Intervention de Olivier Poivre d'Arvor

Réunion du 3 février 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur chargé de l'attractivité culturelle de la France :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de me donner l'occasion de vous présenter cette mission que m'a confiée Laurent Fabius en septembre dernier, une mission par définition limitée dans le temps et aisément évaluable par vos services et ceux du ministère des affaires étrangères à l'horizon de l'été 2016. Comme vous l'avez souligné, il s'agit d'un poste inédit qui concerne non pas le rayonnement culturel de la France à l'étranger mais son attractivité.

Ce terme peut paraître barbare, certains y voient un anglicisme alors qu'il n'a pas d'équivalent en anglais. Il désigne une réalité bien française, qui se nourrit de plusieurs bonnes nouvelles.

Il s'agit tout d'abord des chiffres du tourisme qui, depuis plusieurs décennies, nous placent au premier rang des destinations mondiales. En 2014, la France a reçu 85 millions de visiteurs ; en 2015, 83,5 millions. Reste que nous n'en tirons pas forcément le meilleur profit économique : d'autres pays moins fréquentés comme les États-Unis ou l'Espagne sont parvenus à mieux faire bénéficier leur économie du tourisme.

Nous sommes aussi – réalité que nous avons eu tendance à oublier ces dernières années – la troisième destination au monde pour les étudiants étrangers, après les États-Unis et le Royaume-Uni. Autrement dit, nous sommes le premier pays non-anglophone pour l'accueil des étudiants étrangers : 300 000 en moyenne viennent chaque année en France, avec une montée en puissance importante des étudiants asiatiques, particulièrement chinois, aux côtés d'étudiants venus du Maghreb, de l'Afrique subsaharienne mais aussi d'autres pays d'Europe, en dehors bien sûr des échanges Erasmus.

Une autre des raisons qui ont poussé Laurent Fabius à créer ce poste est liée au dynamisme de nos territoires : ce sont des territoires de patrimoine, de longue histoire culturelle, mais aussi des territoires extrêmement créatifs. Et je suis certain qu'à la faveur de la réforme de l'organisation territoriale, les régions reconfigurées inventeront de nouveaux espaces, de nouveaux projets, de nouveaux terrains, renouant avec la période des années quatre-vingt. J'étais la semaine dernière en Martinique pour la réouverture de la Fondation Clément consacrée à l'art moderne et contemporain et financée par des capitaux privés : nul doute qu'elle sera appelée à jouer un rôle très important en matière de dynamique artistique dans les Caraïbes.

Bref, tous les ingrédients sont là pour que la France occupe la première place sur le podium de l'attractivité culturelle. Le secteur culturel, loin d'être uniquement un secteur dépensier, est créateur de richesses. Le principal financeur de la culture en France, ce n'est ni l'État ni les collectivités locales mais le public qui, avec des dépenses culturelles avoisinant 90 milliards d'euros par an, assure mieux qu'ailleurs la richesse d'une offre culturelle inégalée, qu'il s'agisse du livre, du cinéma, du spectacle vivant ou du patrimoine.

Ces affirmations ne sont pas de la forfanterie ou de l'arrogance – même si ces défauts sont parfois prêtés au Quai d'Orsay. Elles collent à la réalité, mais une réalité vacillante qui a tendance à être négligée : les charges incombant aux collectivités sont telles que certaines peuvent être tentées de baisser la garde budgétaire en ce domaine, comme nous avons pu le constater en recensant les festivals susceptibles de participer au Grand Tour.

Il nous a paru important de pouvoir nommer cette attractivité à travers une manifestation intitulée le Grand Tour. Il s'agit de termes compréhensibles aussi bien en français – ils renvoient au Tour de France – qu'en anglais – rappelons que le mot tourism provient de tour.

Nous avons mis au point un livret tiré à quelques milliers d'exemplaires, intitulé « Destination France, passeport pour l'attractivité culturelle ». Notre mission ne repose pas sur la communication comme certaines actions lancées par des opérateurs publics – je pense à la campagne Créative France de Business France dans le domaine économique. Nous voulions, sans dépenses nouvelles pour l'État, mettre en valeur une quarantaine d'événements de nature très diverse : des festivals reconnus, sans lesquels la France ne serait pas vraiment la France – le festival de Cannes, le festival d'Avignon – comme des manifestations plus singulières, très ouvertes à une dimension internationale et potentiellement exportables, des manifestations inventées pour l'occasion, des initiatives voulues par des élus – je pense, par exemple, à la Cité du vin de Bordeaux – qui illustrent l'attractivité de notre territoire.

Ce livret a été adressé depuis le 14 janvier – date du lancement du Grand Tour par Laurent Fabius aux côtés d'Isabelle Huppert, qui est notre marraine – à l'ensemble des postes diplomatiques, soit cent soixante-deux ambassades, avec pour instructions de le traduire dans la langue du pays d'implantation, soit quatre-vingt-quatre langues, et de le diffuser très largement auprès de tous les opérateurs touristiques, des entrepreneurs avec lesquels les diplomates sont en relation et des acteurs culturels – sans parler des médias et d'autres vecteurs de communication. Entre les personnes susceptibles de venir en France ou de faire venir des touristes en France, il est probable que des dizaines de millions de personnes sont concernées.

Nous avons choisi les six mois qui séparent le mois de janvier du mois de juillet : entre la COP21, qui a attiré 150 délégations et un total de 40 000 délégués, et l'Euro 2016 où la France sera placée au coeur du monde. Il s'agit d'inciter les touristes présents en France à aller non seulement visiter le château de Versailles, la baie du Mont-Saint-Michel ou encore Eurodisney mais aussi à assister au festival international des jardins de Chaumont-sur-Loire, qui ne compte pas encore assez d'étrangers parmi les 400 000 personnes qu'il accueille chaque année, au festival Normandie impressionniste – qui, à partir du mois d'avril, de Giverny jusqu'au Havre permettra de contempler des grands chefs-d'oeuvre de la peinture et de voir des manifestations d'art vivant –, au festival d'Avignon, au festival des Vieilles Charrues à Carhaix ou encore aux Fêtes maritimes internationales de Brest.

Avec notre petite équipe et l'aide de nos postes diplomatiques, nous avons sélectionné ces événements en fonction de divers critères liés à l'attractivité.

Premièrement, ces manifestations ne doivent pas être franco-françaises ou bien bretonno-bretonnantes – le Breton que je suis peut le dire : il importe qu'elles accueillent des personnalités étrangères dans leur programmation.

Deuxièmement, elles doivent avoir vocation à accueillir davantage de touristes étrangers. Une étude de la fréquentation des festivals a montré que leur public restait surtout national, voire régional. Au Festival d'Avignon, la proportion d'étrangers dans le public, qui est la plus importante de tous, n'atteint que 12 % alors que les spectacles sont souvent en langue étrangère. Il y a donc une marge de progression considérable.

Troisièmement, elles doivent pouvoir devenir des marques-monde – un terme à prendre avec prudence, qui peut hérisser dans le milieu culturel. « Avignon », « Angoulême » sont des marques bien identifiées à l'instar de la FIAC ou des grands événements liés à la gastronomie ou la mode ou encore des marques muséales comme celle du Louvre, qui a été exportée à Abou Dabi.

L'ambition de cette mission est très clairement, dans un temps limité, d'associer l'attractivité de la France à un nom, d'inciter les publics du monde entier à venir dans notre pays entre janvier et juillet 2016 pour assister à ces diverses manifestations et surtout d'inviter des élus, des acteurs culturels, des acteurs économiques à aller plus loin dans leur démarche.

Je vous donnerai un exemple précis : le festival de la bande dessinée d'Angoulême me paraît constituer une très bonne raison d'espérer, notamment pour les élus. Il est le plus important au monde : les Japonais n'ont pas inventé plus grand, les Belges ou les Américains non plus. C'est un aspect qu'il est bon de rappeler à l'heure où certains élus sont tentés de baisser la garde budgétairement. Ce festival constitue pour la ville, la métropole, la région un atout considérable. Il s'appuie sur une ingénierie absolument unique avec, au-delà des professions artistiques, toute une industrie créative. Notre proposition concrète est d'exporter la marque « Angoulême », sans doute en Asie, au Japon, pays du manga ou alors en Chine, où la demande est assez forte en matière d'ingénierie, ou bien encore en Amérique latine.

Très concrètement, une telle expérience a été initiée il y a quelques années déjà par René Martin, créateur de la Folle journée de Nantes, manifestation qui réunit chaque année pendant quatre à cinq jours 120 000 visiteurs dans la ville et dans sa région pour une offre de musique classique repensée et accessible. Désormais, il existe une Folle journée à Tokyo qui se déroule la première semaine du mois de mai, pendant la golden week, semaine durant laquelle tous les Japonais sont en vacances. Et la copie, avec plus de 500 000 visiteurs, est plus fréquentée que l'original. De la même manière, il existe une Folle journée à Bilbao, à Lisbonne, en Ukraine et il en sera bientôt créé une à Tel Aviv. Ces manifestations donnent lieu au versement d'une redevance aux organisateurs, laquelle sert au financement de la Folle journée à Nantes, ce qui se traduit par une programmation plus fournie et des budgets artistiques plus importants.

Nous pourrions imaginer en faire de même pour d'autres festivals – Angoulême, je l'ai dit, mais aussi Aix-en-Provence – avec l'aide de nos ambassades. La mission des ambassadeurs aujourd'hui n'est pas seulement d'aider à la conclusion de contrats d'armement ou de partenariats avec nos grandes entreprises, elle doit aussi viser à exporter ce génie français à l'étranger.

Le 9 mars, le ministère des affaires étrangères organise avec le ministère de la culture le forum « France, made in culture » qui rassemblera divers intervenants économiques, touristiques et culturels sur le thème de l'attractivité.

Rappelons que le Quai d'Orsay peut compter sur plusieurs opérateurs qui se consacrent aux actions vers l'étranger : Atout France pour le tourisme, Business France pour l'exportation économique, l'Institut Français, l'Alliance française, ou encore l'Agence française pour le développement (AFD), l'Association pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).

Citons également l'initiative de Bernard Faivre d'Arcier, qui a créé un label de capitale française de la culture. Il est parti d'un double constat : d'abord il faudra attendre jusqu'en 2028 pour qu'une ville française puisse à nouveau être capitale européenne, après Lille en 2004 et Marseille en 2013 ; ensuite, il est dommage de ne pas profiter des efforts accomplis par les cinq ou six villes qui, afin de soutenir leur canditature en 2007-2008 pour le titre de capitale européenne, ont construit des dossiers très élaborés comportant des promesses d'engagement importantes de la part des entreprises locales – le président d'Airbus, président du comité de soutien pour la candidature de Toulouse, dont j'étais le commissaire, avait ainsi rassemblé près de 15 millions d'euros.

Il y a des envies, des désirs sur tous les territoires. Cela nous éloigne du déclinisme ambiant et de l'idée que l'on peut entendre exprimée çà et là selon laquelle il n'y aurait plus de grands projets pour la culture et que seul un travail patient sur des sujets très techniques comme le droit d'auteur serait possible. Après les quelques visites que nous avons faites, je pense au contraire qu'il y a de grands projets à venir pour la culture. On peut imaginer que les nouvelles régions, s'inscrivant dans des ensembles plus larges, auront un jour de telles ambitions. La nature ayant horreur du vide, je parie, avec les élus et les acteurs économiques et culturels, sur cette ressource qui, tant pour notre PIB que notre image à l'étranger, devrait constituer un vecteur de développement considérable pour les décennies à venir.

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