Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour examiner en dernière lecture la proposition de loi visant à résorber le chômage de longue durée. Porté par l’ONG ATD Quart Monde, et soutenu par de nombreux acteurs du monde associatif, ce texte est d’abord le fruit d’une initiative originale. Il vise à permettre à des entreprises relevant de l’économie sociale et solidaire d’embaucher en contrat à durée indéterminée et au SMIC des personnes éloignées durablement du marché du travail afin de développer des activités d’utilité sociale répondant à des besoins locaux non satisfaits.
Je me félicite de ce que cette proposition de loi ait fait l’objet d’un large consensus entre nos deux assemblées. Nous partageons pleinement la philosophie et l’objectif de ce texte, qui permet d’aborder le problème du chômage de longue durée avec un regard nouveau. Il devient en effet urgent de répondre à ce fléau que constitue le chômage, particulièrement lorsqu’il se prolonge. Les derniers chiffres de Pôle emploi nous l’ont encore rappelé : fin octobre 2015, notre pays comptait 2,4 millions de personnes inscrites au chômage depuis plus d’un an. Au-delà du risque de basculement dans la pauvreté, ce sont les perspectives de reprise d’emploi qui s’éloignent à mesure que le temps s’écoule.
Cette situation est d’autant plus intolérable qu’elle engendre parallèlement d’importantes difficultés sociales. La première, et sans doute la plus révoltante, est l’impossibilité pour ces personnes de mener une vie sociale et familiale épanouie. C’est l’impossibilité pour elles de se projeter dans l’avenir. S’ajoutent à cela des difficultés pour accéder au logement décent, pour se soigner, pour garder ses enfants ou pour obtenir un crédit bancaire – je m’arrête là car la liste serait longue.
La persistance d’un chômage endémique fait également peser un risque sur la société tout entière, en remettant en cause la pérennité de notre modèle de sécurité sociale. Dans ce contexte, nous ne pouvons donc que nous féliciter d’une initiative qui vise à s’attaquer courageusement, de front, à ce problème, tout en redonnant de la dignité et de l’espoir à ces personnes durablement privées d’emploi.
L’autre mérite de cette proposition de loi est de sortir de la logique des dispositifs de la politique de l’emploi mobilisés depuis trente ans. Si ces dispositifs permettent, certes, de réduire temporairement les statistiques du chômage, ils ne contribuent pas à résoudre le problème en profondeur. Les dernières mesures du plan pour l’emploi proposées par l’exécutif en sont une exemple. Formation professionnelle des chômeurs, exonération de cotisations sociales pour les petites et moyennes entreprises : ces mesures ne présentent aucune nouveauté pour lutter contre le chômage.
Ce texte, au contraire, tente de mettre en place de nouvelles solutions à partir d’expériences sociales qui ont fait leur preuve. Je note que cinq territoires se sont d’ores et déjà portés volontaires pour mettre en oeuvre le dispositif dans le cadre de l’expérimentation. Vous avez souligné, madame la ministre, que vous aviez reçu un grand nombre de propositions d’expérimentation : c’est une bonne nouvelle, qui témoigne à la fois d’une attente forte des acteurs locaux et d’une demande d’innovation sociale dans l’élaboration des politiques territoriales de l’emploi.
Au moment où le Gouvernement annonce de nouvelles mesures pour réduire les droits des chômeurs, ce texte sort également de la logique de culpabilisation et de stigmatisation des personnes sans activité. En effet, s’il y a tant de chômeurs dans notre pays, ce n’est pas en raison d’une épidémie de fainéantise aiguë : c’est, bien plutôt, en raison de suppressions massives d’emplois et de l’insuffisance de créations d’emplois sur le marché du travail. De ce point de vue, l’originalité de la proposition de loi est de reconnaître la nécessité de créer de l’activité économique à vocation sociale, conjuguée à un accompagnement des chômeurs à travers l’exercice d’un travail durable et rémunéré. Le financement du dispositif est également une innovation puisqu’il vise à réallouer les différentes dépenses directes et indirectes liées au chômage de longue durée à un même dispositif plus efficace, avec, à terme, l’objectif que le projet soit autofinancé.
Je ne reviendrai pas en détail sur les dispositions contenues dans le texte : je me contenterai de faire quelques remarques sur les dernières modifications qui lui ont été apportées par le Sénat et la commission mixte paritaire. En effet, sa dernière version a élargi le dispositif à tous les chômeurs de longue durée, quel que soit le motif de rupture de leur dernier contrat de travail. Cette nouvelle rédaction améliore indiscutablement le projet, tout comme la possibilité pour la personne recrutée de voir son contrat de travail suspendu en cas d’embauche dans une structure qui ne relèverait pas du champ de l’expérimentation. Ce nouvel ajout contribue à sécuriser le parcours professionnel des personnes tout en assurant des passerelles pour accéder à des emplois durables dans l’économie traditionnelle.
Enfin, je note que la procédure d’évaluation du dispositif a été renforcée. Il est en effet important qu’un comité scientifique indépendant puisse déterminer l’opportunité de généraliser ou non l’expérimentation. Trop souvent en effet – c’est une de nos difficultés –, nous appliquons de nouvelles politiques publiques de l’emploi sans les avoir préalablement testées.
En première lecture, j’avais évoqué plusieurs points de vigilance importants dans la mise en oeuvre de l’expérimentation, afin de garantir sa pleine réussite. Je me permets de les rappeler car ils restent d’actualité. Nous devons tout d’abord être attentifs à la mise en oeuvre effective d’un accompagnement social et professionnel spécifique des personnes recrutées dans l’entreprise conventionnée. Trop souvent, nous faisons le constat que, dans la mise en oeuvre de certains dispositifs – je pense notamment aux contrats aidés –, le volet formation existe – il est bien mentionné – mais n’est pas toujours appliqué.
De même, l’articulation de l’expérimentation avec les structures déjà existantes sur les territoires concernés, notamment les structures de l’insertion par l’activité économique, doit faire l’objet d’une vigilance particulière.
Le dernier point rejoint le précédent : il concerne les critères qui seront retenus pour sélectionner les entreprises conventionnées relevant du champ de l’économie sociale et solidaire. Il importe que les structures retenues soient sélectionnées selon des critères de qualité – qualité des prestations et qualité de l’accompagnement – sans entrer en concurrence avec les entreprises du secteur marchand.
Toutes ces remarques convergent pour souligner la nécessité de bien former les comités locaux qui seront chargés de piloter le dispositif. Ces comités apparaissent comme la clé de voûte du système, puisque ce sont eux qui auront pour mission de faire émerger les besoins sociaux et économiques non satisfaits sur les territoires concernés. Ce sont également eux qui seront chargés d’identifier les demandeurs d’emploi volontaires pour participer à l’expérimentation, ainsi que de susciter des candidatures parmi les structures de l’économie sociale et solidaire.
Vous aurez compris que nous soutenons les objectifs poursuivis ainsi que la démarche et les dispositions contenues dans ce texte. On pourra certes reprocher la complexité de certains aspects de sa mise en oeuvre. Toutefois, nous avons adopté tant de dispositifs censés lutter contre le chômage qui ne fonctionnent pas qu’il ne faut pas nous priver de la possibilité d’en essayer de nouveaux à l’échelon local, autrement dit plus près des réalités du terrain et de la réalité concrète vécue par les personnes concernées. Il s’agit là d’une expérience innovante pour tenter d’enrayer la montée du chômage de longue durée et aider les personnes qui en sont victimes à retrouver un emploi durable.
Comme en première lecture, le groupe GDR votera sans hésiter cette proposition de loi.