Intervention de Michèle Bonneton

Séance en hémicycle du 10 février 2016 à 15h00
Expérimentation territoriale visant à faire disparaître le chômage de longue durée — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Bonneton :

Madame la présidente, madame la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur de la commission mixte paritaire, chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a le mérite d’apporter un regard différent sur la question du chômage. En effet, le débat sur le chômage se résume trop souvent à quelques principes libéraux – compétitivité des entreprises ou prétendue rigidité du code du travail – et il se termine souvent par un : « On a tout essayé ». Or, avec la succession des crises, les périodes d’amélioration ou de croissance n’ont pas permis de faire diminuer le chômage dans des proportions acceptables et d’arriver au plein-emploi.

Eh bien, non, même si cela fait des décennies que le chômage de masse est endémique dans notre pays, nous ne devons pas baisser les bras et être fatalistes. La France est, plus que d’autres pays, touchée par le chômage de longue durée, notamment pour des raisons structurelles qui lui sont propres : une démographie dynamique, d’une part, une croissance et des investissements qui ne sont pas créateurs d’emplois, d’autre part.

Le chômage de longue durée – supérieure à douze mois – touche 2,4 millions de personnes aujourd’hui, contre 1 million il y a sept ans. Il s’agit donc d’un enjeu capital. Le chômage de longue durée est un facteur de désocialisation, non seulement pour ceux qui sont directement touchés, mais aussi pour leur famille et leurs enfants. Il s’agit d’une sorte de cycle infernal, dans lequel des familles sont plongées, et duquel il est extrêmement difficile de sortir. La perte de dignité et le traumatisme qui l’accompagne constituent un immense gâchis pour les personnes concernées, mais aussi pour le pays. Il peut arriver que certaines personnes ne soient plus capables, après cela, d’exercer un travail.

Pour pallier cette situation, la qualité de l’accompagnement est déterminante. Il sera donc indispensable que la mise en oeuvre de cette loi bénéficie de moyens matériels et humains suffisants. La privation durable d’emploi a un coût économique très important, qui pèse à la fois sur les ménages, sur l’État et sur les caisses sociales. De même, nous savons que le chômage, plus encore lorsqu’il est de longue durée, a un impact certain sur la santé des personnes. Cette situation peut être un ferment propice aux idées extrêmes d’intolérance et de stigmatisation, aux solutions simplistes, qui seraient catastrophiques pour notre pays. C’est le constat que font les associations qui se consacrent à la lutte contre les difficultés sociales, et particulièrement ATD Quart Monde : elles ont largement inspiré le texte dont nous discutons.

La présente proposition de loi prévoit de partir du concret, de la base, c’est-à-dire des territoires, où les associations rencontrent concrètement les personnes. Le dispositif proposé est simple : il suffit de réunir toutes les allocations et dépenses de l’État, des collectivités et de Pôle emploi à destination des chômeurs de longue durée involontairement privés d’emploi, dans un fonds unique. Ce fonds utilisera ces crédits pour créer des contrats à durée indéterminée à destination de ces personnes, au sein de structures de l’économie sociale et solidaire conventionnées, afin de répondre à des besoins locaux préalablement identifiés.

Le premier avantage de ce texte, c’est qu’il part des territoires, de leur potentiel et des ressources humaines qu’ils détiennent. Le meilleur moyen de lutter contre le chômage, c’est d’évaluer les ressources humaines et le potentiel des territoires, au plus près de la réalité. Le choix de s’en remettre à l’échelon local est à mon sens le meilleur, car c’est celui des besoins locaux et de la vie quotidienne.

Le choix de favoriser la création de CDI est lui aussi pertinent. En effet, les nombreux dispositifs existants conduisent trop souvent à des emplois limités dans le temps. Et il peut ainsi arriver qu’une personne ayant bénéficié d’une formation ou d’un emploi aidé se retrouve de nouveau sans emploi, après un temps d’activité. C’est donc une grande nouveauté et un net progrès que de proposer la création d’emplois aidés en CDI.

Cette proposition de loi présente aussi l’avantage d’agir, en ne se contentant pas de limiter les conséquences du chômage de longue durée. Nous ne sommes plus dans une approche passive. De plus, chaque euro d’argent public dépensé sera bien mobilisé en vue de la création d’un emploi réel, à la différence de certaines aides indifférenciées, comme le crédit d’impôt compétitivité emploi, dont il est impossible d’évaluer s’il crée des emplois, et dans quelles proportions.

Comme cette loi prévoit une expérimentation, il faudra aussi faire le choix des territoires qui seront retenus, et vous nous avez dit, madame la ministre, que les candidats sont nombreux.

Un certain nombre de questions se posent encore, qu’il convient de régler, si l’on veut que cette loi s’applique dans les meilleures conditions. Il ne faudrait pas, par exemple, que les emplois créés soient des sous-emplois, payés au SMIC, sans possibilité d’évolution. La formation sera un élément essentiel de la réussite du dispositif. En effet, le chômage de longue durée est souvent lié à un manque de qualification, ou à une qualification qui ne correspond pas aux besoins. Un effort particulier devra être fait dans ce sens : il faudra veiller à limiter les effets d’aubaines, qui ne manqueront pas d’apparaître, et faire en sorte notamment que les emplois créés ne remplacent pas simplement des emplois qui auraient pu être créés par les moyens classiques.

Je tiens aussi à faire quelques remarques au sujet de l’évaluation de cette expérimentation. On ne peut pas se limiter à en faire une évaluation classique, qui nous limiterait au seul résultat comptable. Étant donné que nos économies ne peuvent plus compter sur la croissance pour créer de l’emploi, il faut être capable, à la fois de créer des emplois sans croissance, et d’évaluer la réussite des politiques publiques selon d’autres critères que ceux habituellement retenus en matière économique et sociale. Il conviendrait donc que notre évaluation se fonde sur les nouveaux indicateurs de richesse qui ont été définis dans la loi no 2015-411 du 13 avril 2015, votée à l’initiative de notre collègue Eva Sas, au nom du groupe écologiste de l’Assemblée nationale.

Enfin, l’introduction au Sénat de la notion de dégressivité – certes facultative – des aides apportées aux entreprises, nous apparaît positive. Cela permettra d’éviter une rupture financière brutale, qui pourrait mettre les porteurs de l’activité en difficulté.

En conclusion, les écologistes soutiennent résolument cette proposition de loi novatrice et bénéfique pour la collectivité. Redonner une chance de travailler aux exclus, dynamiser des territoires, répondre à des besoins sociaux et réduire le coût de la précarité pour la collectivité : les objectifs et la méthode de cette proposition de loi sont louables, et même exemplaires. Voilà pourquoi nous la voterons. Et nous faisons le pari de sa réussite pour une généralisation rapide des mesures proposées.

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