Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 2 février 2016 à 14h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente :

L'Assemblée nationale a entamé mercredi dernier, en commission des lois, l'examen du projet de loi de protection de la Nation que nous examinerons à partir de vendredi en séance publique. L'article 1er du texte porte sur la constitutionnalisation de l'état d'urgence et son article 2 sur la déchéance de la nationalité.

Hier, le Conseil de l'Europe s'est dit « préoccupé » par la prolongation de l'état d'urgence en France. Son secrétaire général a écrit au président de la République pour souligner « les risques pouvant résulter des prérogatives conférées à l'exécutif durant l'état d'urgence », se référant notamment « aux conditions des perquisitions administratives ou assignations à résidence ».

Mais c'est principalement sur le deuxième point, la déchéance de nationalité, que j'ai souhaité que nous replacions le débat sur cette mesure dans son contexte européen, et l'audition de la spécialiste du droit pénal comparé et du droit européen que vous êtes, madame, s'est imposée comme une évidence.

Modifié à la fin de la semaine dernière par le Gouvernement, le projet de loi constitutionnelle devrait prévoir que la loi fixe les règles concernant « la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci lorsqu'elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la nation ».

Nous nous interrogeons sur l'articulation de cette révision constitutionnelle avec les valeurs de l'Union européenne gravées dans les traités que sont le respect de la dignité humaine et des droits de l'homme, l'égalité et la non-discrimination.

Par ailleurs, déchoir un individu de sa nationalité française conduira également, si sa deuxième nationalité est celle d'un pays non membre de l'Union européenne, à lui retirer la citoyenneté européenne et tous les droits qui s'y attachent – je pense notamment à la liberté de circulation et aux droits des membres de sa famille. Selon vous, comment cette mesure s'articulera-t-elle, si elle est adoptée, avec le droit de l'Union européenne ? La Cour de justice sera-t-elle compétente pour juger de cette question ? Que pourrait décider la Cour à propos de l'extension de la déchéance de nationalité aux auteurs de délits ? Cela pourrait-il constituer une atteinte au principe de proportionnalité ?

La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, juridiquement contraignante depuis l'adoption du traité de Lisbonne, dispose en son article 19 que « nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu'il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d'autres peines ou traitement inhumains et dégradants ». L'expulsion des terroristes déchus de la nationalité française ne risque-t-elle pas d'aller à l'encontre de ce principe ?

Le droit européen n'est pas seulement le droit de l'Union européenne : c'est également le droit de la Convention européenne des droits de l'homme. La mesure proposée dans le projet de loi vous semble-t-elle compatible avec cette Convention ? La France pourrait-elle être condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ? Quelles seraient les conséquences d'une telle condamnation ?

Enfin, de telles mesures existent-elles dans d'autres États membres ?

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