Intervention de Olivier Poivre d'Arvor

Réunion du 3 février 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur chargé de l'attractivité culturelle de la France :

Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, pour ces questions variées et stimulantes.

Premièrement, notre mission est non seulement ambitieuse dans ses objectifs mais aussi dans la perspective qu'elle ouvre. Je ne l'imagine pas limitée à ma personne ou à celle d'Anne Duruflé, diplomate qui m'assiste dans cette mission, et restreinte dans le temps. La nouvelle compétence du ministère des affaires étrangères en matière de tourisme lui confère une obligation de résultat dans le domaine culturel. Plusieurs d'entre vous ont évoqué cette tarte à la crème qu'est le concept de diplomatie culturelle, qui nourrit depuis de nombreuses années une multitude de rapports dont on pourrait remplir une bibliothèque entière. J'ai déjà publié deux livres sur le sujet, il ne s'agissait pas d'en écrire un troisième mais, très concrètement, de donner l'occasion à ce ministère de valoriser cette compétence du tourisme par un rapprochement avec d'autres opérateurs – Institut français, Alliance française –, afin de produire, dans un temps court et à coût zéro pour les finances publiques, des effets mesurables rapidement et surtout prometteurs.

Après mon départ précipité de France Culture, j'ai disposé de peu de temps pour proposer à Laurent Fabius une mission d'ambassadeur : j'ai souhaité qu'elle se déploie non pas à l'étranger mais en France, où les enjeux sont passionnants aujourd'hui plus que jamais, et qu'elle ait du sens par rapport à des structures et missions existantes. J'ai voulu faire oeuvre utile en trouvant la possibilité d'animer le réseau diplomatique au service du territoire français dans un temps court.

Ce réseau diplomatique, c'est d'une certaine manière notre cogito. On peut douter de tout, comme Descartes, mais on ne peut douter du fait que nous disposons d'un réseau mondial : cent soixante-deux ambassades et leurs services culturels, les services de l'Institut français mais aussi de l'Alliance française ou de l'AEFE.

Petite parenthèse, il se trouve qu'en 2010, j'étais à la manoeuvre – de manière peu efficace, semble-t-il, compte tenu du résultat – pour créer un British Council à la française : un grand établissement rassemblant des opérateurs déjà existants pour proposer à travers le monde une offre concertée autour de la formation, de l'éducation, de la culture, avec une dimension académique associant le ministère de l'enseignement supérieur. Dans cette perspective, les budgets consacrés par le ministère des affaires étrangères à la culture ne devaient plus être une simple variable d'ajustement mais avoir des effets mesurables. En France, nous manquons de lisibilité financière en ces domaines. Au Royaume-Uni, dès lors qu'il est question du British Council, les parlementaires peuvent avoir à leur disposition des chiffres très précis sur les ressources de cette institution, qui ne proviennent pas, loin s'en faut, de budgets publics puisqu'elles s'appuient sur beaucoup de contrats de coopération. Chez nous, il est particulièrement difficile d'avoir une vision claire de ce que coûte la diplomatie culturelle. L'Institut français, l'Alliance française, l'AEFE sont des opérateurs formidables, mais vous savez ce que disait le général de Gaulle de la variété – je ne vous citerai pas sa fameuse phrase sur les fromages…

Nous avons mal pensé en 2010 la création d'un établissement unique, je me prononce tout à fait librement à ce sujet. La direction générale n'a cessé tous les ans de se réformer et il n'y a jamais eu de réforme sérieuse, exception faite de l'intégration en 2000 du ministère de la coopération au ministère des affaires étrangères. L'expérimentation était piégée dès le départ alors que sa concrétisation était simple : il aurait seulement fallu permettre à dix postes diplomatiques d'associer leurs crédits à ceux de l'Institut français. L'Institut français actuel est une très bonne marque, il bénéficie du travail d'équipes formidables et depuis quelques années, on assiste à une unification sur le terrain, ne serait-ce qu'en termes de signalétique. Reste, qu'à titre personnel, j'estime qu'il serait bon de remettre en chantier la création d'un organisme unique. La question de l'Alliance française, très bel opérateur, se poserait certes mais il serait toujours possible de trouver des solutions, notamment grâce à une signalétique commune.

Aujourd'hui, notre outil est toutefois un peu mieux en place, il y a moins d'opérateurs, et l'un des objectifs de la mission qui m'est confiée est précisément de faire en sorte qu'ils travaillent moins en silo. Je tiens à saluer ici l'action de Laurent Fabius.

Nous avons travaillé avec les opérateurs Atout France et Business France sur les marques et les contrats de destination. C'est ainsi que nous avons choisi Normandie impressionniste, qui correspond à un contrat de destination touristique.

Cette mission a ses limites. Elle a commencé en septembre et elle doit avoir un coût nul. Elle ne bénéficie donc pas d'un budget spécifique consacré à la communication, elle s'appuie sur les crédits de la direction de la communication du ministère et les budgets des ambassades. J'estime que nous disposons de suffisamment de moyens avec l'existant pour pouvoir mener notre tâche à bien.

Cette mission est appelée, je pense, à être pérennisée. Nous sommes en discussion avec Michaëlle Jean, secrétaire générale de l'Organisation internationale de la francophonie, qui participera à notre forum « France, made in culture », – même si elle n'aime pas cet intitulé, linguistiquement incorrect. Nous comptons organiser à partir du mois de septembre un deuxième Grand Tour dans l'espace francophone. Il aurait un objectif différent : il s'agirait non pas d'inciter les touristes à parcourir ses diverses étapes mais d'appeler l'attention du public sur les lieux retenus – grands festivals, comme au Liban, sites archéologiques en péril en Tunisie au Moyen-Orient. Ce deuxième Grand Tour, plus géopolitique, se déploierait autour bassin méditerranéen, matrice d'une civilisation commune avec toute une histoire, un patrimoine, une dynamique de création aujourd'hui enrayée.

Par ailleurs, le Grand Tour, très simple à mettre en place, pourrait être pérennisé en France en s'étalant sur une année, ce qui permettrait d'intégrer des manifestations qui se déroulent en automne, comme la Fête des lumières de Lyon, madame Hobert.

Pour revenir sur notre sélection, je veux d'abord rassurer M. Chalus. La liste du Grand Tour s'est grandement ouverte. Depuis quatre jours, la version numérique comprend le Mémorial ACte en Guadeloupe et la Fondation Clément en Martinique.

Les critères qui nous ont guidés ont été, je le répète, l'accueil d'invités étrangers dans la programmation, la possibilité d'accueillir des publics étrangers, la capacité à devenir une marque-monde, ce qui est le cas du Mémorial ACte. Autant de critères, madame Attard, que ne remplit pas entièrement la petite scène de campagne que vous avez citée. Je rappelle que cette mission est une mission du ministère des affaires étrangères et non du ministère de la culture et qu'elle a pour objet principal de mobiliser notre réseau culturel extérieur dans le but de faire venir des visiteurs étrangers en France.

La culture est toujours fragile, ses modes de financement sont à repenser. Nous avons essayé, à travers ce Grand Tour, de mettre en avant sa dimension entrepreneuriale – j'espère ne choquer personne en utilisant ce terme d'autant que cela n'exclut nullement la dimension locale ou associative. La culture est une entreprise et l'entreprise est une audace, un risque. Cette dimension entrepreneuriale est encore assez peu portée par les acteurs de la culture, il y a des marges de progression importantes, à développer grâce aux rencontres entre mondes divers. Dans le petit livret, on trouve aussi bien la Fashion Week, le Goût de Good France initié par Alain Ducasse que des festivals comme les Eurockéennes. Sans doute Pierre Lescure, président du festival de Cannes, ne connaît-il pas le président du festival Hellfest – auquel je ne manquerai pas, madame Besse, de transmettre votre remarque. Nous voulions faire en sorte que des acteurs privés, des acteurs publics, des acteurs classiques, des acteurs militants associatifs puissent rencontrer des acteurs plus entrepreneuriaux.

Nous avons tenu compte aussi des suggestions formulées par les ambassades.

Cette liste est bien sûr ouverte, elle continue de s'enrichir. Outre les deux sites que je viens de citer en outre-mer, nous avons ajouté il y a peu le festival international du court-métrage de Clermont-Ferrand et les Flâneries musicales de Reims, sur une proposition du maire de la ville lui-même. Forcément sélective et donc injuste, elle pousse les élus à faire des suggestions pour faire connaître à un public étranger les manifestations qu'ils accueillent.

S'agissant de la langue française, j'ai déjà en partie répondu en évoquant l'organisation d'un deuxième Grand Tour dans l'espace francophone. Il est tout de même étonnant que la question de la langue soit presque une question embarrassante dans un pays comme la France alors qu'elle ne devrait pas l'être. La démographie est là pour nous rassurer. Le nombre de francophones dans le monde passera de 200 millions aujourd'hui à 500 millions voire 700 millions entre 2040 et 2050 : dans les pays du Maghreb et d'Afrique subsaharienne, il y aura des nouvelles générations de personnes parlant français. Cela nous fournit des directions fortes pour savoir comment travailler au rayonnement de notre langue. L'Alliance française et d'autres opérateurs font aujourd'hui ce qu'ils peuvent. L'apprentissage du français n'est pas en si mauvaise place, notamment en Chine. Il suffit d'y croire un peu plus.

Plus généralement, il existe de multiples moteurs pour l'attractivité mais il s'agit souvent de petits moteurs auxiliaires. L'ingénierie globale est encore à penser.

Le classement au patrimoine mondial de l'humanité ou au patrimoine immatériel de l'UNESCO est déterminant. Quarante sites en France sont en attente de classement, certains depuis très longtemps, et je conseille à ceux qui sont concernés de rencontrer Philippe Lalliot, ambassadeur auprès de l'UNESCO, qui leur donnera des précisions. Cette année, seuls deux dossiers seront présentés, madame Attard : la chaîne des Puys et l'oeuvre de Le Corbusier. La France est déjà bien placée avec une quarantaine des sites classés et l'on sait le fort impact que ces classements ont eu.

À cela s'ajoutent d'autres initiatives, y compris de sites récréatifs. À cet égard, je ne retire rien de leur rôle à Eurodisney ou au Puy-du-Fou qui, avec 1,1 million de visiteurs, est un parc d'attractions qui a su rencontrer son public et rester viable économiquement.

J'en viens aux questions sur l'Exposition universelle. Nous avons choisi la date de ce Grand Tour également en fonction des enjeux qui sont liés à la candidature de la France à l'organisation des Jeux olympiques et de l'Exposition universelle – les dossiers doivent être respectivement déposés en février et en avril. Je suis très impressionné par la préparation de notre pays pour l'accueil de l'Exposition universelle. Repenser son modèle plus de cent ans après que Paris l'a accueillie n'est pas absurde : elle n'aurait pas lieu simplement dans la capitale mais aussi dans certaines régions. Pascal Lamy et Jean-Christophe Fromantin seront présents au forum du 9 mars. Tout le débat sur le Grand Paris est intéressant. Dans quelques années, j'imagine que les points de vue d'Anne Hidalgo, de Valérie Pécresse, de Patrick Ollier convergeront. Les projets développés par Philippe Yvin au sein de la société du Grand Paris, avec le déploiement d'un impressionnant réseau de transport et la construction d'une soixantaine de nouvelles gares, permettent de voir un nouvel espace se dessiner. Une dynamique est à l'oeuvre comme dans d'autres métropoles françaises. Et il importe ici de souligner que toutes ces dynamiques comportent une dimension culturelle, susceptible d'attirer davantage de visiteurs étrangers.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur le numérique. Il faut savoir que le Grand Tour repose avant tout sur une dimension physique : il s'agit de relier plusieurs étapes à pied ou par les transports. Néanmoins, nous travaillons avec d'autres services sur de nouvelles méthodes d'apprentissage du français, notamment celle de français facile que Matthias Fekl a présentée il y a quelques jours. J'ai pu faire l'expérience du numérique à France Culture : il a tout bonnement transformé cette chaîne. C'était une vieille station peu écoutée ; aujourd'hui ses émissions sont les plus téléchargées de France. Des jeunes générations téléchargent des cours et des émissions de philo, d'histoire, de sciences dures. Il a permis de mettre en valeur des contenus, mais il faut garder à l'esprit que c'est le contenu qui prime. Notre objectif est d'identifier des contenus et de trouver un moyen de les diffuser. Le numérique a son rôle à jouer, d'autant que beaucoup des rendez-vous développent des politiques numériques.

Vous avez évoqué la Somme, monsieur Demarthe. Elle est à l'honneur avec les manifestations liées au centenaire de la Première guerre mondiale. Le tourisme mémoriel a pris de l'ampleur. Joseph Zimet, qui dirige la mission du Centenaire, a souligné que 1,2 million de visiteurs étrangers, notamment de nombreux Australiens, étaient attendus sur les sites des batailles et autres lieux de mémoire.

La Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture est pour nous un interlocuteur très important, madame Duby-Muller. Nous avons fait une démarche auprès de son président.

Quant à l'Union européenne, à l'évidence, elle constitue un acteur majeur. C'est là où les marchés se trouvent. Cela n'empêche pas qu'il est important pour nous de diversifier le public visé : un Européen aura plus facilement accès à des informations sur la richesse culturelle française qu'un habitant d'un pays extra-européen. Nous voulons faire en sorte que les publics étrangers ajoutent des festivals à leur programme de visites. Des villes comme Lille ont bien réussi à capter un nouveau public à travers l'organisation d'événements dans le prolongement de Lille 2004.

Permettez-moi une anecdote personnelle : lorsqu'enfant, je faisais le voyage en voiture de Reims jusqu'en Bretagne pour les vacances, Carhaix m'apparaissait comme le type même de l'endroit qui ne donnait pas envie de s'y arrêter. Cette commune a été totalement transformée par le festival des Vieilles Charrues depuis sa création en 1992 : durant quelques jours, elle accueille plus de 250 000 personnes. Ce festival est l'avant-dernière étape du Grand Tour qui s'achève à Marciac, village gersois dont la population est multipliée par cent pendant la durée du festival de jazz. Tout cela pour vous dire que rien n'est impossible, y compris pour des petites collectivités.

Pour finir, je soulignerai que nous avons tous les ingrédients pour réussir. Nous sommes le pays le mieux doté en termes de patrimoine et de rendez-vous de création en Europe et dans le monde. Nous sommes le pays le plus ouvert du monde aux artistes étrangers. La culture française est forte non seulement parce qu'elle est l'addition de Bretons, d'Alsaciens, de Normands et de Toulousains, mais aussi parce qu'elle a accueilli des artistes comme Picasso, Chagall, Miró ou Giacometti. Il faut simplement qu'à un moment donné, une dynamique au niveau de l'État – et cette mission remplit un rôle d'ensemblier – permette de porter ces ressources encore plus loin. Et je compte sur vous et sur le public pour nous accompagner dans cette voie.

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