Intervention de Noël Mamère

Réunion du 11 février 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

Je n'ai plus ma carte de presse depuis 1992, et je vous demande de me faire l'honneur de considérer qu'ici je suis d'abord un homme politique, et non pas un journaliste recyclé.

Vous ne cessez de nous expliquer que vous n'avez commis de faute qu'avec des agriculteurs bio. Avez-vous lu ce témoignage poignant, d'un certain Halim Abdelmalek, assigné à résidence sur le seul fondement de notes blanches qui n'étaient ni datées ni signées ? Faut-il vous rappeler ce qu'a décidé le juge des référés du Conseil d'État, mardi 9 février, dans l'affaire qui concernait ce Marocain assigné à résidence ? En plus, il s'est aperçu que le procès-verbal de perquisition établi par les policiers, qu'il a dû demander avec force parce qu'il n'arrivait pas à l'obtenir, n'était pas conforme à la vérité et avait été truqué ? Donc, oui, effectivement, lorsque les services de police sont libres d'agir selon les ordres du ministre de l'Intérieur en usant des moyens offerts par l'état d'urgence, on peut effectivement craindre des interventions arbitraires et des violences. Le rapport qu'Amnesty International a publié hier sur ces vies bouleversées comporte soixante enquêtes sur soixante personnes victimes de ces perquisitions. Il est suffisamment fort et argumenté pour faire comprendre la violence que cela peut entraîner.

Pour revenir à la question de la rigueur intellectuelle, quand le Défenseur des droits — qui, certes, lorsqu'il était garde des Sceaux, envoya un hélicoptère dans l'Himalaya pour y chercher un procureur — nous explique que l'état d'urgence n'est rien d'autre que la mise en place d'une société de suspects, manque-t-il de rigueur intellectuelle ? Lorsque la Ligue des droits de l'homme organise des manifestations contre l'état d'urgence, manque-t-elle de rigueur intellectuelle ? Lorsque Mme Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, nous explique que le maintien de l'état d'urgence porte atteinte à la cohésion sociale, manque-t-elle de rigueur intellectuelle ? On pourrait parcourir ainsi non pas un inventaire à la Prévert, mais une série d'interventions de personnalités incontestables qui remettent en question cet état d'urgence.

Isabelle Attard et moi avons voté contre la première prolongation de l'état d'urgence — prétendre le contraire serait une manipulation, même si nous ne nous sommes nullement opposés à son instauration pour douze jours, décrétée par le Président de la République au lendemain de ces tragiques attentats. Nous avons effectivement considéré qu'il n'est pas sain pour un pays de réduire ses libertés, d'ouvrir la porte à la police et à la justice administrative, même si leurs qualités ne sont pas en cause, tout en effaçant le juge judiciaire, garant de nos libertés. C'est un affaiblissement, un amoindrissement de la démocratie.

Notre nouveau garde des Sceaux avait, au mois de janvier, publié un rapport sur l'état d'urgence. Ne me faites pas dire qu'il n'a écrit que ceci, mais c'est tout de même une citation : « De fait, l'effet de surprise s'est largement estompé et les personnes concernées se sont pleinement préparées, elles aussi, à faire face à d'éventuelles mesures administratives. Ces phénomènes d'extinction progressive de l'intérêt des mesures de police administrative se lisent d'ailleurs dans les chiffres, qui montrent bien plus qu'un essoufflement. » C'est l'actuel garde des Sceaux qui l'écrit !

La chronologie montre bien où l'on veut nous conduire. Vous nous proposez ce matin, monsieur le ministre, de proroger l'état d'urgence de trois mois, jusqu'en mai. Hier, le garde des Sceaux nous a présenté un projet de loi visant à réformer le code pénal et le code de procédure pénale dont l'objet n'est rien d'autre que d'inscrire dans le droit commun un certain nombre des dispositions de l'état d'urgence, et qui relègue au second plan des outils nécessaires à l'accomplissement de la justice, comme le juge d'instruction. Le juge de la liberté et de la détention prendrait plus d'importance, nous dit-on, mais nous savons qu'il est aujourd'hui accablé sous le poids des urgences et que son statut n'est pas réellement déterminé. L'article 17 de ce texte montre bien la direction que vous voulez emprunter, vous-même et le garde des Sceaux, puisqu'il dote la police administrative, et même le policier, de pouvoirs de contrôle et de vérification d'identité qui ne seront pas soumis à un réel encadrement.

J'entends donc ce que disent les uns et les autres, qui ne sont ni des touristes ni des imbéciles, et ne manquent pas de rigueur intellectuelle. Je pense en particulier au commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe — mais peut-être considère-t-on que le Conseil de l'Europe, comme le disait de Gaulle, n'est qu'un « machin » supplémentaire. On ne pourra pas m'accuser d'être irresponsable, outrancier et insultant, puisque c'est lui qui l'écrit : « La pérennisation de l'état d'urgence aggraverait la polarisation de la société et affaiblirait l'État de droit. Continuer à donner plus de pouvoir à l'exécutif tout en réduisant celui de l'autorité judiciaire risque de saper le système de poids et contrepoids nécessaire dans une démocratie et de conduire à une augmentation du nombre d'opérations abusives et attentatoires aux libertés, sans pour autant rendre la France plus sûre. » Il ajoute plus loin que « les terroristes se nourrissent des peurs », point de vue que je partage. « Ils veulent nous faire croire que nous devons choisir entre liberté et sécurité. Or, une démocratie n'a pas à faire ce choix. »

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