La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
Cet après-midi, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi constitutionnelle, s’arrêtant à l’amendement no 215 à l’article 1er.
suite
Cet amendement vise à substituer aux mots « la loi » les mots « le Parlement ». Il reprend un amendement que j’ai déjà présenté, car il me semblait plus intéressant et plus utile de parler du Parlement que de la loi. M. le garde des sceaux m’avait répondu. J’appelle cependant son attention sur le fait que, dans la rédaction de l’article 36 de la Constitution, il est question du Parlement et non de la loi.
Je n’ai pas compris tout à l’heure sa réponse, mais je n’ai pas pu reprendre la parole pour obtenir de précisions. Je n’en fais pas une question de principe, même si le recours au terme de « Parlement » me semble plus protecteur. J’attends l’explication du Gouvernement. S’il reste sur sa position, je retirerai mon amendement.
La parole est à M. Dominique Raimbourg, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission.
Avis défavorable. L’emploi du terme « Parlement » risquerait de signifier qu’il s’agit d’une résolution et qu’il faudrait, par conséquent, la voter dans les mêmes termes dans les deux assemblées. Il est beaucoup plus efficace et utile de conserver le terme de « loi ».
La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l’avis du Gouvernement.
Même avis.
L’amendement no 215 est retiré.
Il vise à préciser la durée de l’état d’urgence, dans la mesure où celui-ci peut être voté aujourd’hui sans aucune limitation et, partant, être instauré de manière permanente. Si, au mois de janvier, nous avions pu lire l’avenir dans une boule de cristal, peut-être aurions-nous passé une année entière en état d’urgence.
Étant donné que le projet de loi constitutionnelle intègre la notion de menace imminente et que le terrorisme constitue, par nature, une menace imminente et parfois permanente, puisque chacune de nos activités, y compris les plus quotidiennes, peut devenir une cible, je vous propose de compléter l’alinéa 4 par les mots : « et pour un délai limité à trois mois. »
Dans le cas, fort peu probable, où la commission et le Gouvernement n’y seraient pas favorables, je proposerai plus loin, dans l’amendement no 179 , de fixer le délai à six mois.
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement no 69 .
Puisqu’il faut, semble-t-il, malgré mon hostilité, constitutionnaliser l’état d’urgence, il me paraît nécessaire, pour des raisons de respect des libertés publiques et pour être conforme à son état d’esprit et à son caractère exceptionnel, de lui fixer une durée limite. L’expérience nous montre, suite aux opérations de contrôle conduites dans le cadre de la commission des lois, que le délai de trois mois est raisonnable. Il permet aux forces de l’ordre et aux services de l’État d’engager les différentes mesures disponibles dans ce cadre, d’en garantir l’efficacité et de les suivre.
Comme il faut également assurer le contrôle parlementaire, qui a été adopté tout à l’heure, la périodicité de trois mois semble raisonnable pour laisser au Parlement le soin de fixer une nouvelle durée. C’est pourquoi je rejoins l’argumentation de mon collègue Pouzol.
La parole est à M. François de Rugy, pour soutenir l’amendement no 37 .
Dans le même état d’esprit que d’autres collègues, nous défendons la limitation de la durée de l’état d’urgence à trois mois, ce qui ne signifie pas, bien sûr, qu’elle ne puisse pas être prolongée par un nouveau vote du Parlement. Cela fait partie de l’équilibre des pouvoirs, et c’est une autre façon d’exercer un contrôle parlementaire. Monsieur le Premier ministre, vous aviez d’ailleurs proposé une durée de trois mois pour l’état d’urgence actuellement en vigueur, après la durée de douze jours décrétée en Conseil des ministres.
L’état d’urgence, ce sont des mesures exceptionnelles, dont l’effet est souvent plus important au début. Certaines mesures méritent d’être prolongées, d’autres non. Nous avons abordé cet après-midi la question du droit de manifester. Certains ont contesté le fait qu’il y ait eu des interdictions de manifester. Ces remarques m’ont semblé un peu outrancières. Les interdictions ont été très limitées. Par ailleurs, comme l’a dit à plusieurs reprises le ministre de l’intérieur, elles se justifiaient par le fait que les forces de police, de gendarmerie et de maintien de l’ordre étaient très mobilisées, notamment lors de la COP21, ce qui expliquait que l’on ne puisse pas sécuriser en même temps des manifestations ou des déplacements de supporters. Ces interdictions ont d’ailleurs été rapidement levées.
Il est logique de fixer une durée de trois mois, ou de quatre comme l’ont fait des collègues de l’UDI – peu importe en réalité –, et de garantir un vote du Parlement pour chaque prorogation, qui sera motivée par le Gouvernement, comme ce que vous vous apprêtez à le faire, monsieur le Premier ministre. En 1961, l’état d’urgence avait été décrété pour deux ans. Si nous ne fixons pas de limite dans la Constitution, une majorité pourrait valider ponctuellement une loi de prorogation pour de telles durées. Cela n’est pas raisonnable. Nous oeuvrons aussi pour l’avenir. C’est pourquoi nous proposons une durée de trois mois et une prorogation votée par le Parlement.
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l’amendement no 146 rectifié .
Cet amendement vise à limiter la prorogation de l’état d’urgence au-delà de quatre mois, sans la tenue d’un nouveau débat au Parlement. Le système est assez simple : le Gouvernement déclare l’état d’urgence pour douze jours, puis le Parlement peut en décider la prorogation. Il nous paraîtrait regrettable de laisser la possibilité d’instaurer un état d’urgence quasi permanent, d’une durée initiale de huit, dix ou douze mois, alors que personne n’est capable en période de crise d’évaluer la menace à une telle échéance.
Au groupe UDI, nous avons choisi de proposer que, comme c’est le cas pour les opérations militaires menées à l’extérieur par notre pays, le Parlement soit obligé de redébattre de l’état d’urgence, mais que, à la différence des opérations extérieures, il puisse décider de ne pas le proroger. Pour répondre, par avance, au sous-amendement proposé par le président de la commission des lois, la prorogation est évidemment renouvelable, puisqu’on ne peut pas prévoir le moment de sortie de crise. Néanmoins, tous les quatre mois, il faudra une majorité pour proroger l’état d’urgence, si nous l’inscrivons sous cette forme dans la Constitution.
La parole est à M. Dominique Raimbourg, rapporteur, pour soutenir le sous-amendement no 270 , à l’amendement no 146 rectifié .
La commission n’avait pas voté une limitation de la durée de l’état d’urgence. À titre personnel, il me semble qu’une limitation à quatre mois est satisfaisante. Elle permet de fixer une borne. Par ailleurs, de façon à ce que les conditions de la prorogation soient claires, je vous propose ce sous-amendement où il est précisé que la « prorogation peut être renouvelée dans les mêmes conditions », de façon à ce qu’il n’y ait aucune confusion entre le décret et la loi. La limitation de la durée me paraît une bonne solution.
M. Michel Pouzol a déjà défendu l’amendement no 179 .
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Le Gouvernement est favorable à l’amendement no 146 rectifié , sous réserve de l’adoption du sous-amendement no 270 , puisqu’il paraît utile que le Parlement se prononce dans un délai raisonnable sur la prorogation de l’état d’urgence. La durée de quatre mois semble satisfaisante.
Je souhaiterais interroger la commission et le Gouvernement. La loi de 1955, que nous avons révisée en novembre 2015, prévoyait un délai de trois mois. Qu’est-ce qui justifierait le passage de trois à quatre mois ?
Les arguments présentés au cours de cette discussion commune nous laissent à penser que la proposition de M. Lagarde, sous-amendée par M. Raimbourg, soit celle qui réponde le mieux à notre position actuelle. Sur la question de l’augmentation de la durée, je laisserai le Gouvernement s’exprimer. Mais, compte tenu des différentes situations et du temps nécessaire pour mettre en oeuvre la lutte contre le terrorisme, la durée de quatre mois est convenable. Nous voterons donc l’amendement de M. Lagarde.
Comme je le disais tout à l’heure, sur un tel sujet, la discussion permet d’arriver à des compromis. L’amendement de M. Lagarde va exactement dans le même sens que le nôtre, puisque la différence d’un mois ne change pas fondamentalement le principe. Le sous-amendement du président Raimbourg, relatif à la procédure de prorogation, est tout à fait logique. Nous retirons donc notre amendement au profit de l’amendement du groupe UDI, tel qu’il a été sous-amendé.
L’amendement no 37 est retiré.
L’amendement de M. Lagarde allant dans le même sens que les nôtres, je les retire au profit du sien ainsi sous-amendé.
Pour répondre à M. Poisson, je précise que la loi de 1955 ne prévoyait pas de durée de trois mois. Il y a eu à travers l’histoire des durées d’application variables – neuf mois, six mois, trois mois. La durée de trois mois décidée en novembre dernier ne reposait sur aucune justification particulière. Quant à celle de quatre mois, c’est par référence aux opérations extérieures, autrement dit les OPEX. C’est un peu arbitraire, je vous le concède, mon cher collègue.
Je reconnais, monsieur le rapporteur, que la référence aux OPEX est quelque peu osée.
Cela étant, il faut tout de même qu’on se rende bien compte que nous sommes en train de décider d’accroître d’un mois la durée de l’état d’urgence par rapport à celle fixée par la loi que nous avons votée ici même à la quasi-unanimité le 19 novembre dernier.
Bien sûr, mes chers collègues. Je vois bien là votre habituel sens de la précision, mais je suppose qu’on ne va pas décider un mois et demi. On est donc sur le point d’accroître les prérogatives d’un régime dont je ne considère pas qu’il soit attentatoire aux libertés fondamentales mais qui est tout de même restrictif ou, pour reprendre le vocabulaire du Conseil constitutionnel, « limitatif » en la matière puisqu’il confie à l’administration des pouvoirs dont elle ne dispose pas en période ordinaire. Cela va donc faire un mois de plus sans que nous ayons entendu un argument qui le justifie pleinement. Je suis attaché au fait que, même si c’est un peu contraignant, le Gouvernement revienne devant le Parlement tous les trois mois parce qu’il est tout de même question ici des libertés fondamentales du peuple français – même si je n’ignore pas les impératifs qu’impose sa sécurité.
Monsieur Poisson, nous avons eu ce débat lors de la prolongation de l’état d’urgence décidé dans la nuit du 13 novembre. Je me rappelle que M. Schwartzenberg ici présent avait proposé une durée de six mois. L’état de la menace, qui nous amène à demander au Parlement une prolongation de trois mois – le ministre de l’intérieur le fera dès demain au Sénat –, aboutira de fait à un état d’urgence de six mois car la situation est particulièrement sérieuse, périlleuse. La semaine dernière, le ministre de l’intérieur devant les groupes et moi ici en présentant la révision constitutionnelle disions que la menace était sans doute aujourd’hui supérieure à la période précédant le 13 novembre en termes de faits constatés, en termes d’activité des filières et des réseaux. Nous avons à nouveau fait le choix de trois mois pour ne pas toucher à la loi telle qu’elle avait été votée en termes identiques par l’Assemblée et par le Sénat. Mais je dois reconnaître que l’idée des trois mois – ou des quatre mois d’ailleurs – ne repose pas sur des éléments précis. On pourrait même considérer qu’il faut un nouveau vote du Parlement tous les mois ou tous les six mois. Mais la Constitution n’est pas amenée à être modifiée régulièrement sur ce point, et nous ne savons pas devant quel type de menace nous devrons réagir dans les années qui viennent.
La durée de quatre mois ne modifie pas fondamentalement l’équilibre du dispositif par rapport aux trois mois votés en novembre dernier, tout en donnant un peu plus de temps pour gérer l’état de la menace. Le Gouvernement a émis un avis favorable à l’amendement présenté par Jean-Christophe Lagarde et sous-amendé par le rapporteur car il aboutira à un rythme qui nous semble raisonnable : il laisse suffisamment de temps, disais-je, pour faire face au type de menace que nous connaissons tout en permettant au Parlement d’assurer son contrôle parce que c’est en effet un régime d’exception.
Sur l’amendement no 146 rectifié , je suis saisi par le groupe écologiste d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
Tout d’abord, je tiens évidemment à saluer le sous-amendement de M. Raimbourg. J’indique à M. Poisson qu’il n’est pas tout à fait déplacé de comparer le délai pendant lequel nous devons prendre acte d’une OPEX sans avoir mot à dire avec le délai maximal ici proposé. C’est d’autant plus important qu’il ne s’agit pas d’un contrôle par le législateur mais de la loi elle-même. Mais ce n’est pas la seule raison. Je rappelle en effet que le Parlement ne siège pas en principe durant une durée de trois mois, de juillet à fin septembre.
Et puis s’il devient nécessaire d’adapter notre droit, la durée de quatre mois le permet par l’utilisation de la procédure accélérée.
Enfin, il me paraît raisonnable qu’a minima trois fois par an nous ayons à débattre de la prolongation éventuelle d’un état d’urgence. Pour rectifier ce que j’ai entendu, je précise que ce n’est pas trois mois aujourd’hui et quatre mois demain, mais douze mois, voire vingt-quatre mois en l’état actuel du droit si le Parlement le décide, et seulement dorénavant quatre mois au plus, durée renouvelable en fonction de la situation. Cela veut dire que le Gouvernement, auquel on attribue des pouvoirs exceptionnels, doit conserver la confiance d’une majorité de l’Assemblée pour continuer à appliquer l’état d’urgence.
J’avais déposé un amendement prévoyant que la loi de prorogation fixe un terme à l’état d’urgence parce qu’il me semble important que la durée ne soit pas renouvelable automatiquement et qu’on sache à quoi s’en tenir. Si au terme de la durée fixée par la loi, douze jours après la déclaration de l’état d’urgence par décret pris en Conseil des ministres, il convient que le Gouvernement prenne un nouveau décret au vu de la prolongation d’un péril imminent, conformément à l’article 3 de la loi de 1955. Il est en effet particulièrement délicat pour le Gouvernement, et un peu moins pour le législateur, de sortir de l’état d’urgence, et tout aussi délicat de décider de le poursuivre. Je souhaite que le Gouvernement précise bien quelle est sa volonté dans ce domaine. J’ajoute qu’il aurait été préférable de ne pas prévoir de durée fixe dans la loi mais d’en laisser la latitude au législateur.
L’amendement no 69 n’est pas adopté.
Rires.
Le sous-amendement no 270 est adopté.
Je mets aux voix l’amendement no 146 rectifié , tel qu’il a été sous-amendé.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 88 Nombre de suffrages exprimés: 82 Majorité absolue: 42 Pour l’adoption: 79 contre: 3 (L’amendement no 146 rectifié , sous-amendé, est adopté.)
Cet amendement vise à compléter la seconde phrase de l’alinéa 4 par les mots : « , la délimitation territoriale, et les mesures nécessaires à sa mise en oeuvre ». En effet, de plus en plus, les décrets d’application de l’état d’urgence ne déclenchent qu’une partie seulement des dispositions de la loi du 3 avril 1955. Inviter le législateur à préciser les mesures nécessaires à sa mise oeuvre vise à juridiciser cette pratique mais aussi à limiter un usage abusif des dispositions de la loi de 1955. Au lieu de mobiliser d’un seul tenant tout l’arsenal juridique de cette loi, le législateur pourrait ainsi choisir les seules dispositions adaptées à la situation, et le Conseil constitutionnel contrôler le choix retenu.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement no 133 .
Il s’agit de compléter l’alinéa 4, après les mots « la loi fixe la durée de la prorogation de l’état d’urgence », par les mots suivants : « , ainsi que les conditions d’exercice rendues nécessaires par les circonstances. » Je trouve en effet qu’il y a un flou dans cet article puisque, après que l’état d’urgence a été décrété, une loi détermine les mesures de police administrative possibles, puis une autre loi le proroge. Or, nous devrions, en même temps que nous décidons de proroger, pouvoir apprécier les conditions d’exercice rendues nécessaires.
Avis défavorable. Il va de soi que le législateur prendra les mesures qui lui semble nécessaires sur le territoire sur lequel il pense qu’elles doivent s’appliquer. La précision introduite par ces amendements ne me semble donc pas s’imposer.
Même avis.
L’amendement no 197 n’est pas adopté.
L’amendement no 133 est retiré.
Cet amendement vise à compléter la première phrase de l’alinéa 4 afin de préciser que la loi prorogeant l’état d’urgence doit être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Il doit en effet y avoir un accord entre les deux chambres pour répondre à une situation de péril imminent. Cela est d’abord justifié par l’importance des pouvoirs exceptionnels prévus par l’état d’urgence, dont nous avons longuement débattu ; et c’est d’autant plus nécessaire que si ces dispositions sont constitutionnalisées, nous pourrons encore aller plus loin dans les mesures applicables. En situation de péril imminent, il doit pouvoir y avoir un accord entre les deux chambres.
Le Gouvernement ne semble pas avoir reçu mandat de bâtir le bicaméralisme égalitaire, ne serait-ce que sur ce sujet. L’avis est donc défavorable.
Cet amendement est assez étonnant. Si nos collègues, dans certains textes, semblaient considérer le Sénat comme superfétatoire, ils espèrent en définitive l’utiliser pour bloquer le travail de l’exécutif. Cela est entièrement contraire à l’esprit des constituants de 1958 comme à ce que nous connaissons et voyons de l’utilité de l’état d’urgence depuis novembre. Le groupe socialiste est donc défavorable à cet amendement.
L’amendement no 76 n’est pas adopté.
La parole est à M. Philippe Vigier, pour soutenir l’amendement no 154 .
Cet amendement vise à soumettre les lois de prorogation de l’état d’urgence au Conseil constitutionnel, lorsque le Gouvernement souhaite proroger celui-ci.
Avis défavorable. La mise en oeuvre de la loi de prorogation serait alors un peu trop lourde.
Le Gouvernement a également émis un avis défavorable sur cet amendement. Le Conseil constitutionnel peut être saisi de multiples façons sur les textes de l’état d’urgence. Il l’a démontré en traitant trois questions prioritaires de constitutionnalité – QPC – en un temps record, sur les assignations à résidence en décembre 2015, ainsi que sur les perquisitions et les fermetures de lieux de réunion, en février 2016. La QPC nous paraît suffisante à un contrôle a posteriori. Quant au contrôle a priori, la loi étant votée par les parlementaires, le Conseil peut aussi être saisi.
L’amendement no 154 n’est pas adopté.
Dans cet amendement, rédigé par M. Amirshahi, il est proposé qu’après 30 jours d’état d’urgence, le Conseil constitutionnel rende un avis motivé sur la prolongation de celui-ci, afin d’éclairer le Parlement. Dans cet esprit, la durée de l’état d’urgence ayant été fixée à quatre mois, si le délai d’un mois semble trop court, il peut être porté à deux mois.
La parole est à M. Dominique Raimbourg, pour soutenir l’amendement no 160 .
L’amendement no 160 est retiré.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement no 135 .
L’amendement no 135 est retiré.
Cet amendement vise à prévoir une limitation de durée pour l’état d’urgence. Dès lors que nous inscrivons dans la Constitution une limitation de durée à quatre mois, un mécanisme parallèle de saisine du Conseil constitutionnel semble superfétatoire. Un nombre suffisant de députés ou de sénateurs peuvent toujours saisir le Conseil.
Le Gouvernement a émis un avis défavorable sur cet amendement, pour les mêmes raisons que précédemment : en effet, nous ne comptons absolument pas homogénéiser les différents états de crise. Celui prévu à l’article 16 de la Constitution, le plus haut, prévoit que le Président de la République puisse se saisir des pouvoirs lorsque le fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu. Il est donc légitime que certaines mesures protectrices aient été définies.
Mais cela n’est pas le cas de l’état d’urgence, où, comme nous l’avons vu, un contrôle du juge s’exerce, ainsi qu’un contrôle parlementaire, à présent, en plus des saisines a priori du Conseil sur les lois de prorogation et des saisines a posteriori par les QPC. Il n’y a donc pas de raison de prévoir les modalités de l’amendement no 127 .
Cet après-midi, nous avons vu notre assemblée constituante décider par voie d’amendement de modifier très profondément nos institutions, en supprimant le droit de dissolution pendant l’état d’urgence.
Pendant l’état d’urgence, la Ve République devient donc une république parlementaire : au nom d’une prétendue défense des libertés, le pouvoir est transféré au Conseil constitutionnel. Ainsi, loin de l’équilibre de la loi de 1955, qui donnait à ce Parlement le droit, sur demande du Gouvernement, de voter l’état d’urgence et d’en décider la durée, éventuellement en le prorogeant, sous le contrôle permanent du Parlement – un contrôle renforcé par le dispositif décidé par M. Urvoas, à juste titre, et que nous avons soutenu –, nous passerons à un régime qui ressemblera à un gouvernement des juges, le Parlement abdiquant la responsabilité qui lui incombe, ainsi qu’à l’exécutif, celle de garantir la sécurité de la Nation.
Dans les deux cas, dans la famille politique qui est la mienne, qui reste gaulliste pour un bon nombre d’entre nous, les poils se hérissent. Aussi, mes chers collègues, je vous demande de réfléchir avant de voter des décisions aussi graves, qui modifient très profondément l’esprit de nos institutions.
Monsieur Hanotin, fort des explications de M. le rapporteur et de M. le ministre, maintenez-vous l’amendement ?
Il ne s’agit en aucun cas de transférer le rôle du Parlement au Conseil constitutionnel, mais de permettre au Parlement de se prononcer avec un avis éclairé, tel celui de notre plus haute juridiction. De ce point de vue, l’amendement me semble intéressant.
Cela étant, j’ai entendu les propos de M. le ministre et M. le rapporteur. Je veux bien retirer cet amendement, qui n’était pas de même nature que l’intéressant rééquilibrage des pouvoirs conduit sous la Ve République, avec la dissolution.
L’amendement no 127 est retiré.
Je suis saisi de deux amendements, nos 27 et 51 rectifié , pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Cécile Duflot, pour soutenir l’amendement no 27 .
Cet amendement prévoit une fin anticipée de l’état d’urgence par décret en Conseil des ministres. Elle permettra de décider plus rapidement, sans aller au terme du délai maximal qui a été voté ici mais qui n’est pas prévu pour l’instant.
La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour soutenir l’amendement no 51 rectifié .
Le Gouvernement, dont nous ne célébrerons jamais assez les mérites, a mis dans la loi de novembre 2015 une disposition prévoyant qu’il peut être mis fin à l’application de l’état d’urgence si les circonstances qui ont justifié sa mise en application ne le justifient plus. Cela pourrait en effet constituer une garantie supplémentaire, sans entraver la liberté du Gouvernement. Est-ce qu’il peut être mis fin, ce qui est potestatif ? Au moins, cela aurait l’avantage de permettre une fin plus rapide de l’état d’urgence.
C’est d’ailleurs ce qu’il s’était passé, avec la loi votée lors des violences urbaines, M. de Villepin étant Premier ministre. Telle qu’elle avait été prorogée, cette déclaration de l’état d’urgence valait pour trois mois. Il a été mis fin à son application au bout de deux mois, le 4 janvier 2006.
Il serait assez intéressant de retenir cet amendement, même si l’hypothèse contraire ne serait pas absolument catastrophique.
Ces amendements apportent une précision qui semble inutile. En effet, ce que le décret a fait, le décret peut le défaire. Au-delà du délai de douze jours, la loi peut prévoir qu’il sera mis fin à l’état d’urgence, par décret. Une autre loi peut aussi y mettre fin.
Fort des propos de M. Schwartzenberg, je peux dire que le Gouvernement n’est pas favorable à ces amendements, dans la mesure où ces dispositions figurent dans la loi de 1955. La présente révision constitutionnelle n’a pas pour objectif de la modifier sur ce point. Je souscris donc aux arguments du président de la commission des lois pour émettre un avis défavorable sur ces amendements.
Les amendements nos 27 et 51 rectifié , successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.
Je suis saisi de deux amendements, nos 118 rectifié et 157 , pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Gérard Sebaoun, pour soutenir l’amendement no 118 rectifié .
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement no 157 .
M. le rapporteur dira certainement qu’il s’agit, là encore, d’une précision inutile, mais il est tout de même bon d’en exprimer la préoccupation.
Une proposition de loi peut, selon moi, être adoptée afin de mettre fin à l’état d’urgence, avant son terme, lorsque les circonstances le justifient. Aussi, je propose de compléter l’article par un alinéa.
La loi prorogeant l’état d’urgence peut prévoir une date d’application de ce régime qui se révèle finalement beaucoup trop longue, au regard des circonstances particulières. Le Gouvernement peut vouloir maintenir ce régime d’une manière arbitraire, alors que ses conditions d’application ne sont plus réunies. Or rien ne permet aujourd’hui clairement au Parlement de mettre un terme à l’état d’urgence. Il convient donc de préciser que le Parlement peut toujours, à son initiative, adopter une proposition de loi pour mettre fin, avant son terme, à l’application de l’état d’urgence lorsque les conditions ne sont plus réunies pour son maintien.
Vous direz peut-être, monsieur le rapporteur, que cela va de soi, mais je tenais à ce que cette possibilité offerte au Parlement soit inscrite dans les débats parlementaires.
Le droit actuel satisfait pleinement cette demande. Cette précision sera inscrite dans les débats parlementaires, afin qu’elle soit claire pour tous. Aussi, je vous demande, madame Untermaier, de retirer cet amendement.
Même avis.
Les amendements nos 118 rectifié et 157 sont retirés.
La parole est à Mme Pascale Crozon, pour soutenir l’amendement no 229 .
Vous avez souhaité, monsieur le garde des sceaux, que notre commission des lois puisse se saisir des prérogatives d’une commission d’enquête pour assumer cette mission et informer pleinement le Parlement des moyens mis en oeuvre, de leurs résultats positifs et de leurs éventuelles dérives.
Cette mission de contrôle et d’évaluation ne saurait être effective si elle ne se concrétise pas par la possibilité de mettre fin à l’état d’urgence, dès lors que les conditions de son déclenchement ne seront pas réunies. Le Parlement, si la Constitution prévoit qu’il lui revient d’exercer ce contrôle, doit donc pouvoir se saisir de cette question, en débattre et en délibérer souverainement, hors de toute initiative du pouvoir exécutif.
C’est donc bien dans la Constitution elle-même, et non dans la loi, que doivent être prévues les prérogatives parlementaires. Tel est l’objet de cet amendement, qui reproduit les conditions prévues pour la motion de censure inscrite à l’article 49 et qui remplit trois conditions essentielles pour une décision d’une telle gravité : une initiative strictement parlementaire et nécessitant une certaine représentativité ; un vote soumis à une majorité qualifiée ; une procédure d’urgence, indépendante de navettes incompatibles avec les délais, dans lesquels cette décision doit pouvoir être prise.
Sur l’amendement no 229 , je suis saisi par le groupe écologiste d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission ?
Le Gouvernement est défavorable à l’amendement. Mme Crozon en a d’ailleurs donné les raisons : le droit est suffisant aujourd’hui. Les arguments du rapporteur suffisent donc.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 136 Nombre de suffrages exprimés: 129 Majorité absolue: 65 Pour l’adoption: 103 contre: 26 (L’article 1er, amendé, est adopté.)
Applaudissements sur certains bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Cet amendement, quoique simple, a une forte portée symbolique, et même plus que cela, puisqu’il tend à abroger l’article 16 de la Constitution.
Alors que nous venons de décider l’inscription d’un nouvel état d’exception dans notre Constitution, il me semblerait important de revisiter notre droit. L’état d’urgence est fait pour répondre aux problèmes intérieurs, l’état de siège à une agression extérieure : dans ce cadre, on a du mal à concevoir quel serait, dans une démocratie moderne, le rôle de l’article 16. Il n’est selon moi qu’un héritage du passé, et peut-être serait-il temps de moderniser notre droit. Ce serait un signal très positif qui montrerait que nous profitons de l’inscription dans la Constitution d’un nouveau régime d’exception pour donner un certain nombre de garanties aux droits démocratiques. Ce signal très fort pourrait être entendu par tous nos concitoyens et rassurerait ceux que la multiplication des états d’exception inquiète légitimement.
Cet amendement vise à remettre en question l’article 16 de la Constitution : il s’agit, puisque nous inscrivons l’état d’urgence dans la Constitution, de revenir sur un certain nombre de pouvoirs exceptionnels donnés par celle-ci.
Avis défavorable. Il existe trois états d’exception dans la Constitution : chacun a sa spécificité. On peut espérer que l’article 16 ne serve jamais, mais il répond à des circonstances très différentes de l’état d’urgence.
La cohérence de la démarche du Gouvernement est précisément de bâtir une gradation dans les différents outils à sa disposition pour faire face aux diverses menaces que nous pourrions être amenés à connaître. Le Gouvernement est, de ce point de vue, dans une logique de perfection, et non de soustraction. Sans se prononcer sur l’article 16, il pense que la présence de celui-ci dans la Constitution paraît logique.
Les constituants de 1958 et le général de Gaulle doivent se retourner dans leur tombe ! Interdiction de la dissolution de l’Assemblée nationale, transfert des pouvoirs au Conseil constitutionnel, et maintenant suppression de l’article 16 : cela fait beaucoup, vous ne trouvez pas ? Je note qu’heureusement cet amendement n’émane que d’un petit groupe de députés, et non du gros des troupes de la majorité actuelle.
Comme M. Raimbourg et M. le ministre de la justice, je souhaite que l’article 16 ne soit jamais utilisé. C’est un peu comme la force de frappe : il ne faut pas que ce soit utilisé, mais il faut tout de même que les institutions donnent au Président de la République les moyens de gérer une situation catastrophique pour le pays. De même que François Mitterrand, avant d’être à l’Élysée, critiquait le « coup d’État permanent », de même le Parti socialiste a attendu jusqu’en 1971 pour reconnaître la force de frappe ; mais une fois sa conversion faite, le président Mitterrand était bien content de se couler dans les institutions de la Ve République et le chef des armées heureux de pouvoir compter sur la force de dissuasion !
Je souhaite pour ma part que le président Hollande n’utilise jamais l’article 16, mais je recommande à nos collègues de conserver dans notre arsenal constitutionnel les moyens d’assurer, le cas échéant, la protection des Français ; or l’article 16 en fait partie, et l’état de siège aussi.
L’état d’urgence, c’est tout à fait autre chose, et c’est la raison pour laquelle je maintiens qu’il n’a pas sa place dans la Constitution : il s’agit d’une mesure de police préventive qui vise à répondre au genre de situation que nous vivons – d’ailleurs vous serez obligés de l’adapter la semaine prochaine via une autre loi.
Je vous signale en passant qu’en trois ans, vous nous aurez fait voter trois lois antiterroristes, une loi relative au renseignement et une réforme de la Constitution : cela fait beaucoup !
De grâce, évitez de bidouiller et de bricoler les équilibres fondamentaux de la Ve République : l’article 16 et le droit de dissolution de l’Assemblée en font partie.
L’amendement no 233 est retiré.
L’article 16 n’est pas l’alpha et l’oméga de la pensée du groupe socialiste, mais il faut reconnaître que depuis 1958, la Constitution a fait ses preuves. Il n’est pas nécessaire aujourd’hui de modifier son équilibre. C’est pourquoi le groupe socialiste votera contre l’amendement no 99 .
Non, monsieur le président. Cet amendement a été rédigé par notre collègue Amirshahi, qui est empêché ce soir. Il lui tient à coeur – et je m’y associe.
À ma connaissance, peu de démocraties, en Europe ou dans le monde avancé, ont un tel dispositif juridique à leur disposition ! On se grandirait en profitant de cette occasion pour rénover notre droit et l’adapter à une démocratie moderne.
Les députés du Front de gauche voteront – bien évidemment, dirais-je – l’amendement visant à supprimer l’article 16 : c’est dans la logique de nos prises de position au cours de ce débat. Nous sommes en effet opposés par principe à la constitutionnalisation des états d’exception, quels qu’ils soient.
Nous considérons que la Constitution doit graver dans le marbre la norme suprême, la garantie des droits fondamentaux et des droits inaliénables. Or, avec l’article 16 et l’état d’urgence, on ajoute des dispositions de même valeur normative pouvant dynamiter ces droits.
Pour nous, c’est vraiment une question de principe. Nous n’avons pas eu le temps de relire Le Coup d’État permanent écrit par François Mitterrand en 1964, mais nous aurions probablement pu y trouver des éléments pour étayer notre argumentation. Il s’agit aussi, je le répète, d’une certaine conception de la Constitution.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 130 Nombre de suffrages exprimés: 127 Majorité absolue: 64 Pour l’adoption: 32 contre: 95 (L’amendement no 99 n’est pas adopté.)
Je suis saisi d’un amendement no 46 qui fait l’objet de plusieurs sous-amendements.
La parole est à M. Dominique Raimbourg, rapporteur, pour soutenir l’amendement.
Il s’agit d’un amendement et d’une série de sous-amendements qui visent à préciser les conditions dans lesquelles on peut décréter l’état de siège, de façon à mieux encadrer le décret prévoyant sa mise en oeuvre, celle-ci obéissant à la même procédure que la mise en oeuvre de l’état d’urgence.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement et les sous-amendements ?
Le Gouvernement est favorable à la démarche engagée par le rapporteur et par la commission des lois. Il est donc favorable à l’amendement no 46 , ainsi qu’aux sous-amendements nos 239 , 278 et 259 , lesquels procèdent à une juste évolution sémantique, puisque l’article L. 2121-1 du code de la défense date de 1878 et que l’on peinerait aujourd’hui à donner du sens à l’expression de « guerre étrangère ». Il est donc légitime de lui substituer la notion plus moderne de « conflit armé », tout en maintenant le critère d’« insurrection armée ».
Il s’agit d’un amendement initialement présenté par notre groupe, puis repris et adopté par la commission des lois, qui a ensuite été transformé par le Gouvernement, ou par le rapporteur, ou par les deux agissant en commun.
Cette transformation ne nous gêne pas en soi ; simplement, nous avions repris la formulation traditionnelle, résultant de la loi du 3 août 1849, réutilisée à chaque fois et qui, d’une certaine manière, a fait ses preuves. On propose de la remplacer par les notions de « conflit armé » et de « guerre armée ». Outre le fait que cela paraît un peu répétitif, je crois que « guerre armée » n’est pas un bon terme, car, si l’on ne précise pas qu’il s’agit d’une guerre « étrangère », cela peut fort bien être une guerre civile.
Nous avions jugé nécessaire de préciser les conditions de déclenchement du régime de l’état de siège, car au moment où l’on rédige un article 36-1 sur l’état d’urgence, il aurait été paradoxal que l’article 36 reste aussi laconique. En effet, l’état de siège est lui aussi un régime juridique d’exception, assez haïssable d’ailleurs, puisque, dans l’histoire de notre République, il a été utilisé par Cavaignac, massacreur des ouvriers parisiens en 1848, de nouveau en 1849, puis de 1871 à 1874 par les Versaillais contre les Communards. Il ne laisse donc pas que de bons souvenirs ! C’est pourquoi il conviendrait de préciser les conditions de recours à ce régime sans le faire via une phrase ambiguë ou obscure, comme celle suggérée par le ministère de la défense ; évoquer une « guerre armée » ou un « conflit armé » n’est pas d’une netteté absolue, d’autant que, même s’il existe la Convention de Genève, on ne sait pas précisément ce qu’est un « conflit ». Si j’ai beaucoup de respect pour le ministère de la défense et pour la commission des lois, il ne serait pas mauvais que celle-ci revienne à notre texte initial.
Pour ce qui concerne le groupe UDI, nous souhaitons, d’une manière générale, que la présente révision constitutionnelle reste strictement limitée à son objet initial. Néanmoins, ce qui est ici proposé nous paraît nécessaire.
Les débats en commission ont montré le décalage, à la fois dans le temps et sur le principe, de l’état de siège – auquel nous souhaitons tous, évidemment, ne pas avoir recours. La rédaction qui nous est proposée permet de préciser les conditions de déclenchement de l’état de siège, en les limitant clairement.
Par dérogation à notre position générale sur ce texte, nous voterons pour cet amendement. Nous pensons qu’il faut éviter au maximum de s’écarter de l’objet initial de ce texte, mais nous n’en sommes pas si loin, avec cette initiative du groupe des radicaux de gauche. Déterminer la manière dont, en cas de crise, on a recours à l’état de siège – qui consiste à remettre le pouvoir aux militaires – nous semble une bonne idée.
L’amendement de la commission des lois pose à mes yeux deux problèmes. Premièrement, il n’a pas grand-chose à voir avec l’objet de cette révision constitutionnelle, dont l’article 1er porte sur l’état d’urgence. Le discours prononcé par le Président de la République le 16 novembre devant le Congrès n’annonçait pourtant pas une telle réécriture de la Constitution de la Ve République. Il ne prévoyait pas de modifier le droit de dissolution, ni l’article 16…
…ni l’état de siège. Je laisse le Gouvernement le soin de régler ce premier problème avec sa majorité.
La rédaction qui nous est proposée pose un second problème, plus grave, concernant les conflits internationaux. Le sous-amendement no 278 vise à remplacer les termes « guerre étrangère » par « conflit armé ». Une insurrection armée reste une insurrection armée, et M. Schwartzenberg a rappelé l’utilisation détestable qui a été faite de l’état de siège pour mater une révolution, une insurrection, à l’intérieur de notre pays.
Mes chers collègues, de quels événements internationaux pourrait-il s’agir au cours des décennies à venir ? Quels sont les conflits du XXIe siècle ? Ce sont, par définition, des guerres étrangères. Je vous signale, d’ailleurs, que la France est actuellement engagée dans plusieurs guerres étrangères : au Mali, au Moyen-Orient, et demain, peut-être, en Libye, sur la rive sud de la Méditerranée. Les guerres de demain exigeront que nous nous battions à l’étranger, et malheureusement que nous nous battions beaucoup, pour essayer de défendre nos frontières ici.
Il peut aussi arriver qu’une guerre au Moyen-Orient finisse par entraîner, de proche en proche, des puissances étrangères dans le conflit. Ce fut le cas jadis lors de la guerre de Trente Ans, ou plus récemment avec les guerres balkaniques, qui ont précipité l’Europe dans la Première Guerre mondiale. Voilà des exemples de guerres étrangères qui peuvent nous conduire à être en état de guerre.
Je ne vois pas en quoi la Constitution serait plus claire avec l’expression « conflit armé », ou même « conflit international ». Qu’y gagnerions-nous ? Ce ne serait que jouer avec la Constitution.
Je vous conjure de faire attention : en modifiant ce texte, nous engageons le sort de générations entières après nous. Je comprends bien que l’on puisse nourrir des réserves quant à la rédaction de tel ou tel article de notre Constitution, mais l’objet de ce projet de loi de révision constitutionnelle n’est pas de les lever. Avant de bidouiller la Constitution en y inscrivant la notion de guerre, prenez le temps de réfléchir. Ce sont des affaires graves !
La séance, suspendue à vingt-deux heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures quarante-cinq.
J’ai bien entendu ce que vous avez dit, monsieur Lellouche, et nous en avons discuté.
L’occasion nous paraissait bonne de toiletter les dispositions relatives à l’état de siège et d’en préciser les conditions d’ouverture, s’agissant notamment du transfert de pouvoir à une autorité militaire – sans qu’il soit question de dissolution. Mais dès lors que votre position est de principe, que vous estimez l’amendement hors sujet et que cela est contraire, à vos yeux, aux conditions de notre unité, nous le retirons pour vous donner satisfaction.
Sourires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Ce que vient de dire M. le président de la commission me paraît frappé au coin du bon sens. Il est naturel de chercher un accord aussi large que possible sur ce texte, qui nous reviendra de toute façon en deuxième lecture – ou plutôt en seconde, pour être optimiste…
Sourires.
Nous aurons ainsi l’occasion de reparler de ces propositions qui, n’étant pas centrales, peuvent être évacuées du débat aujourd’hui.
Je m’exprimerai à titre personnel, non au nom d’un groupe dont j’ignore les délibérations.
Je remercie le président de la commission, et sans doute le Gouvernement aussi, d’avoir fait preuve de sagesse dans cette affaire : pour toucher à l’état de guerre et à l’état de siège, mieux vaut s’y préparer longtemps à l’avance ; de plus, ce ne sont pas les sujets dont nous avons à débattre ce soir.
Pour le reste, nous devons effectivement être aussi unis que possible dans un moment comme celui-ci ; il ne s’agissait pas pour moi d’imposer des conditions, mais je suis sensible à ce geste, et espère que nous pourrons trouver des accords sur les autres points aussi.
On aurait pu éviter tout cela en en restant à la loi de 1955, dont la présente réforme reprend, pour l’essentiel, l’architecture ; mais je n’épiloguerai pas : je prends acte de votre geste et vous en remercie.
La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement no 104 rectifié .
Je constate avec plaisir que, pour le président de la commission des lois, il faut faire des gestes pour obtenir des accords très larges.
Sourires.
On vient de regarder vers la partie droite de l’hémicycle : j’invite donc à regarder, à présent, vers la partie gauche.
Mon amendement, assez simple, tend à inscrire dans la Constitution que « l’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant la mise en oeuvre de l’état de siège ».
Aux termes de ce que nous venons de voter, l’Assemblée ne pourra être dissoute pendant l’état d’urgence, lequel est, d’après M. le garde des sceaux, celui qui, des trois régimes d’exception constitutionnels, a la valeur la plus faible. Qui peut le plus, peut le moins : si l’on ne dissout pas l’Assemblée nationale pendant l’état d’urgence non plus qu’au titre de l’article 16, on peut inscrire dans la Constitution qu’on ne peut pas davantage la dissoudre pendant l’état de siège.
Il s’agit, en somme, d’un amendement de bon sens et de cohérence avec ce que nous venons de voter.
Même argumentation que précédemment : il est particulièrement bienvenu d’empêcher la dissolution de notre assemblée dans les circonstances visées, mais mon avis est défavorable dès lors que cela compromet notre unité.
Le Gouvernement est bien entendu très respectueux des amendements qui sont déposés de part et d’autre, et il a le souci de chercher un accord : c’est vrai à l’Assemblée nationale comme ce sera vrai au Sénat – je le dis sans anticiper sur la navette : avançons étape après étape.
Le Gouvernement est prêt à toutes les discussions, que ce soit sur l’article 1er, on l’a vu, ou sur la limitation dans le temps de l’état de siège. Sans doute convient-il d’approfondir la discussion sur le contrôle parlementaire, je le dis notamment à l’intention du groupe UDI ; mais ce sujet mérite que chacun y travaille. Le débat aura lieu au Sénat, puis – je ne l’espère pas mais le pronostique – sans doute une nouvelle fois à l’Assemblée nationale ; cela nous donnera l’occasion, monsieur le président Vigier, de réfléchir à la constitutionnalisation du contrôle parlementaire.
Je suis néanmoins sensible au souci de limiter la présente réforme constitutionnelle aux deux sujets visés, à savoir la constitutionnalisation de l’état d’urgence et l’extension de la déchéance de nationalité, dont nous parlerons tout à l’heure. Sur le premier sujet, même si je comprends le sens de l’amendement voté sur l’état d’urgence – et le sens de celui qui pourrait l’être sur l’état de siège –, j’appelle votre attention sur le fait que le Président de la République n’en avait pas parlé lors de son intervention devant le Congrès. J’entends bien, d’autre part, que certains s’opposent aussi à toute révision constitutionnelle sur ces sujets, et je m’efforce, monsieur Lellouche, de développer les arguments contraires, sur la forme comme sur le fond. Reste que j’invite votre assemblée à se limiter aux deux sujets visés par le projet de loi et sur lesquels la commission s’est penchée.
Pour les raisons exposées par le président de la commission, le Gouvernement, avec l’état d’esprit que je viens de rappeler, ne souhaite pas étendre le débat à d’autres sujets, comme celui de la dissolution de l’Assemblée : c’est, on le voit, s’aventurer sur d’autres terrains, et sans doute, d’ailleurs, faudra-t-il revenir sur l’amendement adopté tout à l’heure – j’entends par là en débattre à nouveau sur le fond.
Gardons-nous d’aborder trop de sujets à la fois, d’autant qu’ils sont par nature sensibles. La présente révision constitutionnelle n’est pas comparable à celle de 2008 : elle est liée à un discours du Président de la République trois jours après les attentats, donc à des circonstances particulières et à des sujets eux-mêmes particuliers.
Nous pouvons parler de l’article 16 de la Constitution et de l’état de siège, mais le Gouvernement estime que nous devons nous en tenir au cadre tel qu’il a été défini : en sortir poserait d’autres problèmes.
L’essentiel est l’unité et le rassemblement, auxquels je ne doute pas que M. Cherki participe depuis le début, comme je ne doute pas de son soutien actif au Gouvernement – je le dis bien entendu avec le sourire…
Sourires.
La question, disais-je, est le rassemblement de cette majorité des trois cinquièmes du Parlement indispensable pour toute révision constitutionnelle.
Je vous remercie pour votre compliment appuyé, monsieur le Premier ministre : de fait, je participe depuis le début à cette volonté d’unité et de rassemblement ; et le meilleur moyen d’y parvenir, nous en parlerons demain, aurait été d’éviter cette rédaction complexe de l’article 2. Mais ce n’est pas le sujet, puisque nous parlons ici de l’article 1er.
Non, nous en sommes aux amendements portant articles additionnels !
Je veux faire deux remarques. En premier lieu, vous avez fait référence au discours du Président de la République pour justifier le périmètre de la révision constitutionnelle. Vous avez eu raison de le faire, puisque vous siégez toutes les semaines au Conseil des ministres présidé par le Président de la République : c’est là le lieu de délibération du pouvoir exécutif, mais nous détenons, nous, le pouvoir législatif ; et aux termes de notre Constitution, les deux constituants sont le peuple – par l’article 11 – et le Parlement, composé de chacune des chambres, réuni en Congrès sur le fondement de l’article 89. La parole du Président de la République peut donc nous éclairer mais elle ne saurait nous brider. Dès lors que vous décidez d’une révision constitutionnelle, il est normal que le constituant puisse se saisir des sujets qu’il juge opportuns.
Il faut, dites-vous, s’en tenir aux deux sujets initiaux ; mais nous restons précisément dans l’épure, la révision engagée emportant certaines conséquences. Vous entendez hisser l’état d’urgence jusque dans la Constitution, pour en faire une exception. Il est normal, dès lors, que nous nous posions la question de l’équilibre entre la mise en oeuvre de pouvoirs d’exception d’une part, et un certain nombre de libertés et le fonctionnement des pouvoirs publics de l’autre.
Qu’une majorité de gauche, à l’occasion d’une révision de la Constitution, refuse d’inscrire dans celle-ci qu’on ne peut dissoudre l’Assemblée pendant la mise en oeuvre d’un état de siège, donc pendant cette période très exceptionnelle de prise de contrôle du territoire national par l’armée, me paraît difficile à expliquer du point de vue des libertés publiques, monsieur le Premier ministre…
…d’autant que nous venons d’adopter un amendement de M. Denaja aux termes duquel cette dissolution ne sera pas possible dans le cadre de l’état d’urgence. Je maintiens donc mon amendement.
Qui peut le plus, peut le moins, disait M. Cherki. De fait, dès que l’on met le doigt dans une mécanique infernale, on peut voir apparaître toutes sortes de choses, de l’article 16 jusqu’au droit de dissolution. Le Premier ministre a parfaitement compris le danger : la présente réforme constitutionnelle est conçue pour traiter du problème terroriste, non pour réécrire les équilibres fondamentaux de la Ve République.
Ces équilibres, monsieur le Premier ministre, vous les connaissez pour être en charge de l’exécutif. L’article 20 donne à notre assemblée le pouvoir de vous renverser…
Sourires.
…mais, en contrepartie, le Président de la République peut dissoudre cette même assemblée. Modifier cet équilibre subtil, ou mettre entre parenthèses le droit de dissolution, revient à changer assez fondamentalement notre République.
Tout cela, monsieur le Premier ministre, risque donc de coincer à certains niveaux : libre à vous, bien sûr, de faire ensuite comme vous l’entendez avec votre majorité. Mais si vous donnez à M. Cherki la possibilité de réformer la Constitution, nul doute qu’il le fera, sur l’article 16, sur l’état de siège et sur bien d’autres sujets – et encore n’avons-nous pas parlé de l’article 2…
Si vous me permettez donc un conseil d’ami…
Sourires.
Oui, d’ami car, étant aussi Français que vous, j’ai tout autant envie de faire échec aux terroristes : nous sommes quand même là pour ça, pour essayer de protéger notre pays – comme le suggère le titre même du projet de loi –, non pour des jeux de rôle… Essayons donc de trouver un système qui fonctionne, ce qui est précisément le cas de la loi de 1955. Force est cependant de constater que, tout au long de la journée, on a tourné autour du pot sans améliorer en rien l’efficacité de notre droit...
Je suis néanmoins heureux de voir, monsieur le Premier ministre, que vous avez compris le problème dans lequel une partie de votre majorité essaie de vous entraîner : une partie importante, au demeurant, l’amendement relatif au droit de dissolution ayant recueilli une très large majorité.
Je vous souhaite donc bonne chance pour trouver le juste équilibre.
Sourires.
L’amendement no 104 rectifié n’est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l’amendement no 147 .
J’ai bien entendu les arguments selon lesquels il convient de ne pas sortir de l’objet du texte, et je puis les partager. Le présent amendement ne sort donc pas de cet objet : il est plutôt un amendement d’appel – à tout le moins un appel à la réflexion.
Dès la mise en oeuvre de l’état d’urgence, face à la menace qui pèse sur notre pays, nous avons affirmé, à la tribune de cet hémicycle, qu’il faudrait transposer un certain nombre de mesures aujourd’hui autorisées par l’état d’urgence dans notre droit traditionnel : par nature, l’état d’urgence est temporaire alors que la menace, elle, ne l’est malheureusement pas. Nous avons donc travaillé sur un certain nombre de dispositions en ce sens, par exemple sur l’assignation à résidence.
Les dispositions relatives à l’état d’urgence, aujourd’hui, portent sur la prévention des attentats ; mais, une fois l’état d’urgence levé, ces moyens de prévention – restriction de la liberté d’un individu dont on pense qu’il constitue une menace, par exemple – deviennent très limités. S’agissant du projet de réforme pénale que le Gouvernement nous soumettra, le Conseil constitutionnel pourrait estimer qu’il est impossible, par exemple, de poser un bracelet électronique sur tel ou tel individu pour savoir où il se trouve.
Cet amendement vise à vous interroger, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, sur la possibilité de la future loi pénale à assurer, en l’absence de révision constitutionnelle, la surveillance durable d’individus dangereux avant qu’ils ne passent à l’acte : j’entends par là une surveillance effective, non un simple contrôle judiciaire, dont on sait très bien qu’il ne suffit pas toujours à éviter la fuite ou les déplacements sur le territoire des individus qui y sont soumis, lesquels peuvent alors en profiter pour commettre des crimes.
En clair, monsieur le Premier ministre, pouvons-nous nous donner les moyens d’intervenir avant un attentat plutôt qu’après ? Le Gouvernement, les forces de l’ordre, l’administration et la justice ont montré leur efficacité. Ce qu’exigent dorénavant les Français, c’est que nous puissions intervenir a priori.
Il est défavorable, car l’adoption de l’amendement reviendrait à créer un autre état d’urgence, une espèce d’état d’urgence après l’état d’urgence. Or, lorsque l’état d’urgence prend fin, on doit normalement revenir au droit commun. Par conséquent, l’avis de la commission le concernant ne peut qu’être défavorable.
Le président Lagarde a indiqué qu’il défendait un amendement d’appel : il ne sera donc pas heurté que le Gouvernement y soit défavorable dans la mesure où il estime que les régimes qui existent aujourd’hui suffisent. Il s’agit du régime exceptionnel dont nous examinons la constitutionnalisation et du droit commun qui sera aménagé par le projet de loi que j’ai présenté en Conseil des ministres mercredi dernier.
Je le présenterai devant la commission des lois après-demain mercredi : il vise à créer de nouveaux outils pour lutter contre le crime organisé, le terrorisme, le blanchiment ainsi qu’à améliorer l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.
Nous sommes défavorables à l’introduction de mesures exceptionnelles en dehors du cadre juridique. Si le péril demeure, le Parlement proroge l’état d’urgence. S’il diminue ou si l’atteinte qui justifiait la déclaration de l’état d’urgence s’estompe, alors celui-ci perd sa raison d’être : nous en reviendrions dans ce cas au droit commun.
Monsieur Lagarde, tout le problème est de savoir quand on sort de l’état d’urgence, parce qu’effectivement, comme l’a dit le Premier ministre, – il me semble que ses paroles aient dépassé sa pensée – l’état d’urgence serait prorogé jusqu’à la fin de Daech.
C’est ce qui a été reporté, mais peut-être était-ce une erreur.
Quoi qu’il en soit, cela pose tout le problème de la fin de l’état d’urgence. Je crois que si nous établissons un état d’urgence, puis, afin d’aplanir toute difficulté, un état de sous-urgence, nous n’en sortirons jamais.
En outre, le ministre de l’intérieur nous a, à juste titre, bien dit qu’avant la déclaration de l’état d’urgence, il avait empêché et prévenu un certain nombre d’attentats sur le point d’être commis. Les forces de l’ordre, et notamment celles de la gendarmerie, jouent donc leur rôle. Il ne faut donc pas non plus être obnubilés par la pérennisation d’une espèce d’état d’urgence.
Très rapidement, pour répondre d’abord à M. Debré : oui, aujourd’hui, dans le cadre de l’état d’urgence, l’État assigne à résidence un certain nombre d’individus. Il demande à ceux-ci de se présenter trois ou quatre fois par jour dans un commissariat : cela ne garantit d’ailleurs en rien qu’ils ne puissent pas profiter du laps de temps séparant deux présentations pour s’enfuir. En dehors de l’état d’urgence, de telles mesures ne pourront donc plus, à ma connaissance, être prises.
Monsieur le garde des sceaux, si je ne suis naturellement pas heurté par votre réponse ainsi que par votre désaccord, je vous pose la question suivante : le projet de loi portant réforme de la procédure pénale permettra-t-il, oui ou non, et sans modifier la Constitution, de placer des suspects, c’est-à-dire des individus que l’on déciderait de surveiller afin de les empêcher de préparer des attentats, sous surveillance électronique ? Jusqu’à présent en effet, il n’était possible d’y soumettre que des personnes condamnées qui devaient porter un bracelet électronique.
Telle est la question que je pose : de telles mesures pourront-elles être prises, si nécessaire, dans un cadre judiciaire ? Aujourd’hui, il faut être volontaire pour être placé sous surveillance électronique. Doit-on véritablement considérer que les terroristes potentiels que l’on a décidé de surveiller, au moyen d’un bracelet électronique, pendant trois ou six mois, peuvent faire l’objet d’une telle mesure sans leur accord ? Tel est l’objet de la question : dès que j’aurai obtenu une réponse, je serai en mesure de vous dire, monsieur le président, si je retire l’amendement.
La solution à la sortie de l’état d’urgence est forcément, à un moment donné, la judiciarisation. Forcément, car les personnes qui auront été assignées à résidence pourront soit, si les perquisitions menées auront débouché sur la création de charges, sur l’ouverture d’une information judiciaire, sur une détention provisoire et donc sur une mesure de contrôle judiciaire, et la question ne se posera plus, soit, si des charges suffisantes n’ont pu être réunies, sur une surveillance des personnes concernées. En définitive, dans ce dernier cas, on constatera peut-être que les intéressés ne présentaient pas en définitive la dangerosité dont ils étaient suspectés au début des opérations.
Il ne semble donc pas possible de mettre en place une sorte de sous-état d’urgence, qui viendrait s’intercaler entre l’état d’urgence lui-même et l’application du droit commun.
Sinon, effectivement, comme le dit M. Debré, nous n’arriverons jamais à sortir de cette situation, car le danger ne sera jamais complètement écarté ni aucune menace totalement éradiquée. Il nous faut disposer d’un droit commun qui nous mette à l’abri et qui fonctionne de façon satisfaisante.
Je le serai : il est vrai que la sortie de l’état d’urgence correspond à la normalisation et à la judiciarisation. Attention ! Victor Hugo disait : « Rome remplaçait Sparte, déjà Napoléon perçait sous Bonaparte. » Si vous voulez créer un sous-état d’urgence, nous savons à quoi cela risque de nous mener.
L’amendement no 147 n’est pas adopté.
La parole est à M. Dominique Raimbourg, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 47 .
Avis favorable, le Gouvernement considérant qu’il est de précision.
L’amendement no 47 est adopté.
La parole est à M. Mathieu Hanotin, pour soutenir l’amendement no 208 .
Avec cet amendement, nous nous trouvons au coeur du sujet : nous venons d’adopter l’article 1er, qui constitutionnalise l’état d’urgence, que j’ai voté avec nombre de mes collègues. Encore une fois, j’ai dit que cette constitutionnalisation était utile car elle procure à nos concitoyens un cadre et des protections, notamment sur de longues périodes.
Je pense qu’afin de préserver et de protéger les droits du Parlement, mais également – et encore une fois potentiellement – les libertés publiques dans notre pays, il serait utile d’interdire le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, pendant la durée de l’application de l’état d’urgence.
Je m’explique : dans une situation où l’état d’urgence aurait été déclaré, un gouvernement pourrait user et abuser de cet article 49, alinéa 3, notamment lors de l’examen de lois ayant trait aux libertés publiques. Cela pourrait placer le Parlement dans une situation extrêmement compliquée : je pense donc qu’il serait de bonne mesure, dans le cas d’un état d’urgence non permanent et provisoire, de restreindre quelque peu les pouvoirs du pouvoir exécutif dans ce moment si particulier.
Il est défavorable. Les rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif n’ont pas été modifiés au cours de l’application de l’état d’urgence : il n’existe donc pas de raison majeure de suspendre l’application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.
Même avis. Le Gouvernement s’est, tout à l’heure, exprimé par la voix du Premier ministre : il a dit ce qu’il pensait des amendements qui allaient venir en discussion.
L’amendement no 208 n’est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l’amendement no 153 .
L’amendement no 153 est retiré.
Je suis saisi de trois amendements, nos 106 rectifié , 39 et 97 , pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement no 106 rectifié .
Je vais faire de la peine à M. Lellouche : je pense qu’il faut profiter de la révision de la Constitution, à partir du moment où l’on élève l’état d’urgence au rang constitutionnel, pour rendre l’ensemble cohérent.
Notre Constitution prévoit qu’il est impossible d’engager ou de poursuivre une procédure de révision constitutionnelle « lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». C’est tout à fait compréhensible.
Cela l’est d’autant plus que les constituants de 1958 avaient à l’esprit le précédent de juillet 1940 : une armée étrangère occupait la moitié de la France et on avait forcé la main des constituants en les obligeant en quelque sorte à voter les pleins pouvoirs.
Quoi qu’il en soit, beaucoup les ont votés. Tout à fait logiquement, les constituants de 1958 ont rendu une révision impossible dans de telles circonstances. Je propose, compte tenu du fait que nous disposons de trois régimes d’exception, de voir si leurs régimes juridiques peuvent être alignés.
Ma proposition, bien évidemment, vaudra pour l’avenir puisqu’en l’occurrence, nous discutons de cette éventualité alors que l’état d’urgence est toujours en vigueur. Elle vise à rédiger ainsi l’alinéa 4 de l’article 89 de la Constitution : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels prévus à l’article 16 ou durant la mise en oeuvre de l’état de siège ou de l’état d’urgence prévus aux articles 36 et 36-1. »
Cela me paraît tout à fait cohérent : on ne peut dissoudre l’Assemblée nationale pendant les périodes d’application de ces différents articles ni réviser la Constitution. Elles sont exceptionnelles et brèves : il n’est pas possible de les mettre à profit pour remettre en cause la représentation nationale ni modifier la Constitution, un tel exercice requérant un minimum de sérénité.
Mon collègue vient de donner un certain nombre d’éléments. Nous nous trouvons dans une situation particulière. Il s’agit d’abord de réfléchir au contrôle de la révision, parce qu’en vérité nous pourrions nous interroger sur le fait que le quatrième alinéa de l’article 89 s’applique.
Je m’explique : l’état d’urgence a été déclaré en raison des attentats. Or l’article 412-1 du code pénal les définit ainsi : « Constitue un attentat le fait de commettre un ou plusieurs actes de violence de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l’intégrité du territoire national. »
La commission d’attentats se caractérise donc par l’atteinte à l’intégrité du territoire national, qui constitue un motif d’impossibilité d’engager ou de poursuivre une révision constitutionnelle. Je pense qu’il y a là une question à se poser. Elle se double de la possibilité donnée ou non au Conseil constitutionnel, qui s’en est dégagé à deux reprises – et, pour la dernière fois, en 2003 – de contrôler le principe de la révision.
La question est d’importance et a donné lieu à bon nombre de réflexions sérieuses, et notamment à celle de Guy Carcassonne qui a écrit ce qu’il appelait « une petite fable particulière ». Dans ce texte, il expliquait que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, interrompu par une crise d’une gravité telle que députés et sénateurs soient dans l’impossibilité de se rendre à Paris, pouvait donc se conjuguer au vote d’une révision constitutionnelle menée dans des conditions très brutales et qu’aucun moyen ne permettrait de contrôler.
Dans un premier temps, rendre impossible la révision de la Constitution lorsque l’état d’urgence est en vigueur constitue une bonne démarche. Pour quelle raison ? Parce que – et nous le voyons dans le caractère éruptif de nos débats comme dans l’échange auquel nous avons assisté entre M. Lellouche et M. le Premier ministre – nous ne sommes pas dans le cadre d’une réflexion de parlementaires, à froid, sur l’utilité de la révision constitutionnelle, mais dans la nécessité du maintien d’une forme de pacte un peu artificiel portant sur de nombreux sujets.
Nous devons donc nous interroger nous-mêmes sur la légitimité de notre vote sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence, qui est intervenu alors que 441 de nos collègues étaient absents.
Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements en discussion commune ?
Il est défavorable : les pouvoirs publics continuent à fonctionner pendant l’application de l’état d’urgence. Et si l’état d’urgence devait avoir pour conséquence une révision automatique et forcée de la Constitution, cela aurait fini par se savoir. Or, aujourd’hui, rien de tout cela n’a été observé.
Avis défavorable.
Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.
Madame Duflot, vous avez largement dépassé votre temps de parole : je vous ai d’ailleurs fait signe à plusieurs reprises.
D’accord, vous avez toujours raison. La parole est à M. Pierre Lellouche.
Madame Duflot, il serait tentant, pour ceux d’entre nous qui, dans l’opposition, ne souhaitent pas voir constitutionnaliser la loi de 1955, d’utiliser l’argument tiré de l’article 89. Simplement, nous nous y refusons.
J’ai entendu tellement de choses, cet après-midi, y compris, il y a cinq minutes, l’impossibilité d’appliquer l’article 49, alinéa 3, de la Constitution pendant l’application de l’état d’urgence.
La sagesse voudrait que nous en restions à la position défendue par le Premier ministre, qui a essayé de recadrer nos débats en les limitant à ce qui doit être fait et non à ce que vous souhaitez faire au travers de votre amendement no 39 , à savoir rendre impossible tout engagement ou toute poursuite d’une révision constitutionnelle « pendant la durée de l’état d’urgence ».
Monsieur Cherki, lorsque notre pays s’est trouvé en état de siège, comme cela a été le cas à une période gravissime de notre histoire au cours de laquelle les pouvoirs ont été transmis à des régimes indignes, la procédure employée n’a, en général, utilisé ni la Constitution ni les institutions. On a vu à cette occasion des majorités de circonstances devenir lâches et veules et se vendre à l’ennemi. Ne nous perdons donc pas dans des considérations inutiles.
Gardons à l’esprit notre but, qui est de signifier que la France est prête à se défendre et à se battre : voilà ce qu’attendent les Français. Ils n’attendent pas autre chose.
Les amendements nos 106 rectifié , 39 et 97 , successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.
Je suis saisi d’un amendement, no 199 , portant article additionnel avant l’article 2.
La parole est à Mme Karine Berger, pour le soutenir.
Avant de débattre de l’article 2, plusieurs de nos collègues et moi-même soumettons un amendement visant à inscrire dans la Constitution française le cadre d’un droit d’accès à la nationalité française des personnes nées en France. Il s’agit d’inscrire le droit du sol dans notre Constitution.
Pourquoi soulever cette question ? J’ai bien entendu les invitations du Gouvernement à s’en tenir aux deux sujets qui nous sont soumis, mais ce thème est directement lié aux deux. Surtout, l’article 2 qui nous est proposé remet bel et bien en cause la façon dont la nationalité est traitée dans la Constitution française en y inscrivant la déchéance de nationalité.
À l’heure actuelle, la Constitution de 1958 précise seulement que les règles concernant la nationalité sont fixées par la loi. Peut-être pourrions-nous aller plus loin en inscrivant dans la Constitution ce qui représente une part de la nation française, c’est-à-dire la tradition selon laquelle on devient français si l’on naît sur le sol français, même de parents qui ne sont pas français.
Toutefois, le débat est plus vaste que cette proposition d’amendement et c’est pourquoi je ne vous demande pas une réponse immédiate, monsieur le ministre. C’est aussi pourquoi je retire mon amendement après cette présentation.
Sourires.
J’aimerais néanmoins que vous entendiez cette invitation à faire part de votre point de vue lors de la discussion de l’article 2. Ce retrait évitera à mes collègues de droite de donner leur avis sur l’inscription du droit du sol dans la Constitution française.
L’amendement no 199 est retiré.
Nous en venons à la discussion de l’article 2. Je vous informe, chers collègues, que soixante-six orateurs sont inscrits sur l’article,…
Sourires.
…et la liste n’est pas forcément close.
Je rappelle donc à chaque orateur, Mme Duflot comprise,…
…que le temps de parole est de deux minutes, et demande à tous les orateurs de bien vouloir respecter ce temps de parole.
La parole est à M. Nicolas Dhuicq.
Plus nous avançons, plus je m’interroge sur ce projet de loi et en particulier sur l’article 2.
À qui s’adresse-t-il ? Certainement pas aux terroristes, qui sont dans un autre univers que le nôtre, ont lié un contact avec une divinité censée être toute-puissante et côtoient sans discontinuer la mort à travers laquelle ils cherchent à atteindre un paradis. Votre projet de loi n’est donc d’aucune efficacité ni d’aucune utilité dans la lutte contre le terrorisme.
La déchéance de nationalité s’adresse-t-elle aux Français et aux Françaises ou à ceux qui se trouveraient l’être à un moment de leur existence ? Il faudrait alors qu’il existât une prime à être français ou française, ce qui est très difficile à inscrire dans la Constitution.
Sans intérêt, le texte est aussi dépourvu de vision. Nous avons eu des arguties au sujet de l’état de guerre lors de l’examen de l’article 1er, alors que la guerre étrangère désigne bien les conflits entre États-nations auxquels nous ne sommes pas confrontés actuellement, grâce à Dieu !
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Nous avons la liberté absolue d’employer les termes que nous voulons quand nous le voulons ; c’est notre liberté de législateurs.
Calotin !
Aucun mot n’est tabou ici. J’ai le droit d’employer le terme « Dieu » si je le souhaite.
Votre projet de loi, disais-je, ne présente donc aucun intérêt, monsieur le ministre, ni contre les terroristes ni pour les Français ou les Françaises ou ceux qui se trouveraient l’être à un moment donné de leur existence. Plus j’avance, moins j’en vois l’intérêt.
Nous allons, bien sûr, débattre longuement de l’article 2. J’évoquerai d’abord son contenu.
Sa rédaction actuelle – je parle de celle qui nous est proposée par le Gouvernement à travers l’amendement no 63 , car telle est dorénavant la base de travail, chacun l’aura compris –, est en réalité relativement neutre au regard du droit actuel. Elle consiste simplement à donner un chapeau constitutionnel à la déchéance de nationalité.
Dans un texte publié le 5 février dernier par le journal Le Monde, Robert Badinter se dit d’accord avec tous les objectifs poursuivis, y compris l’état d’urgence, divergeant toutefois sur la nécessité de réviser de la Constitution. Il concède néanmoins que, si l’on avait procédé par la loi, il aurait fallu ensuite saisir le Conseil constitutionnel afin de déterminer si le dispositif était constitutionnel. Nous adoptons ici la démarche inverse, consistant à mettre en place le chapeau constitutionnel d’abord et à voter la loi ensuite. Cela me semble logique et de bon sens.
Cette rédaction, pas davantage au demeurant que la précédente, ne remet en cause le droit du sol – à savoir l’acquisition de la nationalité française par la présence en France –, ni la binationalité ou la plurinationalité. Il s’agit d’une condamnation supplémentaire, certes symbolique. Le Gouvernement propose d’ailleurs de procéder par la voie judiciaire et non plus par un arrêté du ministère de l’intérieur. Cela montre bien qu’il s’agit d’une condamnation.
Certains affirment que cette condamnation symbolique est inefficace contre le terrorisme. Mais n’oubliez pas, mes chers collègues qui avancez cet argument, que les terroristes ne sont pas non plus sensibles aux peines de prison.
Cette mesure symbolique montre que la France se défend par une condamnation supplémentaire, mais bel et bien fondée sur ses valeurs.
Les débats de la journée ont été techniques et juridiques. J’aborderai l’article 2 sous un autre angle – même si celui-là est bien entendu déterminant –, celui de la logique institutionnelle.
Le 16 novembre, le Président de la République a proposé devant le Congrès une révision constitutionnelle sous les applaudissements quasi unanimes. Par définition, qui dit révision constitutionnelle dit consensus car il faut réunir les trois cinquièmes des parlementaires. Qui dit consensus dit compromis et qui dit compromis dit avancées et concessions réciproques.
La nouvelle rédaction de l’article 2, proposée par le Gouvernement par voie d’amendement au texte initial, a répondu aux interrogations légitimes des uns et des autres.
La question de l’introduction des délits, celle des binationaux qui ne sont plus les seuls potentiellement visés par la déchéance de nationalité, celle aussi de l’apatridie traitée par l’engagement de ratifier la convention de 1961 trouvent, dans la nouvelle rédaction proposée pour l’article 2 et dans les textes d’application qui suivront, des éléments de réponse.
Ceux auxquels la déchéance de nationalité pour les terroristes pose un problème de conscience n’ont pas été convaincus. Il faut respecter cette position. Mais tous les autres aux yeux desquels la déchéance de nationalité, si elle n’est pas de nature à empêcher les actes de terrorisme, reste néanmoins une question de principe essentielle à opposer à nos compatriotes qui prennent les armes contre la Nation, ceux-là doivent voter le texte même si certains de ses points ne les satisfont pas.
Ce texte répond à ce qui a été annoncé. Son évolution répond à certaines des interrogations formulées depuis. Enfin et surtout, il peut constituer la traduction politique de l’unité nationale opposée à l’horreur à laquelle nous avons été confrontés et qui peut ressurgir n’importe où et n’importe quand. Cette unité nationale, la grande majorité de nos concitoyens l’attendent, j’en suis persuadé.
Je me permets de rappeler ce que je disais ici même, dans cet hémicycle, le 4 décembre 2014, bien avant les attentats contre Charlie Hebdo et contre l’Hypercacher, bien avant le 13 novembre. Pourquoi, demandais-je, « s’abstenir de dépasser les obstacles constitutionnels afin de s’assurer qu’aucun individu, binational ou non, ne puisse revenir en France […] pour tuer ? » Depuis, plus de 150 de nos compatriotes ont été lâchement assassinés sur notre sol, plus de 350 ont été blessés et des vies ont été brisées. Notre pays est en guerre, notre pays est en état d’urgence. Il n’est pas question de stigmatiser les binationaux. Je suis convaincu que la diversité est une richesse, pas une menace. Mais des djihadistes qui vomissent la France, piétinent nos valeurs et massacrent des Français ne peuvent continuer d’appartenir à la communauté nationale.
En 1887, lors de sa fameuse conférence intitulée « Qu’est-ce qu’une nation ? », Ernest Renan affirmait déjà : « Une nation est une âme, un principe spirituel. […] L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu ». Les gens dont nous parlons sont à l’opposé de cette conception républicaine de la nation. Dès lors, pourquoi distinguer binationaux et nationaux ? Comment faire la différence entre Amimour, Français terroriste et tueur au Bataclan, et Merah, Franco-Algérien terroriste et tueur de soldats et d’enfants juifs à Toulouse ?
Que ces Merah, Nemmouche, Kouachi, Abdeslam ou autres soient binationaux ou pas, nés français ou pas, naturalisés ou pas, n’a aucune importance : ils ne doivent plus, ils ne peuvent plus être Français, quitte à faire quelques apatrides – quelques dizaines au maximum. Et alors ? La grande affaire ! Aucun argument juridique robuste ne s’oppose à la déchéance de nationalité pour ces criminels. Il faut arrêter de couper les cheveux en quatre ! Ce débat a déjà fait couler beaucoup trop d’encre. Les Français attendent simplicité, efficacité, clarté et surtout sécurité. Il est grand temps d’assumer nos responsabilités.
Applaudissements sur certains bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Le 16 novembre à Versailles, le Président de la République n’a pas explicitement prévu d’inscrire la déchéance de la nationalité dans la Constitution. Dès lors, pourquoi tant tergiverser pour l’y inclure alors qu’on ne sait toujours pas si elle visera les seuls binationaux ou tous les Français ?
La solution doit être conforme à nos valeurs et à notre histoire. Elle doit également être consensuelle, faute de quoi nous prenons le risque de déchirements dont nous n’avons pas besoin comme celui de satisfaire ceux qui veulent provoquer la guerre civile dans notre pays. Nous pouvons utiliser la procédure, plus simple et plus consensuelle, d’une loi visant à réécrire le code civil afin que celui-ci prévoie la perte de nationalité pour tout Français, comme le propose Robert Badinter. Nous pouvons également nous mettre d’accord sur la peine d’indignité nationale, instituée en 1944.
Inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution, c’est aussi prendre le risque de mettre une arme redoutable dans les mains d’autres gouvernements. Depuis 1789, notre droit est fondé sur des valeurs humanistes qu’il convient de ne jamais oublier, surtout lorsqu’on se propose de toucher à la Constitution. En toutes circonstances, même les plus tragiques, et notre pays en a connu, il convient de se souvenir du préambule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements ».
Si le citoyen a des droits, il a aussi des devoirs. C’est la raison pour laquelle la Deuxième République a prévu en 1848 la déchéance de nationalité à la suite de l’abolition de l’esclavage. Le citoyen a des droits et aussi des devoirs, dont celui de ne plus posséder d’esclaves une fois l’abolition décidée, d’où la déchéance de nationalité pour ceux qui continuaient à en posséder.
De nos jours, le devoir du citoyen français, binational ou pas, est d’abord de ne pas assassiner ses compatriotes. Il ne faut pas ajouter de la confusion à une situation déjà très confuse.
C’est la raison pour laquelle je suis favorable à la suppression de l’article 2, sans être opposé aux mesures de perte de nationalité ou d’indignité nationale.
Si je tourne les armes contre la France, si je tue des Français simplement parce qu’ils sont Français, comment puis-je être encore Français ? Le lien légal qui me rattache à ma nationalité n’est plus que celui de la haine. Il est illégitime. Il doit être rompu. C’est la déchéance de nationalité.
Mais comment pourrait-il se faire que, pour ce même crime, je sois déchu de ma nationalité si j’ai une double nationalité et que je ne le sois pas si je n’ai que la nationalité française ? C’est une discrimination inacceptable – que vous nous proposez pourtant, monsieur le ministre.
Certes, vous avez supprimé la référence aux binationaux dans le projet de loi constitutionnelle, mais vous la réintroduisez, en lui donnant une valeur juridique supérieure à celle de la Constitution, en ratifiant la convention des Nations unies de 1961 sur l’apatridie, car celle-ci interdit, sauf exception, de déchoir de leur nationalité les seuls nationaux.
Par cette discrimination, vous créez une injustice majeure. Et la France ne peut créer les ferments de l’injustice sans se perdre elle-même. La déchéance ne peut qu’être possible pour tous ou ne l’être pour personne. Je ne peux donc accepter cette réforme en l’état.
Je vous demande d’établir clairement que la déchéance peut être prononcée à l’encontre de tout Français, sans discrimination, de vous engager par conséquent à ne pas ratifier la convention de 1961, de prévoir, enfin, la déchéance pour les Français partis combattre dans les rangs des organisations terroristes et de leur interdire le retour sur le territoire national.
« Quand la liberté est en péril […] elle doit froidement délibérer des lois. […] Ce sont les émigrés eux-mêmes qui se sont bannis de la France. Eh bien ! Rendez perpétuel le bannissement qu’ils se sont imposé. […] Ils ne doivent plus revoir la patrie. Que leur dit la patrie ? […] vous m’avez abandonnée au moment du danger, je vous repousse de mon sein. Ne revenez plus sur mon territoire, il deviendrait un gouffre pour vous. » Georges Danton, 1792.
L’émigration pendant la Révolution et Daech, ce n’est tout de même pas la même chose !
Le texte de cet article a été profondément modifié en commission par un amendement gouvernemental, qui induit beaucoup d’interrogations. Avec cette nouvelle rédaction, une personne pourra être déchue de la nationalité française pour un crime ou un délit – terme qui a été rajouté. Cela élargit considérablement le champ des possibilités.
On nous dit que ces crimes et délits seront précisés dans une loi, et que seuls ceux punis d’au moins dix ans d’emprisonnement seront concernés. Mais nous légiférons pour l’avenir. Si un régime autoritaire s’emparait de cette modification constitutionnelle, elle pourrait s’appliquer massivement. On tremble à l’idée de ce qu’une simple loi en découlant pourrait contenir. Il est indispensable que le terme « délit » soit supprimé.
J’en reviens au texte proposé. Juridiquement, l’expression « atteinte grave à la vie de la Nation » n’a pas de sens précis. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point, monsieur le ministre ?
À qui s’applique la déchéance de nationalité ? Aux personnes nées en France ? Aux Français par acquisition de nationalité ? Aux binationaux ? Si la déchéance de nationalité s’applique aux Français détenteurs d’une seule nationalité, cela créera des apatrides, et ce n’est pas la signature de la convention des Nations unies sur l’apatridie de 1961 qui réglera le problème, puisqu’elle autorise des exceptions. Or, d’après l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, « tout individu a droit à une nationalité ». Cela pourrait être jugé contraire à la Convention européenne des droits de l’homme, en son article 8. Cela serait également contraire aux articles 4 et 6 du pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies, ratifié par la France.
Par ailleurs, si cette mesure de déchéance de nationalité ne s’applique qu’aux binationaux, cela introduit une différence entre les Français qui ont une seule nationalité et les binationaux, en contradiction avec l’article 1er de la Constitution, qui prévoit que la France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer sur ces questions ?
La déchéance de nationalité ne sert à rien pour lutter contre des terroristes prêts à mourir.
Introduite dans la Constitution, elle constitue un symbole fragilisé. Je souhaite la suppression de cet article.
D’emblée, j’ai indiqué mon désaccord avec cette proposition du Gouvernement.
D’abord, la construction est curieuse : vous introduisez dans la Constitution des dispositions qui amènent à dire ce qu’est ne pas être Français. Curieuse Constitution, curieux pays dans lequel on dit ce que l’on n’est pas, faute de savoir dire ce que l’on est. D’évidence, cette difficulté existe en France, mais il est grave de l’amplifier comme vous le faites. Au reste, je considère que le débat sur l’identité est important. J’ai proposé – cela va bien au-delà de notre débat de ce soir, mais ce sont des questions connexes – que nous modifiions le principe de nationalité. Je suis favorable au principe directeur du droit du sang, complété par des processus de naturalisation pour des personnes assimilées.
Je formulerai une deuxième critique. Vous proposez une mesure très éloignée des mesures concrètes de lutte contre le terrorisme que nos concitoyens attendent. Cette disposition est inopérante, la sanction est au fond politique, alors que la première réponse aux terroristes est de les considérer comme des criminels et de demeurer dans une logique de criminalisation du terrorisme.
Une manière de faire, une énergie, du temps… ce débat, en réalité, détourne de la dimension stricte de la lutte contre des criminels et des mesures concrètes que les Français attendent. Au fond, ce gouvernement oeuvre en communiquant, plutôt que d’agir concrètement contre les terroristes. Notre collègue Mme Bonneton vient de souligner combien l’acception de défense des intérêts de la Nation, quand on applique la mesure que vous proposez, était difficile à apprécier.
Enfin, j’étais absent vendredi – je me trouvais à bord du porte-avions Charles-de-Gaulle – mais je crois savoir que notre collègue Cécile Duflot a été vivement critiquée pour les propos qu’elle a tenus. Pourtant, monsieur le garde des sceaux, il est important de rappeler l’histoire difficile de notre pays avec la privation de nationalité.
Je pense à Alger pendant la guerre, quand Vichy, puis le général Giraud, puis le Général de Gaulle, ont commis ou confirmé des actes graves pour l’esprit de la France, puis de la République.
S’il devait y avoir une preuve de l’improvisation totale avec laquelle l’exécutif a préparé cette révision, l’article 2 en fournit incontestablement une.
Je ne parviens pas à comprendre comment, sur un sujet aussi important qu’est celui de l’appartenance d’une personne à la communauté nationale, d’une caractéristique dont on dit qu’elle est, dans une certaine mesure, indissociable de l’identité de chacun d’entre nous, on soit passé des déclarations du Congrès de Versailles à une formulation intermédiaire, avant d’en arriver à l’amendement no 63 , sur lequel la commission a donné un avis favorable.
Sur un sujet d’une telle gravité, je n’arrive pas à comprendre une telle légèreté, à moins de considérer que la question de fond qui nous est posée n’est peut-être pas tant de savoir comment l’on pourrait ne plus être Français que de savoir ce que signifie de l’être.
Dans l’entrelacs des conventions internationales et de leur articulation avec notre droit, il convient de se demander quels sont les principes les plus forts.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez dit vendredi matin, en réponse à l’un de nos collègues, que la déchéance de nationalité était non pas un symbole, mais un principe. Je suis sans doute moins juriste que vous – j’émets moi-même cette réserve au sujet de mon argument –, mais j’ai beau chercher dans la liste des principes généraux du droit, j’ai beau chercher dans l’architecture des normes, je ne trouve ni de près ni de loin en quoi le fait de priver une personne de l’une de ses qualités dans la Constitution peut constituer un principe.
Si vous voulez dire par là que le droit doit sanctionner d’une manière ou d’une autre l’attitude de celui qui, par son comportement, se retire de la communauté nationale, je le comprends. Je ne suis pas opposé à cette conception, qui existe d’ailleurs dans notre droit. Je ferai mien l’argument que Robert Badinter – mes collègues de la majorité me pardonneront de le citer – a avancé dans les colonnes d’un journal du soir, vendredi. Il suffisait, pour atteindre le même objectif sans déranger la Constitution, de modifier les articles du code civil relatifs à la perte de nationalité. Nous aurions eu le même résultat, et moins de désordres politiques.
La déchéance de nationalité inscrite dans cet article ne ciblerait plus expressément les binationaux si l’amendement du Gouvernement était adopté. Passons sur les tergiversations et les volte-face du Gouvernement sur ce sujet ; il ne faudrait pas qu’à la stigmatisation des binationaux succède l’acceptation d’apatrides, ce que notre pays et notre tradition ont toujours refusé.
Aussi la déchéance de nationalité est-elle annoncée comme un symbole. Cela a été dit et redit. Et c’est vrai. Mais c’est un symbole dont l’inefficacité le dispute au reniement de nos valeurs. Chacun sait que cette disposition n’aura aucune espèce d’influence sur ceux qui décident de faire régner la terreur, comme ils l’ont fait en 2015. Quant à nos valeurs, l’égalité ne souffre pas d’exceptions, car la France est une et indivisible. La France est un grand pays quand elle assume ses lumières et ses ombres. Déchoir de sa nationalité l’un de nos compatriotes qui aurait commis un crime terroriste n’est pas la solution, car, sans excuser, il faut assumer.
Ne pas déchoir de la nationalité, cela vaut pour tous, nationaux, binationaux ou naturalisés. D’autres chemins auraient dû être empruntés, comme la déchéance de citoyenneté ou la peine d’indignité nationale. Or, avec cet article 2, soit la Constitution divisera les Français, soit elle exclura de la communauté nationale des Français – certes coupables de crimes terroristes –, ce qui aura une autre incidence : les binationaux et les Français naturalisés deviendront des demi-nationaux, ce qui est inacceptable.
Nous devons préserver notre unité et notre indivisibilité. Contre le terrorisme et la barbarie, nous avons besoin de plus d’unité, de plus de démocratie et de plus de liberté – tout l’inverse de cet article, contraire à nos traditions républicaines et, plus encore, aux valeurs de la gauche. Les députés du Front de gauche s’y opposeront.
Je voterai contre cet article. La première raison en est qu’il n’a pas d’efficacité – mais c’est presque accessoire. On l’a dit et répété, il s’agit là d’un symbole.
Sourires.
Je vous répondrai plus tard sur ce point, cher collègue.
Je ne suis pas sûr qu’il faille combattre les terroristes avec un symbole. Je suis favorable à ce que l’on puisse déchoir de la nationalité ceux qui retournent leurs armes contre des Français. Je suis favorable aux articles 23-7, 25 et 25-1 du code civil, qui ont été utilisés. Comme beaucoup d’entre vous, j’ai été très séduit par l’article de M. Badinter.
Je ne vois pas en quoi notre discussion de ce soir ressoudera la France. À écouter les uns et les autres, on s’aperçoit que les divergences et les craintes sont nombreuses. Est-ce ce que vous vouliez ? Dans une période telle que celle que nous vivons, il faut au contraire tenter de se ressouder.
Pour cela, il fallait reprendre les articles du code civil, au besoin en modifier quelques mots. Cela aurait pris peu de temps, et aurait été plus aisé et plus certain.
Je voudrais prendre un exemple…
Le Premier ministre, dans les jours qui ont suivi les attentats de janvier 2015, a tenu les propos suivants : « nous devons être capables, collectivement, de garder les yeux rivés sur l’intérêt général et de nous montrer à la hauteur ». Après « le temps de l’émotion et du recueillement […] vient le temps de la lucidité et de l’action ».
Notre pays doit donc construire une réponse efficace au terrorisme. La Nation a été frappée au coeur. La liberté d’expression, la confession religieuse, les forces de l’ordre, notre jeunesse ont été les cibles de ces attentats odieux. La première réponse doit être celle de la sécurité. C’est pourquoi je suis favorable à l’article 1er de la révision constitutionnelle.
En revanche, si je comprends que l’on prononce une peine de déchéance de nationalité à l’encontre de ceux qui, nés étrangers et éduqués dans un autre pays, portent les armes contre la France, je me demande comment nous pouvons fuir nos responsabilités lorsque nous avons nous-mêmes enfanté les monstres.
Je suis députée-maire de Vaulx-en-Velin. Ma ville est le carrefour de toutes les histoires. Elle est porteuse de France. Depuis le début du débat sur la déchéance de nationalité, j’assiste à une série de coming out, de révélations d’histoires personnelles – preuve s’il en est que nous touchons à un véritable symbole. Je pense à cette personne dont le père est arrivé apatride d’Arménie et qui est totalement français, ou encore à celle-ci, devenue binationale espagnole, comme un pied de nez à Franco qui avait rendu apatrides ses parents.
Ainsi, j’ai cosigné l’amendement présenté par Olivier Faure sur la déchéance nationale. Sans reprendre ses arguments, brillamment exposés, je pense que notre débat de fond doit être aussi celui de l’appartenance à la Nation.
Moi aussi, je viens d’un bout de l’histoire de France – les Antilles. Dans cet hémicycle, il y a soixante-dix ans, le 12 mars 1946, Aimé Césaire, présentant la demande d’intégration des Antilles comme département français, déclarait que, à l’heure « où, ça et là, des doutes sont émis sur la solidité de ce qu’il est convenu d’appeler l’Empire », cette demande constituait « un hommage rendu à la France et à son génie ».
Monsieur le garde des sceaux, à l’instar d’Aimé Césaire, je réclame pour les enfants de nos quartiers populaires une assimilation souple, intelligente et réaliste. J’ose le mot : nous devons inventer cette assimilation en nous appuyant sur la justice sociale et sur la promesse républicaine.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Cela doit être notre deuxième réponse, celle de l’unité nationale car, reprenant les mots du poète, je sais qu’il s’établira une « fraternité agissante aux termes de laquelle il y aura une France plus que jamais unie et diverse, multiple et harmonieuse, dont il est permis d’attendre les plus hautes révélations ». Je ne voterai pas l’article 2 en l’état.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Bien des choses ont été dites – parfois bien mal énoncées, et souvent pas très bien conçues.
Pour ce qui est de l’article 2, deux versions du Gouvernement se sont, il est vrai, succédé : celle du Président de la République à Versailles, qui est celle du texte initial du Gouvernement, en vertu duquel on ne peut déchoir que les binationaux, et celle d’un amendement du Gouvernement qui permettrait, en théorie du moins, de déchoir ceux qui n’ont que la nationalité française. Comprenne qui voudra.
Si l’on ajoute à cette nouvelle version les perspectives incertaines d’une loi et de la ratification ultérieure d’une convention signée sous le général de Gaulle quand j’avais quatre ans, c’est évidemment encore moins clair.
À ce jour, et cette nuit, les choses restent difficiles à comprendre.
Cependant, le sujet est trop sérieux pour laisser place à l’ironie ou aux raisonnements spécieux. Ensuite, j’appartiens à une famille dans laquelle mon grand-père refusa les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, et mon père fut condamné à mort par contumace pour terrorisme, en vertu de ces pleins pouvoirs.
Il reste aussi la loyauté – celle que l’on doit au chef de l’État et au gouvernement. La mienne a été récemment mise à rude épreuve. Elle en sort renforcée car un républicain ne peut se déterminer pour des raisons partielles, régionales ou personnelles.
Surtout, il y a la loyauté que l’on doit à son pays, la France. Je ferai donc tout ce qui est en mon pouvoir pour que cette révision voie le jour et je voterai l’article 2. Je précise que je m’exprime en mon nom personnel.
Par deux fois, en 2015, des terroristes de Daech ont frappé notre pays au coeur. Leur dessein, clairement affiché, n’est autre que la déstabilisation de notre pays. Ils ont la farouche volonté de fragmenter notre nation et de nous diviser en exploitant les failles de notre société. Face à cette terrible épreuve, nous avons besoin d’unité. La République doit se rassembler. Nous devons renforcer notre cohésion nationale et notre modèle de société pour résister à cette idéologie mortifère.
Le 16 novembre 2015, trois jours après les attentats de novembre, le Président de la République a souhaité devant le Congrès faire évoluer notre Constitution. Aujourd’hui, il nous appartient, en notre qualité de parlementaires, de peser chaque disposition proposée à l’aune de son efficacité dans la lutte contre le terrorisme mais également de veiller à ce qu’elle ne divise pas les citoyens.
C’est pourquoi, en modifiant notre Constitution, notre responsabilité est lourde et il nous appartiendra de nous prononcer en conscience et en responsabilité.
Monsieur le garde des sceaux, vous le savez, l’article 2 cristallise de très nombreuses inquiétudes et oppositions sur tous les bancs de cet hémicycle et dans notre pays. Trois anciens présidents du Conseil constitutionnel, des anciens Premiers ministres, des juristes, des historiens, des sociologues, le Défenseur des droits et des milliers de concitoyens ont fait part de leur opposition à une extension de la déchéance de nationalité.
Prenons garde à ne pas offrir de victoire symbolique aux terroristes en constitutionnalisant la déchéance de la nationalité et en ouvrant ainsi une brèche dans notre droit du sol.
Prenons garde également à ne pas inscrire dans le marbre de notre Constitution des mesures que d’autres majorités pourraient, plus tard, dénaturer.
J’ai en tête la parole de jeunes de Nancy, rencontrés lors d’une réunion publique. Heurtés par la mesure de déchéance de nationalité, ils m’ont interpellée en poussant ce cri du coeur : « Quand serons-nous considérés comme des Français à part entière ? »
Renoncer à cette disposition, c’est réaffirmer que ces jeunes sont des Français à part entière et que la République, dans ce contexte de cohésion fragilisée, rassemble tous ses enfants.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La France traverse un moment particulier, alors qu’elle a été touchée dans ce qu’elle est au plus profond d’elle-même, dans ses fondements, dans sa manière de vivre et dans sa culture.
La France s’interroge. Que penser de ceux qu’elle a vu naître et qui, pourtant, décident de rompre leur contrat avec la Nation, de porter allégeance à une armée terroriste pour se retourner contre leur propre pays ?
Historiquement, la déchéance de nationalité s’analyse comme une sanction pouvant être prononcée contre un individu s’étant rendu coupable d’acte indigne manifestant un défaut de loyauté à l’égard de l’État.
C’est donc un acte exceptionnel, prévu aux articles 25 et 25-1 du code civil, qui sanctionnent un comportement très grave portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, mais qui ne concernent que ceux ayant acquis la nationalité française.
L’extension du régime de la déchéance à tous ceux condamnés pour des faits de terrorisme devrait donc passer par une mention dans la Constitution.
La déchéance de nationalité est un principe qui montre que la Nation ne peut comprendre ceux qui l’ont trahie. La mesure proposée dans cette révision constitutionnelle concernera les Français condamnés pour terrorisme, ceux qui, par leurs actes, ont décidé de s’exclure eux-mêmes de la communauté nationale et de l’attaquer.
Cette peine complémentaire devra être prononcée par un juge judiciaire, dans le respect des engagements internationaux de la France, notamment de la convention de 1961 relative à la réduction des cas d’apatridie, qui sera prochainement ratifiée.
Il ne peut y avoir aucune excuse à un acte terroriste qui tue aveuglément, et encore moins de la compassion pour ses auteurs.
La France, autour de son Président de la République, du Premier ministre, du ministre de l’intérieur et de l’ensemble du Gouvernement, est en première ligne pour combattre ces terroristes. Ceux qui attaquent notre République se mettent en dehors de notre communauté nationale et sont indignes d’être Français. Ceux qui veulent terroriser notre belle et vieille nation doivent être déchus. Mais le débat autour de la déchéance ne saurait être uniquement juridique ou politique. Il est aussi moral et dépasse le seul cadre de la lutte contre le terrorisme.
La France a un double rôle à jouer, celui de mener une lutte totale et globale contre le terrorisme mais aussi celui d’éclairer les autres nations. Parce que la France a été particulièrement meurtrie dans sa chair, de très nombreux pays nous observent, étudient la façon dont notre pays fait front contre le terrorisme.
Notre engagement a été total mais la France est aussi un phare. Scrutée par le reste du monde, elle ne saurait, au nom de la lutte contre le terrorisme, créer des apatrides en votant la déchéance de nationalité pour tous.
Je n’invoquerai pas d’histoire familiale, je n’appellerai pas à la pitié pour ces terroristes qui pourraient devenir des apatrides. J’invoquerai un seul principe : la France, pays des Lumières et des droits de l’homme, ne peut créer d’apatride.
Pour reprendre les propos du Premier ministre, le 6 janvier dernier : « Ce ne serait pas conforme à l’image, aux valeurs et aux engagements internationaux de la France ».
La convention de 1961, que l’on souhaite ratifier, a pour objectif de lutter contre l’apatridie dans le monde. Elle ne doit pas être utilisée comme un outil juridique pour créer des apatrides. Ce serait une inversion du sens de cette convention.
Nous créerions ainsi des apatrides sur notre territoire car ils ne seraient pas expulsables, alors même que nous accueillons déjà 1 000 apatrides auxquels nous essayons de donner une identité. Si la France permet de créer des apatrides – peu importe le nombre de cas –, elle ouvre la voie à d’autres pays qui n’auront pas les mêmes préoccupations que nous, qui n’offriront pas les mêmes garanties que notre État de droit et, pour certains, la même définition du mot « terroriste ». Chacun peut imaginer les dérives. La France a un rôle particulier à jouer pour le reste du monde. Nous avons, ici et maintenant, nous aussi, cette responsabilité si particulière.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je voudrais commencer par saluer la qualité de nos débats. Nous ne sommes pas forcément d’accord les uns avec les autres mais, pour une fois, nos débats témoignent de la profondeur de la réflexion des parlementaires et des constituants que nous sommes. Il est important de le souligner.
Bien sûr, cette révision constitutionnelle, en particulier en son article 2, bouleverse un certain nombre de fondements, pose des questions juridiques, philosophiques, voire émotionnelles. Chacun peut invoquer son histoire personnelle. Chacun peut en livrer une interprétation historique, quitte à ce qu’elle soit parfois hasardeuse.
Aujourd’hui, notre pays s’interroge sur le concept de nation française. Que signifie être français aujourd’hui ? C’est partager un certain nombre de valeurs d’égalité, d’ouverture, de tolérance, mais aussi l’envie de construire un avenir ensemble.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez déclaré que la déchéance était non pas un symbole mais un principe. Quel est ce principe ? Constater une déchirure définitive avec nos valeurs. Or nos débats ne concernent que les terroristes – nous devons le rappeler constamment. La déchéance ne pourra être prononcée qu’à l’encontre de terroristes qui se sont placés en dehors du champ de la nation.
Applaudissements quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.
Nous sommes au coeur d’un débat grave, engagé en commission et qui s’est déployé dans la presse et les médias, donnant à tous l’occasion de s’exprimer.
J’apprécie la nouvelle formulation retenue par le Gouvernement, qui sort le terme de déchéance de nationalité du projet de loi constitutionnelle pour le renvoyer à plus tard, tout en prévoyant que les droits attachés à la nationalité pourraient être enlevés à une personne qui conserverait notre nationalité.
Le débat qui se tient dans cet hémicycle m’étonne et m’émeut. Nous parlons avant tout de terroristes. Lorsque l’on décide de prononcer une peine de déchéance de nationalité à l’encontre d’un binational, cela signifie qu’on lui ôte l’un de ses deux passeports, qui se trouve être l’un des plus sûrs au monde, lui permettant de circuler dans le monde entier, et en particulier de se rendre dans de nombreux pays sans visa.
C’est donc enlever un avantage à des terroristes et des criminels. Je m’étonne qu’on le dise si peu ici, et qu’on s’en tienne tant à des postures de principe, que je peux comprendre et admettre mais qui ne me semblent pas appropriées, surtout depuis les changements apportés au texte du Gouvernement, que j’apprécie car l’ensemble des criminels qui s’attaquent à la population se trouvent traités de la même manière.
Il y a beaucoup de binationaux dans ma circonscription. Un d’entre eux a trouvé les mots justes pour exprimer leur sentiment : « Vous savez, madame la députée, ce n’est pas nous, ces gens-là… » En effet, ce n’est ni lui ni ses enfants, ni maintenant ni plus tard. Car les binationaux français qui vivent en France se considèrent, tout simplement, comme relevant de la loi ordinaire. Ce ne sont pas des terroristes, ils ne veulent pas que l’on puisse imaginer que « binational » soit synonyme de « terroriste ».
L’amendement, depuis retiré, qui faisait appel au droit du sol me plaisait bien. Il conviendrait d’aller dans ce sens tout en consolidant l’acquisition de la nationalité pour les personnes qui ne sont pas nées sur le territoire, afin de redonner toute sa force au droit français.
Je défendrai demain des amendements relatifs aux enfants de terroristes binationaux, auxquels il faut absolument conserver la nationalité française dans la loi.
Après les attentats que la France a connus en 2015, il était du devoir du Président de la République de réunir les conditions de l’unité nationale pour agir en faveur de la sécurité des Français. Sans conteste, les mesures prises depuis cette date ont poursuivi cet objectif et je m’en félicite. Mais il est une mesure aujourd’hui qui nous divise – c’est ce que cherchent nos ennemis –, la mesure de déchéance de la nationalité.
Je la refuse.
Alors, pour refermer la faille ouverte dans le projet de loi constitutionnelle du 23 décembre, qui opère une différenciation inconcevable, inacceptable, entre les Français selon leur origine en prévoyant la déchéance de nationalité des seuls Français binationaux, vous intégrez maintenant la possibilité pour la France de créer des apatrides.
Nous l’avons pourtant tous dit, à commencer par le Président de la République devant le Congrès le 16 novembre : « la déchéance de nationalité ne doit pas avoir pour résultat de rendre quelqu’un apatride ». Quant au Premier ministre, il déclarait le 6 janvier : « la France ne peut pas créer des apatrides ». Il poursuivait : « Cela n’est pas possible, ce ne serait pas conforme à l’image ni aux valeurs […] de la France. » Et, bien avant nous, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 dispose en son article 15 : « Tout individu a droit à une nationalité ».
Mes chers collègues, la lutte contre les atteintes à nos valeurs de fraternité, de liberté et de laïcité doit évidemment nous unir dans l’édiction de règles utiles et justes au sein de notre Constitution. Tel est l’objet de l’amendement que j’ai cosigné, visant à créer une déchéance nationale dont seraient passibles tous les Français et qui aurait pour conséquence une privation des droits civils et politique, mais en aucun cas le retrait de la nationalité, lequel ne peut en réalité s’appliquer qu’aux binationaux ou créer des apatrides.
Cette mesure de déchéance nationale est, j’en suis convaincue, la seule qui puisse nous rassembler. D’abord nous rassembler nous, la gauche, mais également la représentation nationale tout entière – c’est à la droite de le dire mais je veux le croire.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez coutume de dire que « la Nation, c’est une émotion ». Vous avez raison, et c’est pour cela qu’il y a eu tant d’émotion le 23 décembre à la lecture du projet de loi constitutionnelle. Comme beaucoup, j’ai été choquée par les dispositions prévues et dans l’incapacité de voter l’article 2 tel qu’il était rédigé.
Je prends acte des évolutions proposées par le Gouvernement et de l’écoute dont le Président et l’ensemble de l’exécutif ont fait preuve. La nouvelle rédaction de l’article 2 renoue avec le principe d’indifférence absolue de la République vis-à-vis des autres nationalités potentielles ou réelles d’un individu et avec l’égalité de tous devant la sanction.
À l’inverse de vous, cependant, j’ai cherché à faire non pas un principe mais un symbole. Je soutiens une proposition qui vise à retrouver de l’unité : l’unité qui s’est exprimée dans les rues le 11 janvier 2015 face à la terreur, mais aussi retrouver de l’unité entre ce que disent les députés de l’opposition et ce que disent ceux de la majorité. Nous devons rechercher un symbole qui dise l’unité nationale face à la terreur et la réprobation à l’égard d’individus qui s’attaquent à la République et à toutes nos valeurs.
C’est pourquoi j’ai cosigné des amendements qui proposent la déchéance, non pas de la nationalité, mais des droits qui y sont attachés. Elle serait prononcée par le Parlement, parce qu’après tout, l’unité du peuple français peut aussi s’exprimer, comme la Constitution le prévoit en son article 34-1, par la voie d’une résolution du Parlement. Nous nous trouverions ainsi rassemblés dans la réprobation sans tomber dans les travers qui sont encore ceux de la nouvelle rédaction de l’article 2.
En intervenant dans la discussion sur cet article, c’est la question que je veux poser au Gouvernement. À quoi sert-il d’inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution ?
Votre projet de loi constitutionnelle portant « protection de la Nation », j’ai voté l’article 1er, dans la mesure où il existe un lien entre la protection de la Nation et l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution, qui assure la préservation des libertés individuelles et donne une base juridique à la consolidation de la loi de 1955. Il y a là une disposition utile qui me semble répondre parfaitement à l’objectif recherché.
La déchéance de nationalité, en revanche, ne me convainc pas du tout. En quoi renforcera-t-elle la nécessaire protection de la Nation ? En présentant la version initiale et les versions ultérieures du projet, on nous a expliqué que la mesure était symbolique. Il s’est d’abord agi de ne viser que les binationaux afin de ne pas créer d’apatrides. Si je souscris à ce but, ce n’est pas pour les raisons invoquées mais à cause de la place et du rôle de la France dans le concert des nations. Notre pays, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, doit continuer de porter un message au niveau international. Ce n’est pas sa vocation que de prononcer des mesures de déchéance qui rendraient des personnes apatrides.
Alors, à quoi sert cet article ? J’ai écrit au Président de la République pour lui signifier mon désaccord concernant la déchéance de nationalité et pour lui proposer d’instituer une déchéance civique qui constituerait une vraie sanction. Le Président m’a répondu et j’avoue avoir besoin d’éclaircissements de la part de l’exécutif et de votre part, monsieur le garde de sceaux. Le Président m’indique en effet que l’article « n’est pas dépourvu d’effets concrets du point de vue de la déchéance de nationalité, puisqu’il y aurait des mesures d’éloignement ou d’assignation à résidence sans limitation de durée ».
Je termine, monsieur le président.
Qu’est-ce que cette peine d’« assignation à résidence sans limitation de durée » ? Pour l’instant, les bras m’en tombent !
Nous gardons tous dans notre mémoire le souvenir de l’endroit où nous nous trouvions le 13 novembre dernier. Pour ma part, j’étais ici, dans l’hémicycle, avec quelques collègues, quand ce drame nous a frappés.
Et nous garderons tous le souvenir de ce Congrès, à Versailles, qui a répondu à l’attente qu’avaient les Français de voir la Nation se rassembler. Comme tous les parlementaires sur tous les bancs, j’ai approuvé et applaudi le discours du Président de la République.
Empreint d’une grande émotion, ce discours posait des engagements non seulement pour renforcer la sécurité des Français, mais aussi pour que notre pays demeure un État de droit. La révision de la Constitution n’a pas été la seule mesure proposée. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le garde des sceaux, vous nous présenterez dans quelques jours un projet important visant à renforcer la procédure pénale et à lutter contre le blanchiment de l’argent sale qui finance le terrorisme.
Nous nous devons cependant de parler aujourd’hui du projet de loi constitutionnelle. Alors qu’une quasi-unanimité s’est dégagée pour voter l’article 1er,…
…l’article 2 divise profondément. Il faudra, monsieur le garde des sceaux, que vous le stabilisiez, car des interrogations légitimes demeurent quant à son application.
Heureusement, nous avons collectivement obtenu que la Constitution ne mentionne pas les binationaux. Heureusement, nous avons obtenu l’engagement que la loi d’application ne ferait pas non plus de distinction. Néanmoins, je crains qu’il n’y ait tout de même des conséquences. C’est le juge judiciaire qui prendra la sanction, ce dont je me félicite, mais comment celui-ci pourrait-il créer des apatrides ? Le problème reste entier.
Il me semble donc, monsieur le garde des sceaux, que vous devriez proposer une solution alternative à la déchéance de nationalité…
Je termine, monsieur le président.
Cette solution pourrait aller dans le sens d’une déchéance nationale. Nombreux sont les parlementaires qui ont proposé des amendements visant à obtenir le même effet par une mesure.
Mes chers collègues, il est des tâches plus sympathiques que de rappeler, surtout à des amis, qu’ils doivent respecter leur temps de parole. J’ai cependant la liste des orateurs inscrits sur l’article et, comme certains l’ont déjà indiqué, il y a eu des ajouts.
J’invite donc chacun à respecter les deux minutes.
La parole est à M. Mathieu Hanotin.
Comme mes collègues, je veux tout d’abord rappeler notre détermination sans faille, sur l’ensemble des bancs, pour lutter contre le terrorisme. En tant que député de Saint-Denis, si durement touchée par les attentats du 13 novembre, j’y suis particulièrement attaché.
Pour mener cette lutte, je suis certain que nous avons avant tout besoin d’un pays rassemblé, d’un pays uni. Or, à l’heure où nous examinons cet article 2 après des semaines de débat, force est de constater que le consensus n’existe ni sur nos bancs ni dans le pays.
Je n’aborderai pas ici la question de l’efficacité du dispositif – sans doute y reviendrons-nous lors de la discussion des amendements –, préférant, encore une fois, poser celle du principe.
On est français, j’en suis convaincu, pour le meilleur et pour le pire. La grandeur d’une nation, c’est d’assumer cela et de comprendre. Comprendre non pas pour excuser mais pour que ce qui s’est produit de plus horrible ne se produise pas de nouveau.
En choisissant la déchéance de nationalité comme peine complémentaire, on adopte une solution de facilité qui revient à céder à deux fantasmes.
Le premier, évoqué par M. Jean-Luc Laurent, est celui de l’éloignement. Comme si l’éloignement nous protégeait ! Malheureusement, la preuve du contraire a été faite.
Le second est le fantasme de la recherche d’une pureté de la nationalité par le biais d’un tel dispositif. Il est encore plus dangereux car il nourrit les extrêmes. La nationalité n’est pas une valeur en tant que telle. Nos valeurs, c’est ce que nous construisons ensemble, c’est ce que nos ancêtres ont construit depuis des siècles…
J’ai bientôt fini, monsieur le président.
Nos valeurs sont avant tout celles de la République. Si peine complémentaire il doit y avoir, et même si je ne suis pas convaincu que le principe d’une telle peine doive figurer dans la Constitution, c’est sur les valeurs de la République qu’il faut l’asseoir, afin d’en faire une réponse qui unit et non pas une réponse qui divise notre pays,…
…une réponse, et je conclurai par là, qui correspond au message universel de la France.
Pour le sociologue Patrick Weil, dans le monde contemporain, la nationalité est devenue « l’un des droits les plus absolus de l’homme ». Cet article, dans sa rédaction actuelle comme dans celle désormais proposée par le Gouvernement, vise à priver une poignée de criminels terroristes français de leurs droits civiques ou de leur nationalité, ou – on ne sait plus ! – de leur nationalité et de leurs droits civiques, au risque de créer des apatrides, car je crois que les deux aspects sont indéfectiblement liés.
La disposition enflamme les débats et déchaîne les passions depuis des mois, au risque d’inquiéter durablement des millions de nos compatriotes binationaux. Pour le Gouvernement et les tenants de la révision constitutionnelle, il faut y voir la nécessité du symbole, comme l’a redit le Premier ministre ; pour le garde des sceaux, un principe ; et pour les opposants que nous sommes, un risque de fracture durable d’une société déjà très inquiète dans cette période troublée de l’histoire.
Sans revenir sur les arguments juridiques déjà développés, je veux exprimer une réelle inquiétude, car l’extension de la déchéance de nationalité aux délits terroristes risque de mettre à mal, comme l’a pointé le Conseil d’État, le principe de proportionnalité.
Par ailleurs, le droit actuel permet déjà de condamner très lourdement les criminels terroristes et de les suspendre de leurs droits sans changer une ligne de la Constitution. Déchoir symboliquement quelques individus et tenter de les effacer de la Nation est un impensé très douloureux.
On ne veut pas regarder ces individus pour ce qu’ils sont, à savoir des Français, de jeunes Français qui ont grandi parmi nous et sont devenus des criminels au nom d’une idéologie mortifère.
Ce vacarme inutile, insensé, risque de nous renvoyer par ricochet à un débat sur l’identité. Et lorsqu’on connaît l’état actuel de l’Europe, la crise économique, les guerres extérieures, les millions de déracinés sur les routes de l’exil, les réflexes identitaires sont un recul tragique sur tout sur le continent.
Notre responsabilité est grande de ne pas tomber dans le piège des terroristes. Comme beaucoup d’autres ici, je ne voterai pas cet article.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Nous en venons au fameux serment du Président de la République à Versailles, dans la perspective d’ôter la nationalité française aux doubles nationaux nés en France.
Je vais vous livrer les six raisons qui m’inclinent à voter contre ce texte, depuis qu’il a été annoncé le 16 novembre dernier.
Premièrement, parce que, comme disait Aristote il y a 2 500 ans dans l’Éthique à Nicomaque, « nul n’est censé ignorer la loi ». Il est dommage que le Président de la République ne se soit pas donné la peine de regarder les articles 25 et 23-7 du code civil, car il aurait appris que la déchéance de nationalité existe. J’y suis favorable et d’ailleurs nous la pratiquons déjà. M. Badinter l’a redit il y a quelques jours : c’est l’état du droit.
Deuxièmement, parce que cette réforme nous amène à inscrire une tautologie dans la Constitution, ce qui pour un juriste est scandaleux. Ainsi, on écrit à l’article 34 que la déchéance est du domaine de la loi. Merci, c’est déjà le cas : la loi traite de la nationalité puisque son acquisition ou sa perte sont du domaine de la loi.
Troisièmement, parce que cela ne sert à rien. J’ai été tenté, monsieur le garde des sceaux, de présenter un amendement ayant pour but de demander la peine de mort pour les terroristes, simplement pour montrer que la peine de mort comme la déchéance, pour des personnes qui sont prêtes à se faire sauter, n’ont aucun effet dissuasif.
Quatrièmement, parce qu’elle divise les Français. J’ai été très sensible à ce que viennent de dire M. Sebaoun ou Mme Le Dain. Beaucoup de doubles nationaux se sentent stigmatisés par ce débat, qui nous renvoie en effet en boomerang un problème identitaire majeur dans une société fracturée.
Cinquièmement, nous ne savons pas l’appliquer, et c’est pourquoi j’ai proposé l’année dernière une proposition de résolution pour y remédier. Car, comme vous le savez, nous n’arrivons pas à expulser les personnes qui ont été déchues pour terrorisme dès lors qu’elles saisissent la Cour européenne des droits de l’homme. J’ai déposé sur un amendement sur ce point.
Enfin, monsieur le garde des sceaux, je ne peux m’empêcher de penser que ces trois mois perdus, ce sont trois mois pendant lesquels on n’a pas fait la guerre aux terroristes, parce que nous sommes divisés et que nous n’avons pas de vrai débat sur le fond, c’est-à-dire les moyens des services de renseignements, les moyens militaires, les moyens de la police. C’est pourtant le véritable sujet et c’est ce qu’attendent les Français.
M’étant déjà exprimé à maintes reprises sur la valeur juridique de l’article 2, je voudrais apporter d’autres éléments.
Après les attentats du 13 novembre, nous avions un devoir, et nous l’avons toujours, celui de faire front, de faire bloc face aux terroristes et de montrer que l’un de leurs objectifs stratégiques qu’est la fragmentation de nos sociétés, ce qui inclut la fragmentation politique, ne sera jamais atteint.
Mais à qui incombe cette responsabilité ? À tous, sans doute, mais en premier lieu au chef de l’État, au Premier ministre et au chef de la principale formation de l’opposition. C’est ce qu’ils se sont employés à faire. En effet, François Hollande, Manuel Valls et Nicolas Sarkozy, dans un pacte que je peux tout à fait comprendre et qui ne me choque pas d’un point de vue politique, ont essayé de créer les conditions d’un rassemblement.
Mais que constate-t-on aujourd’hui ? Qu’ils ont abouti au résultat inverse. Il existe un important malaise à gauche, qui se caractérise par une fracture au sein de la principale formation de gauche, l’opposition de nos collègues de la gauche démocrate et républicaine, la forte opposition de nos collègues écologistes, un très grand malaise dans les rangs du groupe Les Républicains et des débats très soutenus au sein de l’Union des démocrates et indépendants.
Lorsque l’on constate qu’on est arrivé au résultat inverse de celui que l’on recherche, la sagesse veut que l’on retire le texte et que l’on reporte le débat pour recréer les conditions permettant d’arriver à un accord.
Avec cet article 2, qui crée un malaise même chez ses promoteurs, vous allez fragmenter encore plus la représentation nationale, qui est la représentation symbolique de la Nation, après les attentats plus qu’avant.
Considérez la singularité de cette réforme constitutionnelle que la garde des sceaux, qui a démissionné, désapprouvait ; sur laquelle l’actuel garde des sceaux, lorsqu’il n’était pas encore nommé, exprimait les plus extrêmes réserves ; dont le ministre de l’intérieur, en tout cas c’est ce que la presse rapporte, dit que ce n’est pas sa tasse de thé. Quant au Premier ministre, qui indiquait formellement il y a quelques semaines qu’il ne fallait pas créer d’apatrides,…
…il défend aujourd’hui le principe d’une révision constitutionnelle qui, au bout du compte, créera des apatrides, ne serait-ce que trois tous les dix ans.
Mes chers collègues, il y a un problème. C’est pourquoi, au nom de la sagesse, je demande solennellement au Gouvernement de retirer l’article 2 et de recréer les conditions d’un débat permettant de parvenir à un consensus.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
J’ai été frappé, aujourd’hui encore, par l’insistance du Premier ministre à évoquer le serment de Versailles, un serment fait par un autre que lui, le Président de la République.
Or ce serment ne prévoyait ni l’inscription de la déchéance dans la Constitution ni la création d’apatrides. Nous ne discutons donc pas du serment du Président de la République mais du projet de loi du Gouvernement et du Premier ministre et de votre réponse à la série d’attentats commis en France, en janvier puis en novembre, et parmi ces réponses de l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution.
J’y vois une forme de déni, le déni de la responsabilité spécifique de la société française face à la radicalisation terroriste et au départ pour la guerre en Syrie et en Irak de centaines de jeunes Français.
Le Premier ministre a déclaré : « Expliquer, c’est déjà un peu excuser ». En effet, la déchéance de nationalité a ceci de pratique qu’elle évite à la France et à ceux qui la dirigent un examen de conscience.
J’y vois une forme d’auto-amnistie. Pour justifier la déchéance de nationalité, la France clame que ces hommes sont des salauds et qu’ils ne sont pas Français. Je considère que cette manière de nous absoudre de nos responsabilités collectives est dangereuse.
Nous adoptons ainsi une attitude semblable à l’attitude de ceux qui, parmi les musulmans, disent de ces terroristes se revendiquant de l’islam que leurs actes n’ont rien à voir avec l’islam. Eux aussi refusent de voir ce qui, dans l’idéologie de courants comme le wahhabisme, précipite des jeunes du fondamentalisme vers l’extrémisme et le terrorisme.
Je crois donc qu’il est indispensable de lutter contre ce double déni et, pour ce qui me concerne, de refuser l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution.
Il y a, enfin, dans cette disposition, quelque chose de profondément pessimiste. En effet, ce n’est pas par réalisme ou pragmatisme que cette mesure, historiquement défendue par l’extrême droite, a été retenue, car vous l’avez vous-même jugé inefficace. Non, cette proposition est la marque d’une vision sombre de la France et de son avenir. Pourtant, nous ne réussirons pas l’unité nationale sans espérance. Cette espérance manque dans votre discours qui, à mes yeux, confond l’intérêt de la Nation, l’intérêt du peuple français, et les instincts de la foule.
Beaucoup peuvent sans doute se reconnaître dans ce pessimisme, mais pour réaliser l’unité des Français, l’unité de la Nation tout entière, il vous faudrait plus ; il vous faudrait l’optimisme de la volonté. Cet optimisme-là vous aurait fait préférer la concorde démocratique à une mesure de déchéance qui sème chaque jour un peu plus la discorde.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Chers collègues, nous venons de voter l’article 1er du projet de loi constitutionnelle et je m’en félicite. En effet, dans le contexte d’un nouveau type de guerre menée par des terroristes sur notre propre territoire, l’état d’urgence est bien l’outil approprié pour démanteler les réseaux et prévenir d’autres actes de même nature.
Le Président de la République l’a décrété au soir du 13 novembre et nous avons voté sa prorogation. Son inscription dans la Constitution permettra de lui donner la force nécessaire tout en garantissant les libertés individuelles.
S’agissant de l’article 2, je voudrais exprimer mon accord avec le Président de la République sur la nécessité de mettre en place une mesure forte à l’encontre de ceux qui, passant à l’acte, tournent le dos à nos valeurs et s’excluent eux-mêmes de la communauté nationale.
Mais je veux aussi dire mon attachement à l’égalité de traitement devant cette mesure. Un terroriste, qu’il ait une, deux, voire trois nationalités, reste un terroriste et la même peine doit lui être infligée.
C’est donc pour répondre à ces deux exigences – une mesure forte d’un côté et une égalité de traitement de l’autre – que je soutiens la proposition de déchéance nationale que nous vous proposerons demain, Olivier Faure, un certain nombre de collègues et moi-même, lors de l’examen des amendements.
Une telle mesure permettrait de retirer tous les attributs et les droits liés à la nationalité française à tous les terroristes qui attaquent indignement notre République, et ce quelle que soit leur nationalité. Et cela fait toute la différence. Car malgré les progrès, que je reconnais, contenus dans le texte constitutionnel et le texte d’application, il subsiste un risque d’inégalité de traitement qui pourrait de facto créer deux catégories de Français.
Aussi, chers collègues, au moment où nous avons tant besoin d’unité, de rassemblement et de dépassement des clivages, je vous invite à adopter le principe de la déchéance nationale. Il s’agit d’une mesure tout aussi forte, tout aussi claire, tout aussi symbolique que la déchéance de nationalité, mais qui aurait le mérite d’une triple unité : unité devant la sanction, unité sur nos bancs et unité des citoyens.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Modifier la Constitution, garante des droits fondamentaux des citoyens, est un acte qui touche à l’essence même de nos valeurs et de nos règles républicaines.
Si, pour moi, l’article 1er ne fait pas débat, il n’en est pas de même de l’article 2, dont les dispositions ne devraient pas relever d’une révision constitutionnelle. En effet, les textes qui modifient notre Constitution doivent être clairs, sans ambiguïté et conformes aussi bien à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » – qu’à l’article 1er de la Constitution elle-même, qui dispose que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Or inscrire la déchéance de la nationalité dans la Constitution serait contraire à notre tradition en la matière puisque, depuis 1803, les questions liées à la nationalité sont réglées par des lois ordinaires.
En outre, cela remettrait en cause le principe de l’égalité des citoyens devant la loi. En effet, déchoir les binationaux mettrait à mal le principe d’égalité entre citoyens français en créant deux catégories de Français et une discrimination en fonction de l’origine.
Cet article 2, même dans sa nouvelle rédaction, n’est pas acceptable. Si nous considérons en effet que tous les Français peuvent être déchus de leur nationalité, nous créons des apatrides, ce qui est en contradiction avec l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui précise : « Tout individu a droit à une nationalité » et avec la convention de l’ONU de 1961 qui, dans son article 8, définit comme un principe de base qu’un individu ne peut être privé de nationalité « si cette privation doit le rendre apatride ».
Depuis la loi de 1998, la déchéance de nationalité ne peut viser que des binationaux ayant acquis la nationalité française, dans des conditions définies par l’article 25 du code civil.
La sagesse voudrait que l’on supprime purement et simplement cet article.
Une autre solution, consensuelle, consisterait à inscrire une peine punitive et privative de droits : c’est le sens des amendements que je défendrai demain.
Je souhaiterais donner mon sentiment personnel sur cette question qui divise très fortement notre assemblée et chaque famille politique et qui m’a amené à me poser trois questions.
Tout d’abord, cette disposition est-elle contraire aux valeurs de la République ? Force est de constater, et je me réfère à l’article de M. Badinter sur ce sujet, que cette disposition existe depuis longtemps dans notre droit positif et qu’elle a été modifiée à trois ou quatre reprises tout au long de la Ve République. À moins que nous ayons été particulièrement inattentifs durant toutes ces années, elle ne peut pas être jugée contraire aux valeurs de la République.
Est-elle discriminatoire ? Oui, évidemment. Dans la première rédaction du Gouvernement, selon qu’une personne était mono ou binationale, la sanction était différente. C’était inacceptable, intolérable, totalement incompatible avec les valeurs de la République et discriminatoire. La sanction ne peut qu’être la même, quelles que soient la nationalité ou les nationalités de la personne.
Le Gouvernement, depuis, a agi et à mon sens il a redonné à cette sanction un caractère d’équité et d’égalité.
Est-elle inutile ? Je me souviens des arguments de bon sens qui ont émaillé nos débats : « elle n’interviendra qu’au terme d’une procédure très longue » ou encore « dans la mesure où ils cherchent la mort, une déchéance de nationalité peut-elle les conduire à agir différemment ? »
J’en reviens à l’article de Robert Badinter, qui me semble posé, réfléchi, responsable et digne d’une grande conscience de la République : « Ces crimes, par la barbarie qui anime leurs auteurs, s’inscrivent, à l’égal des crimes contre l’humanité, au sommet de l’échelle des peines. »
Or en haut de l’échelle des peines figure justement une peine d’exception pour des êtres qui la méritent : la déchéance de nationalité.
Pour ces raisons, je voterai l’article.
À cette heure avancée, je solliciterai, pour expliquer mon opposition à la déchéance de nationalité, des arguments qui n’ont pas encore été développés.
Le débat entre nous ne porte pas sur la déchéance de nationalité en tant que telle, y compris pour les binationaux nés français. Certes, beaucoup se sont interrogés sur l’utilité de la mesure ou sur son efficacité, puisque les terroristes ne seraient pas expulsés, même s’ils étaient condamnés à une peine supplémentaire, mais ce dont nous discutons ce soir, c’est surtout de savoir de quoi cette mesure est le nom.
Dans le raisonnement qui nous est proposé, je distingue deux failles.
La première nous renvoie au code civil, dont l’article 23-7 dispose qu’un Français qui se comporte en fait comme le national d’un autre pays peut perdre sa nationalité. Donc, si l’on s’en tient à la tradition de notre droit, depuis les décrets-lois Daladier de 1938, vouloir étendre la déchéance de nationalité aux terroristes, c’est assimiler le mouvement qui les entraîne à un État. Voulons-nous reconnaître Daech, notre pire ennemi du moment, comme un État constitué ?
La seconde faille du raisonnement est la suivante : les individus dont on parle ne sont pas franco-daechiens. Ils sont franco-algériens, franco-tunisiens, franco-marocains, franco-belges, et pourquoi pas demain franco-vénézuéliens ou franco-islandais. Leur ôter la nationalité, afin de leur infliger une peine supplémentaire, c’est considérer que notre pays se situe au-dessus des autres.
Quand je regarde le superbe bas-relief qui se trouve derrière vous, monsieur le président, et qui représente notre République guidant les pas d’autres nations du monde, au nom de certaines valeurs, je me dis qu’adopter la mesure proposée nous ferait déchoir de notre responsabilité.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Dans cette affaire, quel triste spectacle ont donné la représentation nationale et le pouvoir exécutif, qui aurait dû montrer la nécessaire unité nationale face à la lutte contre le terrorisme, puisque la force des démocraties est de prouver aux terroristes qu’un peuple uni ne cède jamais aux attaques, si graves qu’elles soient.
Telle qu’elle était prévue dans le projet initial du Gouvernement, qui traduisait le choix exposé à Versailles par le Président de la République, la déchéance de nationalité limitée aux seuls binationaux, soit 5 % de nos concitoyens était inacceptable, parce qu’elle était contraire à l’unité de notre nation.
Pour moi, voter ce texte, c’était trahir la mémoire de mon grand-père, député de la nation, mort à Neuengamme, et qui, parce qu’il était contre le sabordage de la République, n’avait pas voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.
En revanche, je voterai la nouvelle rédaction de l’article 2, parce qu’elle permet d’appliquer la déchéance de la nationalité à tous les Français condamnés pour des crimes et des délits graves en lien avec le terrorisme.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, mon père, qui était résistant, a été qualifié de « terroriste », parce qu’il avait pris les armes, non par des juridictions indépendantes mais par l’occupant nazi. En votant pour l’article 2, dans sa nouvelle rédaction, je ne trahirai donc pas sa mémoire.
Néanmoins, une condamnation à l’indignité nationale aurait été préférable, car elle aurait évité la désunion nationale.
Méditons l’exposé des motifs de l’ordonnance du 26 août 1944, instituant l’indignité nationale : « Tout Français qui s’est rendu coupable d’une activité antinationale caractérisée s’est déclassé. Il est un citoyen indigne dont les droits doivent être restreints dans la mesure où il a méconnu ses devoirs. »
Une telle discrimination juridique entre les citoyens peut sembler grave, car la démocratie répugne à toute mesure discriminatoire, mais le principe d’égalité devant la loi ne s’oppose pas à ce que la Nation fasse le partage des bons et des mauvais citoyens. Que le lourd passé de notre Nation éclaire son avenir.
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains, du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
À mon tour, j’expliquerai pourquoi je ne voterai pas cette mesure que je juge inefficace, stigmatisante et dangereuse.
Tout le monde s’accorde à dire qu’elle sera inefficace parce qu’elle n’aura aucun effet dissuasif. Elle n’empêchera nullement un terroriste de passer à l’acte. Par ailleurs – et je rejoins Charles de Courson, car j’ai eu moi aussi un père résistant considéré comme un terroriste pendant la Deuxième Guerre mondiale –, nous devons nous demander qui détermine ce qu’est un terroriste. C’est un point que nous devrons travailler ensemble.
Stigmatisante est aussi cette proposition, car elle constitue – d’autres l’ont dit avant moi – une rupture d’égalité en créant deux catégories de Français, même si l’on fait des manières pour habiller la chose : ceux qui ne pourraient être déchus de leur nationalité, puisqu’ils ne peuvent devenir apatrides, et les autres, les binationaux, aujourd’hui français mais non à part entière, puisqu’ils pourraient demain être déchus. Cette mesure constitue une remise en cause inacceptable de notre droit du sol, constitutif de notre République. Elle s’attaque aussi à notre égalité.
Enfin, elle est dangereuse. Qu’entend-on exactement par « crime ou délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation » ? La formule est sujette à toutes les interprétations. Si demain un régime autoritaire décide de l’appliquer à de simples opposants politiques ou à des gens qui ont des opinions différentes, et d’étendre cette opposition aux délits ou cas possibles de déchéance, qui, en définitive, se retrouvera stigmatisé ?
Alors que la France est le pays des droits de l’homme, nous prendrions le risque, en votant cette mesure, d’être pointés du doigt par la Cour européenne des droits de l’homme et de devoir verser des sanctions financières, au motif que nous renverrions certaines personnes dans des pays qui pratiquent la torture ou infligent à leurs citoyens des traitements indignes. Nous tomberions en effet sous le coup de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Selon Hannah Arendt, être déchu de la citoyenneté, c’est être privé de son appartenance au monde. Sommes-nous prêts à infliger ce sort à certains de nos concitoyens ?
Applaudissements sur certains bancs du groupe écologiste.
À ce moment de nos débats, je veux donner acte au Gouvernement qu’il tente, après les décisions prises au lendemain des attentats du 13 novembre pour assurer la protection des Français, de créer l’unité nationale autour de la révision constitutionnelle.
Nous l’avons vu : au cours des discussions, sa proposition a évolué. Je le souligne, car je suis étonné d’entendre certains députés parler d’atermoiements. Il est bien normal que s’agissant de la Constitution, qui est la loi fondamentale, il y ait un dialogue entre le Parlement et l’exécutif. Ce dialogue est conforme au fonctionnement régulier de nos institutions, et il est normal que celles-ci fonctionnent lorsqu’il s’agit de se pencher sur les règles qui les régissent.
Pour autant, la nouvelle proposition du Gouvernement qui, fort heureusement, a fait disparaître la référence à la binationalité, n’est pas susceptible à cette heure de créer l’unité.
Elle heurte chez certains d’entre nous, dans tous les groupes, l’idée que nous nous faisons de la nationalité. Elle percute l’idée que nous nous faisons de la responsabilité d’un État envers ses ressortissants, même lorsque ces derniers, pour reprendre les mots du garde des sceaux, « se vautrent dans l’infamie ».
Elle heurte, à l’intérieur comme à l’extérieur de cet hémicycle, l’idée que nous nous faisons de ce que doit être la Constitution et des règles que celle-ci doit édicter. Des députés se sont exprimés dans ce sens. Robert Badinter l’a fait dans une tribune. Et, s’il est sans doute qualifié pour nous éclairer sur le droit du travail, il a certainement plus de légitimité encore, en tant qu’ancien ministre de la justice et président du Conseil constitutionnel, à nous éclairer sur ces questions.
Je considère que nous disposons d’un moyen de créer l’unité. Avec Olivier Faure et d’autres collègues, je soutiens en effet que la déchéance nationale est le moyen de marquer une rupture entre ceux qui ont attaqué notre pays et la Nation, sans pour autant heurter les valeurs et les principes que je viens d’évoquer.
Les propositions successives sur la déchéance de nationalité témoignent d’une impréparation sidérante pour qui considère simplement l’importance que revêt normalement une révision constitutionnelle. Car c’est bien à un changement de notre Constitution qu’a appelé le Président de la République pour traiter à la fois de ce sujet et de l’état d’urgence, alors que rien ne l’y obligeait.
La déchéance de nationalité soulève au moins trois séries de questions.
La première interroge le fondement même de la nationalité attachée au droit du sol. L’immense majorité de nos concitoyens, nés sur le territoire national, est française sans l’avoir choisi ni demandé : c’est une donnée et non un acquis. Ainsi Brutus lui-même, bien que patricide, n’a pas cessé d’être reconnu par César comme son fils, qui lui a dit en mourant : « Toi aussi, mon fils »… Voilà pourquoi, si retirer à un citoyen un droit acquis, la naturalisation, est une chose, lui dénier l’inné, la nationalité, en est une autre qui, même prononcée, demeure l’habit juridique d’une absurdité philosophique.
L’indignité nationale et la perte de droits qu’elle entraîne constituent des réponses infiniment mieux accordées aux principes fondamentaux de notre droit comme à son rapport au droit international.
Mais il est vrai que rien n’oblige à modifier notre Constitution pour en faire éventuellement usage.
La deuxième question tient à la portée réelle de la mesure envisagée : combien de personnes seraient potentiellement concernées ? Un nombre sans doute infime. On mesure à cette aune le faible intérêt d’un débat qui retient les parlementaires – et, bien sûr, les médias – depuis des semaines, pour s’assurer que le texte attendu concernera tous les Français, sans exception.
La troisième question vise l’efficacité même de la déchéance nationale. Qui peut croire qu’une telle sanction dissuaderait quelque terroriste que ce soit de commettre un attentat, a fortiori un acte suicidaire ?
L’insignifiance du texte est la marque qu’il ne changera rien. J’ai donc le regret de vous dire : « Arrêtons là ! »
Applaudissements sur certains bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Cet article ne sert à rien. Ce serait une raison suffisante pour le rejeter. La Constitution n’est pas un tableau noir sur lequel on peut venir écrire un slogan ou épingler un symbole. Elle n’est pas non plus une matière plastique que l’on peut modifier à loisir en fonction des humeurs politiques ou des intérêts tactiques.
C’est vrai, cet article ne sert à rien, et cela seul devrait suffire à le condamner, mais il n’est pas seulement inutile : il est aussi néfaste. Il nous divise profondément, comme le montre notre débat. Il réveille des blessures – je salue à cet égard l’intervention de notre collègue Charles de Courson. Il dessine des fractures au sein de tous nos groupes politiques.
On nous parle d’union nationale ? Écoutons l’union qui se fait contre ce projet. Les rangs des opposants de tous bords n’ont fait que grossir, ces dernières semaines. À droite, de quelques-uns, nous sommes devenus des dizaines à le rejeter. À gauche, le malaise est profond.
La tonalité même de nos interventions ce soir devrait troubler le Gouvernement : plus personne ne met du coeur à défendre ce projet, je dis bien plus personne. Cette révision devait signer une victoire politique pour le Président de la République ; c’est devenu un calvaire pour ceux qui la portent, dont certains, visiblement, le font malgré eux. Il est encore temps de renoncer mais, à défaut de sagesse gouvernementale, ce sera à nous d’opposer la sagesse de l’Assemblée nationale.
Je voterai contre. Je souhaite profondément que nous soyons les plus nombreux possible à le faire, et que ce mauvais débat s’arrête là.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Le lundi 16 novembre 2015, à la sortie du Congrès de Versailles, je me souviens d’avoir délivré un message d’unité nationale, alors que notre nation venait d’être frappée comme jamais par le terrorisme islamiste. J’ai cru à la force du symbole. J’ai alors pensé que, s’il fallait modifier la Constitution pour donner plus de force à la lutte contre le terrorisme, alors oui, cela valait bien une révision de la Constitution.
Le Président de la République, le 16 novembre, à Versailles, nous a dit vouloir introduire la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux nés en France. Ce fut un moment d’unanimité historique. Cette proposition, je ne la retrouve pas dans l’article 2 du texte qui nous est soumis aujourd’hui. En revanche, je vois bien que les Françaises et les Français ne nous comprennent plus.
Personne ne s’y retrouve dans ces atermoiements politiciens et cette proposition de révision qui, au lieu de rassembler les Français, comme notre pays en a besoin, les divise davantage.
En vertu de l’article 34 de notre Constitution, c’est la loi qui fixe les règles concernant la nationalité. C’est donc bien par la loi que nous devons travailler. Mais il faut, surtout, ne pas toucher à cet édifice fragile qu’est notre Constitution, un édifice qui régit nos institutions depuis plus d’un demi-siècle, qui a résisté aux alternances démocratiques et dont ont su s’accommoder ceux qui le critiquaient le plus. C’est dire aussi sa solidité et la nécessité de n’y toucher qu’avec une main tremblante, au risque de tout déstabiliser.
Comme le dit Robert Badinter, il suffirait au Parlement de remplacer, à l’article 25 du code civil, les mots : « L’individu qui a acquis la qualité de Français » par les mots : « Tout Français ». Cette proposition suffirait à répondre à notre volonté d’exclure de la nationalité française les terroristes qui défient nos valeurs d’égalité, de fraternité et de liberté par leurs crimes et leur idéologie, ceux qui se rendent complices de ces crimes, ceux qui partent en Syrie pour combattre notre pays et qui n’ont plus rien à faire sur nos terres.
Qu’il s’agisse de l’article 1er, relatif à l’état d’urgence, ou de l’article 2, qui a trait à la déchéance de nationalité, cette réforme me paraît inutile et risque de faire peser de lourdes incertitudes sur l’équilibre de nos institutions.
Les interventions s’enchaînent ce soir et toutes ou presque convergent avec émotion, mais de façon implacable, pour dire que la déchéance de nationalité n’a pas sa place dans la Constitution de la France. Sans reprendre tous les arguments qui ont été énoncés, je considère que l’article 2 constitue une triple erreur, et donc une faute politique majeure.
Première erreur : le débat sur la déchéance de nationalité est devenu un obstacle à l’unité nationale. Il divise le Parlement. Il divise la droite, l’opposition. Il divise la gauche, notre majorité. Il a divisé le Gouvernement.
De fait, si le compromis prétendument trouvé par le Gouvernement, monsieur le ministre, était satisfaisant, pourquoi Mme Christiane Taubira a-t-elle quitté le Gouvernement ? C’est sans doute au Premier ministre de le dire, mais, en tout état de cause, cette proposition a profondément divisé le Gouvernement. Il divise aussi les Français, qui nous le disent.
La deuxième erreur réside dans l’inutilité de cette disposition. Face à la menace terroriste durable qu’affronte notre pays, et si l’article 2 était par malheur adopté, la République serait-elle mieux défendue, les Français seraient-ils mieux protégés ? Non, et vous le savez bien, monsieur le ministre, vous l’avez dit vous-même, d’ailleurs, il y a quelques semaines.
De l’aveu même de nombreux promoteurs de cette solution, les terroristes ne seraient jamais expulsés. C’est donc une illusion, et cette illusion est dangereuse. Présenter au peuple de fausses réponses que l’extrême droite travestit en solutions miracles, c’est même une illusion populiste.
La troisième erreur tient dans le fait que cette réforme est une sorte de quadrature du cercle. Après avoir jeté un trouble profond parmi les binationaux, le Gouvernement propose d’accepter la création d’apatrides. Or nous avons des obligations internationales. Nous sommes dépositaires d’une grande tradition démocratique,…
La force d’une démocratie se juge bien sûr à la manière dont elle affronte les plus rudes épreuves sans renoncer à ses principes et à ses valeurs.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je voterai contre cet article 2, car il porte atteinte à des principes fondamentaux de notre République. En premier lieu, celui-ci s’oppose à l’article 1er de notre Constitution, aux termes duquel : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. ». Or, en inscrivant la déchéance de nationalité dans la Constitution, vous allez à l’encontre de nos principes d’indivisibilité et d’égalité.
De plus, vous souhaitez inscrire dans notre Constitution le retrait d’un droit, alors que notre loi fondamentale a pour but de protéger les droits de chacun.
Je vous rappelle qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée […] n’a point de Constitution ». Mais cela, je ne vous l’apprends pas car, si vous avez décidé de passer par la voie de la révision constitutionnelle, c’est parce qu’une telle disposition, adoptée par voie législative, aurait certainement été frappée d’inconstitutionnalité, en ce qu’elle poserait un problème de conformité au principe de la garantie des droits proclamé par ce même article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Aujourd’hui, vous nous demandez donc de faire d’une loi potentiellement inconstitutionnelle un fondement de notre République. Cela me heurte et ne correspond pas à mes convictions.
Lutter contre le terrorisme ne doit pas nous conduire à abandonner nos valeurs, à galvauder notre Constitution, d’autant plus que la portée juridique et pratique de votre texte est si réduite que même son caractère symbolique est incertain. Pour lutter contre le terrorisme, nous devons faire l’union sur les libertés et non sur la peur des autres. Nous devons nous rassembler sur nos valeurs et non nous diviser sur le retrait de droits garantis par notre Constitution.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
L’article 2 concerne le sujet délicat de la déchéance de nationalité. Je ne suis pas choqué par ce débat, mais il me semble en dehors des réalités. Nous nous trompons en considérant que ce sont les nations qui sont attaquées par Daech et en voulant répondre à ces attaques par une mesure symbolique sur la nationalité.
J’ai voté l’article 1er, car il autorise des mesures concrètes pour agir en cas d’urgence, mais, s’agissant de l’article 2, je crois que nous nous fourvoyons, car nous nous divisons sur un symbole, sans effet réel sur la menace.
Le Premier ministre a expliqué récemment que ce qui est attaqué, c’est « ce que nous sommes », sous entendu, du moins est-ce comme cela que je l’ai compris, nos valeurs, nos modes de vie, la laïcité, l’égalité entre les femmes et les hommes, l’art et la culture – la liste pourrait être encore longue – ou, dit autrement, tout ce pour quoi nous voulons vivre. Ce qui est attaqué, c’est la vie, le plaisir de vivre, pas notre nationalité. Ce plaisir de vivre, nous le partageons avec les Européens et une grande partie des pays démocratiques. Nous voulons être des humains libres, donner du sens à nos vies, sur terre, pas dans l’au-delà, qui ne concerne que l’imaginaire.
La sauvagerie est insupportable ; nous devons combattre la barbarie, la terreur, en premier lieu par la raison, bien campés sur nos valeurs. Nous défendons des valeurs universelles, pas seulement une nation. C’est la raison pour laquelle la déchéance de nationalité n’est pas la réponse appropriée. Nous devons prévenir l’embrigadement de nos jeunes, aller à leur rencontre – avec des professionnels de l’éducation, du social et de la sécurité, bien sûr – dans chacune de nos villes et de nos villages.
Sur les théâtres des conflits, nous devons défendre celles et ceux qui sont menacés et assassinés. Chaque jour qui passe voit se dérouler des tragédies pour ces populations. Nous – la France et l’Europe – devons agir vite.
Voilà pourquoi je pense que l’article 2, qui inscrit la déchéance de nationalité dans la Constitution, peut être supprimé.
La Constitution, c’est la loi des lois, l’acte solennel selon lequel la société civile déclare les principes qui la fondent, la rassemblent, l’organisent. Aussi, en vertu de l’autorité intelligente que le peuple français accorde à son Président de la République, et que Cicéron considérait comme gardienne de la sagesse, la Constitution n’aurait pas dû pouvoir être modifiée en temps de troubles. Il aurait été préférable de se rassembler autour des valeurs qu’elle abrite. Le moins que l’on puisse dire est que ce n’est pas le cas, surtout au regard de l’article 2, relatif à la déchéance de nationalité, qui, de fait, distingue deux catégories de Français, considérant qu’a priori, les uns seraient plus menaçants pour la sécurité du pays que les autres.
Un enfant de parents de nationalités différentes porte en lui la belle histoire de l’amour qui ne connaît pas les frontières. Lui demandera-t-on un jour de choisir entre son père et sa mère ? Lui demandera-t-on de renier son histoire multiculturelle, multicolore, porteuse d’espoir et de paix ? Nous devrions plutôt favoriser la lutte contre le racisme et les discriminations et assurer une meilleure inclusion, une plus grande justice sociale et interculturelle de tous et en tout lieu. Alors que nos concitoyens attendent de leurs élus un débat sur le partage du droit au travail et des revenus, nous voilà empêtrés dans un débat qui divise.
Lundi 1er février, à Port-Sainte-Foy, lors de la réunion publique que j’organisais sur la citoyenneté, le besoin a été exprimé de valoriser tout le travail des citoyens au quotidien, par l’éducation populaire, la solidarité, l’écoute, le respect des autres, la laïcité, qui fondent notre République démocratique.
Je ne voterai donc ni cet article ni ce projet de loi, quels que soient la sémantique ou les subterfuges que vous proposez. Selon le mot de George Sand, pour faire des citoyens, « faites agir ; il ne suffit pas de laisser agir » pour que les principes indissociables constitutifs de notre devise que sont la liberté, l’égalité et la fraternité rayonnent autour de la terre, pour élever les jeunes en citoyens du monde.
La réforme constitutionnelle devait nous rassembler ; or, cet article nous divise, à gauche comme à droite. Il fallait un symbole pour traduire la force de la République face au terrorisme, mais celle-ci consiste à combattre la barbarie sans abîmer ses valeurs, ses principes, ses droits fondamentaux. C’est pourquoi je pense que cette mesure de circonstance qu’est la déchéance de nationalité n’a pas sa place dans notre Constitution.
De 1803 jusqu’à ce jour, les règles relatives à la nationalité n’ont plus figuré dans aucune constitution de la France. L’article 34 de la Constitution actuelle dispose précisément que ces règles relèvent de la loi.
Non seulement la déchéance de nationalité est inutile, mais elle est perverse. Soit, en effet, elle s’applique à tous les terroristes, ce qui contrevient à l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui exclut l’apatridie, soit elle ne concerne que ceux qui ont une autre nationalité et n’est alors guère conforme au principe d’égalité, fondateur de notre République.
Certes, le texte a été amélioré au fil des versions successives, mais la rédaction est à ce point ambiguë que l’on arrive à ce paradoxe que c’est la loi simple qui viendra protéger des effets indésirables du texte constitutionnel. Qui peut garantir que cela sera vrai dans la durée ? Il serait sage, soit de supprimer cet article, soit, à défaut, comme nous sommes nombreux à le proposer, de lui substituer la déchéance des droits attachés à la citoyenneté, qui ne créerait ni apatrides ni discrimination. J’imagine mal, en effet, que l’on puisse introduire la déchéance de nationalité dans notre Constitution, qui s’ouvre, en préambule, sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. C’est la raison pour laquelle je voterai contre.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur certains bancs du groupe écologiste, ainsi que sur les sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Si instaurer la déchéance de nationalité répond à la volonté d’exclure de la communauté nationale celui ou celle qui se livre à des actes de terreur contre les siens, alors cela paraît évident, surtout après ce que l’on a vécu ces derniers mois. Cela revient à rejeter celui qui se bat contre nos valeurs, celles qui nous définissent en tant que groupe, qui nous organisent et nous rassemblent depuis des siècles. Et c’est bien a priori le seul intérêt de la mesure qui nous est proposée : rejeter du groupe ceux qui sont d’ores et déjà hors du groupe, ceux qui l’ont déjà quitté, ceux dont l’allégeance est ailleurs, auprès du fantasme, d’un ordre nouveau où la violence et la barbarie font loi.
La déchéance de la nationalité comme mesure préventive n’est malheureusement pas une mesure protectrice. Elle n’est ni dissuasive ni punitive pour ces individus qui se sont déjà placés en dehors de la communauté nationale. D’ailleurs, la première idée qu’on leur inculque, c’est qu’ils n’ont pas leur place en France, qu’ils ne sont pas et qu’ils ne seront jamais français. Où est donc l’utilité d’une telle disposition ?
Reste le symbole, mais lequel ? Celui de notre incapacité à nous occuper de ceux de nos ressortissants qui ont franchi la ligne rouge ? Sommes-nous démunis au point de devoir renvoyer à d’autres le soin de nous mettre à l’abri de ces individus ?
La déchéance de la nationalité est le symbole de la division, cela a déjà été dit. Devons-nous inscrire dans le recueil de nos principes fondamentaux le symbole d’une différence entre les Français ? N’inscrivons pas dans notre Constitution comme principe fondamental de la République un symbole de scission, de rejet, de division, source d’insécurité pour certains de nos concitoyens.
Comment imaginer que les valeurs qui fondent notre République ne soient plus celles de rassemblement et d’union ? Comment faire nation quand le message que nous envoyons avec la déchéance de la nationalité est de créer plusieurs catégories de Français ? Comment retrouver la paix après l’année que nous avons vécue, qui nourrit la suspicion, la peur et l’inquiétude ? Quelle est l’utilité de ce symbole, qui n’est en réalité qu’un épouvantail inefficace ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Au cours de nos débats, nous avons souvent fait référence à l’histoire de notre pays. Ces références sont également présentes dans le texte et dans le rapport. Il a été rappelé notamment que la déchéance de nationalité a été inscrite pour la première fois dans la loi fondamentale en 1791, dont je me permets de rappeler qu’elle est celle d’une monarchie constitutionnelle ; j’ose espérer que nous sommes sortis d’un tel régime !
Sourires.
L’idée de déchoir un citoyen de ses droits est ensuite évoquée dans notre histoire en 1793, moment où les Français se sont unis pour vaincre les puissances étrangères qui menaçaient la Révolution française. La mesure prévoyait la perte non pas de la nationalité, mais de l’exercice des droits, et elle émanait de citoyens qui formaient une communauté nationale autour de valeurs républicaines – en l’occurrence, des valeurs de liberté et d’égalité.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La fraternité viendra plus tard, en 1848, autre époque, où l’on a préféré déchoir de la qualité de citoyen français plutôt que de la nationalité. C’est donc autour de cette histoire que nous devons nous rassembler aujourd’hui, parce qu’elle est l’essence même de notre République.
De plus, faire de la nationalité le lieu de la sanction est une erreur au regard de ce qui se passe dans le monde. L’acquisition de la nationalité est souvent le fruit de hasards, d’une vie que l’on a passé dans plusieurs pays, de rencontres ; elle est consentie ou bien contrainte. Mais la certitude c’est qu’un nombre croissant de personnes est issu de cette circulation fluidifiée des hommes sur la Terre.
Par conséquent, déchoir revient à inquiéter tous ceux qui sont venus du monde et au monde dans notre pays. Déchoir, c’est créer des apatrides et, ce faisant, s’éloigner du progrès humain.
Je viens d’une ville, Bordeaux, qui a connu un passé multiple, aussi glorieux que sombre, et je souhaite que nous nous souvenions ce soir de toute cette histoire.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le garde des sceaux, la nouvelle rédaction de l’article 2 du projet de révision constitutionnelle ne contient plus la stigmatisation choquante des binationaux qui avait été proposée initialement. J’en suis heureux, tout comme je suis heureux que vous ayez annoncé la ratification prochaine par la France de la convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie.
De ce cumul de deux bonnes nouvelles résulte cependant une mauvaise : si la déchéance de nationalité vise tous les Français et qu’il est impossible en droit de créer des apatrides, alors c’est toujours bien de la déchéance des seuls binationaux qu’il est question.
Certes, il a été rappelé vendredi dernier que la France s’est gardé le droit, dans le cadre de la convention de 1961, de priver de nationalité un Français dont le comportement aurait été de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État pour souligner que des mononationaux pourraient aussi être visés.
J’en tire deux conclusions. Puisque, dans les intentions, sont toujours concernés prioritairement par la déchéance de nationalité les binationaux, le principe d’égalité des citoyens est malmené. Parce qu’on n’écarte pas l’idée de créer des apatrides, on porte atteinte au droit universel d’être un sujet de droit, d’autant que les anciens Français devenus apatrides resteraient à l’évidence sur notre sol.
Pour ces raisons, la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité n’est pas à mon sens la peine symbolique sur laquelle nous devrions nous unir, et je ne la voterai pas.
L’indignité nationale, qui frapperait tous les citoyens français condamnés pour un crime ou pour un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation et qui exprimerait leur mise à l’écart de la communauté nationale est la solution alternative qu’avec d’autres je soutiens, dans le respect passionné du principe d’égalité et des droits fondamentaux consacrés par la Déclaration universelle des droits de l’homme ; elle pourrait être introduite avec la confiance des Français, de tous les Français, Français en France et Français du monde.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Depuis que ce débat délétère a été engagé entre nous et dans le pays, donc depuis plusieurs semaines déjà, je me demande comment nous en sommes arrivés là.
Comment une majorité de gauche en est-elle arrivée à reprendre à son compte une proposition telle que l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution ?
Comment en sommes-nous arrivés, au cours des débats qui ont suivi l’annonce de cette proposition, à la stigmatisation de nos concitoyens binationaux, qui laissera dans le pays des traces profondes, des blessures très vives ? Comment en sommes-nous arrivés à considérer aujourd’hui qu’une solution qui aura pour conséquence assumée l’inscription dans la Constitution d’une mesure qui créera des apatrides constitue un bon compromis ? En vérité, si un gouvernement de droite avait proposé une telle mesure, ce côté-ci de l’hémicycle s’y serait fermement opposé.
Ce n’est pas pour rien que la France s’est engagée à signer les textes internationaux visant à réduire les cas d’apatridie. Comme le dit Patrick Weil : « C’est le fondement de la civilisation de faire de l’homme un sujet de droit. […] Or, […] la seule façon d’être un sujet de droit, c’est d’avoir une nationalité. » Quel symbole renvoyons-nous en inscrivant dans notre Constitution la possibilité de déchéance de nationalité, fût-ce pour quelques cas seulement, fût-ce uniquement pour des terroristes ?
Ne donnons-nous pas plutôt une victoire symbolique à ces derniers en modifiant notre Constitution en ce sens en réponse à leurs actes terribles ?
Nous avons ainsi, depuis plusieurs semaines, polarisé le débat public sur une mesure inefficace, contraire à nos valeurs, qui véhicule des idées d’abaissement, des idées d’exclusion.
Nous aurions dû, à l’inverse, concentrer la réflexion sur les mesures efficaces à prendre pour lutter contre le terrorisme telles que la prévention des basculements mortifères ou le renforcement de ce qui fait la force et la beauté de notre pays ; notre cohésion sociale, notre pacte républicain, tous les messages de solidarité, d’attachement aux valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité dont tant de Français ont témoigné au lendemain des terribles événements de 2015.
Il y a tant à faire et tant à dire d’autre. Il me paraît donc essentiel de sortir de ce débat par la suppression de cet article.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
J’aimerais, au sujet de cet article, rappeler quelques réalités simples.
Le 11 janvier dernier, des milliers de citoyens sont descendus dans la rue pour exprimer non seulement une émotion, mais aussi une exigence : que les problèmes qui rongent la société française depuis trop d’années soient enfin regardés en face et traités, et que la défense de la République soit une priorité absolue.
Les problèmes, nous les connaissons, et ils ne se réduisent pas aux attentats terroristes. Ce sont des professeurs de philosophie qui ne peuvent pas faire un cours sur Dieu, ce sont des chauffeurs de la RATP qui refusent de serrer la main de leurs collègues femmes, ce sont des convertis non binationaux assignés à résidence dans des départements ruraux, c’est le fait que nous avons maintenant des kamikazes made in France.
Dans un tel moment, après les attentats du 13 novembre dernier et alors que pointe la menace de la marche au pouvoir de l’extrême droite, notre pays a besoin, pour tous ceux qui défendent la République, de clarté, et non pas d’un imbroglio juridique tel que celui auquel nous assistons depuis maintenant sept semaines. Je juge pour ma part avec sévérité le fait que, depuis tout ce temps, le débat qui a suivi les attentats se concentre sur une mesure somme toute assez dérisoire et secondaire, qui pose en outre des problèmes de fond sur lesquels je reviendrai demain au cours de la discussion des amendements.
Il est encore temps – la nuit porte conseil – de revenir à l’essentiel. L’essentiel, ce doit être la défense de la République. L’essentiel, c’est que l’Europe est aujourd’hui un trou noir de la lutte contre le terrorisme. L’essentiel, c’est de traiter l’ensemble de ces questions, et non pas d’entretenir une controverse qui creuse encore davantage le fossé entre la représentation nationale et les citoyens, entre les préoccupations des premiers et l’exigence qu’expriment les seconds.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation.
La séance est levée.
La séance est levée, le mardi 9 février, à une heure dix.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly