Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du 11 février 2016 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 9 heures 30.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, président.

La Commission procède à l'audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur sur le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence (n° 3487).

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Nous accueillons ce matin M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, venu présenter le projet de loi prorogeant l'état d'urgence. Ce projet, déjà approuvé par le Sénat, sera débattu en séance publique le mardi 16 février.

La commission des Lois, vous ne l'ignorez pas, a demandé à disposer des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, en application de l'article 5 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Dans ce cadre, elle a étroitement collaboré avec vos services, monsieur le ministre, et nous vous en remercions. Nous avons ainsi pu analyser le déroulement de l'état d'urgence, son efficacité et l'ampleur des restrictions de libertés qu'entraîne nécessairement un état d'exception comme celui-ci.

Compte tenu du projet de loi que vous nous présentez, qui vise à proroger une nouvelle fois l'état d'urgence, nous ne rendrons pas, à ce stade, de rapport final, mais un rapport d'étape, dans le courant du mois de mars. Nous continuerons donc à travailler de la même façon. À ce titre, je demanderai la prorogation des pouvoirs de la Commission en application de l'article 5 ter, et je solliciterai de mes collègues ma nomination comme rapporteur en remplacement de M. Jean-Jacques Urvoas, désormais garde des Sceaux.

Je vous prie enfin de bien vouloir excuser l'absence de M. Jean-Frédéric Poisson, retenu dans les Yvelines.

Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

Monsieur le président, je commence par vous adresser mes plus sincères félicitations pour votre élection à la tête de cette commission.

Depuis le 13 novembre 2015, notre pays est confronté à une menace terroriste d'une gravité sans précédent. Voici maintenant trois mois, 130 victimes innocentes ont en effet perdu la vie en plein coeur de Paris et aux abords du Stade de France, tandis que des centaines d'autres resteront longtemps marquées dans leur chair, parfois pour le restant de leurs jours. Jamais jusqu'alors nous n'avions été confrontés à des attentats d'une telle ampleur sur le sol national.

Comme vous le savez, le Président de la République et le Premier ministre ont pris alors toutes les mesures qui s'imposaient, décrétant notamment l'état d'urgence sur l'ensemble du territoire national, afin de donner aux autorités de l'État les moyens, dans ces circonstances, de préserver l'ordre public et de prévenir la commission de nouveaux attentats.

Le 20 novembre, le Parlement a adopté à la quasi-unanimité la loi modernisant la loi de 1955 et prorogeant l'état d'urgence pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015.

Aujourd'hui, la persistance de menaces susceptibles de nous frapper à tout moment conduit le Gouvernement à vous soumettre une nouvelle loi de prorogation de l'état d'urgence pour une durée supplémentaire de trois mois.

Durant trois mois, votre Commission a contrôlé de façon extrêmement méticuleuse la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Aucun courrier n'est resté sans réponse ; Jean-Jacques Urvoas, Jean-Frédéric Poisson et depuis quelques jours Dominique Raimbourg ont reçu quotidiennement du ministère de l'Intérieur — une équipe spéciale ayant été mise en place — des éléments statistiques sur l'état d'urgence. Je souhaitais que le Parlement puisse, en temps réel, contrôler les actions de l'exécutif. Je tiens d'ailleurs à rendre hommage à leur travail. Il vous appartiendra de juger de la qualité de ce contrôle, mais je considère que le vote d'un amendement dans la réforme constitutionnelle le consacrant est une démonstration nette de la reconnaissance faite par le pouvoir constituant des dispositifs inédits que nous avons mis en place.

Je crois utile de commencer par rappeler l'état d'esprit dans lequel nous proposons au Parlement d'adopter cette nouvelle loi de prorogation.

L'exception au droit commun fait, contrairement à ce que j'ai pu parfois entendre, partie intégrante de l'histoire républicaine française. Tout État démocratique a en effet le devoir de prévoir un dispositif d'exception susceptible de lui donner les moyens de faire face à une situation d'une extrême gravité. Mais il doit bien évidemment le faire dans le respect scrupuleux des principes démocratiques et en prévoyant toutes les garanties permettant de s'assurer qu'il n'en sera fait usage qu'en cas de stricte nécessité.

La loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence vise ainsi à nous permettre de lutter contre tout « péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » ou contre des « événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Nul ne conteste que les attentats du 13 novembre répondaient à cette définition.

Mais, si nous devons faire preuve de fermeté et de détermination, nous devons également agir dans la pleine conscience de notre responsabilité. L'état d'urgence n'est pas, je le redis très solennellement devant vous, le contraire de l'État de droit : il en est au contraire, dès lors que la situation l'exige, le bouclier.

Contrairement à ce qui a pu être dit ici ou là de façon très approximative, l'état d'urgence n'est pas non plus synonyme d'arbitraire. Les raisons justifiant d'y avoir recours, sa déclaration comme sa prorogation, ainsi que les actes et les décisions pris sur son fondement, sont tous prévus et strictement encadrés par la loi.

Par principe, l'état d'urgence n'a pas vocation à durer plus longtemps qu'il n'est nécessaire. Sa légitimité réside précisément dans ce caractère provisoire, déterminé par la persistance du péril imminent qui a justifié sa déclaration. Je vous présenterai dans quelques instants les données factuelles qui amènent le Gouvernement à juger que ce péril demeure bien réel.

J'ajoute enfin que, avec la loi du 20 novembre 2015 et cette nouvelle loi de prorogation, nous demeurons fidèles à l'ambition républicaine et progressiste qui animait les rédacteurs de la loi de 1955, Pierre Mendès France et Edgar Faure : ils considéraient en effet que l'état d'urgence constituait une alternative « libérale » à l'état de siège.

C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité prévoir des garanties supplémentaires, telles que l'interdiction de procéder à des perquisitions administratives « dans un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes », la nécessité d'informer le procureur de la République avant et après la perquisition, ou le contrôle du juge administratif, y compris dans l'urgence. J'ajoute que le contrôle parlementaire a permis de démontrer que l'ensemble de ces dispositions ont été très scrupuleusement mises en oeuvre par mes services.

Je veux maintenant vous présenter un bilan précis des mesures que nous avons mises en oeuvre dans le cadre de l'état d'urgence et des résultats qu'elles ont d'ores et déjà permis d'obtenir.

Depuis le 13 novembre dernier, 3 340 perquisitions administratives ont été réalisées. Elles ont notamment permis la saisie de 578 armes, qui se répartissent de la manière suivante : 220 armes longues ; 169 armes de poing ; 42 armes de guerre ; 147 autres armes, qui pour la plupart présentent un caractère de dangerosité élevé. De plus, 395 interpellations ont eu lieu, entraînant 344 gardes à vue.

Au lendemain des attentats du 13 novembre, l'État a fait le choix de créer un effet de surprise pour éviter toute réplique éventuelle et déstabiliser les filières liées à des activités terroristes. Nous y sommes d'ores et déjà parvenus.

J'entends ici et là des raccourcis, dont je vois bien le but qu'ils servent, mais qui ne correspondent pas à la réalité. J'ai ainsi lu que toutes nos actions depuis la mise en place de l'état d'urgence n'avaient conduit qu'à cinq mises en cause pour terrorisme. Certains souhaitent, en relayant ce chiffre, apporter la démonstration que le risque, ce n'est pas le terrorisme, mais l'état d'urgence. Je veux être très clair. On ne peut pas savoir aujourd'hui combien de personnes seront, in fine, mises en cause pour des infractions terroristes : une grande partie des éléments récupérés lors des perquisitions n'ont pas encore été exploités, notamment les données informatiques. C'est au terme des investigations que nous pourrons connaître le nombre de réseaux démantelés, le nombre de personnes concernées, et les résultats pour la lutte antiterroriste des perquisitions menées.

Les enquêtes récentes devraient également montrer à tous qu'il existe une grande porosité entre la petite délinquance, la grande délinquance et le terrorisme. Souvent, nous avons procédé à des perquisitions chez des personnes qui appartiennent à des réseaux de trafiquants dont nous pensons qu'ils contribuent aussi à financer des activités à caractère terroriste : les investigations en cours établiront la nature précise de ces connexions.

Enfin, considérer qu'une mesure de police administrative, ou une perquisition administrative, n'est pas pertinente, sous prétexte qu'elle n'a pas permis de trouver ce que nous attendions, c'est un raisonnement absurde : si nous étions sûrs de ce que nous allons trouver, s'il était établi que des infractions ont été commises, alors nous procéderions à des perquisitions judiciaires. La perquisition administrative a, je le rappelle, vocation à prévenir des troubles à l'ordre public. Mesurer son efficacité à l'aune de celle d'une perquisition judiciaire, c'est manquer de rigueur intellectuelle.

Le débat public sur ces sujets est pollué par de nombreuses considérations dont je comprends la logique politique, mais dont je conteste absolument la rigueur intellectuelle. Pour ma part, je considère que politique et rigueur intellectuelle doivent aller de pair, et je profite de ce moment devant vous pour apporter ces précisions — dont je sais bien qu'elles ne convaincront pas ceux qui raisonnent de cette façon, mais il est bon parfois d'expliquer quels sont les considérants qui guident notre action. Ces considérants sont républicains. Il peut y avoir eu des manquements. Cela ne doit appeler qu'un surcroît de rigueur, et je dois vous dire ma tristesse de la voir si peu présente ces jours-ci.

J'ai pour ma part identifié certains de ces manquements. Je pense notamment à une perquisition dans une ferme biologique du Périgord — on a alors dit que je faisais un mea culpa... Je pense également aux conditions d'une autre perquisition, le 17 novembre, cette fois dans une mosquée à Aubervilliers, où les choses ne se sont pas passées comme je l'aurais souhaité. Le contrôle, cela commence par le contrôle du ministre sur ses services. En la matière, j'ai une grande exigence et une ferme détermination. J'ai donc adressé à l'ensemble de mes services, le 25 novembre dernier, une circulaire reprenant mes instructions précises : tous doivent agir de façon irréprochable. J'ai transmis l'ensemble de ces documents aux rapporteurs de votre commission, qui ont pu ainsi mesurer le décalage qui peut exister entre cette circulaire et le déroulement concret de nos actions. Vous conduisez votre contrôle parfois sur pièces et sur place, et je ne peux que m'en réjouir : non seulement ce n'est pas un problème pour mon administration, mais c'est un aiguillon, une sécurité, à laquelle nous tenons beaucoup. Nous sommes heureux de travailler en étroite liaison avec le Parlement.

Je souhaite également informer la Commission des suites judiciaires qui ont été pour l'heure réservées à ces mesures, et tout particulièrement aux perquisitions.

Au total, 576 procédures judiciaires ont été ouvertes. Sur les 344 gardes à vue, 67 condamnations ont d'ores et déjà été prononcées et 54 décisions d'écrou ont été prises, soit respectivement 19,5 % et 16 % des gardes à vue. Ce sont là, comme on le sait dans cette commission, des chiffres très élevés.

Si l'on s'en tenait au seul chiffre des procédures ouvertes sous la qualification terroriste — 29 procédures, dont 23 pour apologie du terrorisme —, le bilan pourrait sembler modeste. Mais ce serait, je l'ai souligné tout à l'heure, une erreur de méthode. Les perquisitions ont pour effet, je l'ai déjà souligné, de désorganiser les réseaux qui arment et financent le terrorisme, en particulier à travers les trafics d'armes et de stupéfiants. C'est donc tout un environnement logistique que nous avons frappé.

Les saisies d'espèces, qui s'élèvent à plus de 1 million d'euros, permettent également aux services du ministère de l'économie et des finances d'ouvrir des enquêtes particulièrement utiles. Les données numériques qui ont été saisies et qui sont, je le redis, en cours d'exploitation, déboucheront certainement aussi, j'en suis convaincu, sur de nouvelles mises en cause.

La mise en oeuvre de l'état d'urgence a d'ores et déjà permis aux forces de sécurité d'accomplir un travail considérable. La lutte contre le terrorisme se poursuit avec une absolue détermination. À ce jour et depuis 2013, le travail minutieux de nos services de renseignement a ainsi permis de déjouer onze attentats, outre les deux tentatives qui ont échoué à Villejuif et à bord du Thalys reliant Amsterdam à Paris. Je veux, par conséquent, saluer le travail réalisé par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) dont je veux rappeler qu'elle est saisie, en propre ou avec la police judiciaire, du suivi de 216 dossiers judiciaires concernant 1 038 individus pour leur implication dans des activités liées au terrorisme djihadiste. Parmi eux, 320 ont d'ores et déjà été interpellés et 13 font l'objet d'un mandat d'arrêt international ; 199 ont été mis en examen, 153 ont été écroués et 46 font l'objet d'un contrôle judiciaire. Ces chiffres montrent bien à quel point l'action quotidienne des services, sous l'autorité de la justice, porte ses fruits, permettant d'empêcher que des actions violentes, voire des attentats, ne soient commis sur notre sol.

Je voudrais également indiquer — comme je l'ai fait au Sénat — que, depuis le début de l'année 2016, ce sont 40 individus qui ont été interpellés, soit parce qu'ils s'apprêtaient à commettre des actes violents sur le territoire national, soit parce qu'ils alimentaient des filières terroristes conduisant des ressortissants de notre pays à s'engager sur le théâtre des opérations en Irak et en Syrie, soit parce qu'ils faisaient l'apologie du terrorisme et diffusaient une propagande destinée à favoriser le départ de nos concitoyens vers l'Irak et la Syrie. La moitié de ces individus ont été placés sous contrôle judiciaire ou sous écrou. C'est un chiffre considérable, qui montre l'importance de la menace à laquelle nous sommes confrontés.

Je voudrais à présent vous rappeler les garanties qui ont été prises afin de nous assurer que les mesures mises en oeuvre au titre de l'état d'urgence respectent scrupuleusement, comme je le disais en introduction, les exigences de l'État de droit.

En premier lieu, afin de préserver les garanties dont doivent bénéficier les personnes mises en cause et la sécurité juridique des procédures, des directives extrêmement précises ont été données, dès le lendemain des attentats, en vue d'associer pleinement l'autorité judiciaire, en l'occurrence les procureurs de la République, aux opérations de perquisition administrative, et ce en parfait accord avec la Chancellerie. Lors de contrôles sur pièces et sur place, dans les préfectures, vous avez certainement pu vous rendre compte de cette coopération.

En deuxième lieu, le législateur a veillé à ce que les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence fassent l'objet d'un contrôle juridictionnel, qui n'était pourtant pas systématiquement prévu par la loi de 1955.

Ce contrôle est exercé à titre principal par le juge administratif. Certains ont pu déplorer l'absence, dans ce dispositif, du juge judiciaire, y voyant une mise à l'écart plus ou moins délibérée. Pourtant, il ne s'agit là que de l'application de principes de droit extrêmement anciens, et en aucun cas attentatoires aux principes généraux du droit français et de la démocratie. Depuis 1790, c'est-à-dire un an après la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le législateur a prévu que le juge judiciaire n'a pas à connaître des actes du pouvoir exécutif. L'arrêt Blanco de 1873 a confirmé cette séparation, et le Conseil constitutionnel a encore, en 1987, confirmé que le juge administratif avait toute légitimité pour contrôler les actes pris par le Gouvernement dans le cadre des mesures de police administrative, dès lors qu'ils n'entraient pas dans le champ de l'article 66 de la Constitution.

Il est donc faux de dire qu'il n'y a pas de juge, puisqu'il y a un juge administratif ; que le contrôle du juge administratif est une incongruité juridique, puisque c'est au contraire un principe du droit français depuis la Révolution ; que l'ensemble de cette architecture est juridiquement incongru et ne résulte que de l'état d'urgence. Il est encore faux de prétendre que ce dispositif n'est pas efficace : le juge administratif a remis en cause certaines décisions du Gouvernement, ce qui est le signe qu'un contrôle rigoureux existe, que le juge est bien présent, et qu'il n'est en rien complaisant.

Ce sont là des faits qui ne sont pas contestables, et qui témoignent de la bonne foi de ceux qui souhaitent renforcer la sécurité des Français dans un contexte de menace plus élevée que jamais, sans remettre en cause ni les principes du droit ni les libertés.

S'agissant des assignations à résidence, 400 ont été prononcées depuis le début de l'état d'urgence. Parmi elles, 27 concernaient des personnes susceptibles de constituer une menace pour l'ordre et la sécurité publics dans le contexte de la conférence internationale sur le climat ; elles se sont tout naturellement éteintes à l'issue de la COP21, c'est-à-dire dès le 12 décembre. Par ailleurs, 46 autres assignations ont été spontanément abrogées lorsque des éléments nous ont permis de lever les doutes sur la dangerosité des personnes concernées.

Enfin, s'agissant des contentieux administratifs, 160 référés — dont 125 référés-liberté et 35 référés-suspension — ont été soumis à la juridiction administrative ; 12 suspensions seulement ont été prononcées, ce qui traduit tout à la fois le sérieux des procédures engagées par le ministère de l'Intérieur et la parfaite indépendance de la juridiction administrative qui n'hésite pas à prononcer des annulations quand la situation l'exige.

Par ailleurs, si 110 recours au fond ont été introduits, une seule annulation a été prononcée jusqu'à présent. Je précise qu'aucune de ces annulations n'a concerné des personnes assignées à l'occasion de la COP21 alors que 90 % des personnes assignées à ce titre ont déposé un recours — 9 référés sur 10 assignations notifiées. Il a en effet été jugé que ces assignations ne méconnaissaient pas le principe de proportionnalité, s'agissant d'individus présentant un risque pour l'ordre public dans le contexte que vous connaissez.

Aujourd'hui, 285 assignations à résidence sont toujours en vigueur, dont 83 % concernent des individus surveillés par nos services de renseignement — contrairement à ce que j'ai pu lire, ce sont bien ceux qui sont suivis parce qu'ils sont des islamistes radicaux qui sont notre cible. À la fin de l'état d'urgence, leur assignation à résidence cessera de plein droit, même si, bien sûr, il y aura des suites judiciaires et administratives de droit commun lorsque les conditions seront réunies.

De même, je tiens à souligner que les interdictions de manifester qui ont été décidées par les préfets jusqu'au 12 décembre 2015 étaient pleinement justifiées par l'impossibilité dans laquelle se trouvait alors le Gouvernement de garantir le maintien de l'ordre public dans ces circonstances particulières, alors que nos forces étaient déjà mobilisées pour protéger les Français et assurer le bon déroulement de la COP21. Ces interdictions ont par ailleurs été circonscrites dans le temps et dans l'espace : elles n'ont été effectives que pendant la durée de la COP21 à Paris et en banlieue, sur des aires territoriales bien définies, et pendant trois jours seulement, du 28 au 30 novembre, en province. Voilà ce que l'on a appelé « la remise en cause des libertés publiques » !

La liberté de manifester, à laquelle je suis comme vous particulièrement attaché, demeure bien évidemment la règle dans notre pays, comme chacun a encore pu le constater au cours de ces dernières semaines à l'occasion de plusieurs mouvements sociaux. Le 30 janvier, on a même vu défiler, sous la protection des forces de l'ordre — j'avais donné toutes les instructions nécessaires —, des manifestants qui dénonçaient l'état d'urgence.

Concernant les mosquées et salles de prière, 45 d'entre elles ont fait l'objet d'une perquisition administrative, et 10 ont été fermées. Ces lieux, dont certains étaient des établissements recevant du public totalement clandestins, constituaient en effet autant de bases arrière pour la propagande d'un islam incompatible avec les valeurs de la République, encourageant ou légitimant la commission d'actes mettant en péril l'ordre et la sécurité publics.

Ainsi, la mosquée de Lagny, en Seine-et-Marne, abritait une école coranique totalement dissimulée et parfaitement illégale et nous étions donc absolument fondés à invoquer cette disposition de la loi sur l'état d'urgence. Mais au-delà de ce motif, nous avons recueilli des éléments, au cours de perquisitions administratives, qui nous permettent clairement d'indiquer que cette mosquée était un élément structurant d'une filière de recrutement de djihadistes, parmi lesquels Hayat Boumeddiene, compagne d'Amedy Coulibaly, qui a rejoint la Syrie en décembre 2014, quelques jours avant l'attentat de l'Hyper Casher.

Enfin, je n'ai pas besoin de rappeler à nouveau que l'état d'urgence est soumis à un contrôle parlementaire d'une portée inédite.

J'en viens à la prorogation de l'état d'urgence et aux raisons pour lesquelles nous la croyons absolument nécessaire. Votre rapporteur Pascal Popelin, qui a été présent à toutes les réunions que j'ai programmées place Beauvau avec les représentants des autres groupes parlementaires pour traiter de ce sujet, vous le confirmera : force est de constater que, plusieurs mois après les actes terroristes du 13 novembre, ce péril qui menace la France n'a pas disparu.

Je pourrais ici dresser une liste de tous les attentats perpétrés récemment, en France, ou contre nos ressortissants à l'étranger. Ainsi, une personne a été interpellée à Tours, et d'autres à Orléans ; toutes s'apprêtaient à commettre des attentats. Un couple demeurant à Montpellier a été mis en examen et écroué pour avoir préparé tout un arsenal destiné là encore à commettre un attentat. J'ai fait état des quarante personnes interpellées depuis le début de l'année 2016, ce qui montre l'intensité du travail des services, mais surtout du haut niveau de risque. Je pourrais encore rappeler l'agression qui a eu lieu devant le commissariat du 18e arrondissement de Paris, ainsi que l'agression à l'arme blanche, par un jeune lycéen qui s'était radicalisé sur internet, d'un professeur d'une école juive de Marseille.

Mon devoir est de dire à la représentation nationale la vérité sur le risque terroriste : il est plus important que jamais. Les chiffres précis que je viens de vous donner en témoignent. Dès lors, il faut maintenir un dispositif qui nous permette de continuer à agir — nous agirons toujours, quoi qu'il en soit, en respectant les mêmes principes : un principe de très stricte nécessité, un principe d'absolue proportionnalité.

Nous avons aussi la volonté de préparer les mesures de sortie de l'état d'urgence, qui n'a pas vocation à durer indéfiniment. Grâce à un ensemble d'outils et de mesures de police administrative de droit commun et à des dispositions législatives en cours de discussion au Parlement, notre pays pourra, hors le cadre de l'état d'urgence, continuer à agir, y compris dans le suivi de ceux qui ont fait l'objet de mesures de police administrative prises sur le fondement de l'état d'urgence.

Ainsi, lorsqu'une assignation à résidence, parfois doublée d'une perquisition, a permis d'aboutir à des éléments suffisamment probants, les magistrats auront la possibilité de procéder à sa judiciarisation, qui contribuera à la protection de la société face à ceux qui peuvent commettre un acte illicite de nature à troubler l'ordre public. Au moment où nous entrerons dans cette phase, nous aurons apporté la démonstration que ce que nous avons fait en matière de police administrative a été efficacement relayé par l'autorité judiciaire. Il est donc absurde d'opposer prévention et judiciarisation, alors que la première étape justifie parfois la seconde, et que notre seul souci est de protéger les Français dans le respect rigoureux des libertés publiques.

D'autre part, par-delà la judiciarisation, nous serons en situation de mobiliser diverses mesures de police administrative destinées à éviter que ceux qui ont été assignés à résidence ne puissent commettre des actes. Lorsque les personnes assignées à résidence sont des étrangers se livrant à des actes à caractère terroriste ou diffusant une propagande, leur expulsion est tout à fait possible. J'ai d'ailleurs, depuis le début de l'année 2016, proposé cinquante expulsions pour ces raisons. C'est très significatif par rapport à ce qui a pu être fait auparavant.

De la même manière, l'interdiction de sortie du territoire votée dans le cadre de la loi du 13 novembre 2014 peut être mobilisée, comme l'interdiction du territoire pour ceux dont il aura été révélé qu'ils sont en dehors du territoire national en lien avec les réseaux que nous aurons contribué à neutraliser. La loi pénale défendue par le garde des sceaux prévoit également le renforcement de diverses mesures de police administrative. Elles seront exercées sous la vigilance du juge, puisque le procureur de la République en sera informé et qu'il pourra y mettre fin s'il estime qu'elles ne sont pas proportionnées. Ces mesures pourront prendre le relais de l'état d'urgence.

Pour conclure, je voudrais rappeler que le niveau de menace reste extrêmement élevé et que l'état d'urgence nous a permis de traiter de nombreuses questions avec efficacité, mais que nous n'avons pas l'intention d'y rester toujours. Le maintenir pendant trois mois, alors même que nous sommes en train d'engager des dispositions législatives nouvelles et que les éléments récupérés permettent de mobiliser, dans le cadre du droit commun, des mesures de police administrative efficaces, nous garantit la sécurité, la sortie à terme de l'état d'urgence, la prise de relais par des mesures de droit commun, d'ores et déjà prévues par notre législation ou susceptibles de l'être dans le cadre des discussions à venir.

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Nous voici saisis, pour la deuxième fois, d'une demande de prorogation de l'état d'urgence, décrété par le Président de la République à la suite des attentats meurtriers qui ont frappé Saint-Denis et Paris le 13 novembre dernier.

Je mesure pleinement la responsabilité de rapporter ce projet de loi. C'est en effet au Parlement, et à lui seul, qu'il appartient de décider de prolonger, ou non, cette légalité d'exception. Nous avons donc pour rôle de vérifier que les conditions de l'état d'urgence sont toujours réunies, de calibrer la durée de la prorogation et de fixer l'étendue des mesures dérogatoires. Mais nous devons aussi demeurer vigilants sur les conséquences de ces décisions pour les libertés publiques.

La première question qu'il nous faut trancher est celle de la permanence de la menace. Notre pays demeure l'une des cibles privilégiées de la nébuleuse terroriste. Dar al-Islam, le journal francophone de propagande de Daech, s'en prend, numéro après numéro, à nos institutions, à notre modèle de société et à notre manière de vivre. L'engagement de nos armées sur le théâtre syro-irakien et au Sahel frappe durement les groupes islamistes. La présence de plus de 600 de nos ressortissants dans les rangs de Daech et d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) fait aussi de la France le pays d'Europe le plus directement concerné par ces phénomènes.

Ces groupes terroristes n'ont d'ailleurs pas désarmé dans le monde depuis les attentats qui ont frappé notre pays en janvier et en novembre 2015. Le 20 novembre, deux terroristes ont attaqué l'hôtel Radisson Blu de Bamako, au Mali, essentiellement fréquenté par des Occidentaux. Le 12 janvier 2016, un attentat suicide perpétré à Istanbul a causé la mort de dix touristes allemands. Plusieurs attentats ont été déjoués en Belgique et en Allemagne, à la fin de l'année dernière.

Au regard du risque de récidive sur le sol national, tel que vous venez de la détailler, monsieur le ministre, la condition de « péril imminent » posée par la loi du 3 avril 1955 pour la mise en oeuvre de l'état d'urgence me paraît, malheureusement, satisfaite. C'est aussi l'avis que le Conseil d'État a exprimé, lorsqu'il a statué en référé, le 27 janvier 2016, sur la décision implicite de ne pas mettre fin à l'état d'urgence de manière anticipée, ou lorsqu'il a été consulté, le 2 février, sur ce projet de loi de prorogation.

La nécessité de la prorogation étant à mes yeux établie, j'en viens à la question de sa durée. Il nous est proposé de prolonger cette légalité d'exception jusqu'au 26 mai 2016. Comme toute législation de salut public, l'état d'urgence doit être limité dans le temps et strictement interprété. Il « ne peut être que temporaire », comme l'a rappelé le Conseil d'État.

Cette prorogation permettra à l'autorité administrative de continuer à recourir aux mesures de la loi du 3 avril 1955, telle que nous l'avons fait évoluer par la loi du 20 novembre 2015 : perquisitions administratives, assignations à résidence, mais aussi possibilité de fermetures administratives ou d'interdictions de manifester.

Vous venez de détailler, monsieur le ministre, l'efficacité de ces perquisitions pour saisir des armes et — c'est à mon avis capital — pour collecter du renseignement. Les assignations à résidence ont également contribué à déstabiliser des réseaux terroristes. Le contrôle parlementaire a toutefois montré que les perquisitions ou assignations nouvelles ont été de moins en moins nombreuses à compter du mois de décembre.

Nous serons donc attentifs, comme le président de la Commission l'a rappelé, à l'usage des prérogatives prévues par la loi de 1955, telle que modifiée en novembre dernier. La contrepartie à ces mesures dérogatoires, qui limitent par nature des libertés publiques, est en effet l'existence de garanties solides.

Le contrôle parlementaire, introduit dans la loi et qu'il est proposé d'introduire sur ce point dans la Constitution, fut mis en place de manière dynamique à l'initiative de Jean-Jacques Urvoas lorsqu'il présidait notre commission. Il joue un rôle de garde-fou. Je salue, à cet égard, le souhait de notre nouveau président Dominique Raimbourg de poursuivre personnellement ce travail dans le même esprit, avec notre collègue Jean-Frédéric Poisson et l'ensemble des membres de la commission des Lois.

Grâce aux déplacements ou aux auditions qui sont conduites, notre contrôle a permis de mieux comprendre l'usage concret qui a été fait de l'état d'urgence. Les investigations ont dissipé certaines accusations proférées à l'encontre des forces de l'ordre et parfois reprises trop hâtivement par la presse. Elles ont aussi mis en lumière quelques décisions inappropriées — vous en avez cité quelques-unes — qui ont conduit le Gouvernement et les services du ministère de l'Intérieur à un pilotage rigoureux des mesures mises en oeuvre dans les départements.

Le Défenseur des droits et ses correspondants locaux jouent également un rôle important pour identifier d'éventuelles erreurs. Sur les 3 720 perquisitions et assignations ordonnées, 42 avaient été signalées au début de ce mois. C'est peu, même si c'est toujours trop.

Au-delà de ce nécessaire travail qui entre pleinement dans le champ des prérogatives du Parlement, c'est le contrôle juridictionnel qui constitue la principale garantie de chaque citoyen ou de chaque habitant de notre pays. En choisissant, au mois de novembre, de remplacer les commissions départementales ad hoc, qui avaient été prévues en 1955, par des voies de recours de droit commun, nous avons témoigné de notre confiance aux juridictions administratives, et singulièrement à l'office du juge des référés.

Les mesures prises au titre de l'état d'urgence ont suscité un contentieux limité en nombre, mais significatif. Pour 87 référés-liberté devant les tribunaux administratifs et 33 procédures devant le juge des référés du Conseil d'État, ce sont 6 injonctions et 12 suspensions, dont l'une avant-hier encore, qui ont été prononcées. Pour 17 référés-suspension en première instance et un en appel, 3 suspensions totales ou partielles ont été prononcées. Enfin, 7 recours au fond ont conduit à une seule annulation.

Ces décisions — en particulier celles du 11 décembre et du 6 janvier —, ont permis au Conseil d'État de faire évoluer sa jurisprudence et de l'adapter aux enjeux du contrôle pendant l'état d'urgence. Elles ont encouragé les tribunaux administratifs à mettre en oeuvre un « entier contrôle », encore renforcé par la convocation systématique d'audiences et l'utilisation inédite de mesures d'instruction pour compléter l'information des magistrats.

Dans ce contexte, la commission des Lois du Sénat, saisie en premier, a accepté la prorogation pour trois mois de l'état d'urgence, en n'opérant qu'une modification purement rédactionnelle du texte proposé par le Gouvernement. Avant-hier soir, le Sénat a confirmé cette autorisation à une très large majorité.

Afin de permettre l'entrée en vigueur, sans rupture, de cette nouvelle loi de prorogation, et compte tenu de tout ce qui précède, je vous propose de voter conforme le texte, tel qu'il vient de nous être transmis par nos collègues sénateurs.

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Monsieur le Ministre, notre commission a l'intention de poursuivre son travail de contrôle de l'état d'urgence auquel vos services et vous-même avez collaboré — ce dont je vous remercie. Grâce à ce travail et grâce à la vigilance des juges, les restrictions imposées aux libertés n'ont pas été jugées trop importantes. Sans doute, il s'agit d'un état d'exception, mais il n'a fait l'objet que de rares critiques, les erreurs ayant été peu nombreuses.

Je voudrais néanmoins vous poser quelques questions. La première concerne les assignations à résidence. Sauf erreur de ma part, la prorogation de l'état d'urgence entraîne la fin du premier état d'urgence et le commencement d'un deuxième. En conséquence, les assignations à résidence qui ont été prononcées seront caduques et il vous faudra prendre de nouvelles mesures. Cela sera-t-il l'occasion de revoir l'opportunité et les modalités de chacune des assignations décidées dans la première période ? Comment envisagez-vous la judiciarisation ou la fin de certaines d'entre elles ? À quel pourcentage de poursuites pénales peut-on s'attendre ?

Les renseignements recueillis à l'occasion des perquisitions ont donné lieu à la copie de données numériques. Quelles suites peut-on attendre de leur exploitation qui est en cours ? De nouvelles perquisitions ou investigations seront-elles décidées ?

L'analyse des données que vous nous avez fournies démontre que l'état d'urgence a été invoqué à plusieurs reprises pour des raisons de maintien de l'ordre, courant novembre et courant décembre. Y avait-il un lien avec l'organisation de la COP21 ou d'autres raisons expliquent-elles que la référence à l'état d'urgence soit désormais beaucoup moins utilisée ?

Une prorogation de l'état d'urgence à partir du 26 février nous mènerait jusqu'au 26 mai. Or un important événement sportif doit se dérouler en juin, le championnat d'Europe de football. Cette compétition va attirer un grand nombre de supporters sur le territoire français. Des mesures spécifiques s'imposent-elles en vue de cet Euro 2016 ? Faudra-t-il envisager une nouvelle prorogation ? Une sortie de l'état d'urgence à cette époque est-elle compatible avec ce championnat ?

Enfin, vous avez répété — et les membres de notre commission partagent largement cette idée — que l'état d'urgence est forcément limité dans le temps. Vous avez fait état de mesures de droit commun qui permettront de protéger nos concitoyens autant que faire se peut et de répondre à la menace terroriste. Un projet de loi est en cours d'examen, mais d'autres mesures de droit commun seront-elles nécessaires ?

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Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

Vous évoquez des questions de nature diverse, qui renvoient, pour certaines d'entre elles, à des problèmes assez complexes.

Qu'advient-il des assignations à résidence au terme de la première période de l'état d'urgence ? Elles seront caduques le 26 février et il faudra renouveler et motiver celles dont nous souhaiterons qu'elles continuent à produire leurs effets.

En raison des éléments qu'auront pu recueillir les forces de sécurité intérieure sous l'autorité des juges, certaines de ces assignations conduiront à une judiciarisation. Rappelons que le taux de judiciarisation des assignations et des procédures ouvertes s'établit à 17,3 %, ce qui, au regard des perquisitions et mesures de même nature prises dans le cadre judiciaire, est très élevé : il témoigne de l'efficacité des mesures prises. Nous aurons donc la possibilité de donner des suites judiciaires à ce qui relevait des mesures de police administrative.

D'autre part, à travers la loi du 13 novembre 2014, comme à travers celle sur le renseignement – dont les décrets d'application ont quasiment tous été adoptés, à l'exception de ceux qui devaient faire l'objet d'un avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), récemment constituée –, nous avons la possibilité de mobiliser les moyens qui prendront le relais de ce que nous avons fait en régime d'état d'urgence. Il sera par exemple possible d'interdire la sortie du territoire à des individus précédemment assignés à résidence, si nous estimons que le risque existe qu'ils se rendent sur des théâtres d'opérations terroristes. Si leurs agissements ne peuvent faire l'objet d'une judiciarisation, une mesure d'interdiction de sortie du territoire restera possible pour eux.

S'il apparaît, au terme des procédures en cours, que des individus assignés à résidence sont en contact avec des personnes résidant sur le théâtre des opérations terroristes après avoir résidé dans notre pays, elles pourront faire l'objet soit de mesures d'expulsion, soit de mesures d'interdiction du territoire. Nous aurons aussi la possibilité de mobiliser l'activité de renseignement pour prendre le relais.

Ainsi, les dispositions existantes et celles qui figureront dans la loi présentée par le garde des Sceaux offriront un ensemble de dispositifs, relevant du droit commun, qui permettront la sortie de l'état d'urgence.

Vous demandez par ailleurs si nous aurons besoin d'autres mesures. Nous en avons déjà pris beaucoup avant et après les attentats du mois de janvier. Une loi avait été adoptée en 2012, tandis que la loi du 13 novembre 2014 offre un ensemble de moyens de police administrative, qui vont du blocage administratif des sites internet à l'interdiction de sortie du territoire, et qui donnent à nos services la possibilité d'intervenir sous pseudonyme sur internet, pour participer à des forums de discussion sur lesquels la commission d'attentats peut être envisagée ou le départ vers les zones de combat évoqué. La loi relative au renseignement adoptée en juillet dernier a été promulguée, et ses textes d'application sont mis en oeuvre. Elle permet essentiellement — pour ne pas dire presque exclusivement, pour les techniques les plus intrusives — de mobiliser des moyens dont nous ne disposions pas encore récemment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Lorsque l'on voit, par exemple, qu'une grande partie de ceux qui ont commis des actes les ont préparés en utilisant des moyens de communication cryptés et qu'ils ont mobilisé les moyens numériques pour échanger entre eux en vue de la commission de ces attentats, on comprend que la loi relative au renseignement était indispensable. Nous disposons par conséquent déjà de tout un ensemble de dispositions législatives qui nous permettent d'être aujourd'hui beaucoup plus efficaces que nous ne l'étions hier face à des individus qui se sont adaptés.

Une grande partie des mesures nécessaires supplémentaires relève du cadre européen. Vous savez que la France a présenté un agenda au Conseil « Justice et affaires intérieures » qui s'est tenu le 25 janvier à Amsterdam. Il contient des mesures extrêmement précises : mise en place de la réforme de l'article 7-2 du code Schengen ; consultation systématique du Système d'information Schengen (SIS) ; alimentation du SIS en des termes identiques par l'ensemble des services de renseignement ; possibilité de mettre en place une force opérationnelle (task-force), destinée à lutter contre les faux documents, dans les centres d'enregistrement (hotspots) comme sur le territoire de l'Union européenne, parce que ces équipes doivent être projetables ; modification du règlement Eurodac en vue de pouvoir l'utiliser à des fins de sécurité ; possibilité de connexion du SIS aux fichiers criminels européens. Ainsi, il sera possible d'atteindre un niveau d'efficacité de la lutte contre le terrorisme tel que nous ne le connaissons pas encore, ce qui explique une grande partie des « trous dans la raquette » dont on parle parfois.

Si nous ne pouvons pas recroiser toutes ces informations, la lutte antiterroriste connaîtra des problèmes lorsque des individus, qui ne sont pas des ressortissants français et qui ne sont pas suivis par nos services, projetteront en Syrie et prépareront dans d'autres pays que le nôtre des attentats qu'ils voudront perpétrer sur notre territoire.

Oui, nous avons besoin de mesures complémentaires, européennes et nationales, car les terroristes s'adaptent à nos ripostes et, si nous voulons être efficaces, nous devons être continuellement, nous aussi, dans un processus d'adaptation de nos dispositifs réglementaires à la guerre qu'on nous livre. Quant à moi, je suis déterminé à faire en sorte qu'aucun interstice ne subsiste, même si cela appelle un combat considérable de tous les instants, car cette guerre est totale.

Nous exploitons tous les renseignements que nous recueillons, dans la perspective de la prévention d'actes terroristes sur le territoire national ou dans d'autres pays de l'Union européenne. Il serait inconséquent de ma part d'entrer dans le détail, mais je peux dire que nous intensifions les relations avec les services de renseignement d'autres pays de l'Union.

Quant à l'Euro 2016, je tiens plusieurs fois par mois des réunions du comité de pilotage de la sécurité de cet événement. J'en ai encore tenu une avant-hier avec le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports et le secrétaire d'État aux sports. Ces réunions, extrêmement importantes, permettent de balayer la totalité des sujets relatifs à la sécurité de cette grande manifestation. Pour les mêmes raisons que celles que j'évoquais tout à l'heure, je ne tiens pas à détailler publiquement les mesures que nous prenons, mais je puis vous dire que ces mesures sont prises avec une grande méticulosité, qu'il y a mise en adéquation des moyens aux risques et que nous serons bien entendu d'une vigilance totale.

En ce qui concerne les manifestations, si certaines d'entre elles sont susceptibles d'occasionner des troubles graves à l'ordre public et que, en raison de la tenue de l'Euro 2016, les forces de sécurité ne peuvent être mobilisées pour le garantir, le droit dans son état actuel, tel que le reflète l'arrêt Benjamin du Conseil d'État de 1933, nous donne tous les outils qui nous permettent de faire le travail correctement.

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Le groupe Les Républicains votera le projet de loi prorogeant l'application de l'état d'urgence. Sans doute serons-nous d'ailleurs appelés à le faire en des termes conformes à ceux qu'a adoptés le Sénat, afin d'en permettre l'application effective dans les délais qui nous sont proposés.

Permettez-moi cependant de faire quatre séries de remarques. La première est une remarque de principe. La menace, ce sont les islamistes terroristes ; la menace, ce n'est pas l'état d'urgence. Cela va de soi, mais disons-le tout de même. Nos ennemis sont des islamistes qui veulent détruire notre société par les moyens de la terreur la plus barbare et face auxquels nous avons le devoir de mobiliser tous les moyens de l'état de droit, dont l'état d'urgence, démocratiquement décidé par le Parlement, sérieusement mis en oeuvre par le Gouvernement et contrôlé, au plan juridictionnel, par la juridiction administrative. Celle-ci exerce un contrôle entier, et son indépendance n'est contestée par personne, en tout cas par aucune personne qui ait un minimum de connaissances et de pratique du droit — faut-il, à ce sujet, rappeler la décision du Conseil constitutionnel de 1980 jugeant que cette indépendance est un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Vous avez donc notre accord de principe quant à l'état d'urgence. Nous l'avions dit en novembre et le redisons aujourd'hui.

S'agissant de l'application de l'état d'urgence, nous avons bien sûr un devoir d'efficacité. La même exigence incombe au Gouvernement et au Parlement, le Parlement ayant le devoir de vérifier l'efficacité des mesures prises par le Gouvernement. C'est pourquoi la commission d'enquête relative aux moyens alloués à la lutte antiterroriste depuis le 7 janvier 2015, présidée par Georges Fenech, fera son office dans les semaines et dans les mois qui viennent. Quant à l'application de la loi sur l'état d'urgence, vous en avez, monsieur le ministre, rendu compte de manière précise au fil des semaines, de manière formelle ici, ou de manière plus informelle au ministère, place Beauvau.

Cependant, un élément suscite diverses interrogations : le rapport entre le nombre d'assignations à résidence et le nombre d'individus connus de vos services parce qu'ils figurent dans le fichier des personnes recherchées et des atteintes à la sûreté de l'État, qu'il est convenu d'appeler les fichés S, ou dans le fichier de traitement des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Je ne dis pas que tous les individus en question doivent être assignés à résidence, mais je m'interroge : ils sont plusieurs milliers et nous ne comptons qu'un peu plus de 400 assignations à résidence ! À l'heure où nous parlons, plusieurs milliers d'individus connus de nos services sont donc parfaitement libres de leurs mouvements. J'entends bien que tous ne sont pas sur le territoire national, mais, tout de même, cette disproportion apparente pose question, et j'aimerais que vous puissiez nous fournir quelques éléments d'analyse.

Ma troisième remarque porte sur le projet de loi lui-même. Je le répète : nous serons sans doute amenés à le voter conforme, compte tenu des délais, mais une question technique ne se pose pas moins. Nous avons été saisis d'un avant-projet de loi portant modification de la loi de 1955 relative à l'état d'urgence. Transmis dans le cadre de l'examen du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, dont la première lecture à l'Assemblée nationale s'est achevée hier, cet avant-projet très intéressant comporte cinq articles, dont l'un conforterait le régime des saisies sous l'empire des perquisitions administratives. J'ai donc cru comprendre que le Gouvernement estime qu'il ne peut être adopté à droit constitutionnel constant. Si tel est le raisonnement, dont acte, mais je regrette un peu que l'on ne tente pas d'ores et déjà de modifier les paramètres, à droit constitutionnel constant, à la faveur de l'examen de ce projet de loi. Il s'agirait de se doter de ces instruments dès maintenant, sans attendre l'hypothétique adoption de la révision constitutionnelle. Naturellement, les dispositions votées pourraient être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel. Nous aurions donc pu essayer d'aller un peu plus loin que vous ne le proposez en adoptant dès à présent tout ou partie des mesures figurant dans cet avant-projet de loi.

Quatrième et dernière remarque, à laquelle vous avez déjà partiellement répondu, il ne faut pas préjuger, aujourd'hui, en février, de ce que nous aurons à faire au mois de mai. Compte tenu de la perspective de l'Euro 2016, entre le 10 juin et le 10 juillet, et, bien au-delà, de la permanence de cette menace extrêmement élevée, nous ne devons pas nous interdire, de manière presque abstraite, d'envisager toutes les options. Ce combat contre le terrorisme islamiste est celui d'une génération. Je ne plaide évidemment pas pour un état d'urgence permanent, mais ne nous payons de mots : peut-être serons-nous amenés, au mois de mai, à considérer que l'état d'urgence doit à nouveau être prolongé. Je ne veux, en tout cas, préjuger de rien. Parce que nous sommes le Parlement, parce que vous êtes le Gouvernement, nous devons garder toutes les possibilités ouvertes, nous devons juger en opportunité, avec discernement, des adaptations juridiques requises pour faire face à la menace.

En réalité, vous avez lancé trois exercices juridiques et législatifs différents. Il y a le chantier constitutionnel, dont nous connaissons les aléas. Le projet de loi constitutionnel comporte deux articles, et nous savons à quel point l'adoption de l'article 2 fut difficile. Cet article 2 pourrait même compromettre, finalement, l'adoption de l'article 1er, pourtant plus consensuel. Il y a l'état d'urgence, que nous prorogeons ici. Il y a, enfin, le projet de loi dit « Urvoas », si j'ose l'appeler ainsi, que nous a présenté hier le nouveau Garde des Sceaux. Je ne voudrais pas qu'un hiatus entre les différents calendriers aboutisse à ce que nous soyons insuffisamment armés au mois de mai. Prorogeons donc l'état d'urgence jusqu'à la fin du mois de mai, mais ne nous interdisons pas de réfléchir à une éventuelle nouvelle prorogation, au-delà de cette date, de tout ou partie des instruments qu'il offre.

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Les écologistes étant de fervents défenseurs de la diversité, je ne suis pas en mesure de vous dire ce que votera le groupe écologiste lorsque nous serons appelés à nous prononcer sur la prorogation demandée. Je sais en tout cas que les trois d'entre nous qui avaient déjà voté contre la première prolongation de trois mois de l'état d'urgence réitéreront bien évidemment ce vote. Quant aux trois députés écologistes présents en commission ce matin, ils ne sont pas forcément du même avis.

De là où vous êtes, il est facile, monsieur le ministre, d'accuser ceux qui s'opposent à l'état d'urgence pour un certain nombre de raisons — des raisons de principe et des raisons philosophiques, autant que des raisons politiques — de manquer de rigueur intellectuelle, et ce n'est pas très courtois. Nous pourrions d'ailleurs vous retourner le compliment, ainsi qu'au Gouvernement dont vous êtes membre et au Premier ministre. Je reconnais cependant que vous ne répondez pas avec la même violence ni de façon aussi triviale que celui-ci lorsqu'on vous interpelle dans l'hémicycle à l'occasion des questions au Gouvernement.

Nous serons donc bien évidemment plusieurs à voter contre cette prolongation de l'état d'urgence, et tous ceux qui le feront ne siègent d'ailleurs pas sur les bancs du groupe écologiste. Pourquoi allons-nous voter contre ? Parce que nous n'acceptons pas ce principe fixé par le Premier ministre, selon lequel la sécurité prime les libertés. C'était d'ailleurs le discours d'Alain Peyrefitte, dont la loi « Sécurité et liberté » avait fait descendre toute la gauche dans la rue. Il se trouve que l'on reprend aujourd'hui exactement les mêmes mots et que l'on va jusqu'à recycler, avec la déchéance de nationalité, de vieilles obsessions de l'extrême droite. Le problème, nous le voyons bien, c'est que le juge judiciaire est effacé derrière le juge administratif, derrière le policier.

Quand vous parlez de « mea culpa », je ne suis pas sûr, d'abord, que l'expression convienne. Certains d'entre nous ont été formés dans les écoles chrétiennes, mais nous croyons à la laïcité, et « mea culpa » n'est sans doute pas l'expression la plus appropriée dans la bouche d'un ministre de l'Intérieur. Il faut arrêter de répéter en boucle…

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Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

C'est une formule de journaliste, ce n'est pas moi qui l'ai employée.

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Je n'ai plus ma carte de presse depuis 1992, et je vous demande de me faire l'honneur de considérer qu'ici je suis d'abord un homme politique, et non pas un journaliste recyclé.

Vous ne cessez de nous expliquer que vous n'avez commis de faute qu'avec des agriculteurs bio. Avez-vous lu ce témoignage poignant, d'un certain Halim Abdelmalek, assigné à résidence sur le seul fondement de notes blanches qui n'étaient ni datées ni signées ? Faut-il vous rappeler ce qu'a décidé le juge des référés du Conseil d'État, mardi 9 février, dans l'affaire qui concernait ce Marocain assigné à résidence ? En plus, il s'est aperçu que le procès-verbal de perquisition établi par les policiers, qu'il a dû demander avec force parce qu'il n'arrivait pas à l'obtenir, n'était pas conforme à la vérité et avait été truqué ? Donc, oui, effectivement, lorsque les services de police sont libres d'agir selon les ordres du ministre de l'Intérieur en usant des moyens offerts par l'état d'urgence, on peut effectivement craindre des interventions arbitraires et des violences. Le rapport qu'Amnesty International a publié hier sur ces vies bouleversées comporte soixante enquêtes sur soixante personnes victimes de ces perquisitions. Il est suffisamment fort et argumenté pour faire comprendre la violence que cela peut entraîner.

Pour revenir à la question de la rigueur intellectuelle, quand le Défenseur des droits — qui, certes, lorsqu'il était garde des Sceaux, envoya un hélicoptère dans l'Himalaya pour y chercher un procureur — nous explique que l'état d'urgence n'est rien d'autre que la mise en place d'une société de suspects, manque-t-il de rigueur intellectuelle ? Lorsque la Ligue des droits de l'homme organise des manifestations contre l'état d'urgence, manque-t-elle de rigueur intellectuelle ? Lorsque Mme Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, nous explique que le maintien de l'état d'urgence porte atteinte à la cohésion sociale, manque-t-elle de rigueur intellectuelle ? On pourrait parcourir ainsi non pas un inventaire à la Prévert, mais une série d'interventions de personnalités incontestables qui remettent en question cet état d'urgence.

Isabelle Attard et moi avons voté contre la première prolongation de l'état d'urgence — prétendre le contraire serait une manipulation, même si nous ne nous sommes nullement opposés à son instauration pour douze jours, décrétée par le Président de la République au lendemain de ces tragiques attentats. Nous avons effectivement considéré qu'il n'est pas sain pour un pays de réduire ses libertés, d'ouvrir la porte à la police et à la justice administrative, même si leurs qualités ne sont pas en cause, tout en effaçant le juge judiciaire, garant de nos libertés. C'est un affaiblissement, un amoindrissement de la démocratie.

Notre nouveau garde des Sceaux avait, au mois de janvier, publié un rapport sur l'état d'urgence. Ne me faites pas dire qu'il n'a écrit que ceci, mais c'est tout de même une citation : « De fait, l'effet de surprise s'est largement estompé et les personnes concernées se sont pleinement préparées, elles aussi, à faire face à d'éventuelles mesures administratives. Ces phénomènes d'extinction progressive de l'intérêt des mesures de police administrative se lisent d'ailleurs dans les chiffres, qui montrent bien plus qu'un essoufflement. » C'est l'actuel garde des Sceaux qui l'écrit !

La chronologie montre bien où l'on veut nous conduire. Vous nous proposez ce matin, monsieur le ministre, de proroger l'état d'urgence de trois mois, jusqu'en mai. Hier, le garde des Sceaux nous a présenté un projet de loi visant à réformer le code pénal et le code de procédure pénale dont l'objet n'est rien d'autre que d'inscrire dans le droit commun un certain nombre des dispositions de l'état d'urgence, et qui relègue au second plan des outils nécessaires à l'accomplissement de la justice, comme le juge d'instruction. Le juge de la liberté et de la détention prendrait plus d'importance, nous dit-on, mais nous savons qu'il est aujourd'hui accablé sous le poids des urgences et que son statut n'est pas réellement déterminé. L'article 17 de ce texte montre bien la direction que vous voulez emprunter, vous-même et le garde des Sceaux, puisqu'il dote la police administrative, et même le policier, de pouvoirs de contrôle et de vérification d'identité qui ne seront pas soumis à un réel encadrement.

J'entends donc ce que disent les uns et les autres, qui ne sont ni des touristes ni des imbéciles, et ne manquent pas de rigueur intellectuelle. Je pense en particulier au commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe — mais peut-être considère-t-on que le Conseil de l'Europe, comme le disait de Gaulle, n'est qu'un « machin » supplémentaire. On ne pourra pas m'accuser d'être irresponsable, outrancier et insultant, puisque c'est lui qui l'écrit : « La pérennisation de l'état d'urgence aggraverait la polarisation de la société et affaiblirait l'État de droit. Continuer à donner plus de pouvoir à l'exécutif tout en réduisant celui de l'autorité judiciaire risque de saper le système de poids et contrepoids nécessaire dans une démocratie et de conduire à une augmentation du nombre d'opérations abusives et attentatoires aux libertés, sans pour autant rendre la France plus sûre. » Il ajoute plus loin que « les terroristes se nourrissent des peurs », point de vue que je partage. « Ils veulent nous faire croire que nous devons choisir entre liberté et sécurité. Or, une démocratie n'a pas à faire ce choix. »

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Je remercie le ministre de l'Intérieur de nous avoir donné des informations précises pour justifier cette prorogation de l'état d'urgence que le Gouvernement nous demande.

Comme Noël Mamère, j'étais intervenu le 19 novembre lorsque vous avez demandé une première prolongation pour trois mois. Quinze députés écologistes sur dix-huit l'avaient votée. Peut-être certaines et certains ont-ils changé d'avis, mais, en ce qui nous concerne, c'est notre point commun, nous n'avons pas changé d'avis.

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Notre point commun, c'est l'honnêteté intellectuelle.

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En tout cas, nous faisons preuve de constance et de suite dans les idées.

J'exprimerai tout d'abord une position de principe. Je suis parfois choqué par certaines prises de position, qu'elles soient politiques ou journalistiques, qui s'apparentent à des procès d'intention à l'encontre de la police, des préfets, de l'administration, comme si l'on tenait pour acquis que l'action de la police ne peut être qu'abusive ou attentatoire aux libertés et aux droits des individus. J'ai ainsi en mémoire une formule lue dans un grand journal, où il était dit que l'information du procureur, prévue pour un certain nombre de mesures, ne servirait à rien, le procureur n'ayant pas le temps d'être « sur le dos » des policiers, comme si les relations entre la police et la justice devaient être ainsi conçues et que le rôle des magistrats était d'être « sur le dos » des policiers ! Les Français nous demandent précisément de veiller à ce que la police et la justice travaillent en bonne intelligence et coopèrent bien, non seulement pour assurer leur sécurité, mais aussi pour éviter les attentats. C'est bien normal, mais c'est aussi le plus difficile, d'un point de vue judiciaire ou policier : il faut repérer des comportements et, ayant récolté des renseignements, déjouer des projets d'attentat. C'est déjà arrivé, vous l'avez dit, monsieur le ministre, même s'il est normal que vous ne vous étendiez pas sur le sujet, pour ne pas faire de publicité à ceux qui ont préparé ces attentats.

Quant aux éventuels problèmes qui pourraient naître de la mise en oeuvre de l'état d'urgence, j'ai toujours dit que la liberté totale des médias était le premier outil pour lutter contre les abus. Il est vrai que nous lisons parfois des choses très éloignées de la réalité, par exemple à propos de la loi relative au renseignement, et certains collègues ont pu envisager, contrairement à ce que le Gouvernement proposait dans sa réforme de la loi de 1955, un contrôle sur les médias. J'avais combattu cette idée. Si quelque mesure que ce soit, prise en application de l'état d'urgence, paraît litigieuse à la personne qui en est l'objet ou à son entourage, les faits rencontreront le plus grand écho médiatique. Quant au contrôle parlementaire, sur lequel je ne reviens pas, il représente une nouveauté très importante. Enfin, les recours juridiques, possibles à tous les niveaux — cela peut aller jusqu'à des questions prioritaires de constitutionnalité — prouvent que l'état d'urgence s'inscrit dans un État de droit qui fonctionne.

On a dit et répété à l'envi que des gens avaient été assignés à résidence parce qu'ils étaient des militants écologistes. Me revendiquant comme écologiste, j'ai examiné cette affaire de près. Des assignations à résidence pour cause de convictions écologistes, cela n'existe pas ! Député de Loire-Atlantique, j'ai vérifié auprès du préfet du département : les personnes impliquées de près ou de loin dans la lutte contre le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes n'ont été l'objet d'aucune perquisition, d'aucune assignation à résidence. Étant moi-même un opposant de longue date à ce projet, mais ayant toujours condamné l'usage que certains ont fait de la violence dans le cadre de cette lutte, j'en ai plus qu'assez d'entendre répéter que la loi sur l'état d'urgence aurait permis cela. Je défie quiconque de démontrer que ce fut le cas ! Et je pourrais dire la même chose à propos des manifestations : nous sommes dans un État tellement liberticide qu'une manifestation pour dénoncer l'état d'urgence a pu avoir lieu le 30 janvier dernier !

On ne parle pas, évidemment, des trains qui arrivent à l'heure ni des actions couronnées de succès, mais je voudrais évoquer la lutte contre la circulation des armes à feu. Vous le savez, monsieur le ministre, cela nous préoccupe, et, bien avant les attentats du 13 novembre et l'instauration de l'état d'urgence, je souhaitais que l'on s'attaque plus durement à ce problème grandissant. De ce point de vue, l'état d'urgence a permis d'engranger des résultats concrets, et j'espère que personne ne s'en plaindra.

Par ailleurs, des gens ont pu faire l'objet de perquisitions, sans que s'ensuivent des procédures judiciaires. Évidemment, et heureusement ! C'est précisément le but : lever des soupçons, pour reprendre la formule d'un préfet. Certaines personnes sont l'objet de soupçons, dans leur quartier ou dans leur ville : des perquisitions ont permis de dissiper rapidement toute rumeur.

Plusieurs députés du groupe écologiste sont favorables à la prorogation de l'état d'urgence. Nous considérons qu'elle est justifiée, dans l'attente des dispositions prévues par le projet de loi que vous avez préparé avec Christiane Taubira, alors garde des Sceaux. Il s'agit en quelque sorte de faire la jointure.

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M. le ministre devait partir à onze heures. Je le remercie d'avoir accepté de repousser son départ, et demande aux orateurs qui sont encore inscrits de ramasser leur pensée et de s'exprimer avec concision.

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Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

La priorité est toujours donnée au Parlement et aux légitimes demandes d'explications des parlementaires. J'ai donc demandé que l'on annule mon engagement suivant pour pouvoir répondre à toutes vos questions.

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Je vais tâcher — c'est aussi ce que les Français attendent de nous — de faire une intervention sereine et apaisée, en m'en tenant aux faits et au droit. Seule la persistance d'un péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public peut justifier la prorogation de l'état d'urgence jusqu'au 26 mai. Cette condition est-elle remplie ? Le Gouvernement le pense, le Conseil d'État le confirme dans son avis du 2 février dernier, et le groupe Socialiste, républicain et citoyen, au nom duquel je m'exprime, le constate.

Je ne répéterai pas les propos du ministre et du rapporteur, mais, malheureusement, la menace ne perd nullement en intensité. De nombreux Français, présents sur les théâtres d'opérations, pourraient rentrer sur le territoire national pour y perpétrer des actes d'extrême violence et la liste des attentats visant des Occidentaux, et particulièrement des Français, s'allonge partout dans le monde, tandis que l'État islamique et l'ensemble des entités qui lui font allégeance multiplient les menaces à l'endroit de notre pays et de ses ressortissants.

Tout cela est patent, mais, avant de nous prononcer, il faut encore savoir si cette prorogation ménage bien un équilibre entre, d'une part, la sauvegarde des droits et libertés et, d'autre part, la protection de l'ordre et de la sécurité publique.

En ce qui concerne les droits et les libertés, le Conseil d'État répond de manière claire en indiquant que le juge de l'excès de pouvoir s'assure que les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence sont « adaptées, nécessaires et proportionnelles à leur finalité ». Il constate par ailleurs que le référé-liberté permet, dans des délais brefs, un débat oral et contradictoire devant un juge qui dispose, à l'égard de l'autorité administrative, de larges pouvoirs de suspension et d'injonction. Les annulations prononcées le démontrent s'il le fallait, même si elles sont rares. De plus, la juridiction judiciaire répressive n'est pas dessaisie puisque, au titre de l'article 111-5 du code pénal, le juge judiciaire apprécie directement la légalité des actes administratifs dès lors qu'ils ont conduit à constater des infractions pénales ou à saisir des éléments de preuve, ce qui est évidemment le cas des perquisitions administratives.

La prorogation de l'état d'urgence est-elle de nature à protéger l'ordre et la sécurité publics ? Les résultats qui nous ont été communiqués ainsi que les travaux qui ont été menés dans le cadre du contrôle parlementaire ne laissent aucun doute, contrairement à ce qui a été dit : le nombre d'interpellations, de mises sous écrou, de saisines d'armes — y compris d'armes de guerre — démontre l'efficacité de cette mesure d'exception dès lors qu'elle s'appuie sur un renseignement efficace et une mise en oeuvre éclairée. L'intensité de la menace ne nous autorise pas à laisser le pays dans une situation de protection inadéquate ou insuffisante.

L'état d'urgence est un état d'exception, et chacun convient qu'il ne peut devenir permanent en raison de la permanence de la menace. Bien entendu, personne ne peut dire quelle sera la situation à l'issue de la seconde période de prorogation ; il est malheureusement probable que la menace terroriste djihadiste n'aura pas disparu le 26 mai prochain. Il est dès lors indispensable de doter la Nation des instruments de droit commun qui permettront de quitter l'état d'urgence tout en faisant face, avec l'efficacité nécessaire, à une menace terroriste qui ne sera pas éradiquée. Sur ce point, le Conseil d'État a estimé : « L'état d'urgence perd son objet, dès lors que s'éloignent les “atteintes graves à l'ordre public” ayant créé le péril imminent ou que sont mis en oeuvre des instruments qui, sans être de même nature […], ont vocation à répondre de façon permanente à la menace qui l'a suscité. » C'est la solution vers laquelle nous devons tendre. Le Conseil d'État fait d'ailleurs directement référence au projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, texte qui sera soumis à notre examen dans quelques jours.

Force est de constater que le maintien de l'état d'urgence est nécessaire et qu'il est encadré de manière à ne pas porter d'atteintes disproportionnées aux libertés publiques et individuelles. En l'état, nous constatons que le Gouvernement anticipe la sortie de l'état d'exception en nous soumettant un texte de droit commun de nature à répondre à une menace de long terme. C'est pourquoi le groupe Socialiste, républicain et citoyen votera cette prorogation.

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Merci, monsieur le ministre, pour tous les éléments extrêmement intéressants que vous nous avez apportés ce matin. Bien entendu, nous voterons la prolongation de l'état d'urgence.

Au risque de vous surprendre, je partage en partie la préoccupation exprimée par M. Mamère. Nous assistons à un glissement du judiciaire vers l'administratif. Il est tout à fait normal que nous soyons en état d'urgence, et nous avons obtenu un certain nombre de résultats concrets : vous avez évoqué onze attentats déjoués — j'ignore d'ailleurs si vous avez communiqué sur la nature de ces projets d'attentats —, mais je ne crois pas que l'on puisse lutter contre le terrorisme en flagrance. C'est un travail de longue haleine, qui doit être mené sous l'autorité des juges, avec des enquêteurs avertis.

Les moyens que vous mettez en place aujourd'hui, et que j'approuve, ne doivent pas pour autant dépouiller l'institution judiciaire. Votre objectif reste d'ailleurs de judiciariser ces procédures. J'ai le sentiment que les moyens donnés à la police administrative dans le cadre préventif sont sans commune mesure avec ceux dont bénéficie le pouvoir judiciaire : il y a onze parquetiers et neuf juges d'instruction pour la lutte contre le terrorisme sur l'ensemble du territoire national, ce qui me semble totalement insuffisant.

Avez-vous d'ores et déjà prévu des moyens pour renforcer les enquêteurs qui travaillent sur les commissions rogatoires des juges d'instruction, qui sont à mon avis les plus efficaces pour lutter contre le terrorisme ? Allez-vous donner aux services qui dépendent de votre ministère les moyens de remplir leur mission pour le compte des juges d'instruction et des procureurs chargés de la lutte contre le terrorisme ?

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Monsieur le ministre, étant docteur en sciences, je me fais fort depuis toujours de donner des chiffres précis et de citer mes sources. Celles-ci sont aujourd'hui le témoignage donné au micro d'Europe 1 par François Molins, procureur de la République de Paris, le 27 avril dernier, et les chiffres que vous avez donnés au Sénat il y a deux jours et que vous venez de nous rapporter.

Vous avez fait le décompte des perquisitions, assignations à résidence et procédures judiciaires liées au terrorisme depuis le 13 novembre 2015, soit en treize semaines. Mais, pour se faire une idée juste de l'utilité de la prorogation de l'état d'urgence appliqué depuis le 20 novembre, il faut connaître la situation avant cette date.

Le 27 avril 2015, avant même que nous ne votions la loi relative au renseignement, François Molins estimait que l'arsenal législatif était satisfaisant pour répondre à la menace terroriste, mais il insistait sur le manque de moyens. Il disait surtout que, entre décembre 2013 et avril 2015, soit durant soixante-quatre semaines, 125 procédures judiciaires avaient été ouvertes concernant des dossiers terroristes, soit deux par semaine. Depuis le 13 novembre 2015, 5 procédures judiciaires ont été ouvertes pour terrorisme — 23 autres concernaient des cas d'apologie du terrorisme — soit 0,4 procédure par semaine. C'est cinq fois moins qu'avant l'état d'urgence.

Compte tenu de ces chiffres, je souhaite connaître votre réaction sur l'utilité d'une nouvelle prorogation. Rappelons de plus les propos de Noël Mamère et Georges Fenech sur la baisse de l'utilité d'une telle mesure, qui a été évoquée en commission ici même lors du suivi de l'état d'urgence par le Parlement.

Permettez-moi également de sourire aux propos de notre collègue Guillaume Larrivé, d'après qui ceux qui s'opposent au maintien de l'état d'urgence ne connaissent rien au droit. Si je résume : le syndicat de la magistrature, les membres du syndicat des avocats de France et les magistrats du tribunal de Caen ne connaissent rien au droit !

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Enfin, je tiens à dire à François de Rugy que les militants contre le projet inutile d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes sont dans toute la France, même hors des Pays de la Loire, et la perquisition chez des maraîchers de Dordogne avait bien été décidée à partir d'un seul élément : la distribution, au péage de Mussidan, de tracts hostiles au projet de Notre-Dame-des-Landes. Par conséquent, les perquisitions concernant les opposants à ce projet ont bien pu avoir lieu loin de la région de Notre-Dame-des-Landes. Il n'empêche que le motif invoqué ce jour-là par les gendarmes concernait le projet d'aéroport.

Sur la base de ces chiffres, je pense, comme Noël Mamère, que cette prorogation est inutile et même néfaste à l'efficacité de la lutte antiterroriste.

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Je voterai évidemment la prorogation de l'état d'urgence.

S'agissant des polémiques sur le bilan des suites judiciaires, chacun a bien compris que ces perquisitions étaient utilisées dans les « zones grises », c'est-à-dire les dossiers dans lesquels les éléments n'étaient pas suffisants pour engager des poursuites judiciaires, mais suffisants pour que les services espèrent découvrir quelque chose. Il est donc logique de constater un afflux considérable de dossiers au début de la période d'état d'urgence, car tous les dossiers que les enquêteurs n'ont pas eu le temps d'approfondir sont examinés à ce moment. Et il est normal que, ce stock ayant été traité, le flux des dossiers diminue.

Par ailleurs, autant je suis d'accord avec Guillaume Larrivé sur le fait que le Parlement ne doit rien s'interdire, et que nous verrons au mois de mai prochain ce qu'il convient de faire, autant il est sain que le Gouvernement pense à chaque instant à la sortie de l'état d'urgence.

Je souhaitais également vous interroger sur le suivi des personnes vivant en France — ressortissants français ou non — qui partent sur des terrains d'opérations. Comment qualifiez-vous aujourd'hui les capacités d'information des services français ? Vous semblent-elles adéquates ou sont-elles encore perfectibles ? Notre pays dispose-t-il d'informations suffisantes sur le retour éventuel de ces personnes ?

Enfin, quelle est votre position sur l'article 33, alinéa 24, du texte visant à renforcer la lutte contre le crime organisé, qui nous a été présenté hier ? Cet article 33 contient un grand nombre d'habilitations à légiférer par ordonnance, dont l'une prévoit d'imposer aux services d'enquêtes, aux magistrats et aux agents spécialement habilités par le code des douanes le recours obligatoire, dans le cadre de leurs enquêtes, à la plateforme nationale des interceptions judiciaires. Si je comprends que cette mesure répond à un souci de meilleur contrôle des frais de justice, le ministère de l'Intérieur considère-t-il que créer un monopole qui s'imposera à tous les services d'enquête du pays sert un souci d'efficacité, de plus grande confidentialité et de sécurisation des opérations ?

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L'article 13 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence permet à l'autorité administrative de sanctionner les infractions aux articles 5, 6, 8 et 9 de cette même loi. Cet article prévoit également que « l'exécution d'office, par l'autorité administrative, des mesures prescrites peut être assurée nonobstant l'existence de ces dispositions pénales ».

À Calais, vous avez décidé à juste titre d'interdictions de manifestations qui ont affecté des manifestants de tous bords. Je m'étonne que l'autorité administrative n'ait pas prononcé de sanctions pour la violation de ces interdictions de manifester. En effet, malgré l'interdiction prononcée, le maintien de la manifestation était annoncé sur le site de « Riposte laïque » et le général Piquemal avait annoncé qu'il serait physiquement présent à Calais. Par ailleurs, la santé de ce général lui permettant d'aller manifester à Calais, je m'étonne que la justice ait reporté son audience pour motif de santé.

Par conséquent, si je souscris pleinement au voeu du rapporteur d'une adoption conforme du texte compte tenu des délais qui nous sont impartis, je m'interroge sur l'application des peines prévues par l'article 13 de la loi de 1955 en cas de non-respect des mesures d'application de l'état d'urgence.

Je m'associe aux remerciements qui vous ont été adressés par l'ensemble de nos collègues et par le président de notre commission pour les renseignements qui nous sont fournis dans des délais optimaux. Néanmoins, nous n'avons aucune donnée chiffrée sur les mesures d'interdiction de manifester prises par les préfets. Or le droit de manifester est important, il serait donc utile que nous connaissions le nombre de manifestations qui ont été interdites au titre de l'état d'urgence. Les chiffres communiqués par vos services diffèrent très fortement selon qu'ils émanent de la préfecture de police ou du reste du territoire français. Quelle est la raison de cette différence ?

Enfin, sous l'état d'urgence, le ministère de l'Intérieur a autorisé les policiers volontaires à garder leur arme de service en permanence. Cela ne relève pas de la loi, mais il n'y a aucune donnée sur le nombre de volontaires, ni d'évaluation des conditions qui pourraient être requises. Au vu de l'état de fatigue de nos forces de sécurité, des précautions pourraient encadrer cette autorisation de port d'armes permanent.

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Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

Monsieur Larrivé, vous m'interrogez sur le décalage qui existe entre le nombre d'assignations à résidence et celui des personnes portées au FSPRT. Vous aurez remarqué que certains me reprochent d'en faire trop, et d'autres de ne pas en faire assez : nous devons donc faire juste ce qu'il faut, de manière proportionnée. Mais cette question mérite une réponse extrêmement précise.

L'ensemble des personnes portées au FSPRT n'a pas vocation à faire l'objet d'assignations à résidence. Certaines d'entre elles relèvent du suivi et d'enquêtes de la sécurité intérieure : les assigner à résidence leur signalerait que nous sommes informés de leurs activités et nous priverait de la possibilité d'aller au terme d'enquêtes permettant de démanteler des réseaux que nous avons besoin d'identifier dans leur plénitude. C'est extrêmement important : il ne faut pas que ce que nous faisons au titre de l'état d'urgence obère le travail de nos services de renseignement au titre de la lutte antiterroriste. Cela signifie aussi que la mobilisation de tous les moyens de nos services, dans le cadre du droit, permet le suivi attentif des personnes que nous n'assignons pas à résidence. Par ailleurs, un nombre non négligeable de personnes inscrites au FSPRT ne se trouve pas sur le territoire national. D'autres sont déjà judiciarisées : nous n'allons donc pas prendre de mesures de police administrative à leur endroit.

Lorsque l'on fait le décompte de ceux qui restent, rapportés aux quelque 1 700 personnes qui pouvaient faire l'objet d'une attention dans le cadre des mesures de police administrative, il apparaît que 40 % d'entre elles ont fait l'objet de perquisitions administratives, ce qui est considérable, tandis que d'autres font l'objet d'assignations à résidence.

Votre question me permet donc de faire le point sur un sujet à propos duquel on ne m'a jamais interrogé : si l'on exclut du FSPRT toutes les personnes que je viens d'indiquer, l'état d'urgence a permis d'appliquer des mesures de police administrative à près de 40 % de celles qui pouvaient faire l'objet de telles mesures au titre du FSPRT.

Les autres relevaient de signaux extrêmement faibles. Au vu de la rigueur du contrôle exercé par le juge, et notamment des conditions dans lesquelles il apprécie la pertinence des mesures de police administrative, nous ne pouvions pas décider de telles mesures sans prendre le risque de les voir cassées. C'est ce qui explique que ces mesures administratives aient été appliquées à 40 %, et non à 90 %, des personnes figurant au FSPRT. Je pourrai donner plus de détails à la commission parlementaire, mais je remercie M. Larrivé de cette question qui m'a permis d'apporter ces précisions.

Vous me demandez ensuite pourquoi nous n'avons pas inscrit au titre de la prolongation de l'état d'urgence les dispositions relatives aux saisies des perquisitions administratives prévues dans la loi d'application de la réforme constitutionnelle. C'est peut-être un point de divergence entre nous, mais je ne veux absolument rien faire, dans le cadre des mesures de police administrative, dont la conformité à la Constitution ne soit pas certaine. C'est la raison pour laquelle, conformément à l'avis rendu par le Conseil d'État, nous engageons une réforme constitutionnelle. Nous aurions pu faire ce que vous proposez, mais cela présentait un risque constitutionnel. Si nous voulons pouvoir procéder à des saisies sans déroger aux principes du droit constitutionnel, il faut impérativement que nous constitutionnalisions l'état d'urgence.

Je ne comprends d'ailleurs pas que ceux qui considèrent que l'état d'urgence pose un problème de libertés publiques refusent de les voir garanties dans la Constitution elle-même. La position du Gouvernement est cohérente : nous considérons que la constitutionnalisation donne des garanties, et c'est la raison pour laquelle, conformément à la position du Conseil d'État, nous prenons des dispositions constitutionnelles. En conséquence, nous ne prenons pas de risque constitutionnel en inscrivant dans un texte de prorogation des dispositions que nous souhaitons voir confortées par des mesures de nature constitutionnelle.

Vous dites qu'il ne faut pas préjuger de ce que nous aurons à faire en mai. Bien sûr, il n'est pas possible de le faire, mais la définition de l'état d'urgence n'est pas dictée par des considérations de confort politique. Dans la présentation que j'ai faite des raisons de la prorogation, j'ai insisté sur le caractère imminent du péril, en essayant de l'étayer par des informations concrètes. Ce n'est pas pour des considérations de confort, parce que nous pensons que nous en avons besoin pour des considérations politiques, que nous devrions proroger l'état d'urgence alors que les conditions de droit ne sont pas réunies.

De la même manière, ce n'est pas la menace terroriste qui fait l'état d'urgence, c'est le péril imminent qui le justifie. La menace peut donc perdurer sans que le péril imminent demeure, et ce sont ces considérations de droit qu'il nous faudra examiner au moment où nous aurons à traiter de ce sujet.

Bien entendu, je souhaite que nous puissions, dans le cadre du droit commun, prendre des mesures de lutte antiterroriste permettant de sortir de l'état d'urgence. Je constate que ceux qui sont contre l'état d'urgence considèrent que l'on ne peut pas inscrire dans le droit commun des mesures efficaces de lutte contre le terrorisme, Noël Mamère l'a très clairement dit.

D'ailleurs, M. Mamère comme Mme Attard, dont je respecte parfaitement la position, ont voté contre la loi du 13 novembre 2014 ; contre le blocage administratif des sites internet alors que 90 % de ceux qui se radicalisent le font par internet ; contre l'interdiction de sortie du territoire alors que ceux qui partent sur le théâtre des opérations terroristes et y ont vécu toutes les atrocités que l'on sait en reviennent avec une dangerosité qu'ils n'avaient pas lorsqu'ils sont partis ; contre l'intervention des services sous pseudonyme ; et ont participé du discours — que je respecte bien qu'il ne me paraisse pas refléter la réalité — selon lequel les moyens prévus par la loi relative au renseignement relevaient de la surveillance de masse. Ils se disent favorables à des mesures efficaces, mais se sont pour l'instant opposés à toutes celles que nous avons prises sans jamais expliquer celles qu'ils préconisent. Je serai très heureux, madame Attard, que vous puissiez me dire quelle est la politique antiterroriste que vous préconisez. Vous m'avez expliqué qu'il fallait faire de la prévention dans les quartiers, ce que nous faisons par ailleurs, mais, compte tenu de la nature actuelle du risque, je me permets de vous dire avec beaucoup d'humilité que je ne suis pas sûr que cela suffise. Il est un moment où le péril doit être regardé avec lucidité, et non en se conformant à des postures ou à des convictions que je partage par ailleurs, mais que je préfère essayer de mettre en oeuvre avec réalisme.

Je veux condamner très fermement les propos que M. Mamère a tenus sur le Premier ministre. On peut être en désaccord avec le Premier ministre tout en respectant sa personne. Je regrette que M. Mamère, qui s'inquiète de la dimension liberticide des mesures que nous prenons, n'ait pas pu rester pour entendre la réponse à la question qu'il m'a posée. Sans doute a-t-il des contraintes d'emploi du temps que je n'ai pas. En l'entendant qualifier le Premier ministre comme il l'a fait, je songeais aux propos qu'il a tenus après l'accident de Puisseguin qui avait causé la mort de quarante-trois personnes : c'était, disait-il, la faute de la « loi Macron » et du conseil départemental de la Gironde. Quand on tient des propos de ce type, on est en droit de donner des leçons de rigueur intellectuelle à tout le monde !

M. Mamère a dit par ailleurs que nous faisions primer la sécurité sur la liberté. Pas du tout : nous considérons qu'il n'y a pas de liberté là où la sécurité des Français n'est pas garantie. La liberté serait-elle encore assurée dans un pays où nos enfants auraient peur de se rendre dans une salle de concert et à une terrasse de café ? Tout mettre tout en oeuvre, en tant que ministre de l'Intérieur, pour que la sécurité de notre jeunesse soit garantie et lui permettre de vivre pleinement sa liberté, ce n'est pas subordonner la liberté à la sécurité.

Au cas où cela aurait échappé à M. Mamère, j'aurais voulu lui dire dans les yeux que depuis Alain Peyrefitte, il s'est passé bien des choses en France. Et lorsque Alain Peyrefitte était ministre de la justice, je ne me souviens pas qu'il ait eu affaire à la masse de violence et d'attentats à laquelle je suis confronté. Mais sans doute cela a-t-il échappé à la sagacité de M. Mamère.

Celui-ci a affirmé que, dans le cadre d'une affaire récente, les forces de sécurité avaient produit un procès-verbal truqué devant le Conseil d'État. Ce propos est honteux et je tiens à le corriger avec la plus grande fermeté. Le fonctionnaire qui a effectué la perquisition n'a pas mentionné dans son procès-verbal que des données avaient été saisies au domicile de l'intéressé, ce qui a joué plutôt en défaveur du ministère de l'Intérieur, puisque l'intéressé a pu nier que ces données provenaient de son ordinateur et même qu'il en possédait un. Du fait de cette erreur, l'implication de l'intéressé dans la mouvance islamiste, que nous considérions comme avérée, n'a pu être démontrée — tout comme une erreur de procédure peut entraîner la fin des poursuites dans le cadre judiciaire. Ces éléments relèvent d'une décision du Conseil d'État qui date d'avant-hier.

Parler de procès-verbal truqué, en mettant en cause l'honneur des forces de sécurité devant une commission parlementaire, en disant des choses fausses et en convoquant la rigueur intellectuelle à tout propos n'est pas convenable. J'invite tous ceux qui connaissent ces sujets à mesurer le décalage entre ce qu'a dit M. Mamère et la réalité.

Je dis cela très calmement, mais non sans colère. En tant que ministre de l'Intérieur, j'en ai un peu assez de voir des policiers et des gendarmes mis en cause de cette manière, alors qu'ils risquent leur vie tous les jours pour sauver la vie des Français.

Enfin, pour terminer sur ce sujet-là, j'indique à M. Mamère — et j'aurais aimé qu'il soit encore présent pour que je puisse le lui dire les yeux dans les yeux — qu'affirmer qu'il n'y a pas de juge pour contrôler la mise en oeuvre des mesures de police administrative prises par le Gouvernement, alors qu'un juge administratif casse des décisions gouvernementales, ce n'est pas de la rigueur intellectuelle. De la même manière, affirmer que le juge judiciaire est écarté de la lutte antiterroriste alors que le juge judiciaire prend le relais de ce que nous faisons en matière de police administrative pour procéder à la judiciarisation de la situation de ceux qui ont fait l'objet d'une perquisition ou d'une assignation à résidence, ce n'est pas de la rigueur intellectuelle. Affirmer que le fait que nous ayons cessé de prendre des mesures de police administrative très vite après que l'état d'urgence a été déclenché est la preuve qu'elles ne servent à rien, ce n'est pas de la rigueur intellectuelle. En effet, l'efficacité de ces mesures était d'autant plus grande les premiers jours en raison d'un effet de sidération ; nous y avons eu recours ensuite avec proportionnalité. On ne peut à la fois prétendre que l'état d'urgence, c'est l'arbitraire et qu'il y a un excès de mesures administratives, et affirmer que celles-ci ne servent à rien lorsque nous en faisons un usage proportionné. Tout cela relève d'une posture : je comprends l'intérêt politique de celui qui l'adopte et je ne suis d'ailleurs pas choqué que, dans un espace démocratique, des postures politiques s'affrontent. Je dis simplement — et regrette — que les faits montrent que certaines de ces affirmations ne relèvent pas d'une démarche de rigueur intellectuelle.

Madame Attard, vous avez indiqué que vous étiez particulièrement rigoureuse et que la preuve en était que vous aviez un doctorat en sciences, mais un doctorat en sciences n'a jamais donné des compétences en droit. Vous avez affirmé des choses fausses, qui appellent des rectifications.

Vous avez indiqué que seules cinq procédures liées au terrorisme étaient ouvertes à la suite de mesures de police administrative prises dans le cadre de l'état d'urgence, ce qui est vrai, mais vous en avez déduit que ces mesures étaient inefficaces dans la lutte contre le terrorisme, ce qui est faux. Pourquoi ? Parce que, comme je l'ai indiqué tout à l'heure — et je pense que mon raisonnement sera accessible à votre entendement, vous qui êtes comme nous soucieuse de l'indépendance du juge judiciaire et du secret de l'instruction —, il y a des procédures judiciaires en cours sur la base d'éléments rassemblés grâce à des mesures de police administrative. Ces procédures peuvent permettre dans les semaines qui viennent — et permettront vraisemblablement — de déclencher des incriminations pénales pour des faits à caractère terroriste. Nous avons arrêté cinquante-trois personnes, qui ont fait l'objet d'une judiciarisation et d'une mise sous écrou. Vous ne pouvez pas vous contenter de la comptabilité que vous venez d'afficher alors que tous ces éléments judiciarisés, couverts par le secret de l'instruction, ne sont pas encore exploités. Vous ne pouvez pas juger des résultats des perquisitions et assignations à résidence en matière de lutte antiterroriste pour la bonne et simple raison que les enquêtes judiciaires auxquelles ces mesures administratives ont donné lieu n'ont pas encore abouti

Quand vous dites qu'il y a en moyenne 0,4 procédure par semaine, c'est tout à fait faux. Je vous redonne des chiffres précis. Depuis l'année 2016, nous avons procédé à 50 interpellations pour des motifs à caractère terroriste : 23 sont suivies par les services de la sécurité intérieure, 17 par la police judiciaire, 10 par la préfecture de police. Il y a eu 18 mises sous écrou : 11 relevant des services de la sécurité intérieure, 6 de la police judiciaire et une de la préfecture de police de Paris. Je ne sais d'ailleurs pas comment vous pourriez avoir connaissance de ces éléments que je suis seul en mesure de rendre publics. J'ignore d'où vous sortez les chiffres que vous avancez et à quoi ils correspondent. Toujours est-il qu'il est faux de dire que l'état d'urgence a conduit à une moindre activité des services dépendant de ma responsabilité. Je viens de donner des chiffres précis qui montrent la réalité des choses.

Bien entendu, il y a un débat démocratique avec des organisations non gouvernementales, le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Je suis allé devant la CNCDH la semaine dernière et j'ai eu, pendant deux heures et demie, un dialogue de grande qualité avec Mme Lazerges et l'ensemble des personnes présentes autour de la table. De la même manière, je répondrai à toutes les questions que me posera le Défenseur des droits. Et, si Amnesty International demande à me rencontrer, je fournirai à cette organisation l'ensemble des éléments à ma disposition. Dans l'exercice des responsabilités qui sont les miennes, et plus précisément dans la lutte contre le terrorisme, je n'ai peur ni des commissions d'enquête parlementaires, ni des organisations non gouvernementales, ni des articles de presse, car j'estime que, compte tenu des menaces qui pèsent sur notre pays et des mesures que nous mettons en oeuvre pour y faire face, il est de mon devoir de rendre compte de tout à chaque instant. Mais j'estime aussi qu'il est de mon droit de protéger mes services de procès récurrents qui mettent en cause de manière systématique et injuste des fonctionnaires extrêmement valeureux qui prennent chaque jour des risques : ils méritent la considération de la République davantage qu'un dénigrement de chaque instant. C'est mon honneur de ministre de l'Intérieur que de rétablir à ce sujet un certain nombre de vérités.

Ce que M. de Rugy a dit sur les assignations à résidence et les mesures de perquisition administrative dont ont fait l'objet des militants écologistes est exact. Il y a eu un cas qui n'était pas pertinent. Contrairement à ce qu'a dit M. Mamère, je n'ai pas du tout fait mon mea culpa, ce sont des journalistes qui ont ainsi qualifié les propos par lesquels j'ai reconnu une faute. Oui, je reconnais des fautes lorsqu'elles existent, car cela relève de l'exercice de transparence auquel j'entends m'astreindre. J'invite tous ceux qui portent des accusations à en apporter la preuve.

M. Warsmann a posé une question de fond : les services de renseignement français ont-ils les capacités nécessaires pour faire leur travail ? Je prendrai le temps qu'il faudra pour y répondre, car c'est une question récurrente. Vous observerez d'ailleurs que ce sont souvent ceux-là mêmes qui refusent aux services de renseignement les moyens de faire leur travail à mesure que nous votons des lois, qui se précipitent pour dénoncer les failles avant même d'avoir analysé les conditions dans lesquelles les attentats se sont déroulés. Je ne veux pas anticiper sur le travail de la commission d'enquête relative aux moyens mis en oeuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, présidée par M. Fenech et dont le rapporteur est M. Pietrasanta, mais, comme il y a sur ces sujets des interrogations légitimes, autant commencer à y répondre.

Les services de renseignement ont vu leurs moyens considérablement augmenter depuis 2012. Nous avons décidé de créer 432 emplois au sein de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et d'augmenter de 12 millions d'euros les crédits hors titre 2 dont elle bénéficie. Après les attentats des mois de janvier et novembre 2015, nous avons consenti des efforts supplémentaires. À la suite des attentats du mois de janvier, il a été décidé d'augmenter de 1 500 postes les effectifs dans nos services de police, principalement dans les services de renseignement intérieur, selon la ventilation suivante : 500 dans la sécurité intérieure, 100 au sein de la préfecture de police de Paris, 136 au sein de la direction centrale de la police judiciaire — principalement affectés à des actions relevant de la lutte antiterroriste puisqu'il s'agit de la plateforme PHAROS, de la lutte contre la cybercriminalité et le trafic d'armes —, le reste étant réparti entre le service de protection des personnalités, la police de l'air et des frontières ainsi que la direction des systèmes d'information et de communication (DSIC) à laquelle ont été attribués 33 emplois et une augmentation de 95 millions d'euros des crédits budgétaires hors titre 2 afin de permettre la remise à niveau de nos applications informatiques — je pense, par exemple, au système de circulation hiérarchisée des enregistrements opérationnels de la police sécurisés (CHEOPS).

Dans le cadre de la loi de finances pour 2016, nous avons décidé par un amendement gouvernemental de créer 900 emplois supplémentaires pour faire face à la crise migratoire. Et nous consentirons, après le Congrès, un effort supplémentaire de 5 000 emplois qui bénéficiera aux services de renseignement.

Avant même les attentats du mois de novembre, nous avons voté la loi relative au renseignement qui, à travers la détection sur données anonymes et le suivi en continu des terroristes, permettra de doter les services de renseignement de moyens puissants dont ils ne disposaient pas encore pour faire face à l'utilisation des outils numériques et aux risques que représente la cryptologie. Cela représente un progrès considérable.

Dire que rien n'a été fait depuis les attentats du mois de janvier est donc totalement faux. Beaucoup a été fait avant ; beaucoup a été fait après. Et nous allons poursuivre ce travail de façon extrêmement volontariste.

Avons-nous pu traiter la totalité des sujets ? Non. Je prendrai l'exemple des attentats du mois de novembre qui appellent une analyse fine, que je m'emploie à approfondir chaque jour de manière que nous soyons en mesure de corriger tout ce qui peut l'être.

Qu'ont-ils montré ? L'individu qui a commandité ces attentats, Abdelhamid Abaaoud, qui était belgo-marocain et non pas français, ne se trouvait pas sur le territoire national, mais en Syrie. Une grande partie de ceux qui les ont commis, ressortissants belgo-marocains ou belges, sont revenus de Syrie ou résidaient en Belgique. Ils n'étaient pas connus de nos services de renseignement et n'étaient pas inscrits au fichier SIS comme terroristes. Les deux Français qui ont participé à ces opérations, Samy Amimour et Ismaël Mostefaï, après avoir été placés sous contrôle judiciaire, étaient partis sur le théâtre des opérations d'où ils sont vraisemblablement revenus en même temps que les autres.

Que s'est-il passé ? Pour leur retour en Europe, une partie des terroristes a utilisé de fausses identités grâce à de faux papiers fabriqués par Daech, qui a une véritable usine de faux documents forgés à partir de passeports vierges récupérés en Irak et en Syrie. Ils ont franchi les frontières extérieures de l'Union européenne et certains ont fait l'objet de prises d'empreintes sur la banque Eurodac sous de faux noms. Ils ont traversé plusieurs pays européens, séjourné à Molenbeek où des appartements conspiratifs ont par la suite été identifiés et perquisitionnés, et ils ont ensuite frappé en France. Autrement dit, une grande partie de ce qui s'est passé a eu lieu à l'extérieur de nos frontières. Avant le 13 novembre, les services de renseignement français n'ont eu aucune information provenant des services des pays traversés par les terroristes nous indiquant leur présence. C'est après les attentats qu'un service étranger nous a informés de leur passage sur l'île de Leros.

Et la conclusion de tout cela serait la seule mise en cause des services de renseignement intérieur français ! Cette vision des choses suscite chez moi un étonnement incommensurable. Faut-il rappeler que les services de renseignement intérieur français ont pour tâche de suivre ce qui se passe à l'intérieur du territoire national ?

En dehors des considérations récurrentes sur les failles, s'ajoute toute une série d'autres refrains : les services de renseignement français n'auraient pas changé de logiciel depuis la Guerre froide ; ils auraient misé sur la technologie et pas sur les hommes ; ils ne travailleraient pas suffisamment ensemble.

Quelle est la réalité ? Nous avons beaucoup investi en moyens humains, particulièrement en matière de formation et d'analyse, mais aussi en moyens technologiques. Penser que nous pourrions, face à l'internationalisation et la numérisation de l'activité terroriste, ne pas miser sur la technologie est absurde. Penser que nous pourrions miser sur la technologie sans avoir des personnels qui se consacrent à l'analyse des informations récoltées l'est tout autant. Depuis très longtemps, nous avons connecté les différents services du ministère de l'Intérieur pour faire en sorte que les regards croisés accroissent le niveau d'analyse des informations collectées. Depuis longtemps, nous avons renforcé — mais ce n'est pas suffisant — les échanges avec les services de renseignement extérieur.

Quelles sont les priorités ? Les vraies questions qui se posent aujourd'hui, les voici : Comment exercer des contrôles aux frontières extérieures ? Comment interroger systématiquement le fichier SIS ? Comment connecter ce fichier aux autres fichiers de police ? Comment permettre à la base de données Eurodac d'être utilisée à des fins de sécurité, ce qui suppose une modification de son règlement ? Comment mettre en place une véritable task force européenne mobilisant les meilleurs de nos spécialistes et de nos policiers dans la lutte contre la fraude documentaire au moment du franchissement des frontières extérieures de l'Union européenne, quelles qu'en soient les modalités ? Comment projeter des équipes là où des individus sont susceptibles d'être en possession de faux documents ? Comment faire en sorte d'échanger en permanence des informations entre pays de l'Union européenne en alimentant le fichier SIS qui n'est pas actuellement alimenté comme il devrait l'être ?

Vous me demandez, monsieur Warsmann, si nous sommes suffisamment armés en matière de renseignements. Je vous réponds que nous avons beaucoup progressé, mais qu'il reste beaucoup à faire. Ces mesures qui sont devant nous, je les ai développées dans l'agenda que j'ai proposé au conseil européen « Justice et Affaires intérieures », un agenda que j'ai souhaité franco-allemand. C'est la raison pour laquelle je me suis rendu au conseil des ministres allemand pour présenter l'ensemble de ces éléments afin que mon homologue et moi nous ayons une démarche conjointe. Cela nous a conduits à nous rendre ensemble en Grèce pour proposer la mise en place de ce dispositif.

Je tenais à apporter cette réponse précise à M. Warsmann. Ces débats sont centraux. Je pense que nous aurons à les traiter de nouveau dans le cadre de la commission d'enquête présidée par M. Fenech. Je souhaite pouvoir donner tous les éléments d'information. La question de la lutte contre le terrorisme est trop grave et la menace trop importante pour que nous n'essayions pas ensemble d'avancer vers les dispositifs les meilleurs.

Pour ce qui concerne la plateforme nationale des interceptions judiciaires, dont la création a été décidée en 2006, il s'agit d'inscrire dans la loi une pratique découlant d'une circulaire du ministère de la justice de 2015. Il est logique que les services de police judiciaire aient recours à une plateforme entièrement financée par l'État, qui est à présent opérationnelle. Son monopole constitue une garantie. Il est légitime d'inciter les enquêteurs à faire usage d'un outil qui garantit un standard élevé de sécurité dans la conservation et l'exploitation de données extrêmement sensibles.

Madame Mazetier, vous m'avez posé une question sur une interdiction de manifestation à Calais. Je vous précise que celle-ci a été fondée non sur les mesures liées à l'état d'urgence, mais sur le droit commun. Je ne vois pas pourquoi nous n'y aurions pas recours lorsque ces fondements permettent de faire les choses en droit. Une manifestation de migrants actionnée par les No Borders, avec un cynisme que j'ai déjà eu l'occasion de dénoncer, est entrée dans les infrastructures portuaires. Démonstration a été faite qu'il y avait des risques de trouble à l'ordre public et de violences du fait d'oppositions entre groupes. C'est après ce qui s'est passé dans le port que j'ai pris la décision d'interdiction sur les fondements du droit commun – si je l'avais prise avant que des troubles ne surviennent, elle aurait été cassée par le juge administratif. Quand cette interdiction a été bravée, c'est encore sur les fondements du droit commun que mes services ont procédé à des interpellations, ce qui a immédiatement donné lieu à une judiciarisation.

Je répète ce que j'ai dit devant le Sénat l'autre jour : lorsque l'on est soucieux de l'ordre républicain, on veille à ce que les principes de droit soient respectés par tout le monde. Nul ne peut s'opposer à l'application par l'administration des principes de droit votés par le souverain que vous constituez, mesdames, messieurs les députés. Lorsque l'on commence à considérer que ce que l'on pense justifie que l'on aille contre le droit, alors c'en est fini de la République. Cela doit être dit très fermement, quels que soient les interlocuteurs auxquels cela s'adresse. L'autorité de l'État commence par l'affirmation très forte de ces principes républicains.

Pour ce qui concerne les interdictions de manifestations qui donnent lieu à des incohérences statistiques, je vous propose, madame Mazetier, sur la base d'éléments que vous pourriez m'adresser, de vous faire parvenir, ainsi qu'à M. le président Raimbourg, l'ensemble des informations qui permettent d'expliquer ces décalages. Je souhaite que, sur ces sujets, la transparence soit totale.

Après le départ du ministre de l'Intérieur, la Commission en vient à l'examen, sur le rapport de M. Pascal Popelin, de l'article unique du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence (n ° 3487).

Article unique

La Commission examine l'amendement CL1 de M. Philippe Goujon.

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J'ai bien conscience de l'audace qui est la mienne de présenter un amendement après que mon groupe a décidé de voter le projet de loi sans modification, mais il s'agit de lancer un appel au Gouvernement. Kouachi, Coulibaly, Merah, Nemmouche et d'autres ont transité par la prison. La proposition de loi sur l'isolement électronique des détenus et le renforcement du renseignement pénitentiaire, dont j'étais signataire et que nous avons examinée en octobre dernier, prévoyait notamment la restauration, pour des motifs de sécurité, des fouilles des détenus ou de leurs visiteurs avant et après le parloir. Nous sommes en état d'urgence, dans une situation où la menace est extrêmement prégnante, et il ne serait pas compréhensible que les prisons échappent à un contrôle renforcé.

Or, depuis l'abandon des fouilles systématiques, un grand nombre d'objets sont introduits en prison. Le risque sécuritaire est évident. On a ainsi saisi près de 30 000 téléphones portables. Des détenus radicalisés, ainsi qu'on me l'a appris quand je me suis rendu, il y a quelques semaines, à Fleury-Mérogis avec Joaquim Pueyo, président du groupe d'études sur les prisons et les conditions carcérales, soudoient d'autres détenus ou font pression sur eux pour qu'ils leur transmettent des objets ou des messages de l'extérieur.

Mon amendement propose donc, dans le cadre de l'état d'urgence, de permettre aux chefs d'établissement de décider de soumettre les détenus à une fouille systématique, avant ou après le parloir, de leur personne ou de leur cellule, et de prendre toute mesure de contrôle jugée nécessaire à l'égard des visiteurs pour des motifs de sécurité.

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Comme vous l'avez indiqué vous-même, cet amendement pourrait n'appeler de ma part qu'une réponse de forme, compte tenu du souhait que j'ai exprimé d'un vote conforme, pour des raisons de délai que chacun comprend, mais je vous répondrai aussi sur le fond.

Les fouilles par palpation et les fouilles intégrales sont susceptibles d'être pratiquées par le personnel pénitentiaire sur les détenus, mais, depuis la loi pénitentiaire de 2009, votée sous une autre majorité, elles sont soumises à des critères stricts conduisant à adapter la nature de la fouille et sa fréquence aux circonstances de la vie en détention, au profil de la personne détenue ainsi qu'aux risques encourus en termes de sécurité et d'ordre. Vous proposez de déroger à cette disposition pour la durée de l'état d'urgence au nom de la prévention des évasions. Je considère que ce type de mesure ne présente pas de lien suffisant avec la prévention de la récidive d'attentats et donc avec le péril imminent qui a fondé la déclaration de l'état d'urgence. Même si votre amendement était voté — mais je vous invite plutôt à le retirer —, la mise en oeuvre de telles fouilles serait à coup sûr jugée disproportionnée par les juridictions, et les procédures disciplinaires correspondantes seraient annulées.

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En ce qui concerne les notions de péril imminent et de menace terroriste, il faut que chacun ait à l'esprit les termes d'un arrêt du juge des référés du Conseil d'État du 27 janvier : « Le péril imminent justifiant l'état d'urgence n'a pas disparu compte tenu du maintien de la menace terroriste et du risque d'attentats. » Cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant. Mme Attard ne me contredira pas et n'imaginera pas que le juge des référés du Conseil d'État puisse méconnaître le droit.

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Je retire mon amendement, ne serait-ce que pour respecter notre décision de voter le texte conforme, mais je n'ai pas souvenir que, lorsque la loi pénitentiaire de 2009 a été votée, nous étions en situation de guerre, avec une menace terroriste aussi importante. Il s'agit d'une demande récurrente des personnels pénitentiaires, notamment de ceux qui sont spécialisés dans le renseignement, ainsi que des directeurs d'établissement.

L'amendement est retiré.

La Commission adopte l'article unique du projet de loi.

La séance est levée à 12 heures.