COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 3 février 2016
La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.
(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la commission)
La commission des Affaires culturelles et de l'Éducation procède à l'audition de M. Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur chargé de l'attractivité culturelle de la France.
J'ai le plaisir d'accueillir ce matin M. Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur chargé de l'attractivité culturelle de la France.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, vous a confié en septembre dernier une mission de promotion et de valorisation de l'attractivité culturelle de la France. Cette nouvelle responsabilité s'inscrit parfaitement dans un parcours professionnel tout entier consacré au rayonnement culturel de la France. Vous avez occupé plusieurs postes au sein de notre réseau culturel à l'étranger. Vous avez publié de nombreux ouvrages et eu des responsabilités dans l'édition. Et nous n'oublions pas, bien sûr, les fonctions que vous avez exercées dans l'audiovisuel public, au sein de la chaîne Arte et à la tête, pendant cinq ans, de France Culture. Nous avons tous été sensibles à la manière dont vous avez su dynamiser cette station, à laquelle notre commission des affaires culturelle est particulièrement attachée. Votre bilan a été salué à maintes reprises, notamment par nos rapporteurs budgétaires.
Le poste inédit qui vous a été confié a vocation à valoriser l'offre éducative, touristique, culturelle, artistique de la France, en articulant – pour citer votre entretien publié dans le Quotidien de l'art – « une dynamique économique, que la culture peut relancer ou confirmer, et une dynamique de connaissance avec les grandes écoles et la formation ». Il s'agit avant tout de démontrer que la France, loin d'être en déclin et refermée sur elle-même, comme on l'entend trop souvent, est un pays largement ouvert, au patrimoine riche et à la vie culturelle intense, creuset de diversité et de créativité.
D'où la grande et belle idée – et l'on connaît votre capacité à avoir de grandes et belles idées – de ce Grand Tour qui, de janvier à juillet 2016, va proposer au monde entier un parcours à travers la France des arts, de la culture et de la connaissance, ponctué par une quarantaine de grands événements particulièrement attractifs pour ceux qui, selon une formule qui m'est chère, ont le « désir de France ».
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de me donner l'occasion de vous présenter cette mission que m'a confiée Laurent Fabius en septembre dernier, une mission par définition limitée dans le temps et aisément évaluable par vos services et ceux du ministère des affaires étrangères à l'horizon de l'été 2016. Comme vous l'avez souligné, il s'agit d'un poste inédit qui concerne non pas le rayonnement culturel de la France à l'étranger mais son attractivité.
Ce terme peut paraître barbare, certains y voient un anglicisme alors qu'il n'a pas d'équivalent en anglais. Il désigne une réalité bien française, qui se nourrit de plusieurs bonnes nouvelles.
Il s'agit tout d'abord des chiffres du tourisme qui, depuis plusieurs décennies, nous placent au premier rang des destinations mondiales. En 2014, la France a reçu 85 millions de visiteurs ; en 2015, 83,5 millions. Reste que nous n'en tirons pas forcément le meilleur profit économique : d'autres pays moins fréquentés comme les États-Unis ou l'Espagne sont parvenus à mieux faire bénéficier leur économie du tourisme.
Nous sommes aussi – réalité que nous avons eu tendance à oublier ces dernières années – la troisième destination au monde pour les étudiants étrangers, après les États-Unis et le Royaume-Uni. Autrement dit, nous sommes le premier pays non-anglophone pour l'accueil des étudiants étrangers : 300 000 en moyenne viennent chaque année en France, avec une montée en puissance importante des étudiants asiatiques, particulièrement chinois, aux côtés d'étudiants venus du Maghreb, de l'Afrique subsaharienne mais aussi d'autres pays d'Europe, en dehors bien sûr des échanges Erasmus.
Une autre des raisons qui ont poussé Laurent Fabius à créer ce poste est liée au dynamisme de nos territoires : ce sont des territoires de patrimoine, de longue histoire culturelle, mais aussi des territoires extrêmement créatifs. Et je suis certain qu'à la faveur de la réforme de l'organisation territoriale, les régions reconfigurées inventeront de nouveaux espaces, de nouveaux projets, de nouveaux terrains, renouant avec la période des années quatre-vingt. J'étais la semaine dernière en Martinique pour la réouverture de la Fondation Clément consacrée à l'art moderne et contemporain et financée par des capitaux privés : nul doute qu'elle sera appelée à jouer un rôle très important en matière de dynamique artistique dans les Caraïbes.
Bref, tous les ingrédients sont là pour que la France occupe la première place sur le podium de l'attractivité culturelle. Le secteur culturel, loin d'être uniquement un secteur dépensier, est créateur de richesses. Le principal financeur de la culture en France, ce n'est ni l'État ni les collectivités locales mais le public qui, avec des dépenses culturelles avoisinant 90 milliards d'euros par an, assure mieux qu'ailleurs la richesse d'une offre culturelle inégalée, qu'il s'agisse du livre, du cinéma, du spectacle vivant ou du patrimoine.
Ces affirmations ne sont pas de la forfanterie ou de l'arrogance – même si ces défauts sont parfois prêtés au Quai d'Orsay. Elles collent à la réalité, mais une réalité vacillante qui a tendance à être négligée : les charges incombant aux collectivités sont telles que certaines peuvent être tentées de baisser la garde budgétaire en ce domaine, comme nous avons pu le constater en recensant les festivals susceptibles de participer au Grand Tour.
Il nous a paru important de pouvoir nommer cette attractivité à travers une manifestation intitulée le Grand Tour. Il s'agit de termes compréhensibles aussi bien en français – ils renvoient au Tour de France – qu'en anglais – rappelons que le mot tourism provient de tour.
Nous avons mis au point un livret tiré à quelques milliers d'exemplaires, intitulé « Destination France, passeport pour l'attractivité culturelle ». Notre mission ne repose pas sur la communication comme certaines actions lancées par des opérateurs publics – je pense à la campagne Créative France de Business France dans le domaine économique. Nous voulions, sans dépenses nouvelles pour l'État, mettre en valeur une quarantaine d'événements de nature très diverse : des festivals reconnus, sans lesquels la France ne serait pas vraiment la France – le festival de Cannes, le festival d'Avignon – comme des manifestations plus singulières, très ouvertes à une dimension internationale et potentiellement exportables, des manifestations inventées pour l'occasion, des initiatives voulues par des élus – je pense, par exemple, à la Cité du vin de Bordeaux – qui illustrent l'attractivité de notre territoire.
Ce livret a été adressé depuis le 14 janvier – date du lancement du Grand Tour par Laurent Fabius aux côtés d'Isabelle Huppert, qui est notre marraine – à l'ensemble des postes diplomatiques, soit cent soixante-deux ambassades, avec pour instructions de le traduire dans la langue du pays d'implantation, soit quatre-vingt-quatre langues, et de le diffuser très largement auprès de tous les opérateurs touristiques, des entrepreneurs avec lesquels les diplomates sont en relation et des acteurs culturels – sans parler des médias et d'autres vecteurs de communication. Entre les personnes susceptibles de venir en France ou de faire venir des touristes en France, il est probable que des dizaines de millions de personnes sont concernées.
Nous avons choisi les six mois qui séparent le mois de janvier du mois de juillet : entre la COP21, qui a attiré 150 délégations et un total de 40 000 délégués, et l'Euro 2016 où la France sera placée au coeur du monde. Il s'agit d'inciter les touristes présents en France à aller non seulement visiter le château de Versailles, la baie du Mont-Saint-Michel ou encore Eurodisney mais aussi à assister au festival international des jardins de Chaumont-sur-Loire, qui ne compte pas encore assez d'étrangers parmi les 400 000 personnes qu'il accueille chaque année, au festival Normandie impressionniste – qui, à partir du mois d'avril, de Giverny jusqu'au Havre permettra de contempler des grands chefs-d'oeuvre de la peinture et de voir des manifestations d'art vivant –, au festival d'Avignon, au festival des Vieilles Charrues à Carhaix ou encore aux Fêtes maritimes internationales de Brest.
Avec notre petite équipe et l'aide de nos postes diplomatiques, nous avons sélectionné ces événements en fonction de divers critères liés à l'attractivité.
Premièrement, ces manifestations ne doivent pas être franco-françaises ou bien bretonno-bretonnantes – le Breton que je suis peut le dire : il importe qu'elles accueillent des personnalités étrangères dans leur programmation.
Deuxièmement, elles doivent avoir vocation à accueillir davantage de touristes étrangers. Une étude de la fréquentation des festivals a montré que leur public restait surtout national, voire régional. Au Festival d'Avignon, la proportion d'étrangers dans le public, qui est la plus importante de tous, n'atteint que 12 % alors que les spectacles sont souvent en langue étrangère. Il y a donc une marge de progression considérable.
Troisièmement, elles doivent pouvoir devenir des marques-monde – un terme à prendre avec prudence, qui peut hérisser dans le milieu culturel. « Avignon », « Angoulême » sont des marques bien identifiées à l'instar de la FIAC ou des grands événements liés à la gastronomie ou la mode ou encore des marques muséales comme celle du Louvre, qui a été exportée à Abou Dabi.
L'ambition de cette mission est très clairement, dans un temps limité, d'associer l'attractivité de la France à un nom, d'inciter les publics du monde entier à venir dans notre pays entre janvier et juillet 2016 pour assister à ces diverses manifestations et surtout d'inviter des élus, des acteurs culturels, des acteurs économiques à aller plus loin dans leur démarche.
Je vous donnerai un exemple précis : le festival de la bande dessinée d'Angoulême me paraît constituer une très bonne raison d'espérer, notamment pour les élus. Il est le plus important au monde : les Japonais n'ont pas inventé plus grand, les Belges ou les Américains non plus. C'est un aspect qu'il est bon de rappeler à l'heure où certains élus sont tentés de baisser la garde budgétairement. Ce festival constitue pour la ville, la métropole, la région un atout considérable. Il s'appuie sur une ingénierie absolument unique avec, au-delà des professions artistiques, toute une industrie créative. Notre proposition concrète est d'exporter la marque « Angoulême », sans doute en Asie, au Japon, pays du manga ou alors en Chine, où la demande est assez forte en matière d'ingénierie, ou bien encore en Amérique latine.
Très concrètement, une telle expérience a été initiée il y a quelques années déjà par René Martin, créateur de la Folle journée de Nantes, manifestation qui réunit chaque année pendant quatre à cinq jours 120 000 visiteurs dans la ville et dans sa région pour une offre de musique classique repensée et accessible. Désormais, il existe une Folle journée à Tokyo qui se déroule la première semaine du mois de mai, pendant la golden week, semaine durant laquelle tous les Japonais sont en vacances. Et la copie, avec plus de 500 000 visiteurs, est plus fréquentée que l'original. De la même manière, il existe une Folle journée à Bilbao, à Lisbonne, en Ukraine et il en sera bientôt créé une à Tel Aviv. Ces manifestations donnent lieu au versement d'une redevance aux organisateurs, laquelle sert au financement de la Folle journée à Nantes, ce qui se traduit par une programmation plus fournie et des budgets artistiques plus importants.
Nous pourrions imaginer en faire de même pour d'autres festivals – Angoulême, je l'ai dit, mais aussi Aix-en-Provence – avec l'aide de nos ambassades. La mission des ambassadeurs aujourd'hui n'est pas seulement d'aider à la conclusion de contrats d'armement ou de partenariats avec nos grandes entreprises, elle doit aussi viser à exporter ce génie français à l'étranger.
Le 9 mars, le ministère des affaires étrangères organise avec le ministère de la culture le forum « France, made in culture » qui rassemblera divers intervenants économiques, touristiques et culturels sur le thème de l'attractivité.
Rappelons que le Quai d'Orsay peut compter sur plusieurs opérateurs qui se consacrent aux actions vers l'étranger : Atout France pour le tourisme, Business France pour l'exportation économique, l'Institut Français, l'Alliance française, ou encore l'Agence française pour le développement (AFD), l'Association pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).
Citons également l'initiative de Bernard Faivre d'Arcier, qui a créé un label de capitale française de la culture. Il est parti d'un double constat : d'abord il faudra attendre jusqu'en 2028 pour qu'une ville française puisse à nouveau être capitale européenne, après Lille en 2004 et Marseille en 2013 ; ensuite, il est dommage de ne pas profiter des efforts accomplis par les cinq ou six villes qui, afin de soutenir leur canditature en 2007-2008 pour le titre de capitale européenne, ont construit des dossiers très élaborés comportant des promesses d'engagement importantes de la part des entreprises locales – le président d'Airbus, président du comité de soutien pour la candidature de Toulouse, dont j'étais le commissaire, avait ainsi rassemblé près de 15 millions d'euros.
Il y a des envies, des désirs sur tous les territoires. Cela nous éloigne du déclinisme ambiant et de l'idée que l'on peut entendre exprimée çà et là selon laquelle il n'y aurait plus de grands projets pour la culture et que seul un travail patient sur des sujets très techniques comme le droit d'auteur serait possible. Après les quelques visites que nous avons faites, je pense au contraire qu'il y a de grands projets à venir pour la culture. On peut imaginer que les nouvelles régions, s'inscrivant dans des ensembles plus larges, auront un jour de telles ambitions. La nature ayant horreur du vide, je parie, avec les élus et les acteurs économiques et culturels, sur cette ressource qui, tant pour notre PIB que notre image à l'étranger, devrait constituer un vecteur de développement considérable pour les décennies à venir.
Monsieur l'ambassadeur, si c'est avec grand regret que nous vous avons vu quitter la direction de France Culture, nous sommes aujourd'hui heureux de vous retrouver à la tête de cette belle mission, qui semble avoir été taillée sur mesure pour l'amateur d'art et l'homme de culture que vous êtes.
Quel beau projet que ce Grand Tour ! J'ai d'emblée envie de vous demander si vous étudiez encore des candidatures de villes…
Alors que ressurgit dans le débat public le mirage de l'identité nationale et que certains cherchent encore à définir ce qu'est être français, il est une évidence qui doit nous rassembler : le fait que la culture, plus qu'une force qui grandit la France, est constitutive de son identité et lui donne ses attraits. C'est en effet une force que d'offrir une éducation et un environnement artistiques de qualité à l'ensemble de nos compatriotes ; c'en est une autre d'accueillir sur notre sol des artistes et cultures du monde entier, parfois personae non gratae ailleurs dans le monde. J'aurai ici une pensée pour Leila Alaoui, jeune artiste marocaine dont les oeuvres étaient exposées à la Maison européenne de la photographie quand elle a été assassinée lors de l'attaque terroriste de Ouagadougou il y a deux semaines à peine.
Non seulement la culture est constitutive de notre identité aux yeux du monde mais elle génère des profits croissants et engendre des investissements importants. C'est un aspect encore occulté dans le débat public, à tel point que l'on est souvent obligé de rappeler que le monde de la culture compte deux fois plus d'employés que celui de l'automobile. Nous nous souvenons des polémiques lancées pour menacer le statut d'intermittent du spectacle, qui selon certains, coûtait trop cher et rapportait trop peu. Il n'en est rien, nous le savons. À l'occasion des septièmes rencontres nationales « Culture et Innovation » le 15 janvier dernier, le cabinet Ernst & Young nous a ainsi appris que ce secteur, qui employait 1,5 million de personnes, avait généré 83,6 milliards d'euros de revenus en 2013. Il faut garder à l'esprit combien la contribution de nos industries culturelles et créatives est importante, que ce soit en termes d'emploi, en pourcentage de PIB ou d'export à l'international de nos entreprises musicales, cinématographiques et éditoriales.
Cela a été fréquemment répété ici : la francophonie est un atout sur lequel nous devons nous appuyer pour développer encore davantage notre influence culturelle en Afrique mais aussi dans d'autres parties du globe. La Chine, le sait-on, est le pays où il y a le plus de personnes qui apprennent le français.
Si la culture constitue un atout politique et géopolitique majeur, c'est également un levier de développement pour les territoires. La moitié des touristes viennent en France pour des raisons liées à la culture, la gastronomie, l'art de vie, aux paysages et aux monuments mais peu d'entre eux investissent nos festivals dont la renommée reste encore bornée à l'échelle nationale.
À l'heure où se prépare le dossier de candidature de la France à l'Exposition universelle de 2025, il convient d'insister sur la richesse touristique de nos territoires, métropoles et régions, avec nos sites et paysages classés au patrimoine mondial de l'UNESCO, nos monuments, nos infrastructures culturelles et nos musées. Jack Lang n'a-t-il pas déclaré : « Notre pays a la chance extraordinaire d'être un manuel d'histoire de l'art et de l'architecture à ciel ouvert. Nul besoin d'effacer des pages pour écrire un nouveau chapitre. »
Avec d'autres collègues de cette commission, j'ai participé à la mission d'information visant à étudier la faisabilité de la candidature de la France à l'exposition universelle en 2025. Comment le Grand Tour s'articulera-t-il avec cette démarche ?
La réflexion sur la culture comme atout économique et levier de développement au coeur du territoire sera au centre du forum « France, made in culture » le 9 mars prochain mais il convient de ne pas négliger le numérique comme atout pour l'attractivité culturelle. Celle-ci peut être décuplée par cet outil qui permet de faire surgir la culture partout et à chaque instant, notamment dans les lieux publics. Pouvez-vous me dire quel rôle est réservé au numérique dans le Grand Tour ?
Enfin, pouvez-vous nous expliquer en quoi il est susceptible de s'inscrire dans les suites de la COP21 ?
Votre intervention, monsieur Féron, me donne l'occasion d'évoquer la table ronde organisée hier au Carreau du Temple par le Centre national du cinéma autour du crédit d'impôt pour le cinéma. La manière dont il a été récemment revu a permis d'attirer des tournages de films internationaux à gros budget sur nos territoires, enclenchant un cercle vertueux en termes d'emplois dans la filière cinématographique à Paris et dans nos régions. Nous avons donc fait oeuvre utile en généralisant, de manière consensuelle, le taux à 30 % pour un plafond de 30 millions d'euros.
Monsieur l'ambassadeur, vous avez présenté votre mission sous un angle culturel, économique et touristique en soulignant toute l'importance qu'il y avait à favoriser les marques-monde et à développer le potentiel économique sous-estimé de la culture pour accroître l'attractivité de la France.
Mes questions porteront sur trois points principaux.
Dans les documents que vous nous avez transmis figure une carte parsemée de points lumineux correspondant aux étapes du Grand Tour. Il reste toutefois des zones vides. Pourquoi ? Est-ce parce que les territoires concernés ne disposent pas d'outils suffisamment attractifs pour être valorisés sur le plan mondial ? Ou bien avez-vous choisi à dessein de restreindre le nombre d'événements ? Si oui, pourquoi vous être limité à quarante ? Quel raisonnement vous a conduit à établir cette sélection ?
Deuxièmement, quelle sera la suite de votre mission ? L'outil que vous avez créé sera-t-il pérenne ?
Troisièmement, parmi les tartes à la crème que comportent les réformes variées que nous envisageons les uns et les autres, il y a la fameuse attractivité culturelle française, encouragée à l'extérieur par trois grands réseaux. Une vieille recette, presque éculée, veut que l'on crée un British Council, un Instituto Cervantes ou un Goethe Institut à la française. J'aurais aimé avoir votre point de vue sur cette question. Est-ce qu'au regard de la mission que vous menez aujourd'hui, de l'expertise qui est la vôtre dans ces domaines-là, vous avez le sentiment que pour vendre la culture française à l'étranger ou faire venir les étrangers à la culture française en France, il y aurait lieu de relancer une énième fois ce chantier ?
Cher Olivier Poivre d'Arvor, merci de nous avoir présenté le Grand Tour, que Laurent Fabius vous a confectionné sur mesure. Ce rôle d'ambassadeur pour l'attractivité culturelle de la France vous sied bien. Il s'inscrit dans le prolongement de ce que vous disiez dans votre livre Culture, état d'urgence publié en 2012 : « la France, engoncée dans son prestige passé, est devenue inaudible au niveau international ». Vous allez maintenant pouvoir mettre en valeur notre prestigieux passé pour le remettre au goût du jour, ce qui vous permettra de prendre une revanche.
Nous avons pour habitude au groupe écologiste de dire que dans le domaine culturel, il y a une tendance à arroser les zones déjà mouillées, autrement dit les zones qui font déjà l'objet de subventions. C'est un peu la même logique que l'on retrouve à l'oeuvre à travers le Grand Tour. Pourquoi n'avoir pas mis en avant des manifestations nouvelles parmi la quarantaine d'événements que vous avez retenus ?
Pendant que vous ferez votre Grand Tour, je me serai lancée dans le mien : au mois d'avril, je parcourrai à pied ma circonscription, mais en allant plutôt là où c'est encore sec. Je vous invite à venir marcher avec moi pour découvrir le DOC, petite scène de musique nouvelle dans la campagne normande. Cette visite ne pourra que former un fort contraste avec le festival Normandie impressionniste. Voir ce qui se passe ailleurs que dans les grands centres vous donnera certainement du peps. Dans vos documents, vous évoquez le classement au patrimoine mondial de l'UNESCO mais je souligne que, parmi les sites qui se portent candidat, vous avez fait une omission fatale : les plages du Débarquement. Là encore, je vous invite à me rejoindre lors de ma marche pour les parcourir à pied.
Dans votre livre réquisitoire de 2012, vous posiez des questions décisives. J'aimerais avoir votre point de vue sur ce qui a changé ou pas quatre ans plus tard. Vous vous demandiez si la culture du net était une culture facile. Aujourd'hui, sa place a considérablement évolué en France et dans le monde. Votre question est-elle toujours d'actualité ? Vous souligniez encore que la télévision restait pour vous le « possible outil d'accès essentiel à la culture ». Aujourd'hui, elle n'est plus qu'un écran parmi d'autres dans chaque foyer. En 2013, aux États-Unis, elle a été moins regardée que les autres écrans. Un semblable renversement du rôle de la télévision en tant que support de divertissement culturel mais aussi d'information va sans doute se produire très bientôt dans notre pays. Avez-vous des pistes sur ce qui reste à faire ?
En faisant référence à la marche à pied, Isabelle Attard voulait subtilement vous rappeler que notre commission est aussi celle du sport !
Merci, monsieur l'ambassadeur, de nous avoir présenté le Grand Tour, son contexte, ses objectifs et ses répercussions attendues. Si nous n'en étions pas déjà convaincus, nous pouvons constater encore le rôle liant et fédérateur que doit jouer la culture dans notre pays et partout dans le monde. L'actualité récente nous fournit des arguments en ce sens : la culture, une arme non violente contre la barbarie.
Il importe de ne pas négliger la part qu'elle représente dans l'économie de notre pays en termes tant de bénéfices que de créations d'emplois dans des secteurs divers. La moitié des touristes viennent en France, on le sait, pour y découvrir cette diversité culturelle. Comment, selon vous, le Grand Tour et l'organisation le 9 mars prochain du forum « France, made in culture » pourraient contribuer à l'essor de cette économie ?
La France exerce sur les 85 millions de touristes qui la visitent une attractivité indéniable. Rappelons aussi que notre pays se situe au troisième rang mondial pour l'accueil d'étudiants étrangers : il ne faut surtout pas gâcher ce potentiel. Dans ce Grand Tour en quarante-trois étapes, il s'agit de valoriser et de promouvoir ces différentes caractéristiques, mission, je l'imagine, passionnante et enrichissante tant l'étendue des champs couverts par notre patrimoine culturel est vaste.
De janvier à juillet de cette année, le Grand Tour s'invitera également au sein d'ambassades de France dans de nombreux pays et cette proposition sera déclinée en quatre-vingts langues.
Parcourir la France culturelle, c'est bien sûr profiter de notre patrimoine qui regorge de trésors, mais c'est aussi découvrir et reconnaître notre fourmillement créatif, c'est prendre part aux grands événements qui jalonnent une année culturelle : festivals, salons, expositions, cadres d'accueil de cette prolixité novatrice qui caractérise nos créateurs, qu'il s'agisse de la littérature, du théâtre, des musiques, de l'art pictural, de la bande dessinée, du cinéma, de l'art contemporain ou bien encore de l'art du jardin, de la gastronomie ou de l'oenologie.
Ayant la chance d'habiter Lyon, je peux témoigner de l'émerveillement toujours renouvelé que j'éprouve à contempler la ville et ses magnifiques monuments, à la voir vibrer d'événements inventifs et réjouissants. Petite touche de chauvinisme : pourquoi la Fête des lumières n'a-t-elle pas été retenue dans le Grand Tour alors qu'elle jouit d'une notoriété internationale ? Je constate toutefois avec plaisir et fierté qu'y figurent le festival Quais du polar et la Biennale d'art contemporain.
Les autres villes qui jalonnent ce parcours sont le creuset de richesses culturelles. Le choix d'Angers, Angoulême, Nantes, Avignon, Arles, Montpellier, Bourges, Chaumont-sur-Loire a été dicté par l'existence de manifestations spécifiques. Quels ont été les critères qui ont présidé à leur programmation ? Les villes se sont-elles portées candidates ou ont-elles été choisies ?
Enfin, je voudrais rendre hommage à la richesse de notre langue et me réjouir de la place qui lui sera faite dans le cadre de la Nuit de la langue française organisée le 20 mars prochain en France mais aussi à l'étranger.
Une dernière question : comment l'information circulera-t-elle afin que chaque étape du Grand Tour puisse être suivie par les étrangers et nos concitoyens in situ mais aussi à travers nos chaînes de télévision nationales, régionales ou d'autres moyens encore ?
Monsieur l'ambassadeur, je tiens tout d'abord à saluer votre action et la mise en place de ce Grand Tour, qui constitue une première et devrait à mon sens s'inscrire dans un mouvement pérenne de valorisation du territoire français dans son ensemble.
Si la France demeure la première destination touristique mondiale avec une offre culturelle plus qu'abondante, force est de constater que des déséquilibres persistent entre l'attractivité de Paris, d'une part, et de la province, d'autre part, aux yeux des visiteurs étrangers. Sur les quarante-trois étapes du Grand Tour, trente-deux sont fixées en province, souvent lors de manifestations qui, installées depuis longtemps, bénéficient déjà d'une certaine attractivité. Or les territoires ne sont pas en reste en matière d'innovation sur le plan touristique. Il leur manque sans doute des moyens pour une meilleure diffusion de leurs actions afin de bénéficier d'une notoriété accrue.
Dans mon département, la Somme, plus de 75 % des touristes sont d'origine française, il s'agit pourtant d'un territoire au patrimoine riche et varié, un patrimoine culturel, historique, de mémoire. Je pense à la cathédrale d'Amiens, inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO, ou encore au circuit du souvenir commémorant les batailles de la Première guerre mondiale, autant d'atouts qui gagneraient à être connus au-delà de nos frontières. En 2012, 7 250 emplois dépendaient de l'économie touristique et le conseil général a élaboré un schéma départemental de développement touristique ambitieux pour la période 2013-2018. Notre patrimoine culturel peut être mobilisé comme un réel outil de développement tant économique que social.
Le 9 mars prochain se tiendra le forum « France, made in culture » qui devrait être l'occasion de dévoiler les actions de valorisation de l'attractivité culturelle de notre pays. Dans cette perspective, j'aimerais savoir quels sont les moyens que peut mobiliser la diplomatie culturelle pour permettre à nos territoires, qui souffrent d'un déficit d'image, d'être valorisés, dynamisés et de rayonner à l'échelon international.
Monsieur l'ambassadeur, merci d'avoir rendu vivante votre mission devant nous. Le Grand Tour propose une quarantaine d'étapes sur la répartition géographique desquelles Benoist Apparu vous a déjà interrogé. Plus largement, j'aimerais savoir comme s'est opéré le choix des manifestations, par exemple pour Quais du Polar à Lyon ?
Deuxième question : la diffusion de cette opération repose sur l'appui des ambassades de France, selon des moyens et des processus divers. Certains pays sont-ils plus ciblés que d'autres ? Avez-vous fait un état de cette diffusion ?
Enfin, avez-vous prévu une évaluation des résultats de cette campagne de promotion de l'attractivité culturelle de la France en termes d'évolution du nombre des visiteurs étrangers ?
Monsieur l'ambassadeur, je veux d'abord vous dire le plaisir que nous avons à vous retrouver à la tête de cette mission qui s'inscrit, de mon point de vue, dans la continuité du travail reconnu que vous avez effectué à la tête de France Culture.
La France, troisième destination touristique du monde, bénéficie d'atouts culturels considérables. Votre nomination à ce poste, intervenue l'été dernier, prend une dimension différente depuis les attentats de novembre 2015 à la suite desquels vos responsabilités ont pris une dimension morale. Nous l'avons constaté, ces terribles événements ont eu de lourdes conséquences en termes de fréquentation des lieux culturels, en particulier parmi nos concitoyens. Le nombre de visiteurs étrangers continue, lui, de progresser : en 2015, leur proportion a ainsi augmenté au Louvre. Ces visiteurs, nous devons les attirer toujours plus dans notre pays, riche d'une offre culturelle diversifiée, artistique, patrimoniale, vivante et intemporelle.
À ce titre, l'initiative de ce Grand Tour est à saluer et votre choix de mettre en avant non des lieux mais des événements me semble être une stratégie d'un grand intérêt appelée à créer autant de rendez-vous pour intéresser les touristes. Alors qu'un musée ne se visite parfois qu'une fois, un festival peut susciter le désir de revenir.
Les quarante-trois étapes du Grand Tour, qui dévoilent toute la diversité de notre offre culturelle, permettent une mise en lumière de la plupart de nos régions.
J'aimerais savoir si cette initiative a vocation à se renouveler d'année en année, en élargissant le nombre des étapes.
Par ailleurs, est-il envisagé à terme de renforcer chaque étape régionale en y ajoutant des manifestations plus modestes ?
Si cette mission a un intérêt, c'est parce que c'est vous qui en êtes chargé, Olivier Poivre d'Arvor. Vous pouvez mettre à son service votre grande expérience du monde de la culture et de la valorisation de la culture française à l'étranger.
Vous évoquiez le déclinisme. Je ne pense pas qu'il renvoie aux grands événements culturels français, car ils ne sont pas menacés. Ce qui est menacé, notamment par la baisse des dotations aux collectivités locales, c'est tout le substrat de la culture française : la formation dans les conservatoires, le petit patrimoine, les événements et les lieux qu'ont évoqués nos collègues. Dans votre mission, il serait intéressant, au moment d'établir les conclusions, de mettre en regard ces deux aspects de notre vie culturelle.
Ma deuxième question porte sur votre expérience, assez unique il faut le dire – j'espère d'ailleurs qu'après cette mission, vous serez appelé à des fonctions qui vous permettront de valoriser vos multiples talents. Il y a un problème dans notre réseau culturel français et j'aimerais que notre commission puisse vous entendre à ce sujet. À côté de l'Institut français qui, depuis 2011, est l'opérateur unique de l'action culturelle extérieure de la France, il y a l'Alliance française, créée en 1883, qui permet à 500 000 personnes dans le monde d'apprendre notre langue. Cette dispersion est un problème majeur, comme le soulignait Benoist Apparu.
La loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État a prévu l'expérimentation, pendant trois ans, du rattachement à l'Institut français du réseau culturel de la France à l'étranger. Elle s'est achevée le 31 décembre 2013 et n'a pas été reconduite. La Cour des comptes a toutefois souligné que « la fin de l'expérimentation ne devrait pas conduire à un retour au statu quo ante mais permettre de relever plusieurs défis : l'exercice d'une tutelle stratégique sur le réseau, les modalités des prestations des opérateurs, le statut juridique du réseau et l'adaptation de la gestion des ressources humaines aux objectifs poursuivis. »
Vous qui connaissez parfaitement le réseau pour avoir été en poste à Alexandrie, Prague, Londres et dirigé CulturesFrance, ne considérez-vous pas que notre diplomatie culturelle gagnerait en attractivité en rationalisant ces réseaux ? Quelles pistes concrètes d'amélioration envisagez-vous ?
En lisant votre petit livret, le propos liminaire de Laurent Fabius, je me demande si vous considérez que l'outre-mer fait réellement partie de la France ? Il n'y a pas un mot à son sujet alors que, pour prendre un exemple parmi d'autres, il est actuellement impossible de trouver un billet pour le mémorial ACte – Centre caribéen d'expressions et de mémoire de la traite et de l'esclavage – tant il est populaire ? Il figure parmi les dix premières destinations en matière culturelle.
J'aurai une série de questions.
Qu'en est-il du budget total de ce Grand Tour ? Qui le finance ?
Quelles relations entretenir avec notre diplomatie culturelle à l'étranger, notamment les alliances françaises ? Concernant cette action culturelle extérieure, avons-nous des objectifs précis qui tiennent compte des spécificités des différentes zones géographiques concernées ?
Par ailleurs, la concurrence que se livrent les acteurs du numérique, les vifs débats sur la propriété intellectuelle et les changements de modèle économique sont aujourd'hui au coeur des transformations des métiers et des sources de revenus de cette France créative. Comment s'adapter aux récents bouleversements induits par l'essor de la culture numérique et l'uberisation de notre société, qui ont un impact sur notre politique culturelle ? Comment prenez-vous en compte ces évolutions dans votre mission ?
Comment comptez-vous communiquer lors de vos déplacements dans le cadre du Grand Tour ? Quelle part souhaitez-vous donner au numérique ? Comment inciter les gens à participer ?
Enfin, quels sont vos liens avec la Fédération nationale des collectivités locales pour la culture (FNCC) ? Il est important d'associer les élus, et les élus de tout le territoire français. N'y a-t-il pas un risque de multiplication d'initiatives non coordonnées en matière d'action culturelle ?
Vous énumérez dans le dossier de presse parmi les moteurs de l'attractivité culturelle française les inscriptions au patrimoine mondial de l'humanité, les musées, les monuments historiques et les sites récréatifs en lien avec ce Grand Tour. Ce sont des outils fondamentaux de l'attractivité culturelle de notre pays.
J'aimerais vous interroger sur la manière dont vous envisagez d'associer nos concitoyens les plus éloignés des événements et lieux culturels concernés par ce Grand Tour.
Comment imaginez-vous que ce Grand Tour puisse appeler l'attention sur une vie culturelle moins institutionnelle, issue notamment des quartiers populaires, afin de mettre davantage en valeur la diversité culturelle de notre pays et des créateurs qui se sentent parfois exclus du système culturel ?
Monsieur l'ambassadeur, vous souhaitez donner à la culture un rôle économique moteur, je ne peux que partager cet objectif. Le volet touristique et le volet numérique ont été évoqués, j'aimerais pour ma part m'attarder sur les transports. À côté des lignes intérieures d'Air France et des bus Macron, il y a les trains intercités aujourd'hui obsolètes. J'ai récemment pris le Paris-Caen : je dois dire que j'ai été content d'arriver à destination ! Cette question a aussi son importance pour la candidature de la France à l'Exposition universelle. Ne doit-on pas faire en sorte que les visiteurs puissent se déplacer d'un point à un autre dans des conditions optimales ?
Parmi les moteurs de l'attractivité culturelle française, vous citez les musées, les sites classés à l'UNESCO, les 45 000 monuments historiques, les sites récréatifs. Dans les étapes du Grand Tour figure « Goût de France ». La gastronomie française ne devrait-elle pas apparaître de manière transversale ? Nous savons, en effet, que 31 % des salariés du tourisme sont employés dans le secteur de la restauration.
Enfin, avez-vous tenu compte dans votre plan de communication du fait que 83 % des visiteurs étrangers en France venaient d'Europe ?
Monsieur l'ambassadeur, votre mission s'inscrit dans les actions du ministère des affaires étrangères et du développement international qui, il y a un an, a mis en place les contrats de destination touristique dont certaines régions françaises ont pu bénéficier. Avez-vous cherché à articuler ce Grand Tour avec ces contrats ?
Ma deuxième question porte sur la langue française. Si notre pays veut s'ouvrir au monde entier, il ne peut se retrancher dans une position de défense de la pureté de la langue française ; d'un autre côté, notre langue fait partie de notre patrimoine et de nos impératifs culturels. Comment conciliez-vous ces deux dimensions ?
Enfin, notre commission est aussi celle du sport, comme l'a rappelé notre président. Dans l'intitulé le « Grand Tour », le clin d'oeil au Tour de France cycliste est évident, je le dis à l'adresse de toutes celles et de tous ceux qui s'évertuent à opposer sport et culture. La retransmission télévisée du Tour de France est une magnifique vitrine pour notre patrimoine culturel. Avez-vous pensé à vous rapprocher des organisateurs de cette épreuve ?
Monsieur l'ambassadeur, je tiens à mon tour à saluer votre initiative, qui me paraît très intéressante. Dans votre mot introductif au passeport « Destination France », vous écrivez : « Quarante responsables de rendez-vous attractifs ont choisi, s'opposant à la barbarie et au renfermement identitaire, de se rapprocher et d'inviter les citoyens du monde entier à parcourir les étapes du Grand Tour ». Parmi ses étapes figure le festival Hellfest qui se déroule à Clisson non loin de ma circonscription et qui connaît un franc succès chaque année. En 2016, le groupe Marduk s'y produira. Permettez-moi de vous citer les paroles de l'une de ses chansons : « Pisse sur le Christ et tue le prêtre ». En plus de tolérer l'incitation à la haine à l'égard d'une religion, est-il bon dans le climat actuel d'attirer l'attention des touristes sur de telles programmations ?
La création artistique est libre, je vous renvoie à l'article 1er de la loi relative à la liberté de la création.
Monsieur l'ambassadeur, j'aimerais vous interroger sur le public ciblé par le Grand Tour : y a-t-il des objectifs chiffrés ? Comment mesurer la réussite de votre initiative ? Chaque manifestation retenue a un potentiel d'attractivité culturelle, comment pourrez-vous quantifier le surcroît de fréquentation qu'aura apporté le Grand Tour ? Autant il me paraît intéressant de mettre en réseau des acteurs et de les encourager à tenir un discours collectif pour promouvoir la destination France, autant il me paraît difficile de mesurer les effets de ces actions.
Par ailleurs, cherchez-vous à attirer le touriste culturel qui aurait eu tendance à oublier ce que pouvait apporter la France ou bien le touriste qui a choisi de venir en France en attirant son attention sur des manifestations auxquelles il ne se serait pas forcément rendu ? Quelle place accordez-vous à l'Europe par rapport au reste du monde ? Le monde est vaste, les visiteurs potentiels innombrables, les moyens sont nécessairement contraints et limités. Comment faire pour atteindre la cible ?
Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, pour ces questions variées et stimulantes.
Premièrement, notre mission est non seulement ambitieuse dans ses objectifs mais aussi dans la perspective qu'elle ouvre. Je ne l'imagine pas limitée à ma personne ou à celle d'Anne Duruflé, diplomate qui m'assiste dans cette mission, et restreinte dans le temps. La nouvelle compétence du ministère des affaires étrangères en matière de tourisme lui confère une obligation de résultat dans le domaine culturel. Plusieurs d'entre vous ont évoqué cette tarte à la crème qu'est le concept de diplomatie culturelle, qui nourrit depuis de nombreuses années une multitude de rapports dont on pourrait remplir une bibliothèque entière. J'ai déjà publié deux livres sur le sujet, il ne s'agissait pas d'en écrire un troisième mais, très concrètement, de donner l'occasion à ce ministère de valoriser cette compétence du tourisme par un rapprochement avec d'autres opérateurs – Institut français, Alliance française –, afin de produire, dans un temps court et à coût zéro pour les finances publiques, des effets mesurables rapidement et surtout prometteurs.
Après mon départ précipité de France Culture, j'ai disposé de peu de temps pour proposer à Laurent Fabius une mission d'ambassadeur : j'ai souhaité qu'elle se déploie non pas à l'étranger mais en France, où les enjeux sont passionnants aujourd'hui plus que jamais, et qu'elle ait du sens par rapport à des structures et missions existantes. J'ai voulu faire oeuvre utile en trouvant la possibilité d'animer le réseau diplomatique au service du territoire français dans un temps court.
Ce réseau diplomatique, c'est d'une certaine manière notre cogito. On peut douter de tout, comme Descartes, mais on ne peut douter du fait que nous disposons d'un réseau mondial : cent soixante-deux ambassades et leurs services culturels, les services de l'Institut français mais aussi de l'Alliance française ou de l'AEFE.
Petite parenthèse, il se trouve qu'en 2010, j'étais à la manoeuvre – de manière peu efficace, semble-t-il, compte tenu du résultat – pour créer un British Council à la française : un grand établissement rassemblant des opérateurs déjà existants pour proposer à travers le monde une offre concertée autour de la formation, de l'éducation, de la culture, avec une dimension académique associant le ministère de l'enseignement supérieur. Dans cette perspective, les budgets consacrés par le ministère des affaires étrangères à la culture ne devaient plus être une simple variable d'ajustement mais avoir des effets mesurables. En France, nous manquons de lisibilité financière en ces domaines. Au Royaume-Uni, dès lors qu'il est question du British Council, les parlementaires peuvent avoir à leur disposition des chiffres très précis sur les ressources de cette institution, qui ne proviennent pas, loin s'en faut, de budgets publics puisqu'elles s'appuient sur beaucoup de contrats de coopération. Chez nous, il est particulièrement difficile d'avoir une vision claire de ce que coûte la diplomatie culturelle. L'Institut français, l'Alliance française, l'AEFE sont des opérateurs formidables, mais vous savez ce que disait le général de Gaulle de la variété – je ne vous citerai pas sa fameuse phrase sur les fromages…
Nous avons mal pensé en 2010 la création d'un établissement unique, je me prononce tout à fait librement à ce sujet. La direction générale n'a cessé tous les ans de se réformer et il n'y a jamais eu de réforme sérieuse, exception faite de l'intégration en 2000 du ministère de la coopération au ministère des affaires étrangères. L'expérimentation était piégée dès le départ alors que sa concrétisation était simple : il aurait seulement fallu permettre à dix postes diplomatiques d'associer leurs crédits à ceux de l'Institut français. L'Institut français actuel est une très bonne marque, il bénéficie du travail d'équipes formidables et depuis quelques années, on assiste à une unification sur le terrain, ne serait-ce qu'en termes de signalétique. Reste, qu'à titre personnel, j'estime qu'il serait bon de remettre en chantier la création d'un organisme unique. La question de l'Alliance française, très bel opérateur, se poserait certes mais il serait toujours possible de trouver des solutions, notamment grâce à une signalétique commune.
Aujourd'hui, notre outil est toutefois un peu mieux en place, il y a moins d'opérateurs, et l'un des objectifs de la mission qui m'est confiée est précisément de faire en sorte qu'ils travaillent moins en silo. Je tiens à saluer ici l'action de Laurent Fabius.
Nous avons travaillé avec les opérateurs Atout France et Business France sur les marques et les contrats de destination. C'est ainsi que nous avons choisi Normandie impressionniste, qui correspond à un contrat de destination touristique.
Cette mission a ses limites. Elle a commencé en septembre et elle doit avoir un coût nul. Elle ne bénéficie donc pas d'un budget spécifique consacré à la communication, elle s'appuie sur les crédits de la direction de la communication du ministère et les budgets des ambassades. J'estime que nous disposons de suffisamment de moyens avec l'existant pour pouvoir mener notre tâche à bien.
Cette mission est appelée, je pense, à être pérennisée. Nous sommes en discussion avec Michaëlle Jean, secrétaire générale de l'Organisation internationale de la francophonie, qui participera à notre forum « France, made in culture », – même si elle n'aime pas cet intitulé, linguistiquement incorrect. Nous comptons organiser à partir du mois de septembre un deuxième Grand Tour dans l'espace francophone. Il aurait un objectif différent : il s'agirait non pas d'inciter les touristes à parcourir ses diverses étapes mais d'appeler l'attention du public sur les lieux retenus – grands festivals, comme au Liban, sites archéologiques en péril en Tunisie au Moyen-Orient. Ce deuxième Grand Tour, plus géopolitique, se déploierait autour bassin méditerranéen, matrice d'une civilisation commune avec toute une histoire, un patrimoine, une dynamique de création aujourd'hui enrayée.
Par ailleurs, le Grand Tour, très simple à mettre en place, pourrait être pérennisé en France en s'étalant sur une année, ce qui permettrait d'intégrer des manifestations qui se déroulent en automne, comme la Fête des lumières de Lyon, madame Hobert.
Pour revenir sur notre sélection, je veux d'abord rassurer M. Chalus. La liste du Grand Tour s'est grandement ouverte. Depuis quatre jours, la version numérique comprend le Mémorial ACte en Guadeloupe et la Fondation Clément en Martinique.
Les critères qui nous ont guidés ont été, je le répète, l'accueil d'invités étrangers dans la programmation, la possibilité d'accueillir des publics étrangers, la capacité à devenir une marque-monde, ce qui est le cas du Mémorial ACte. Autant de critères, madame Attard, que ne remplit pas entièrement la petite scène de campagne que vous avez citée. Je rappelle que cette mission est une mission du ministère des affaires étrangères et non du ministère de la culture et qu'elle a pour objet principal de mobiliser notre réseau culturel extérieur dans le but de faire venir des visiteurs étrangers en France.
La culture est toujours fragile, ses modes de financement sont à repenser. Nous avons essayé, à travers ce Grand Tour, de mettre en avant sa dimension entrepreneuriale – j'espère ne choquer personne en utilisant ce terme d'autant que cela n'exclut nullement la dimension locale ou associative. La culture est une entreprise et l'entreprise est une audace, un risque. Cette dimension entrepreneuriale est encore assez peu portée par les acteurs de la culture, il y a des marges de progression importantes, à développer grâce aux rencontres entre mondes divers. Dans le petit livret, on trouve aussi bien la Fashion Week, le Goût de Good France initié par Alain Ducasse que des festivals comme les Eurockéennes. Sans doute Pierre Lescure, président du festival de Cannes, ne connaît-il pas le président du festival Hellfest – auquel je ne manquerai pas, madame Besse, de transmettre votre remarque. Nous voulions faire en sorte que des acteurs privés, des acteurs publics, des acteurs classiques, des acteurs militants associatifs puissent rencontrer des acteurs plus entrepreneuriaux.
Nous avons tenu compte aussi des suggestions formulées par les ambassades.
Cette liste est bien sûr ouverte, elle continue de s'enrichir. Outre les deux sites que je viens de citer en outre-mer, nous avons ajouté il y a peu le festival international du court-métrage de Clermont-Ferrand et les Flâneries musicales de Reims, sur une proposition du maire de la ville lui-même. Forcément sélective et donc injuste, elle pousse les élus à faire des suggestions pour faire connaître à un public étranger les manifestations qu'ils accueillent.
S'agissant de la langue française, j'ai déjà en partie répondu en évoquant l'organisation d'un deuxième Grand Tour dans l'espace francophone. Il est tout de même étonnant que la question de la langue soit presque une question embarrassante dans un pays comme la France alors qu'elle ne devrait pas l'être. La démographie est là pour nous rassurer. Le nombre de francophones dans le monde passera de 200 millions aujourd'hui à 500 millions voire 700 millions entre 2040 et 2050 : dans les pays du Maghreb et d'Afrique subsaharienne, il y aura des nouvelles générations de personnes parlant français. Cela nous fournit des directions fortes pour savoir comment travailler au rayonnement de notre langue. L'Alliance française et d'autres opérateurs font aujourd'hui ce qu'ils peuvent. L'apprentissage du français n'est pas en si mauvaise place, notamment en Chine. Il suffit d'y croire un peu plus.
Plus généralement, il existe de multiples moteurs pour l'attractivité mais il s'agit souvent de petits moteurs auxiliaires. L'ingénierie globale est encore à penser.
Le classement au patrimoine mondial de l'humanité ou au patrimoine immatériel de l'UNESCO est déterminant. Quarante sites en France sont en attente de classement, certains depuis très longtemps, et je conseille à ceux qui sont concernés de rencontrer Philippe Lalliot, ambassadeur auprès de l'UNESCO, qui leur donnera des précisions. Cette année, seuls deux dossiers seront présentés, madame Attard : la chaîne des Puys et l'oeuvre de Le Corbusier. La France est déjà bien placée avec une quarantaine des sites classés et l'on sait le fort impact que ces classements ont eu.
À cela s'ajoutent d'autres initiatives, y compris de sites récréatifs. À cet égard, je ne retire rien de leur rôle à Eurodisney ou au Puy-du-Fou qui, avec 1,1 million de visiteurs, est un parc d'attractions qui a su rencontrer son public et rester viable économiquement.
J'en viens aux questions sur l'Exposition universelle. Nous avons choisi la date de ce Grand Tour également en fonction des enjeux qui sont liés à la candidature de la France à l'organisation des Jeux olympiques et de l'Exposition universelle – les dossiers doivent être respectivement déposés en février et en avril. Je suis très impressionné par la préparation de notre pays pour l'accueil de l'Exposition universelle. Repenser son modèle plus de cent ans après que Paris l'a accueillie n'est pas absurde : elle n'aurait pas lieu simplement dans la capitale mais aussi dans certaines régions. Pascal Lamy et Jean-Christophe Fromantin seront présents au forum du 9 mars. Tout le débat sur le Grand Paris est intéressant. Dans quelques années, j'imagine que les points de vue d'Anne Hidalgo, de Valérie Pécresse, de Patrick Ollier convergeront. Les projets développés par Philippe Yvin au sein de la société du Grand Paris, avec le déploiement d'un impressionnant réseau de transport et la construction d'une soixantaine de nouvelles gares, permettent de voir un nouvel espace se dessiner. Une dynamique est à l'oeuvre comme dans d'autres métropoles françaises. Et il importe ici de souligner que toutes ces dynamiques comportent une dimension culturelle, susceptible d'attirer davantage de visiteurs étrangers.
Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur le numérique. Il faut savoir que le Grand Tour repose avant tout sur une dimension physique : il s'agit de relier plusieurs étapes à pied ou par les transports. Néanmoins, nous travaillons avec d'autres services sur de nouvelles méthodes d'apprentissage du français, notamment celle de français facile que Matthias Fekl a présentée il y a quelques jours. J'ai pu faire l'expérience du numérique à France Culture : il a tout bonnement transformé cette chaîne. C'était une vieille station peu écoutée ; aujourd'hui ses émissions sont les plus téléchargées de France. Des jeunes générations téléchargent des cours et des émissions de philo, d'histoire, de sciences dures. Il a permis de mettre en valeur des contenus, mais il faut garder à l'esprit que c'est le contenu qui prime. Notre objectif est d'identifier des contenus et de trouver un moyen de les diffuser. Le numérique a son rôle à jouer, d'autant que beaucoup des rendez-vous développent des politiques numériques.
Vous avez évoqué la Somme, monsieur Demarthe. Elle est à l'honneur avec les manifestations liées au centenaire de la Première guerre mondiale. Le tourisme mémoriel a pris de l'ampleur. Joseph Zimet, qui dirige la mission du Centenaire, a souligné que 1,2 million de visiteurs étrangers, notamment de nombreux Australiens, étaient attendus sur les sites des batailles et autres lieux de mémoire.
La Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture est pour nous un interlocuteur très important, madame Duby-Muller. Nous avons fait une démarche auprès de son président.
Quant à l'Union européenne, à l'évidence, elle constitue un acteur majeur. C'est là où les marchés se trouvent. Cela n'empêche pas qu'il est important pour nous de diversifier le public visé : un Européen aura plus facilement accès à des informations sur la richesse culturelle française qu'un habitant d'un pays extra-européen. Nous voulons faire en sorte que les publics étrangers ajoutent des festivals à leur programme de visites. Des villes comme Lille ont bien réussi à capter un nouveau public à travers l'organisation d'événements dans le prolongement de Lille 2004.
Permettez-moi une anecdote personnelle : lorsqu'enfant, je faisais le voyage en voiture de Reims jusqu'en Bretagne pour les vacances, Carhaix m'apparaissait comme le type même de l'endroit qui ne donnait pas envie de s'y arrêter. Cette commune a été totalement transformée par le festival des Vieilles Charrues depuis sa création en 1992 : durant quelques jours, elle accueille plus de 250 000 personnes. Ce festival est l'avant-dernière étape du Grand Tour qui s'achève à Marciac, village gersois dont la population est multipliée par cent pendant la durée du festival de jazz. Tout cela pour vous dire que rien n'est impossible, y compris pour des petites collectivités.
Pour finir, je soulignerai que nous avons tous les ingrédients pour réussir. Nous sommes le pays le mieux doté en termes de patrimoine et de rendez-vous de création en Europe et dans le monde. Nous sommes le pays le plus ouvert du monde aux artistes étrangers. La culture française est forte non seulement parce qu'elle est l'addition de Bretons, d'Alsaciens, de Normands et de Toulousains, mais aussi parce qu'elle a accueilli des artistes comme Picasso, Chagall, Miró ou Giacometti. Il faut simplement qu'à un moment donné, une dynamique au niveau de l'État – et cette mission remplit un rôle d'ensemblier – permette de porter ces ressources encore plus loin. Et je compte sur vous et sur le public pour nous accompagner dans cette voie.
Je vous remercie, monsieur Poivre d'Arvor, pour le temps que vous avez consacré à la représentation nationale. Comptez sur notre mobilisation pour accompagner ce Grand Tour.
La séance est levée à onze heures vingt.