception de la gauche et de la France.
Monsieur Mamère, j’ai déjà eu l’occasion de vous dire que nous n’avions plus grand-chose à faire ensemble. Vous le démontrez, et j’en suis heureux.
Sourires.
Sur ces sujets-là, vos ambiguïtés sont suffisamment importantes pour que je l’affirme une nouvelle fois : nous n’avons pas la même conception de la France.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Nous en venons aux explications de vote sur la motion de renvoi en commission.
La parole est à M. Michel Zumkeller, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
On nous propose de renvoyer ce projet de loi constitutionnelle en commission. Pour nous y opposer, nous voulons invoquer l’urgence : l’urgence face aux défis qui nous sont lancés, l’urgence d’engager le débat. De nombreuses questions restent en suspens, et des avis très différents vont s’exprimer. Il n’est plus temps de retourner en commission : il est temps d’agir et de débattre dans cet hémicycle. Chacun aura l’occasion de faire valoir ses idées et ses positions. Vous comprendrez donc très facilement que le groupe UDI s’oppose à cette motion de renvoi en commission.
Notre collègue Noël Mamère a rappelé qu’en France, à Paris et dans toutes les villes, des magistrats – même les juges administratifs –, la Ligue des droits de l’homme, Amnesty International et bien d’autres se dressent aujourd’hui contre la déchéance de nationalité et contre l’inscription de l’état d’urgence dans notre Constitution.
Noël Mamère a également rappelé que l’article 89 de notre Constitution nous empêche de modifier ce texte primordial pendant l’état d’urgence.
Monsieur le rapporteur, vous avez affirmé que quarante-neuf recours, c’était peu, et que cela prouvait que vous aviez raison. Pardonnez-moi, mais je ne suis pas d’accord : quarante-neuf recours, c’est déjà trop. Par ailleurs, vous oubliez ceux qui n’ont pas pu s’exprimer, ceux qui ont eu peur, ceux qui ont été convaincus par les intimidations policières et qui ne sont absolument pas comptés dans les rapports.
Jean-Marie Delarue, ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté, nous le rappelait il y a encore quelques jours : l’examen de ce texte nous fait passer d’un État de droit à une politique policière.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, nous sommes sans doute une poignée, certes non négligeable, dans cet hémicycle, mais nous sommes de plus en plus nombreux à l’extérieur.
Enfin, si notre groupe soutient fermement cette motion de renvoi en commission, c’est parce que cela nous permettra de débattre, tous ensemble, en ayant pleinement connaissance des projets de loi d’application que vous nous avez concoctés, et cela en toute honnêteté.
La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Comme tous ici, nous sommes préoccupés par le niveau élevé de la menace terroriste, dont le ministre de l’intérieur a fait état lors d’une réunion récente. L’état d’urgence nous paraît évidemment nécessaire. Il doit être stabilisé : son inscription dans la Constitution nous semble donc une nécessité. C’est l’objet de l’article 1er du présent projet de loi constitutionnelle : c’est pourquoi il est souhaitable qu’il soit adopté.
Quant à l’article 2, on ne peut pas dire qu’il fasse l’objet d’une perception très claire.
Exclamations sur divers bancs.
Ces temps-ci, cet article ressemble un peu à de la pâte à modeler. Dans sa version initiale, il reposait sur le critère de binationalité, et c’était dommage. Ce critère a été supprimé de l’article 2 par l’amendement gouvernemental déposé et adopté très opportunément le 28 janvier, mais il semble revenir, en tout cas implicitement, dans l’avant-projet de loi d’application de ce même article 2.
C’est pourquoi il serait nécessaire de clarifier cet avant-projet de loi, qui ne paraît pas d’une clarté excessive, mais d’une ambiguïté certaine,…
…pas au point cependant de renvoyer en commission le présent projet de loi constitutionnelle, compte tenu de l’état d’urgence.
Monsieur le Premier ministre, je sais bien que M. Mamère a parfois employé des comparaisons que vous n’approuvez pas, mais elles sont aussi la marque de la sincérité et de l’émotion face à une situation. C’est également le cas de Cécile Duflot. C’est pourquoi je m’abstiendrai, pour ma part, lors du vote sur la motion de renvoi en commission.
La parole est à M. Patrice Carvalho, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Cette réforme constitutionnelle nous est proposée au lendemain des attentats terribles de novembre dernier. Elle nous est présentée dans l’émotion et l’urgence, ce qui explique les multiples rebondissements auxquels nous assistons depuis quelque temps, notamment depuis le Congrès de Versailles.
Tout cela ressemble à une aventure risquée et complexe. La lutte contre le terrorisme mérite pourtant une réflexion sereine et approfondie. Nous ne pouvons modifier notre loi fondamentale à la légère. Peut-on sérieusement mettre l’Assemblée nationale et ses députés dans un tel état d’urgence, au lieu de prendre le temps du débat et de la réflexion ?
Cette réforme et toutes celles à venir paraissent clairement inutiles en matière de lutte contre le terrorisme. Dans ce domaine, la législation est déjà suffisamment abondante et déjà largement dérogatoire au droit commun.
Ce projet de loi constitutionnelle doit être renvoyé en commission, notamment parce que nous pensons qu’avant toute révision constitutionnelle, il est impératif d’établir un bilan détaillé de l’arsenal législatif existant pour en mesurer l’efficacité.
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Sur la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe écologiste d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
L’ardeur du constituant a parfois pu soutenir l’exagération du propos. Mais tout de même, monsieur Mamère ! Vous avez parlé de « projet indigne ». Vous avez fait référence à Papon et à la loi sur les pouvoirs spéciaux de Guy Mollet, qui est l’exact opposé de ce que nous faisons ici. Vous avez réussi à faire encore pire, encore plus « pitoyable » – pour reprendre un mot que vous avez utilisé – que votre collègue Mme Duflot qui, elle, a réussi le prodige d’invoquer les plus grandes voix de la Résistance tout en laissant entendre que le régime de Vichy se situait dans la continuité de la République et de la France. C’est à la fois une captation et un détournement d’héritage – un véritable prodige !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Non, monsieur Mamère, ce projet n’est pas indigne. Comme le rapporteur l’a très bien dit tout à l’heure, nous instituons dans la Constitution une sorte de prévention des tentations liberticides qui pourraient saisir à l’avenir les majorités qui auraient à faire voter de nouvelles lois d’urgence. Les principes seront désormais inscrits dans la Constitution, qui est d’ailleurs un organe normal de répartition des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. Mme Delmas-Marty s’imagine que tout cela est fait pour priver le juge judiciaire de ses pouvoirs – c’est un peu son fantasme habituel –, mais ce n’est aucunement le cas.
L’invocation de l’article 89 de la Constitution est restée discrète, parce que vous en connaissez l’absurdité. Dois-je vous rappeler, monsieur Mamère, madame Duflot, que l’article 89 interdit toute révision constitutionnelle « lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire » ? Il suffit de lire les travaux préparatoires de la Constitution pour comprendre que cela fait référence à une occupation du territoire. Voilà ce qu’a voulu dire le constituant : il faut dire que cette formule est plus douce pour l’orgueil national que l’allusion à une possible occupation ! Cela ne veut rien dire d’autre, à moins bien sûr, monsieur Mamère, que vous n’estimiez que le territoire est occupé parce qu’un certain nombre de « zadistes » occupent certaines de nos riantes provinces, en menant d’ailleurs des actions violentes.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Mêmes mouvements.
Vous l’avez dit : il faut raison garder. J’évoquerai rapidement la déchéance de nationalité. Comme cela a déjà été dit, la Constitution a un rôle permissif : elle permet de déchoir certaines personnes de leur nationalité, mais elle ne l’impose pas. C’est la loi qui déterminera, sous le contrôle du juge, quels sont les cas où la déchéance peut ou ne peut pas être prononcée, en respectant d’ailleurs le principe d’égalité – vous vous référiez à une version antérieure du projet présenté par le Gouvernement, monsieur Mamère.
Cette Constitution permissive sera, je l’espère, respectée par la loi, qui ratifiera elle-même la convention de New York, limitant les cas d’apatridie.
Enfin, permettez-moi de souligner que je me suis exprimée ici au nom du groupe SRC, auquel je suis apparentée. Quant au mouvement de Jean-Pierre Chevènement, que je représente, il apporte son soutien à cette révision de la Constitution.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à Mme Catherine Vautrin, pour le groupe Les Républicains.
Nous savons tous que ce projet de loi constitutionnelle a été présenté en conseil des ministres en décembre. Le Congrès de Versailles s’est tenu il y a près de trois mois, et le texte a déjà été discuté par la commission, qui a d’ailleurs réécrit l’article 2. Pour autant, la confusion subsiste – c’est le moins qu’on puisse dire ! Ce feuilleton, avec ces rebondissements auxquels nous assistons à peu près tous les jours, nous préoccupe beaucoup. Aujourd’hui encore, monsieur le Premier ministre, vous avez annoncé que des amendements du Gouvernement allaient nous être proposés.
Il est indispensable que la Constitution fasse l’objet de toute notre attention. Nous ne pouvons y toucher que d’une main tremblante : elle est le socle de notre pacte républicain. Aussi, quoi de plus normal que les parlementaires en discutent ici, dans l’hémicycle ? Telle est notre mission, et nous devons l’exercer avec responsabilité et dans la clarté – c’est en tout cas ce que nous souhaitons très vivement.
Désormais, il ne s’agit plus de renvoyer le texte en commission. Nous devons mettre fin à la confusion, afin d’agir et d’apporter des réponses concrètes. C’est la raison pour laquelle notre groupe souhaite continuer à discuter de ce projet de loi constitutionnelle dans l’hémicycle. Nous rejetterons donc cette motion de renvoi en commission.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 137 Nombre de suffrages exprimés: 130 Majorité absolue: 66 Pour l’adoption: 14 contre: 116 (La motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il ne faut toucher à la loi que d’une main tremblante, écrivait Montesquieu, et bien sûr à la loi constitutionnelle, il ne faut toucher qu’après mûre réflexion et délibération. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre Constitution prévoit que pour la modifier, une majorité qualifiée des trois cinquièmes est requise, majorité qui bien souvent ne peut être réunie que par-delà les clivages politiques habituels.
Réviser la Constitution est un acte exceptionnel dans la vie politique de notre pays. C’est aujourd’hui une circonstance inédite, exceptionnelle, dramatique qui nous conduit à examiner le projet de loi constitutionnelle que vous nous soumettez, monsieur le Premier ministre.
Les attentats qui ont meurtri la France ont conduit à décréter l’état d’urgence, pour la première fois d’ailleurs dans de telles circonstances. Ils nous ont conduits à constater la nécessité d’inclure l’état d’urgence dans le bloc constitutionnel. L’état d’urgence présente en effet la curieuse caractéristique d’être hélas régulièrement utilisé, sans être sécurisé sur le plan juridique.
L’article 1er est pour nous la seule véritable raison d’être de la révision constitutionnelle. Seul l’article 1er répond à cette nécessité sous le double effet d’une loi relative à l’état d’urgence adoptée antérieurement à notre Constitution, ce qui crée une insécurité juridique, et, depuis 2008, de la possibilité ouverte d’invoquer cette insécurité juridique à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Nous souhaitons que l’état d’urgence puisse être constitutionnalisé. Il peut arriver, dans l’histoire, qu’il soit nécessaire de donner des moyens exceptionnels, temporaires, à l’État, au gouvernement lorsqu’un drame frappe le pays et exige une réaction forte et rapide. Face au terrorisme, le Président de la République et le Gouvernement ont eu raison de décréter l’état d’urgence, que le Parlement a ensuite prorogé.
Nous avions dès alors dit qu’il nous faudrait inscrire dans notre droit, hors état d’urgence, que des moyens exceptionnels devaient pouvoir permettre de faire face à une telle menace. En effet, si la menace est d’une gravité exceptionnelle, elle n’est hélas pas temporaire. Et ce n’est pas en vivant sous un état d’urgence permanent que nous pourrions y faire face.
C’est la raison pour laquelle, avec le président Vigier, qui préside notre groupe à l’Assemblée nationale et le président Zocchetto, qui préside le groupe UDI-UC au Sénat, nous vous avions dit, monsieur le Premier ministre ainsi qu’au Président de la République, qu’il fallait prolonger l’état d’urgence jusqu’à l’adoption de futures lois. Ce devrait être chose faite avant la fin de la session, et cela nous paraît être la voie la plus raisonnable.
Si nous souhaitons tous ici faire entrer l’état d’urgence dans le bloc constitutionnel, c’est d’abord pour l’encadrer, monsieur le Premier ministre, afin d’éviter toute dérive car des gouvernements moins précautionneux à l’égard des libertés publiques pourraient un jour en faire un mauvais usage.
Celui qui est aujourd’hui garde des sceaux et qui était jusqu’à il y a peu président de notre commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, et le président de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas, ont innové lors de l’institution de l’état d’urgence, faisant en sorte de garantir un véritable contrôle parlementaire. Pour ce faire, ne le cachons pas, ils ont eu besoin que le Gouvernement en soit d’accord. Le travail réalisé ici par Jean-Jacques Urvoas et Jean-Frédéric Poisson, le travail aujourd’hui fait en notre nom pour vérifier que l’État, le Gouvernement n’abusent pas des pouvoirs qui leur ont été confiés, ne va pas de soi : il n’est pas prévu aujourd’hui dans notre droit.
Une autre majorité pourrait parfaitement recourir un jour à l’état d’urgence sans contrôle parlementaire, à des fins qui mettraient en péril notre système démocratique. Notre devoir de constituant, chers collègues, est d’aller au-delà des circonstances et de la majorité actuelles. Car toute modification de la Constitution reste pour longtemps gravée dans le marbre. Nous devons garantir aux Français que l’état d’urgence ne pourra jamais être utilisé pour attenter aux équilibres démocratiques auxquels nous sommes tous attachés.
À cet effet, le groupe UDI souhaite que trois verrous soient prévus afin de garantir que l’état d’urgence sera utilisé pour protéger les Français, et non un jour restreindre leurs libertés ou limiter notre système démocratique. Le premier de ces verrous consiste en un contrôle parlementaire automatique, ne dépendant ni de la majorité à un moment donné, ni de l’accord du gouvernement alors en place, qui pourrait vouloir abuser de ses pouvoirs. Dans la rédaction retenue par la commission, même si ce n’est pas le texte que nous examinons, ce contrôle automatique est insuffisamment assuré. Il est simplement dit que le contrôle du Parlement est de droit, mais cela figure déjà dans la Constitution.
Il se trouve seulement que nous faisons, hélas, trop peu usage de ce pouvoir.
Monsieur le Premier ministre, nous souhaitons trouver une formulation garantissant que, quels que soient le gouvernement et la majorité en place, puisse s’exercer un contrôle tel que celui que nous exerçons aujourd’hui à l’Assemblée nationale.
Deuxième verrou : il doit être écrit dans la Constitution que l’état d’urgence est limité dans le temps. La loi du 3 avril 1955 dispose que l’état d’urgence, décrété par l’exécutif, est limité à douze jours. Sa prorogation exige de passer par la loi. Celle-ci doit évidemment permettre des prorogations, mais d’une durée raisonnable. Sinon, il faut un nouveau débat au Parlement et une nouvelle loi.
C’est la raison pour laquelle nous proposons que la limite dans le temps soit de quatre mois, éventuellement renouvelables, mais seulement après un débat au Parlement ayant permis de constater que le plus grand nombre est toujours favorable à la poursuite de l’état d’urgence, lequel confère des moyens exceptionnels au Gouvernement. Nous avons choisi cette limite de quatre mois car c’est celle déjà prévue dans notre Constitution, par exemple pour l’engagement de nos forces armées à l’étranger par le Président de la République, sans qu’il soit nécessaire d’organiser de débat au Parlement.
Troisième verrou, auquel la commission a donné son accord : la Constitution doit impérativement prévoir qu’il ne peut y avoir de dissolution de l’Assemblée nationale en période d’état d’urgence. Imaginez en effet ce que serait une campagne législative durant laquelle un gouvernement pourrait restreindre les libertés de communication et de réunion, voire procéder à l’assignation à résidence de telle ou telle personne.
Pour le groupe UDI, ces trois garanties sont indispensables pour qu’il puisse approuver l’article 1er.
Compte tenu des débats qui ont lieu aussi bien dans l’hémicycle qu’à l’extérieur, compte tenu de notre attachement à la constitutionnalisation de l’état d’urgence, je voudrais appeler votre attention, monsieur le Premier ministre, sur le fait que si d’aventure, nous ne parvenions pas à un accord réunissant une majorité des trois cinquièmes sur l’article 2 relatif à la déchéance de la nationalité, il me semble que nous aurions intérêt à détacher ces deux articles…
… afin de permettre au moins d’adopter la constitutionnalisation de l’état d’urgence, qui représente une garantie pour les libertés publiques des Français.
S’agissant de cet article 2 relatif à la déchéance de la nationalité, il ne nous paraît pas indispensable de l’inscrire dans la loi fondamentale. La loi suffit : la déchéance existe, même si, et nous le regrettons profondément, elle crée une inégalité entre Français. On peut être déchu de sa nationalité, en fonction non du crime qu’on a commis, mais de son hérédité, de la nationalité de ses parents. Cette inégalité, nous la refusons absolument.
Si nous débattons de la déchéance de la nationalité, c’est parce que le 16 novembre dernier, le Président de la République a affirmé sa volonté de sortir de notre famille nationale ceux qui commettent un crime contre la Nation. Vous-même, monsieur le Premier ministre, avez souligné la rareté et le caractère essentiellement symbolique d’une telle mesure.
Nous sommes majoritairement d’accord pour dire que ceux qui combattent la France, qui renient toutes les valeurs qui ont fait notre nation, qui rejettent ce qui fait notre envie et notre fierté d’être français, ne peuvent être considérés comme des membres de la nation française. La nation française, ce n’est pas d’abord une émotion, comme le disait le garde des sceaux, c’est d’abord une volonté, un attachement, une adhésion, un partage des valeurs communes qui ont façonné notre histoire depuis la Révolution.
Nous savons le caractère symbolique de la déchéance de nationalité, mais un peuple vit aussi de symboles. Le drapeau tricolore, l’hymne national, la devise nationale sont autant de symboles qui nous permettent de nous rattacher à la Nation, quels que soient nos divergences et nos désaccords. La déchéance prévue dans le texte de loi n’est pas une idée neuve dans notre histoire ni notre législation. Elle n’est ni de gauche, ni de droite, ni du centre.
À plusieurs reprises, elle a été utilisée par la République, contrairement à ce que j’ai pu entendre lors de la défense des motions de procédure. Les premières Constitutions de notre République l’avaient prévue pour faire sortir de la Nation ceux qui combattaient la République, c’est-à-dire précisément l’outil en train de façonner l’idée nationale ; pour en faire sortir également ceux qui pratiquaient l’esclavage, c’est-à-dire ceux qui ne partageaient pas la conception fondatrice de notre nation, à savoir les droits de l’homme et du citoyen.
Oui, la déchéance est possible, elle est républicaine, notamment lorsqu’il s’agit de combattre ceux qui rejettent les valeurs fondamentales de la République. Mais le chemin que vous empruntez, monsieur le Premier ministre, nous paraît accidenté et incertain.
Dans la première version de l’article 2, vous prévoyiez que seuls les crimes – et sur cela, nous étions d’accord – pouvaient conduire à une déchéance de nationalité, mais cela ne pouvait concerner que des binationaux, c’est-à-dire des personnes qui, n’ayant pas de parents ou de grands-parents français, se voient infliger – en étant même parfois affligés – une double nationalité dont ils ne peuvent pas nécessairement se défaire. Ils seraient ainsi pris en otage en raison de leur naissance, au moment où la loi s’appliquerait à eux.
Ni dans la loi fondamentale, ni dans la loi ordinaire, ni même dans les conventions internationales que vous nous inviterez à ratifier, nous ne voulons voir figurer de différences entre les Français. C’est contraire à notre vision du citoyen français. Quand on devient français, on le devient totalement, pleinement, entièrement, pas provisoirement, pas sous conditions, pas avec une clause de révision !
On juge quelqu’un pour ce qu’il fait, pour le crime qu’il a commis. On ne le juge pas en fonction de son hérédité, de ses parents, de son origine. C’est un principe fondamental de la République. Et pour nous, il n’est pas question d’y déroger, ni dans la loi fondamentale, ni dans d’autres lois, car il n’y a qu’une seule catégorie de Français.
Dans la deuxième version de cet article 2, vous avez prévu que tous les Français pourraient être déchus de leur nationalité, mais cette fois aussi bien pour des crimes que des délits. Nous ne sommes pas d’accord sur le fait qu’un délit pourrait conduire à la déchéance – nous en débattrons dans la suite de la discussion. Selon nous, seul le crime contre la Nation peut être sanctionné par une peine symbolique d’une gravité exceptionnelle.
Vous avez indiqué devant la commission des lois, monsieur le Premier ministre, que la loi ne devait pas opérer de distinction entre les Français, nous ne pouvons que vous approuver sur ce point, et que vous nous inviterez à ratifier la convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. Mais vous avez ajouté que dans la loi ordinaire, il serait prévu de ne pas créer d’apatrides. Et là, monsieur le Premier ministre, plus personne ne s’y retrouve !
À l’initiative du général de Gaulle, la convention de 1961 prévoit qu’un individu ayant porté gravement atteinte à la Nation puisse être déchu, qu’il soit mononational ou binational.
Cette précaution, demandée par le général de Gaulle au nom de la France, nous souhaitons non seulement que votre gouvernement la reprenne à son compte si vous proposez de ratifier la convention, mais que vous vous engagiez à ce que la disposition soit appliquée. Ferez-vous preuve de la même prudence que le général de Gaulle ?
C’est une question à laquelle il faudra répondre.
Si la réponse est non, si la France n’exprime pas ces réserves, si elle ne permet pas quelques cas d’apatridie, rares comme vous l’avez vous-même souligné, cela signifierait que, même si cela ne figurait ni dans la Constitution ni dans la loi ordinaire, vous rétabliriez insidieusement deux catégories de Français, ce que nous ne saurions accepter.
Vous l’aurez compris, pour notre part, nous souhaitons voir aboutir la proposition de révision constitutionnelle, en tout cas pour ce qui concerne l’article 1er. S’agissant de l’article 2, nous souhaitons que les grands principes de la République qui ont permis un rassemblement national puissent être respectés.
Nous souhaitons enfin, monsieur le Premier ministre, au fil des débats et des amendements que nous déposons, appeler votre attention sur deux sujets.
Le premier est que les personnes ayant commis des délits terroristes pourraient être frappées d’une peine d’indignité nationale. Le Gouvernement nous dit en effet – à juste titre, me semble-t-il – que mille à mille cinq cents Français ont quitté la patrie pour rejoindre, en Syrie ou en Irak, les rangs de ceux qui combattent non seulement la France, mais l’ensemble de l’humanité et toute forme de civilisation. Certains de ceux qui ont rejoint ces rangs barbares sont donc des Français et peuvent ainsi revenir en France.
Vous avez légitimement créé, avec la loi Cazeneuve, un délit consistant précisément à rejoindre les rangs des terroristes, mais il a pour objet d’empêcher le départ et rien n’est aujourd’hui prévu lors du retour. Le ministre de l’intérieur nous a parfois dit que si ces personnes revenaient, nous pourrions les arrêter. Or, monsieur le Premier ministre, ce n’est pas possible, car il y a là-bas de nombreux Français dont on ne connaît pas réellement les activités et contre lesquels on ne sait pas quels chefs d’accusation pourraient être retenus.
Nous devons donc prévoir le retour, et la peine d’indignité nationale pourrait être une réponse. Ce débat et les lois qui viennent devraient en être l’occasion. Comment imaginer, par exemple, que ces personnes puissent demain, revenant en France, occuper un emploi public, gérer des associations ou des entreprises ? Leur retour sur le territoire national ne pourrait-il être assorti de conditions prévues par la loi ?
Je souhaiterais enfin que nous ayons, au cours de ces débats, la garantie que l’assignation à résidence ne signifie pas seulement que la personne concernée doit venir pointer au commissariat, mais que l’on vérifie où elle se trouve effectivement sur le territoire national. Je suis, vous le savez, maire d’une ville où l’on a pu constater que l’assignation à résidence ou le contrôle judiciaire n’empêche pas nécessairement de s’enfuir de notre pays. Là aussi, notre droit doit évoluer.
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, pour commencer ce débat, je crois utile de rappeler pourquoi nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur ce projet de loi constitutionnelle, pourquoi il est légitime de le faire et pourquoi il est important de concrétiser cette réforme de notre loi fondamentale.
Nous sommes ici pour mettre en oeuvre un engagement pris par le Président de la République au lendemain de la terrible attaque du 13 novembre 2015, dans une allocution que nous avions saluée, me semble-t-il, comme étant à la hauteur de la gravité du moment et du défi auquel notre pays doit faire face. Je suis de ceux qui se sont levés pour applaudir, à Versailles, ce discours et ces annonces présidentielles. Nous sommes nombreux à l’avoir fait, non pour céder à une quelconque forme d’émotion collective, mais bien en pleine conscience de notre responsabilité face à la gravité de la situation. Jamais la France n’a connu une attaque terroriste d’une telle ampleur depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Les Français ne l’ont pas oublié. Dans ce débat, nous, parlementaires, ne l’oublions pas.
Nous avons, comme l’immense majorité des Français, compris et approuvé la décision prise dès le soir du 13 novembre de décréter l’état d’urgence. Nous avons, à la quasi-unanimité, voté sa prorogation pour trois mois, après en avoir modifié les conditions juridiques dans le sens d’un meilleur contrôle et de plus grandes garanties pour les libertés publiques, et après avoir actualisé la loi datant de 1955 compte tenu des réalités d’aujourd’hui.
Réviser la Constitution est aujourd’hui légitime, car inscrire l’état d’urgence dans la Constitution, au même titre qu’y figurent les deux autres états d’exception prévus par notre droit – les pleins pouvoirs et l’état de siège –, c’est faire preuve de lucidité quant aux perspectives de voir la question se poser de nouveau, et c’est s’assurer que son usage sera réellement adapté à la menace. Que le renouvellement de l’état d’urgence soit subordonné à un vote du Parlement, qu’il soit limité dans le temps et que son contrôle parlementaire soit assuré et garanti par la Constitution serait une avancée importante de l’État de droit. La rédaction de cet article sur l’état d’urgence permettra de faire face non seulement à la menace terroriste, mais aussi à d’autres menaces exceptionnelles – je pense notamment à des catastrophes écologiques majeures qui pourraient malheureusement survenir.
Adapter notre arsenal juridique à la gravité de la menace, c’est aussi adapter notre arsenal de sanctions à la gravité de l’atteinte portée à la nation française. C’est le sens de l’article 2 de ce projet de loi, qui nous a occupés déjà longtemps dans le débat politico-médiatique et sur lequel la controverse n’a déjà que trop duré. Les Français regardent avec effarement ces polémiques entretenues et relancées par celles et ceux qui veulent faire oublier la gravité de la menace et des actes terroristes.
Ma sensibilité politique, comme toutes les familles politiques qui composent notre assemblée, est partagée sur cette question et nous aurons tous l’occasion d’exprimer notre point de vue au moyen de différents amendements. Tous les points de vue sont légitimes et respectables, mais ce qui ne l’est pas, ce sont les amalgames historiques avec le régime du maréchal Pétain.
Il est malhonnête d’affirmer que serait remis en cause, dans notre pays, le droit du sol ou le droit d’avoir plusieurs nationalités. Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas le contenu de cet article 2 de la réforme de la Constitution.
La question de la déchéance de nationalité n’est pas nouvelle. Elle a été introduite dans les premières Constitutions de la République française, en 1791, 1793, 1795 et 1799, en même temps que se formalisait la conception républicaine de la Nation, fondée sur le partage de valeurs.
Cette peine symbolique est légitime. La France n’ a pas été attaquée pour ce qu’elle fait, mais pour ce qu’elle est, pour ce qu’elle représente aux yeux du monde. Cette réforme est aussi une façon de dire que, lorsqu’elle est attaquée, la France se défend, qu’elle se rassemble pour défendre ses valeurs.
Personne ne pourra dire que cette réforme est conduite dans l’urgence, car l’annonce du Président de la République remonte déjà à près de trois mois. Si nous voulons concrétiser cette réforme de la Constitution, il nous faut trouver entre nous tous, Assemblée et Sénat, majorité et opposition réunis, un point d’équilibre susceptible de réunir au Congrès une majorité des trois cinquièmes.
Refusons les caricatures et les raccourcis historiques souvent aussi grossiers qu’inconvenants, et regardons le contenu du texte. La nouvelle rédaction de l’article 2 sur la déchéance de nationalité, les clarifications apportées par l’avant-projet de loi et l’annonce de la ratification de la convention de 1961 excluent tout affichage de distinction entre Français ayant la seule nationalité française et Français en ayant une ou plusieurs autres.
Je suis convaincu que, moyennant quelques amendements sur l’article 1er, nous avons maintenant une architecture constitutionnelle et législative susceptible de rassembler. Débattre et se rassembler, voilà ce que nous demandent les Français. Alors, débattons et rassemblons-nous.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, je sais que votre sincérité et totale. Ma franchise le sera donc aussi.
Il me semble indispensable de constitutionnaliser l’état d’urgence, pour trois raisons que j’évoquerai brièvement.
La première est que cette constitutionnalisation cadre le recours à l’état d’urgence en prévoyant les conditions de son déclenchement et de son déroulement. Si, ultérieurement – un jour, plus tard, peut-être –, un pouvoir autoritaire voulait recourir de manière arbitraire à cet état d’urgence, il ne le pourrait pas par la loi ordinaire, car la Constitution y ferait barrage.
La deuxième raison est que, sans constitutionnalisation de l’état d’urgence, on pourrait être tenté de recourir à d’autres régimes de crise qui figurent déjà dans la Constitution et sont infiniment plus rigoureux, plus drastiques, excessifs parfois :…
…l’article 16 et ses pouvoirs exceptionnels ou l’article 36 sur l’état de siège, qui transfère aux autorités militaires certains pouvoirs de l’autorité civile.
La troisième raison, enfin, tient à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui s’autorise – et il a du reste raison – à apprécier la validité de lois prorogeant l’état d’urgence même s’il en a déjà validé auparavant d’autres en ce sens, ce qu’il peut faire notamment par le biais des questions prioritaires de constitutionnalité. Or, cet état d’urgence risque d’être fragilisé, car le Conseil constitutionnel déclare qu’il peut changer sa jurisprudence en cas de changement des circonstances de droit ou de fait. Une norme constitutionnelle entraînera moins d’incertitude.
À la demande des groupes parlementaires de la majorité – qui sont au nombre de deux –, l’article 2 du projet de loi constitutionnelle a sensiblement changé. Dans sa rédaction initiale, il n’était pas toujours très opportun. Il inscrivait en effet dans la Constitution une distinction entre deux catégories de Français, traitées inégalement : d’un côté, les mononationaux, les Français dits parfois « de souche », qui n’auraient pu être déchus de leur nationalité ; de l’autre, les binationaux, généralement par filiation, qui auraient pu l’être. Cela semblait – à certains du moins – discriminer les binationaux, qui pouvaient avoir le sentiment d’être considérés comme des Français de second ordre.
Une telle distinction aurait été en contradiction avec l’article 1er de la Constitution, qui dispose que « la France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine ». Outre qu’elle n’aurait pas été conforme à ce principe républicain, elle n’aurait pas non plus été très fonctionnelle. En effet, le commando terroriste du 13 novembre comptait neuf membres, dont trois Français mononationaux, c’est-à-dire n’ayant pas d’autre nationalité : sur la base du texte initial, ils n’auraient pas pu être déchus de leur nationalité et auraient bénéficié d’une sorte d’immunité anti-déchéance, liée à leur qualité de mononationaux. Pourtant, ces trois terroristes étaient-ils moins coupables que les six autres ? Lorsqu’il y a égalité dans le crime, il doit y avoir égalité dans la sanction.
À la suite de plusieurs contacts avec les parlementaires – pris de manière directe ou dans le cadre de la réunion de la commission des lois, le 27 janvier –, le Gouvernement a accepté de modifier l’article 2. Le 28 janvier, il a présenté un amendement supprimant toute référence à la binationalité, lequel a été adopté par la commission des lois. Ce changement est en soi positif, mais est-il vraiment nécessaire, une fois qu’il est intervenu, d’envisager une modification de l’article 2 ? Ce n’est pas certain. On peut en effet penser qu’il n’y a pas nécessité absolue de modifier l’article 34, qui évoque déjà la nationalité et autorise ainsi à traiter des conditions d’acquisition, de perte ou de déchéance de la nationalité.
Montesquieu, déjà cité tout à l’heure, écrivait dans les Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains que les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. On pourrait dire plus prosaïquement, dans des termes empruntés à la gestion de la voirie urbaine, que cet article 2 est devenu un encombrant et qu’il faut donc s’en débarrasser sans procéder à son stockage dans les couches profondes de la Constitution.
Vendredi, cependant, les présidents de groupe ont reçu un avant-projet de loi d’application, peut-être rédigé dans une certaine hâte, qui ne correspond guère au nouvel article 2 modifié car, implicitement, il se fonde de nouveau sur le critère de la binationalité. Cet avant-projet de loi d’application appelle donc une clarification supplémentaire, afin d’éviter cette contradiction avec l’article 2 opportunément modifié par le Gouvernement.
On nous annonçait une formule magique : s’il s’agit de cet avant-projet de loi ordinaire, les magiciens ne sont plus ce qu’ils étaient et Robert Houdin n’est pas encore surpassé. Mais, après tout, la Constitution ne relève pas de la magie ni de l’illusionnisme, surtout si l’on rate ses tours et si l’artifice devient très visible. Monsieur le Premier ministre, vous avez raison d’envisager de corriger cet avant-projet de loi, qui se caractérise par son contenu assez insolite. S’il reste en l’état, ce texte trouvera sa place naturelle dans un cabinet de curiosités juridiques.
Le Parlement peut le modifier ! C’est votre rôle !
L’amendement déposé à cette fin par les parlementaires doit avoir le soutien du Gouvernement, sans quoi nous sommes dans l’impossibilité de le faire adopter.
J’espère que vous comptez sur vous-même !
Tout cela relève donc de la concertation traditionnelle entre le Gouvernement et les groupes de la majorité.
En définitive, vous paraissez retenir les deux solutions que nous proposons depuis plusieurs semaines.
Cette convention est protectrice car son objet même est la réduction des cas d’apatridie. Mais elle prévoit, à juste titre, à son article 8, paragraphe 3, la possibilité d’une déchéance de la nationalité dans des cas exceptionnels et très limités, comme le fait de porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État concerné ou de répudier son allégeance envers cet État. C’est précisément le cas des terroristes du 13 novembre : ceux qui renient leur patrie, ceux qui tirent sur leurs compatriotes au fusil d’assaut s’excluent à l’évidence de la communauté nationale.
Il conviendrait aussi de ratifier la Convention européenne sur la nationalité adoptée le 6 novembre 1997 dans le cadre du Conseil de l’Europe. Cette convention, que la France a signée le 4 juillet 2000, est, elle aussi, protectrice et prévoit, elle aussi, la privation de la nationalité « en cas de préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État. »
Il existe aussi une seconde solution, que nous proposons depuis la mi-décembre, solution plus simple et aussi efficace : recourir à l’interdiction des droits civiques, civils et de famille, prévue à l’article 131-26 du code pénal, et naguère dénommée « dégradation civique ».
Selon l’article 422-3 du code pénal, les auteurs d’actes de terrorisme encourent cette peine complémentaire, qui peut s’ajouter à la réclusion criminelle. Ceux-ci ne seraient pas déchus de leur nationalité, mais ils seraient privés de leur citoyenneté dans ses attributs essentiels. Au plan symbolique, cette peine constituerait une sanction analogue, surtout si l’on rétablit sa dénomination d’avant 1992, c’est-à-dire « dégradation civique », ou si l’on cette sanction « déchéance civique », pour marquer avec force la réprobation publique qui doit s’y attacher.
Je rappelle d’ailleurs que l’indignité nationale, infraction prévue par les ordonnances de 1944 mais abrogée par le nouveau code pénal, était sanctionnée par une peine dénommée « dégradation nationale », terme qui pourrait être également utilisé.
Il est évidemment difficile, puisque nous ne connaissons pas les amendements qui nous seront proposés, même si nous en connaissons certains, de se déterminer d’entrée de jeu, dans ce débat qui sera riche et important, vu les incertitudes qui demeurent. Nous le ferons donc, comme chacun des groupes, au terme du débat et au vu des clarifications qui seront très certainement apportées. C’est le propre du débat parlementaire et c’est son objet même.
Le chef de l’État l’a d’ailleurs rappelé dans ses voeux du 31 décembre : « Il revient désormais au Parlement de prendre ses responsabilités. Le débat est légitime, je le respecte : il doit donc avoir lieu. » Place donc au débat, et nous déciderons à son issue.
Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, des attaques terroristes, d’une lâcheté, d’une cruauté sans nom, nous ont frappés au coeur. En France, comme partout dans le monde, l’intensité de la menace n’a pas faibli et perdurera, tant que la bête immonde ne sera pas anéantie, la bête immonde dont parlait Bertolt Brecht, qui a pris aujourd’hui le nom de Daech.
Aussi devons-nous faire preuve de détermination et d’efficacité face à l’armée de fanatiques qui nous a pris pour cible. A priori, aucune piste pour l’affronter ne doit être écartée d’emblée. C’est même la condition sine qua non pour nous protéger et vaincre cette barbarie.
Si la vie ne pourra plus être tout à fait la même après ces jours sanglants, nous pensons, comme le disait le Président de la République aux Invalides, que la France devra rester elle-même, telle que les disparus l’avaient aimée. Oui, nous en sommes convaincus, malgré les épreuves, la France doit rester fidèle à ce qu’elle symbolise : la terre des libertés, celle des droits de l’homme et du respect des valeurs universelles d’égalité et de fraternité.
Elle doit également, surtout dans des circonstances dramatiques, savoir préserver les équilibres structurels de notre État de droit et de la séparation des pouvoirs. Chaque mesure prise pour lutter contre le terrorisme ne peut venir heurter ces symboles et ces principes et seules les mesures efficaces dans la lutte contre le terrorisme doivent être mises en oeuvre.
Au lendemain des attentats, dans un contexte inédit, la déclaration de l’état d’urgence se justifiait malgré une restriction inévitable des libertés. Sa prolongation, une semaine après les attaques, apparaissait nécessaire pour une durée limitée et dans un cadre légal strictement défini. C’est pourquoi nous avons voté sa prorogation à l’unanimité de notre groupe.
Des mesures exceptionnelles dans des circonstances exceptionnelles, c’est d’ailleurs la raison d’être de l’état d’urgence, dont l’obsolescence est programmée, comme le rappelait alors le rapporteur de la loi de prorogation de l’état d’urgence, aujourd’hui garde des sceaux.
Nous sommes réunis pour avaliser le souhait du Président de la République d’inscrire dans notre Constitution l’état d’urgence et la déchéance de la nationalité pour les binationaux nés Français. Je le dis nettement, nous ne pensons pas que la modification de notre loi suprême, du texte fondateur de notre République, soit nécessaire.
Nous défendons, certes, la réécriture de notre Constitution pour fonder une VIe République, mais nous réfutons toute révision de simple opportunité politique. Notre conviction, c’est que notre Constitution ne devrait pas subir des modifications de pures circonstances, dont l’utilité n’est pas avérée ou qui pourraient être réglées par la loi ordinaire, tel que l’affirme sans ambages son article 34. « Il faut prendre les droits au sérieux », déclarait avec solennité le philosophe du droit, Ronald Dworkin.
Si la Constitution a une valeur supérieure à celle de toutes les autres normes de droit interne, c’est en raison de l’importance des règles et principes qu’elle contient. Ni l’état d’urgence, ni la déchéance de la nationalité n’ont vocation à y figurer.
Certes, la constitutionnalisation de l’état d’urgence ne signifie pas, en soi, l’institution d’un état d’urgence permanent : ce sont toujours des circonstances exceptionnelles qui justifieront la mise en place des mesures exceptionnelles prévues par la loi de 1955. Le déclenchement de ce régime restera subordonné à une décision prise en conseil des ministres et le Parlement devra autoriser sa prorogation au-delà de douze jours.
Cela étant, cette constitutionnalisation est, pour le moins, contestable juridiquement. En effet, l’état d’urgence s’applique actuellement sans rencontrer d’obstacle constitutionnel, et le principe de l’existence d’un tel état d’exception a déjà été validé dans le passé par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État. Surtout, depuis sa décision du 22 décembre 2015, le Conseil constitutionnel a clairement admis la possibilité pour la loi d’organiser un régime d’état d’urgence sans violer la Constitution. En bref, cette constitutionnalisation n’est pas utile.
Du reste, elle n’apporte aucune garantie juridique supplémentaire s’agissant des dispositions législatives, actuelles ou à venir, encadrant l’état d’urgence. La loi de 1955 modifiée, ou toute loi prise sur le fondement du futur article 36-1, devra être conforme au bloc de constitutionnalité et pourra être contrôlée par le Conseil constitutionnel.
La constitutionnalisation de l’état d’urgence devrait également permettre, selon le Premier ministre, « d’empêcher la banalisation de l’état d’urgence ou tout recours excessif ». Cet argument n’est pas plus convaincant : la constitutionnalisation de l’état d’urgence n’est pas, en soi, une garantie contre les abus et dérives liberticides. Elle ne permet ni d’encadrer plus strictement les pouvoirs exorbitants accordés à l’exécutif, ni de garantir un meilleur équilibre entre liberté et sécurité.
Comme le souligne Olivier Beaud, professeur à l’université Panthéon-Assas, « Constitutionnaliser, c’est-à-dire institutionnaliser, banaliser, naturaliser l’état d’exception, n’est pas un progrès pour la démocratie. »
En définitive, l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution relève moins de l’argument juridique que de l’opportunité politique.
Venons-en maintenant au feuilleton à rebondissements de la déchéance de nationalité. Les multiples volte-face de l’exécutif sur une nouvelle rédaction de notre norme suprême nous obligent à rappeler l’intention initiale de l’exécutif, indispensable pour appréhender tout l’esprit de cet article 2. Cet article, tel qu’il vient en discussion, et conformément à l’annonce faite par le Président de la République au Congrès de Versailles, prévoit la déchéance de la nationalité pour les binationaux nés Français et condamnés pour terrorisme.
Ce dispositif qui opère une distinction entre deux catégories de Français symbolise la division de la communauté nationale si chère à l’extrême droite et aux islamistes qui ne croient pas dans notre capacité à vivre ensemble, dans notre unité par-delà une diversité de cultures, de croyances ou d’origines.
Dans l’amendement gouvernemental, présenté la semaine dernière, les binationaux n’apparaissent plus en tant que tels. Pour autant, en pratique, ils restent les seuls concernés par la déchéance de la nationalité. En effet, dans l’avant-projet de loi du même nom, il est prévu que cette peine ne peut avoir pour effet de rendre la personne condamnée apatride. Cela est d’ailleurs conforme à votre déclaration, monsieur le Premier ministre, du 6 janvier dernier, dans laquelle vous repoussiez l’idée de créer des apatrides.
Ce subterfuge ne change pourtant rien au fond : l’esprit de cet article, à défaut de sa lettre, distingue deux catégories de Français. Les oppositions à cette inégalité fondamentale sont si larges et si nombreuses que l’exécutif a continué de s’enfoncer dans l’embrouillamini qu’il a lui-même créé – « seul, comme un grand », pourrait-on dire.
D’où la dernière écriture, avant-hier, de cet amphigouri : le Gouvernement renoncerait, dans une énième contorsion, à faire figurer l’interdiction de l’apatridie dans le projet de loi portant réforme de la déchéance de la nationalité. En résumé, il s’agit de mettre en place la « déchéance pour tous ».
Au final, donc, pas de distinction entre les Français binationaux et les autres. La mise en place de la déchéance pour tous, qui rend donc possible l’apatridie, peut-elle sérieusement être considérée comme une porte de sortie honorable, monsieur le Premier ministre ? Bien évidemment que non ! La patrie des droits de l’homme pourrait-elle assumer, aussi impunément, de violer les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme en privant un homme, même le plus monstrueux d’entre eux, d’une nationalité ? Où iront-ils après l’ultime frontière, pour reprendre la formule du poète palestinien Mahmoud Darwich ?
Sans vouloir dévaliser des mots écrits dans un autre contexte, j’ai aussi en tête de beau cri de douleur mais aussi d’espoir de Pablo Neruda : « Je veux vivre dans un pays où il n’y a pas d’excommuniés », premier vers de son si beau poème J’avoue que j’ai vécu.
Pour ce qui nous concerne, nous ne serons pas de ceux qui porteront cette lourde responsabilité qui marquera l’histoire de notre Ve République.
Et pourquoi d’ailleurs assumer une telle responsabilité ? La proposition n’a aucun intérêt ni en droit ni en pratique. Quel serait, en effet, le sens de cette peine ? Ni de dissuader le djihadiste fanatique de passer à l’acte, ni de punir le bourreau qui pourra brandir sa déchéance comme un trophée. En définitive, cette mesure est tout aussi inopportune qu’inefficace, quelle que soit d’ailleurs la version finale qui sera retenue.
On ne bricole pas avec la Constitution, quand le contexte exige fermeté, détermination et exemplarité. L’efficacité doit être notre premier objectif, tant la menace terroriste reste prégnante.
Les terroristes agissent aujourd’hui au nom de Daech. Il faut donc d’abord s’en prendre à cette organisation terroriste qui parvient à recruter ses kamikazes chez nos concitoyens. Daech n’est pas un phénomène spontané. Daech a une histoire, une histoire dont les racines ont proliféré dans la situation de chaos provoquée par les interventions occidentales au Moyen-Orient.
Nous devons mesurer les conséquences des guerres globales contre le terrorisme sur le recrutement de ces terroristes, autrement dit sur le terreau qui alimente cette armée. Cela signifie que la seule riposte militaire ne peut suffire. Il faut à la France une stratégie politique visant au retour de la paix et au développement de toute la région.
Il faut également bâtir des stratégies pour terrasser notre ennemi en asséchant ses mannes financières colossales. Nous devons enfin remettre en cause les compromis passés avec les puissances fondamentalistes de la région au prétexte qu’elles sont libérales économiquement.
Je le dis avec gravité : nous ne serons pas en mesure d’offrir la sécurité légitime à laquelle notre peuple aspire sans résoudre ces questions qui vont bien au-delà de nos frontières.
À l’intérieur de nos frontières, il y a urgence aussi à mettre en place des réformes efficaces, d’abord pour nous permettre d’empêcher de nouveaux recrutements parmi les enfants de notre République. La déradicalisation est une chose indispensable sur le court terme. Empêcher la radicalisation l’est encore plus sur le moyen terme.
Cela fait froid dans le dos, mais c’est une réalité : la France est aujourd’hui l’un des premiers pays fournisseurs de djihadistes. Les violences de jeunes Français qui tuent aveuglément et prennent pour cible des citoyens désarmés sont en effet le symptôme d’un système économique toujours plus inégalitaire, le symptôme d’un système social discriminant, le symptôme d’un système démocratique en ruine ; un système qui livre aux idéologues fanatiques et criminels des esprits fragiles, des relégués sociaux qui ont la folie de croire qu’ils vont donner un sens à leur existence.
Il nous faut donc actionner tous les leviers, de l’école au monde du travail, en passant par la culture et l’éducation populaire pour ne plus fournir de chair à canon à Daech.
De même, nous appelons le Gouvernement à se donner les moyens humains et financiers de remplir ses missions régaliennes. La défense, la police, la justice, l’école, la santé, nul ne doit être démuni.
Dans ce cadre, il convient de repenser l’organisation de la lutte contre le terrorisme car, malgré le courage de nos forces de police, des dysfonctionnements majeurs sont apparus dans nos dispositifs de renseignement, de surveillance et de répression des terroristes. La fusion, décidée par Nicolas Sarkozy, de la direction de la surveillance du territoire avec les Renseignements généraux a eu des effets dévastateurs. Comme le souligne Marc Trévidic, ancien juge d’instruction au pôle antiterroriste, nous y avons « beaucoup perdu, notamment en termes de renseignement local et de maillage du territoire. […] La question est de savoir comment ce qui est récolté par les renseignements va pouvoir être utilisé par le judiciaire. »
À l’ensemble de ces mesures de fond qui s’inscrivent sur le long terme, vous avez privilégié le spectaculaire, même si, monsieur le ministre, vous trouvez le mot excessif : l’affichage politique d’une réforme constitutionnelle effaçant l’exigence d’efficacité et de dissuasion. « À force de sacrifier l’essentiel, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. »
Pour conclure, nos concitoyens n’ont rien à gagner et les terroristes rien à craindre de cette réforme constitutionnelle, symbole d’une République du repli, de la peur et du rejet, d’une République qui s’abaisse plutôt que de grandir.
Parce que nous sommes respectueux de notre norme juridique suprême, porteuse de valeurs fondamentales non négociables, mais aussi par honnêteté envers nos concitoyens qui aspirent à un État protecteur, c’est en toute responsabilité que nous voterons résolument contre cette modification de notre Constitution.
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, comme chacun d’entre nous j’aborde ce débat avec gravité.
En premier lieu, je souhaiterais souligner une chose : c’est l’honneur des démocraties que de répondre à la menace et à la terreur par les moyens de la démocratie, qui sont ceux de la délibération collective et du droit.
Je soulignerai également un deuxième point tout aussi essentiel : le 16 novembre, tous ou presque à Versailles, nous avons répondu à la demande d’unité nationale formulée par le Président de la République et au-delà du Président par les Français eux-mêmes, qui nous l’ont d’ailleurs, ne l’oublions pas, rappelé sèchement dans les jours qui ont suivi, quand nous y avons manqué dans cet hémicycle. Faisons attention à ne pas retomber dans le même travers.
Aujourd’hui cette réunion du congrès nous engage, nous oblige et nous contraint. Nous ne pouvons nous soustraire à cet engagement premier.
Ils savent, nos concitoyens, et nous nous en rendons compte tous les jours dans nos circonscriptions, que nous sommes en guerre et que cette guerre prend des formes multiples. Il s’agit d’une guerre diffuse en vérité. Nous sommes engagés au sein d’une coalition internationale contre ce que le ministre de la défense qualifie de proto-État, qui, de l’Irak à la Syrie, couvre un territoire presque aussi grand que celui de la Grande-Bretagne.
Et dans le même temps nous faisons face à une menace qui peut à tout moment s’abattre sur notre territoire national, mobilisant des individus qui, en quelques clics, font allégeance à Daech, mais aussi en mobilisant des réseaux plus anciens, plus structurés, mieux préparés, dont la volonté est de frapper massivement et durement notre pays.
Dans ce moment particulier de notre histoire, c’est dans l’unité nationale que nous devons répondre.
Parce que l’essentiel est en jeu, il est de notre responsabilité de nous rassembler. C’est ce que nous avons su faire au lendemain des assassinats de janvier de l’année dernière. C’est ce que nous avons su faire au lendemain des massacres du 13 novembre. C’est ce que nous avons su faire en votant l’état d’urgence et en le prorogeant. C’est ce que nous avons su faire en reconduisant l’engagement de nos forces aériennes en Syrie. C’est ce que savent faire chaque jour nos concitoyens qui acceptent les mesures de sécurité nouvelles qui ont été mises en place sans rien changer à leur mode de vie.
Aujourd’hui, le Président de la République, et le Gouvernement avec lui, monsieur le Premier ministre, nous demande d’aller plus loin. Alors je sais que ce projet de loi constitutionnel dit de protection de la Nation bouscule des convictions chez certains, bouscule des lignes, traverse tous les groupes de notre assemblée. Mais je sais aussi qu’au terme de notre débat chacun devra en conscience prendre ses responsabilités, parce que dans la situation qui est celle que connaît notre pays, face à la responsabilité que vous affrontez, monsieur le Premier ministre, face à la responsabilité essentielle du Président de la République, garant de nos institutions, le Parlement ne peut pas faillir, ne peut pas manquer au soutien que nous devons vous apporter dans les moments que vit notre pays.
Ce texte, vous avez rappelé de quoi il traite. Il introduit dans la Constitution l’état d’urgence, et je me félicite que les premières discussions que nous avons eues en commission permettent un contrôle plus fort du Parlement, comme nous l’avons souhaité.
Je veux dire deux mots de l’article 2 qui évoque, quant à lui, le vivre ensemble et renvoie à une certaine hiérarchie des peines. Si nous votons ce texte – et nous devons le voter –, si le Sénat le vote – et il doit le voter –, si une majorité des trois cinquièmes au Congrès vote cet article 2 tel que nous l’avons modifié en commission, alors la nation pourra dire au monde et à celles et ceux qui combattent contre elle : « Sachez que l’on ne peut pas appartenir à une communauté nationale que l’on souhaite détruire. » Cet article 2 ne veut rien dire d’autre que cela.
C’est cela que nous voulons signifier, et rien d’autre.
Il n’y aura pas, à travers ce texte et à travers les lois d’application, de rupture d’égalité entre terroristes selon qu’ils seraient mono ou binationaux.
Il n’y aura pas de manquement à nos engagements internationaux. Il y aura même un progrès réel en droit car ce qui relève aujourd’hui d’une décision administrative et au final politique sera apprécié par un juge.
Comme il y a des crimes contre l’humanité, comme il y a des crimes de guerre, il y a des crimes qui ne sont pas ordinaires. Ceux visés à l’article 2 ne sont pas des crimes ordinaires. Une nation, mes chers collègues, est en droit de dire ce qu’elle n’accepte pas, et, pour le moins, de dire que l’individu qui se met au service d’un groupement armé, terroriste, et ennemi de la France, peut perdre la nationalité française.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, le 16 novembre 2015, après l’horreur absolue du 13, nous avions la surprise d’entendre le Président de la République se rallier à des propositions précédemment émises par notre groupe, concernant la déchéance de nationalité des binationaux convaincus de terrorisme. Il fixait comme limite à cette déchéance, je le cite, « de ne pas avoir pour résultat de rendre quelqu’un apatride. »
C’est ainsi qu’il annonçait ensuite, là où, comme nous le proposions, une réforme du code civil suffisait, une réforme constitutionnelle visant à inscrire dans la Constitution d’une part ce principe, d’autre part celui de l’état d’urgence qui venait d’être décrété.
Le projet de loi constitutionnelle dit « de protection de la Nation », était signé le 23 décembre notamment par Mme Taubira qui s’empressait ensuite de déclarer qu’elle y était hostile et démissionnait du Gouvernement.
Quoi qu’il en soit, nous pensions que la majorité approuvait évidemment les deux articles de cette réforme qui suppose, pour être adoptée par le Congrès, une majorité qualifiée correspondant à un certain consensus, nécessaire lorsqu’il s’agit de modifier notre pacte fondamental – consensus auquel notre groupe était prêt à apporter sa pierre.
Mais très vite nous constations de lourdes dissensions au sein de la majorité qui, de semaine en semaine, ont laissé place à la confusion la plus totale. Comme le confirmait avant-hier à un journaliste un éminent responsable socialiste de notre assemblée : c’est forcément du bricolage car pour aboutir à une majorité des trois cinquièmes c’est comme faire entrer un édredon dans une petite valise. Mais on ne bricole pas la Constitution, sans compter, accessoirement, qu’un édredon dans une valise n’a jamais servi à grand-chose.
C’est si vrai que dès la réunion de la commission des lois, le Gouvernement, poussé par sa majorité, réécrivait l’article 2 de son projet, ôtant toute référence à la déchéance des binationaux et la remplaçait par un complément à l’article 34 de la Constitution en forme de tautologie.
L’actuel article 34, en effet, dispose que la loi fixe les règles concernant la nationalité, ce qui comprend naturellement tout ce qui touche à son acquisition, à sa perte, à sa déchéance et aux droits qui y sont attachés. Le nouveau texte devient : la loi fixe les règles concernant la nationalité, y compris les conditions de la déchéance et des droits attachés en cas de condamnation pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la Nation. C’est donc exactement la même chose dite autrement. Le projet de loi de protection de la Nation ne devient-il pas un projet de loi pour rien ?
En tout cas, la plus-value fondamentale qui en résulterait et qui justifierait de toucher à la Constitution doit nous être expliquée clairement.
Nous avons aussi pris connaissance de l’avant-projet de loi d’application qui ne manque pas de poser lui-même de nombreuses questions. Et encore ne disposons-nous pas de la bonne version puisque le Gouvernement vient, semble-t-il, de donner un accord à sa majorité pour le modifier en rendant maintenant possible l’apatridie.
La nouvelle rédaction de l’article 34, sur laquelle nous allons discuter, ne faisant référence ni aux binationaux ni à l’apatridie, inscrit donc implicitement dans la Constitution française le principe que la déchéance de nationalité peut aboutir à créer des apatrides. Certes, les conventions internationales qui engagent la France, de mon point de vue, ne l’empêchent pas dans ces circonstances. Mais est-il bien opportun d’inscrire l’apatridie comme principe constitutionnel d’autant qu’à la fin, les apatrides resteront sur le territoire ?
En second lieu, la déchéance change de nature et devient une peine complémentaire prononcée par le juge alors que le code civil prévoit actuellement la procédure du décret en Conseil d’État. Est-il opportun, en matière de nationalité, attribut régalien par excellence, d’attribuer son traitement à l’autorité judiciaire ?
Par ailleurs, monsieur le Premier ministre, l’exposé des motifs de la nouvelle rédaction de l’article 2 du projet restreint expressément la déchéance des droits attachés aux seuls actes de terrorisme.
Parmi ces droits figurent le droit de vote, d’éligibilité, d’exercer une fonction publique, etc. Or, dans le droit positif actuel, de nombreuses infractions sans rapport avec le terrorisme sont sanctionnées par des peines complémentaires de déchéance de tel ou tel de ces droits. Seront-elles supprimées ?
D’autre part encore, par application de l’article 702-1 du code de procédure pénale, toute personne peut être relevée judiciairement d’une déchéance prononcée à son encontre par une juridiction.
Le projet de loi d’application – en tout cas, celui que nous avons – n’apporte qu’une restriction de délai à la demande de relevé de déchéance – en l’occurrence, dix ans – à compter de la condamnation sans énoncer aucun critère. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait au minimum compléter ?
Ce ne sont là que les questions les plus simples ; d’autres, infiniment plus complexes, exigeraient que je dispose d’un temps de parole plus long.
J’en arrive plus rapidement à l’état d’urgence, qui soulève aussi quelques questions. D’abord, le Conseil constitutionnel ayant à deux reprises confirmé sa conformité à la Constitution, le Conseil d’État ayant rendu un avis identique, quelle est la plus-value réelle de sa constitutionnalisation…
… a fortiori quand vous allez proposer au vote du Parlement un projet de loi qui prévoit d’étendre aux périodes hors état d’urgence certaines mesures exceptionnelles applicables en période d’état d’urgence, sans apparemment que cela ne vous pose de question de compatibilité avec la Constitution ?
Où est la cohérence ?
Seul le principe même de l’état d’urgence est visé par le projet de réforme. Il faudra donc une loi pour décliner les mesures susceptibles d’être prises, et ce sous le contrôle du Conseil constitutionnel.
Il n’est pas exclu que l’inscription du principe dans la Constitution contraigne si peu que ce soit – mais contraigne – l’appréciation du Conseil au regard notamment de l’article 66 de la Constitution instituant l’autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle, ce qui constituerait alors un recul de notre pacte social.
Au total, vous l’aurez compris, dans la situation confuse où vous nous avez amenés, nous attendons beaucoup de ce débat pour clarifier… j’allais dire à peu près tout car, pour reprendre une expression souvent entendue ces jours-ci, personne n’y comprend plus rien.
En ce qui me concerne – et cela n’engage que moi, monsieur le Premier ministre – je pense que les Français ont besoin d’autorité, pas de slogans, et pas d’une autorité de papier, au demeurant bafouée puisque le Président a dû renoncer finalement aux deux engagements qu’il avait pris devant le Congrès.
Tout le monde s’accorde à dire que le projet de protection de la Nation ne protégera personne. Pour ma part, je pense que la Constitution ne doit pas être un outil de communication.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation.
La séance est levée.
La séance est levée à douze heures cinquante.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly