À cette heure avancée, je solliciterai, pour expliquer mon opposition à la déchéance de nationalité, des arguments qui n’ont pas encore été développés.
Le débat entre nous ne porte pas sur la déchéance de nationalité en tant que telle, y compris pour les binationaux nés français. Certes, beaucoup se sont interrogés sur l’utilité de la mesure ou sur son efficacité, puisque les terroristes ne seraient pas expulsés, même s’ils étaient condamnés à une peine supplémentaire, mais ce dont nous discutons ce soir, c’est surtout de savoir de quoi cette mesure est le nom.
Dans le raisonnement qui nous est proposé, je distingue deux failles.
La première nous renvoie au code civil, dont l’article 23-7 dispose qu’un Français qui se comporte en fait comme le national d’un autre pays peut perdre sa nationalité. Donc, si l’on s’en tient à la tradition de notre droit, depuis les décrets-lois Daladier de 1938, vouloir étendre la déchéance de nationalité aux terroristes, c’est assimiler le mouvement qui les entraîne à un État. Voulons-nous reconnaître Daech, notre pire ennemi du moment, comme un État constitué ?
La seconde faille du raisonnement est la suivante : les individus dont on parle ne sont pas franco-daechiens. Ils sont franco-algériens, franco-tunisiens, franco-marocains, franco-belges, et pourquoi pas demain franco-vénézuéliens ou franco-islandais. Leur ôter la nationalité, afin de leur infliger une peine supplémentaire, c’est considérer que notre pays se situe au-dessus des autres.
Quand je regarde le superbe bas-relief qui se trouve derrière vous, monsieur le président, et qui représente notre République guidant les pas d’autres nations du monde, au nom de certaines valeurs, je me dis qu’adopter la mesure proposée nous ferait déchoir de notre responsabilité.