Intervention de Didier Migaud

Séance en hémicycle du 10 février 2016 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Cette avancée ne vaut bien sûr pas seulement en cas de sinistre et doit encore être confirmée dans le texte qui sera finalement adopté.

Dans son rapport public annuel 2016, la Cour fait le point sur l’exercice de ses compétences, notamment l’évaluation des politiques publiques. En 2015, à votre demande, la juridiction a évalué l’action de la douane, les politiques de lutte contre la pollution de l’air et les services publics numériques, travaux que j’ai eu l’occasion de présenter très récemment devant vous, monsieur le président. J’en profite pour me réjouir de la qualité des relations entre la Cour et le Parlement, en particulier l’Assemblée nationale, puisque je suis ici dans l’hémicycle de l’Assemblée, qui témoigne de l’intensité et de la portée de la mission d’assistance de la juridiction à la représentation nationale.

J’en viens au premier message de la Cour : la situation des finances publiques s’améliore, mais cette amélioration est encore lente, fragile. La situation reste en conséquence source de préoccupations, voire d’inquiétudes.

La Cour relève la difficulté rencontrée pour redresser cette situation plus nettement et plus durablement malgré les efforts entrepris, monsieur le ministre. Selon les dernières prévisions du Gouvernement, les objectifs de réduction des déficits publics auraient été tenus l’année dernière. Les résultats devraient même être meilleurs que prévu. Pour autant, cette baisse est restée lente et limitée.

La prévision gouvernementale de maîtrise des déficits pour 2016 est plus ambitieuse qu’en 2015. La réalisation de cet objectif, qui est atteignable, reste encore malgré tout incertaine, pour trois raisons. Tout d’abord, les hypothèses d’inflation et de hausse de la masse salariale du secteur privé, donc les prévisions de recettes fiscales et sociales, paraissent surestimées. Les prévisions toutes récentes de la Commission européenne viennent d’ailleurs confirmer ce risque. Ensuite, le choix de sous-doter dans la programmation budgétaire initiale certaines dépenses de l’État fait peser des risques de dépassement. Des urgences intervenant en cours d’année, comme le plan pour l’emploi et la formation annoncé par le Gouvernement ces dernières semaines, sont susceptibles d’accentuer ces risques. Enfin, l’objectif retenu pour la croissance des dépenses sociales sera également difficile à tenir ; une partie des économies attendues en matière de régimes de retraite complémentaire et d’assurance chômage pourrait ne pas être au rendez-vous cette année.

La Cour se réjouit évidemment de la perspective d’un retour à des conditions économiques un peu plus favorables, mais la prudence reste de mise. En 2016, le déficit public devrait rester supérieur à trois points de PIB. La dette publique approcherait cent points de PIB. Cette situation n’autorise aucun relâchement des efforts.

La réduction des déficits publics ne peut pas seulement reposer sur une amélioration conjoncturelle des recettes ; elle doit résulter d’une action résolue sur le besoin de financement structurel de toutes les administrations publiques : État, collectivités territoriales, sécurité sociale. Et, dans ce dernier cas, nous ne pouvons pas collectivement nous satisfaire d’un déficit durable des comptes sociaux, destiné à financer uniquement de la dépense courante – mais je sais, monsieur le ministre, que vous pouvez partager ce point de vue !

Une fois de plus, la question n’est pas, pour la Cour, de tenir une position dogmatique, ni de recommander à toute force de réduire les crédits nécessaires à l’exercice de missions prioritaires. La question qui se pose est celle de l’efficacité et de l’efficience de la dépense publique, de la pertinence de crédits alloués à des missions ou à des structures dont l’utilité n’est plus démontrée. Il faut mettre en regard les moyens consacrés et les résultats effectivement obtenus, avant de décider le maintien, voire l’abondement de ces moyens. L’augmentation des dépenses ne doit pas être la principale, voire la seule réponse, à chaque fois qu’un problème est identifié, sous peine de perdre de vue l’exigence d’efficacité et d’efficience de l’action publique.

Au total, la maîtrise des déficits et de la dette publique doit être poursuivie avec vigueur. Dans le cas contraire, la France risquerait d’être à l’avenir encore plus contrainte dans l’utilisation de l’instrument budgétaire. Il y a un mois, lors de l’audience solennelle de la Cour, j’évoquais la capacité de la France à procéder à des choix souverains de politique publique, et à dégager des marges de manoeuvre pour faire face aux priorités du temps. Cette capacité reste entravée par la situation des finances publiques.

Plusieurs insertions de ce rapport annuel de 2016 illustrent parfaitement la difficulté que l’on rencontre parfois à répartir les moyens consacrés aux missions régaliennes. Tel est notamment le cas du contrôle de légalité et du contrôle budgétaire des actes des collectivités territoriales. Notre rapport démontre que, sans modernisation de l’organisation et des modes de fonctionnement, une réduction uniforme des moyens – pour ne pas utiliser une autre expression… (Sourires) – est inefficace. Plus grave encore, elle peut fragiliser, voire remettre en cause l’exercice de certaines missions pourtant essentielles.

J’en arrive au deuxième message de la Cour, fil rouge de ce rapport : l’urgence de moderniser les services publics appelle des choix déterminés et une mise en oeuvre méthodique. Cette méthode repose sur des principes de bon sens : une réforme réussie suppose une bonne anticipation des besoins, une identification correcte des investissements pertinents, une conduite rigoureuse et un accompagnement du changement selon le calendrier approprié, c’est-à-dire sans précipitation, mais sans immobilisme.

Le cas des transports ferroviaires en Île-de-France et celui de la politique de maintenance des centrales nucléaires illustrent tout à fait la nécessité, pour les pouvoirs publics, de choisir avec rigueur et de hiérarchiser les investissements à consentir dans la durée.

Par ailleurs, je suis souvent amené à évoquer la question de la pertinence des dépenses d’investissement. Contrairement à une idée reçue, elles ne sont pas vertueuses par principe. L’investissement est vertueux lorsqu’il répond à un besoin collectif, qu’il est réalisé avec le souci de l’efficacité et de l’efficience, et que les dépenses de fonctionnement qu’il entraîne sont correctement anticipées. Or le rapport public de 2016 offre de nouvelles illustrations d’investissements dont la pertinence n’est pas démontrée.

Vous l’avez compris : une mauvaise idée fait le plus souvent une mauvaise réforme ; mais une idée qui n’est pas mauvaise en soi ne fait pas nécessairement une bonne réforme !

La Cour analyse ainsi les raisons de l’échec du contrat de génération.

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