Intervention de Colette Capdevielle

Réunion du 10 février 2016 à 11h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaColette Capdevielle, rapporteure :

Monsieur Urvoas, c'est avec beaucoup d'émotion et de plaisir que nous vous retrouvons ici en qualité de garde des Sceaux, de surcroît, pour nous présenter un texte majeur. Je pense que ces sentiments sont partagés par tous.

Pascal Popelin et moi-même avons été désignés rapporteurs sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. Ce texte regroupe les dispositions relatives aux formes les plus graves de criminalité. Je m'occuperai, pour ma part, des modifications apportées à la procédure de droit commun ainsi qu'à la lutte contre le blanchiment – Yann Galut sera sur ce point rapporteur pour avis de la commission des Finances.

Le projet de loi comporte des avancées intéressantes en matière de contradictoire dans les enquêtes préliminaires, de pénalisation du trafic de biens culturels et d'organisation de la cellule Tracfin qui détecte les mouvements financiers suspects. Certains points obscurs de notre droit sont clarifiés, comme les conséquences des arrestations en haute mer ou encore l'encadrement des délais de jugement dans le contentieux de la détention provisoire. Ce sont des articles qui, je pense, emporteront facilement l'adhésion de la commission des Lois et de l'Assemblée nationale dans son ensemble.

Je concentrerai mes questions sur la philosophie générale du texte et j'évoquerai les doutes entendus lors des auditions que nous venons de commencer. Chacun admet la nécessité de renforcer les prérogatives policières en période d'urgence et de doter les forces de l'ordre de moyens efficaces d'investigation. Mais le projet de loi va plus loin en prévoyant un double mouvement : l'un au profit de l'administration et au détriment du juge judiciaire ; l'autre au sein même de ce monde judiciaire, du juge d'instruction vers le parquet, sous le regard du juge des libertés et de la détention.

Concernant le premier point, pourquoi le Gouvernement a-t-il fait le choix de confier le contrôle administratif des retours sur le territoire national au ministre de l'Intérieur plutôt qu'à la magistrature ? N'est-ce pas le rôle du juge judiciaire que de superviser les restrictions de liberté, hors période d'état d'urgence ? Nous faisons toute confiance à l'administration et aux forces de l'ordre mais la confiance n'exclut pas le contrôle ; or il revient par nature aux magistrats judiciaires de fixer des bornes aux actions de l'exécutif.

Le second point, à savoir l'influence grandissante du procureur dans la procédure judiciaire, est l'aspect le plus présent dans le texte et dans les articles que la Commission m'a demandé de rapporter. L'enquête préliminaire est rapprochée, sur bien des points, de l'instruction. N'est-ce pas une remise en cause progressive du rôle du juge d'instruction, qui agit selon une procédure plus stricte mais plus encadrée, au bénéfice du procureur – que la justice européenne ne tient pas pour un magistrat indépendant ? Certes, le projet de loi prévoit qu'il enquête « à charge et à décharge », mais cette proclamation n'est pas vraiment assortie d'applications concrètes. Seriez-vous ouvert à un renforcement du contradictoire dans l'enquête préliminaire et à l'institution de voies de recours là où elles font défaut ? Nous savons qu'un statut du juge des libertés et de la détention est prévu dans le projet de loi organique accompagnant la réforme de la justice du XXIe siècle. Pouvez-vous nous confirmer que ce texte sera prochainement inscrit à l'ordre du jour de notre Commission ?

Au-delà de la rédaction proposée par le Gouvernement, certaines dispositions additionnelles pourraient apporter des compléments intéressants. Je pense aux mesures adoptées par notre Commission lors de l'examen du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne, qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme. Je pense aussi aux protections renforcées que réclament certains professionnels détenteurs de secrets protégés par la loi – avocats, journalistes, médecins – face au risque d'interceptions policières mettant en jeu les droits de leurs clients, de leurs sources et de leurs patients. Pouvons-nous compter sur la bienveillance du Gouvernement si nous proposons de telles mesures ?

Je constate aussi que l'article 33 prévoit une liste particulièrement longue d'habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnances. Certaines des mesures concernées étant particulièrement arides et techniques, je ne suis pas opposée à ce qu'elles soient prises par ordonnance plutôt que par la loi. D'autres évolutions, cependant, me paraissent relativement simples et susceptibles de faire l'objet d'un débat parlementaire classique. Comme vous le savez, notre Commission apprécie peu la multiplication des ordonnances. Êtes-vous ouvert à la conversion de certaines habilitations en dispositions « en dur », au sein du présent texte ? En outre, on lit curieusement à l'article 33 que le Gouvernement sollicite six mois pour prendre des ordonnances quand il laisse au Parlement un délai bien plus réduit pour voter la loi. Je vous demanderai donc des mesures d'harmonisation.

Nous sommes conscients que les menaces qui pèsent sur la France justifient un renforcement des moyens dévolus aux services de la justice. Nous savons, monsieur le garde des Sceaux, que vous mettrez tout en oeuvre pour obtenir les crédits budgétaires nécessaires. Nous vous remercions d'ailleurs de l'avoir indiqué dès votre prise de fonctions. En ce qui concerne les moyens humains, vous savez pouvoir compter sur le dévouement sans faille des hommes et des femmes qui prennent part à l'institution judiciaire – magistrats, fonctionnaires et personnels de greffe. S'agissant enfin des moyens légaux, la commission des Lois saura prendre les responsabilités qui sont les siennes pour garantir aux citoyens une France plus sûre dans un monde incertain. Nous exercerons notre droit d'amendement en préservant l'économie générale du projet de loi ainsi que ses ambitions.

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