Intervention de Catherine le Magueresse

Réunion du 26 janvier 2016 à 16h30
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Catherine le Magueresse, juriste et ancienne présidente de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, AVFT :

Le droit actuel ne prend pas en compte la spécificité des violences conjugales : la légitime défense a été conçue par et pour des hommes, pour protéger leur propriété, dans le cadre d'une rixe à la sortie d'un bar… La jurisprudence n'évoque que ces cas.

Le législateur français doit-il s'orienter vers la présomption de légitime défense, la légitime défense différée ou une autre piste ?

Avec la présomption de légitime défense, on joue sur le régime de la preuve, mais sans toucher à la définition même de la légitime défense. Or il est fondamental de définir la légitime défense.

Avec la légitime défense différée, les choses ne sont pas claires. Pour moi, la légitime défense s'inscrit totalement dans le processus des violences conjugales. Je rappelle que 41 % des femmes tuées par leur conjoint avaient déposé plainte, ce qui montre qu'une procédure pénale ne protège pas de la mort. En outre, parmi les femmes auteures d'homicide, à peu près la moitié avaient elles-mêmes été victimes de violences conjugales.

La troisième piste est celle du droit canadien. La première jurisprudence au Canada date de 1990, avec l'arrêt Lavallée. Mme Lavallée avait tué son conjoint à peu près dans les mêmes circonstances que Mme Sauvage : insultée par son mari lors d'une soirée, elle était montée se cacher dans sa chambre, puis son mari l'avait rejointe pour lui dire « Attends que les invités s'en aillent, tu auras de mes nouvelles ! ». Mme Lavallee avait alors tiré sur son mari qui était en train de quitter la chambre – il était donc de dos avec l'arme qu'il lui avait remise. Dans cette affaire, la juge à la Cour suprême Bertha Wilson a pris en compte la spécificité des violences conjugales. Par la suite, plusieurs arrêts ont confirmé cet arrêt.

Enfin, en 2012, des facteurs à prendre en compte pour apprécier si la personne alléguant la légitime défense a agi de façon raisonnable, ont été intégrés à l'article 34 du Code criminel canadien. Les jurés doivent ainsi tenir compte notamment de : « la taille, l'âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause ; la nature, la durée et l'historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d'emploi de la force avant l'incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace ; la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l'emploi ou à la menace d'emploi de la force ».

Le législateur français pourrait s'inspirer des critères canadiens pour redéfinir la légitime défense, de telle sorte qu'elle ne soit pas discriminante pour les femmes victimes de violences conjugales. En effet, en ne tenant pas compte de la situation spécifique des femmes victimes de violences conjugales, le code pénal français exclut les femmes violentées du droit à la légitime défense et ainsi du droit à un procès équitable.

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