Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 9 février 2016 à 21h30
Protection de la nation — Article 2

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice :

Sans doute le terme de « présentation » est-il un peu excessif, dans la mesure où le texte de cet amendement est déjà largement connu. En effet, la commission des lois a adopté un amendement identique mais dans le cadre de nos procédures de révision constitutionnelle, c’est le projet de loi initial qui sert de base à la discussion dans l’hémicycle. Je vais toutefois m’employer à présenter cet amendement, pour lequel le Gouvernement a été critiqué au motif qu’il aurait fait preuve d’une certaine indécision. Lorsque le Gouvernement fait une proposition et s’y tient, lorsqu’il ne suit pas les propositions des parlementaires, on lui reproche d’être sourd au débat parlementaire et de nier la souveraineté du Parlement. Lorsque le Gouvernement évolue sur sa proposition en écoutant les suggestions amicales des parlementaires, on lui reproche d’être fluctuant. Chacun conviendra donc qu’il est difficile d’avoir une position qui puisse recueillir l’assentiment général.

En l’occurrence, le Gouvernement a proposé un nouvel amendement, qui est le fruit d’un débat avec l’ensemble de l’Assemblée nationale et pas uniquement le groupe majoritaire ; il résulte aussi d’un certain nombre d’observations formulées par les groupes minoritaires ou d’opposition. Ce nouvel amendement, qui vous a été remis, répond à trois exigences supplémentaires.

Premier principe : l’exigence absolue d’égalité. Chacun le sait à présent, l’article 25 du code civil dispose que seules peuvent être déchues de la nationalité française les personnes qui l’ont acquise, qui disposent d’une autre nationalité et qui ont été condamnées pour un certain nombre de crimes ou délits constitutifs d’actes de terrorisme ou attentatoires aux intérêts fondamentaux de la nation. La commission des lois et le Gouvernement vous proposent de rétablir une égalité parfaite, puisque cette inégalité des Français devant l’exigence républicaine première, celle de la défense des valeurs fondatrices, n’est plus compréhensible dans les moments que traverse notre pays. Cette inégalité doit donc disparaître, car nous devons tenir un discours ferme et clair pour les années qui viennent. En effet, la menace n’est plus virtuelle : nous l’avons constatée et en avons été meurtris. La première exigence consiste donc à rétablir ce principe d’égalité, en vertu duquel toute personne condamnée pour terrorisme doit pouvoir être déchue de la nationalité française, quel que soit le mode d’acquisition de celle-ci.

Deuxième principe qui fonde cette proposition d’amendement : la proportionnalité de la sanction. Comme l’atteste le nombre d’interventions qui ont eu lieu depuis vendredi sur ce projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, les matières que nous abordons sont graves. Retirer la nationalité est une décision certes lourde de sens mais qui témoigne aussi d’une certaine idée de la République. J’ai eu l’occasion de dire vendredi dernier qu’en la matière, il ne fallait pas renverser la charge de la preuve. C’est la nation qui constate la déchirure définitive de ceux qui ont choisi, librement choisi de ne plus appartenir à la communauté nationale. Ce n’est pas la France, ce n’est pas la Nation qui les rejette, ce sont les terroristes qui ont choisi de partir. Comme l’a dit le Premier ministre tout à l’heure, le fait de déchoir de la nationalité revient à acter qu’un certain nombre d’individus ne sont plus dignes d’appartenir à la communauté nationale.

Pour tenir compte de la gravité de cette sanction, le Gouvernement vous propose de ne prononcer cette déchéance qu’en cas de condamnation pour certains crimes ou délits – bien sûr pas n’importe lesquels. Il s’agit évidemment des crimes constitutifs d’actes de terrorisme et d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, tels que le prévoit le titre IV du code pénal. Le débat a eu lieu à diverses reprises, notamment devant la commission des lois, où a été évoquée la possibilité de faire référence aux « atteintes à la vie de la Nation ». Nous nous sommes demandés si le concept d’ « intérêts fondamentaux de la Nation », qui est une notion stabilisée, excluait le terrorisme. Il est vrai que la structure de notre code pénal peut nourrir cette incertitude. Aussi, la notion d’ « atteinte grave à la vie de la Nation » qui vous est proposée vise-t-elle précisément à englober explicitement le terrorisme.

Ensuite, pourquoi inclure les délits ? Comme le Premier ministre l’a précisé, le Gouvernement les avait fait figurer dans le texte soumis au Conseil d’État. Patrick Mennucci l’a redit tout à l’heure : depuis 2012, le Gouvernement – à cinq reprises, je crois – a déchu de leur nationalité des individus condamnés pour terrorisme. Il me semble d’ailleurs qu’à l’époque, personne ne s’en était ému dans l’hémicycle. Or, tous ont été déchus de leur nationalité après une condamnation pour des délits. Nous considérons évidemment que seuls les délits les plus graves, pour lesquels la peine encourue est de dix ans d’emprisonnement, doivent être retenus. Les crimes et délits retenus sont donc ceux qui constituent une atteinte à la vie de la Nation.

Enfin, la troisième évolution introduite par cet amendement consiste à faire passer la déchéance de nationalité du code civil au code pénal, c’est-à-dire d’en confier la responsabilité au juge judiciaire. Pourquoi le juge judiciaire ? Parce que, dorénavant, nous considérons qu’il s’agit d’une sanction. Lorsque le juge la prononce, il est garant du respect des conventions signées par la France ainsi que du cadre juridique général qui s’impose à lui. Il détiendra la responsabilité unique en la matière, pourra analyser le cas d’espèce et veiller à la proportionnalité de la mesure. Évidemment, cela ne sera appliqué qu’au stade de la condamnation définitive. Le choix du juge pénal, c’est le choix de l’efficacité. La sanction sera prononcée en une seule fois, après un examen de l’affaire dans le cadre d’un procès équitable, où chacun fera valoir ses arguments. La sanction sera prononcée par la juridiction antiterroriste, dans le cas d’espèce la Cour d’assises spéciale de Paris, composée de juges spécialisés, aguerris, fins connaisseurs de ces dossiers.

Tel est, mesdames, messieurs, le sens de l’amendement déposé par le Gouvernement. Il a avant tout pour objet d’inscrire définitivement cette sanction de la déchéance de nationalité dans le cadre d’une conception républicaine, qui inclut au sein de la République tous ceux qui ont fait le serment de la défendre et qui vise à mesurer la force de la riposte, pour tenir compte de chaque cas. En réalité la question est celle-ci : comment la République se défend-elle quand elle est agressée ? La conception que nous avons retenue s’en remet à l’autorité judiciaire, garante des libertés et des droits, mais surtout garante du débat, auquel nous tenons par dessus tout et que nous menons ce soir, avec, évidemment, une certaine gravité.

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