Intervention de Isabelle Steyer

Réunion du 26 janvier 2016 à 16h30
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Isabelle Steyer, avocate au barreau de Paris :

J'interviens exclusivement dans des dossiers de femmes victimes de violences et auteures de meurtre sur conjoint violent. On vient généralement me voir comme deuxième, voire troisième avocat, lorsque l'avocat « classique » ne comprend pas le mécanisme de la violence conjugale. Je traite donc uniquement des cas qui dysfonctionnent.

Philosophiquement, idéologiquement, je suis favorable au féminicide. Malheureusement, cette notion n'entre pas dans la philosophie des magistrats ni du droit actuel, ce qui rend nécessaire une loi de genre, une loi-cadre sur le féminicide, qui définirait la notion de « violences conjugales ». En effet, si le code pénal prévoit les violences physiques ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) inférieure ou supérieure à dix jours, ainsi que les violences psychologiques, introduites par la loi de 2010 – notion que manient assez mal les professionnels de la justice –, il n'apporte pas une définition des violences conjugales. Si bien que nous, les avocates des femmes victimes, sommes systématiquement renvoyées vers la notion de « conflit de couple ».

Dans ce contexte, un délit de violences conjugales peut paraître intéressant, mais il impliquerait un renversement de la preuve. Aussi serait-il préférable d'insérer dans le code civil la définition des violences conjugales, telle qu'elle existe dans les textes internationaux, notamment la Convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre les violences à l'égard des femmes et la violence domestique, ratifiée par la France.

Dans les dossiers de légitime défense avec meurtre – que je défends une fois par an environ –, les auteures ne sont jamais acquittées, elles sont généralement condamnées à une peine de cinq ans de prison dont trois avec sursis. À présent, l'affaire Jacqueline Sauvage ouvre le débat sur la présomption de légitime défense. Soit c'est un dossier particulier. Soit ça ne l'est pas, et alors le législateur pourrait utilement s'inspirer de la disposition canadienne sur la légitime défense féminine. En effet, la légitime défense en France fait l'objet de jugements réguliers devant les tribunaux correctionnels, car si Madame s'est défendue, elle et son conjoint sont cités à comparaître pour violences devant le tribunal correctionnel – elle a un oeil au beurre noir et lui quelques griffures –, si bien que tous deux sont sanctionnés des mêmes peines ! Ce traitement correctionnel, par le « bas du panier », est particulièrement inquiétant, car à partir du moment où les condamnations sont équivalentes ou égales pour la femme et l'homme, nous ne pouvons pas dire au juge aux affaires familiales que c'est Monsieur qui est violent, ni demander un droit de visite en lieu neutre ou en présence d'un tiers, encore moins présenter l'exercice de l'autorité parentale comme instrument de domination.

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