Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du 10 février 2016 à 11h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • détention
  • instruction
  • magistrat
  • procureur
  • terrorisme

La réunion

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La séance est ouverte à 11 heures 30.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, président

La Commission procède tout d'abord à l'élection d'un vice-président.

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Je suis saisi de la candidature de Mme Cécile Untermaier. Le nombre de candidats étant égal à celui des postes à pourvoir, en application de l'article 39 du Règlement de l'Assemblée nationale, il n'y a pas lieu de procéder à un scrutin.

Mme Cécile Untermaier est proclamée vice-présidente de la Commission. (Applaudissements)

La Commission procède à l'audition de M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale (n° 3473).

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Nous allons procéder à l'audition de M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice, que je félicite à nouveau pour sa récente nomination à ces fonctions. Il vient présenter le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. Notre Assemblée examinera ce texte en séance publique au cours de la première semaine du mois de mars. Au terme des propos liminaires du garde des Sceaux, je donnerai la parole aux rapporteurs et à un orateur par groupe. Si l'horaire ne nous permet pas d'entendre d'autres orateurs, la discussion générale se poursuivra lors de notre réunion du 17 février, qui sera consacrée à la suite de l'examen du texte.

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Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice

Ce n'est pas sans émotion que je reviens dans cette salle, à une place à laquelle je n'étais pas assis précédemment. Émotion en souvenir du travail que nous avons accompli ensemble, émotion aussi parce qu'en regardant vos débats, mercredi dernier, j'ai pris connaissance des mots fort aimables prononcés à mon endroit. Je me sens redevable : il me faut être à la hauteur de la confiance qui m'a ainsi été manifestée, et de la responsabilité qui est dorénavant la mienne d'être à la disposition du Parlement. Je viendrai devant vous, aussi souvent que j'y serai invité, répondre à vos questions et poursuivre nos échanges. Je salue l'élection de M. Dominique Raimbourg à la présidence de la commission des Lois et je me félicite que continue cette aventure législative en votre compagnie et, je l'espère, avec votre aide. Ma fonction a changé, mais évidemment pas ma disposition d'esprit : je redis ma volonté de travailler avec tous les membres de votre commission, quel que soit leur groupe politique, et ma totale disponibilité, qui sera aussi celle de mes collaborateurs directs ; ils répondront à vos questions avec toute la précision requise.

L'intitulé du projet de loi que je suis invité à vous présenter a été rappelé par le président Raimbourg. Il est vaste et explicite. Avant d'entrer dans le détail du texte, je pense utiles quelques remarques sur sa construction et son élaboration.

Ce projet polyphonique est porté par trois ministres. Les articles 7 à 10 inclus, 18 à 21 inclus et 32 relèvent de la compétence du ministre de l'Intérieur ; les articles 13 à 16 et 33-I de celle du ministre de l'économie et des finances ; le reste relève de ma responsabilité.

Je vous dirai quelques mots seulement des articles qui sont du ressort du ministère de l'Intérieur. Ils prévoient des mesures administratives visant à renforcer la prévention du terrorisme par un dispositif de contrôle administratif des personnes qui se sont rendues sur un théâtre d'opérations terroristes et qui, de retour sur le territoire national, sont susceptibles de constituer une menace pour la sécurité publique. Sont également prévus l'instauration d'un nouveau cas de retenue administrative de courte durée pour contrôler les individus susceptibles d'être liés à des activités à caractère terroriste ainsi que l'encadrement juridique des enquêtes administratives sur le personnel participant à l'organisation de grands événements tels que la COP 21 ou l'Euro 2016. Dans l'hypothèse particulière où un tueur de masse se manifesterait, d'autres dispositions prévoient un nouveau cas d'usage des armes par les agents des forces de sécurité, dans le respect de l'impératif de stricte nécessité.

Les articles concernant le ministère de l'économie et des finances portent sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ils regroupent des dispositions afférentes à la répression du trafic de biens culturels en provenance de zones contrôlées par des organisations ou groupements terroristes, à la réglementation des cartes prépayées, au renforcement des pouvoirs de la cellule TRACFIN et au blanchiment douanier.

L'objectif commun des auteurs de ce texte est de renforcer la protection accordée à nos concitoyens dans le cadre intangible de l'État de droit, où l'autorité judiciaire tient une place éminente. Je vous proposerai, par de nombreuses mesures contenues dans ce projet, de la renforcer plus encore.

Ce n'est ni un texte de circonstances, ni une loi uniquement antiterroriste. Il faut en effet distinguer le moment de la présentation de ce projet au conseil des ministres – ce que j'ai fait la semaine dernière – de son élaboration, largement antérieure puisqu'il a été pensé à la Chancellerie depuis le début de l'année 2015. Les directions se sont appuyées sur la réflexion menée par deux hauts magistrats parmi les plus expérimentés, que Mme Christiane Taubira avait sollicités à cette fin : le procureur général honoraire près la Cour de cassation Jean-Louis Nadal, qui a remis en novembre 2013 un rapport portant sur le ministère public, et le procureur général Jacques Beaume, qui a rendu en juillet 2014 un rapport centré sur l'enquête pénale. La direction des affaires criminelles et des grâces a aussi travaillé sur la base du rapport, antérieur, demandé au procureur général près la cour d'appel de Riom, M. Marc Robert, et consacré à la cybercriminalité. Ces trois rapports ont conduit à définir nombre des mesures contenues dans le texte qui vous est soumis. Enfin, dès septembre 2015, la Chancellerie a procédé à de multiples concertations.

Si j'ai tenu à exposer les étapes de cette maturation, c'est pour mieux souligner que ce texte harmonieux a été mûrement réfléchi, dans le respect scrupuleux des libertés fondamentales. Il articule la recherche de performance dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme et une réflexion plus large sur l'efficacité de la procédure pénale. Il le fallait, parce que les enquêteurs et les magistrats, notamment ceux du parquet et de l'instruction, sont accaparés par des contraintes procédurales qui, sans rien apporter au justiciable ni à la sauvegarde des libertés, contribuent à rendre la procédure incohérente. Ces contraintes sont des obstacles formels, générateurs d'une insécurité juridique que, je l'espère, nous parviendrons ensemble à éliminer. Le temps libéré par la plus grande rationalité des enquêtes, des poursuites et du jugement permettra aux enquêteurs et aux magistrats de se consacrer davantage au fond des dossiers.

Ces mesures de simplification législatives seront complétées, comme l'a annoncé le Premier ministre au mois d'octobre dernier, par des mesures réglementaires et pratiques de nature à alléger davantage encore la tâche des enquêteurs. Je ne m'interdirai d'ailleurs pas de vous soumettre, dès la semaine prochaine, quelques amendements complémentaires – dans le respect scrupuleux des prérogatives de votre commission, cela va sans dire. J'ajoute que le Gouvernement montrera la plus grande ouverture aux amendements d'origine parlementaire sur ces sujets. Je l'ai dit la semaine dernière, au Sénat, lors de l'examen de la proposition de loi de M. Philippe Bas tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste dont M. Michel Mercier est le rapporteur : en ces matières, nos chemins sont parallèles et nous pourrions sans grand effort les faire converger. En bref, le Gouvernement étudiera avec bienveillance les amendements des députés et des sénateurs visant à rendre la procédure plus efficace. Une justice moderne, efficace et sereine est une justice qui évite la bureaucratie inutile et pesante, et lui préfère des procédures pondérées et aussi durablement stables.

Parce que la procédure pénale constitue un élément fondamental de l'État de droit, le Gouvernement a souhaité faire figurer dans ce texte des dispositions permettant l'emploi de techniques spéciales d'enquête – sonorisation et captation de données informatiques, IMSI catcher – pour combattre une menace dont les auteurs usent des moyens technologiques les plus modernes, ainsi que des dispositions renforçant les garanties offertes à nos concitoyens, en limitant la durée de mise en oeuvre de ces techniques et en renforçant la procédure du contradictoire par la communication des dossiers.

La modernisation des techniques spéciales d'enquête en police judiciaire est rendue nécessaire par nos engagements internationaux, notamment par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, mais aussi par l'impérieuse nécessité que des enquêtes relatives à des faits graves demandant des investigations approfondies ne soient pas annulées ou ne donnent lieu à la condamnation de la France devant la Cour européenne des droits de l'homme. Nous partageons tous la conviction que la garantie des libertés individuelles et publiques ne doit en aucun cas s'effacer devant la menace du terrorisme, quelle que soit son intensité. Non seulement les droits et libertés qui structurent l'État de droit doivent perdurer mais ils doivent être renforcés ; c'est l'objet de ce texte. La résistance au terrorisme passe aussi par l'illustration de la supériorité de la démocratie, et donc par la confiance en la justice.

Dans le détail, ce projet sera un facteur de cohérence pour notre système judiciaire en renforçant la complémentarité entre police judiciaire et police administrative. Ce sujet a été longuement abordé lors des audiences solennelles de rentrée. La magistrature a ainsi manifesté une inquiétude que nous devons dissiper, car il n'y a aucune raison de nourrir ces interrogations : le Gouvernement entend bien faire respecter l'article 66 de la Constitution, renforcer les moyens mis à la disposition de la police judiciaire et, tout autant, contribuer à l'articulation féconde entre celle-ci et la police administrative. Le texte tend aussi à renforcer la cohérence entre magistrats du siège et magistrats du parquet – en particulier entre le procureur de la République, le juge d'instruction et le juge des libertés et de la détention – ainsi qu'entre le parquet et la police judiciaire.

Je veux revenir sur ce que je pense être un malentendu. J'ai entendu s'exprimer des réserves sur la « transposition à la police judiciaire de méthodes de la police administrative » qu'effectuerait ce texte. Une telle présentation fait fi de la chronologie. En réalité, la loi relative au renseignement a transposé des techniques spéciales d'enquête de la police judiciaire à la police administrative, non l'inverse. Mais cette modernisation a eu pour conséquence de mettre l'accent sur la nécessaire adaptation des techniques de l'enquête judiciaire. Aussi le texte tire-t-il avantage des réflexions législatives les plus récentes et les plus en phase avec les besoins des enquêteurs, et cherche à rétablir un équilibre que seuls le temps et les technologies avaient quelque peu rogné.

Par ailleurs, le projet de loi remédie à une incohérence en permettant le recours aux techniques spéciales d'enquête soit au cours de l'enquête soit lors de l'instruction en les encadrant de façon adaptée, notamment dans leur durée, afin de respecter l'équilibre entre le parquet et le juge d'instruction.

S'agissant des relations entre magistrats du parquet et magistrats du siège, je rappelle que l'évolution des pratiques et des textes depuis vingt ans a eu pour conséquence que la proportion d'informations confiées au juge d'instruction par rapport aux enquêtes dirigées par le procureur de la République s'est progressivement réduite. Les pouvoirs d'investigation de ce dernier ont été accrus, avec l'autorisation préalable du juge des libertés et de la détention. Cette évolution a conduit à des projets de suppression de la fonction de juge d'instruction ; c'est une suggestion que je n'ai jamais faite mienne. Dans une société démocratique, l'intervention d'un juge du siège indépendant, agissant dans le cadre d'une procédure pleinement contradictoire, est à mes yeux indispensable, tant dans les affaires criminelles que dans les dossiers correctionnels graves et complexes, notamment ceux qui exigent des mesures de sûreté contre les personnes. L'hypothèse de la suppression de la fonction de juge d'instruction est donc écartée par le Gouvernement.

En revanche, il convient de renforcer le caractère contradictoire de certaines enquêtes, de simplifier le déroulement des instructions, et aussi d'étendre – pour une durée très limitée et uniquement en matière de délinquance et de criminalité organisées – les pouvoirs d'investigations au cours de l'enquête. Ces évolutions complètent d'ailleurs la suppression des instructions individuelles, prohibées par la loi du 25 juillet 2013.

Le projet de loi porte donc une attention particulière d'une part à la place dévolue au procureur de la République, au magistrat instructeur et au juge des libertés et de la détention, d'autre part à l'articulation des prérogatives de chacun d'entre eux.

Le deuxième équilibre est maintenu par la différence opérée dans la mise en oeuvre des pouvoirs d'enquête – le juge d'instruction agissant seul, le procureur de la République sollicitant l'autorisation du juge des libertés et de la détention. La distinction ainsi opérée entre les enquêtes faisant l'objet d'une ouverture d'information judiciaire et celles diligentées par le parquet se traduit par une faculté de recours à des techniques spéciales d'enquête plus large dans le cadre des premières, les champs d'application et les durées différant.

En matière de criminalité et de délinquance organisées, les prérogatives d'enquête du juge d'instruction et du parquet – ces dernières étant, je le redis, autorisées par le juge des libertés et de la détention – sont étoffées. D'une part, les hypothèses permettant de recourir aux perquisitions domiciliaires nocturnes et aux techniques de sonorisation, fixation d'images et captations de données sont étendues ; d'autre part, un cadre juridique spécifique est créé pour permettre le recours à de nouvelles techniques d'investigation telles que l'accès au contenu des données stockées dans un système informatique et l'identification de données techniques de connexion par le biais d'un IMSI-catcher.

En outre, la liste des infractions relevant du régime dérogatoire de la criminalité organisée est élargie par l'ajout à l'article 706-73-1 du code de procédure pénale des délits d'atteinte aux systèmes informatiques et d'évasion commis en bande organisée. Une fois encore, je veux rassurer : ces techniques d'enquêtes sont encadrées par le juge judiciaire et utilisées à l'encontre du terrorisme et de la criminalité organisée. Aucune extension n'est donc à redouter, et les libertés individuelles sont préservées.

Une place particulière est réservée aux témoins qui, par leurs dépositions, sont susceptibles de concourir à la manifestation de la vérité. Demain, lors d'une procédure, un témoin pourra demander à n'être identifié que par un numéro ou encore à être entendu à huis clos, s'agissant du jugement des crimes contre l'humanité ou d'autres infractions graves. Cette protection est également garantie par la possibilité de demander une identité d'emprunt pour éviter les risques de représailles.

Comme je l'ai brièvement mentionné, le texte reprend en outre certaines préconisations contenues dans le rapport du procureur général Marc Robert relatif à la cybercriminalité. Ainsi adapte-t-il les règles de compétence territoriale aux infractions commises par le biais d'un réseau de communication électronique en créant un nouveau critère de compétence lié au domicile de la victime. Cela facilitera la détermination de la juridiction compétente pour traiter une affaire en l'absence de localisation de l'auteur de l'infraction. La prise en charge des dossiers relatifs à des infractions commises par internet, dont le nombre va croissant, en sera simplifiée.

D'autre part, la compétence des juridictions parisiennes de l'application des peines spécialisées en matière antiterroriste sera limitée aux personnes condamnées pour les infractions terroristes les plus importantes.

Vous l'aurez compris : ces mesures préservent la place institutionnelle de chacun des magistrats acteurs de la procédure pénale.

Enfin, le projet tend à clarifier le rôle du procureur de la République dans la direction d'enquête. Il convient en effet d'assurer la juste distance entre ce magistrat et les enquêteurs, tout en renforçant les pouvoirs de contrôle de l'autorité judiciaire – en l'espèce, le procureur général – sur la discipline des officiers et des agents de police judiciaire et des autres fonctionnaires exerçant des missions de police judiciaire.

Dans cette perspective, le texte améliore sur plusieurs points les garanties de la procédure pénale. Il clarifie le rôle du procureur de la République dans la direction de la police judiciaire. Il crée une procédure disciplinaire d'urgence en cas de faute grave d'une personne exerçant des missions de police judiciaire. Il institue une procédure simplifiée de règlement contradictoire des enquêtes de plus d'un an. Il limite la durée des interceptions téléphoniques tout en prévoyant une double décision du juge d'instruction et du juge des libertés et de la détention pour les interceptions concernant des avocats, des parlementaires ou des magistrats. Il encadre les délais de détention provisoire en cas de renvoi par le juge d'instruction ou de poursuite de la procédure après cassation.

Enfin, le texte simplifie la procédure pour permettre aux magistrats de se concentrer au fond des enquêtes et garantir une bonne administration de la justice. Ces simplifications concernent l'habilitation des officiers de police judiciaire, l'encadrement des demandes de mise en liberté, la possibilité de placer sous contrôle judiciaire une personne dont la détention provisoire est apparue formellement irrégulière, la convocation en justice par les délégués du procureur de la République, la procédure de comparution immédiate ou l'extension des procédures de contrôle d'identité et de recherche des personnes en fuite aux personnes condamnées qui ne respectent pas leurs obligations.

Je rappellerai pour conclure les principaux apports de ce texte. C'est, en premier lieu, le renforcement des pouvoirs de l'autorité judiciaire dans le cadre des enquêtes et des informations judiciaires. C'est aussi la confirmation du procureur de la République dans son rôle de direction de la police judiciaire : dans le prolongement de la loi du 25 juillet 2013, il est conforté dans sa qualité d'autorité judiciaire agissant dans le respect du principe d'impartialité, à charge et à décharge, avec le seul souci de la recherche de la manifestation de la vérité. C'est encore le progrès des garanties offertes aux justiciables et des droits de la défense, notamment par l'introduction du contradictoire dans le cadre de l'enquête préliminaire. C'est d'autre part l'amélioration de l'efficacité de la lutte contre le terrorisme. C'est enfin la simplification de la procédure.

Sans doute avez-vous été surpris par le volume de l'article 33, qui vise à permettre au Gouvernement de légiférer par ordonnances. Je sais l'extrême prudence, à juste titre, du Parlement ainsi sollicité. Aussi ai-je demandé que mes services tiennent à la disposition de vos rapporteurs ceux des textes prévus qui relèvent de ma compétence ; ils le sont déjà. Je précise que je viens de rendre compte au Conseil des ministres de l'ordonnance sur le droit des contrats, pour laquelle vous aviez permis l'habilitation du Gouvernement. Elle ne compte pas moins de 380 articles ; c'est dire que la procédure choisie était la bonne, d'autant que 95 % de ces articles sont consensuels. Je remercie le Parlement d'avoir permis au Gouvernement d'agir dans l'intérêt général pour simplifier le droit des contrats. Nous allons maintenant nous lancer dans un autre chantier, d'une ampleur comparable et aussi indispensable, celui de la responsabilité.

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Je suis chargé de rapporter sur les dispositions renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme et sur celles qui visent à renforcer l'efficacité des investigations judiciaires – articles 1er à 4 du texte ; celles qui tendent à renforcer la protection des témoins, et qui figurent aux articles 5 et 6 ; celles qui visent à améliorer la lutte contre les infractions en matière d'armes et la cybercriminalité, contenues dans les articles 7 à 11 ; enfin, celles qui tendent à renforcer l'enquête et les contrôles administratifs, qui font l'objet des articles 17 à 21.

Même si j'ai compris quel est le périmètre du projet couvert par la Chancellerie, c'est sur l'ensemble de ces articles que porteront mes questions au représentant du Gouvernement. Les auditions que nous menons, Mme Colette Capdevielle et moi-même, ayant commencé hier, je m'en tiendrai, monsieur le ministre, à vous interroger sur quelques points appelant des éclaircissements.

S'agissant de l'efficacité des investigations judiciaires, les articles 1er, 2 et 3 font intervenir des décisions d'autorisation du juge des libertés et de la détention. Ce magistrat a vu son rôle évoluer considérablement au cours des dernières années, sans qu'il soit formellement consacré dans notre droit. L'organisation des services et les effectifs permettront-ils aux juges des libertés et de la détention de remplir cette nouvelle mission ?

L'article 4 recentre les missions de la juridiction parisienne d'application des peines sur le seul suivi des peines prononcées pour actes de terrorisme, à l'exclusion des faits de provocation à ces actes ou d'apologie de ceux-ci. Cette disposition suffira-t-elle à désengorger la juridiction ? Une augmentation de ses moyens est-elle envisagée ?

Les articles 5 et 6 visent à renforcer la protection des témoins qui s'exposent à des risques importants de représailles. Mais cette protection, légitime, n'emporte-t-elle pas le risque que des condamnations soient prononcées sur la foi d'un seul ou de plusieurs témoignages uniquement anonymes ?

Les articles 7 et 9 renforcent le contrôle administratif des armes et la violation des règles en cette matière. Même si ces questions relèvent davantage du ministère de l'Intérieur que de la Chancellerie, pouvez-vous nous dire ce que représente le trafic d'armes en France, et quel lien établir entre ce trafic et le terrorisme ?

Les articles 8 et 11 donnent aux services enquêteurs, qu'ils soient judiciaires ou douaniers, des moyens d'investigation supplémentaires, élargissant notamment au trafic d'armes la possibilité de recourir à des infiltrations et à la technique du « coup d'achat ». Quel est l'état de la coopération des douanes et des services de police d'une part, de la coopération européenne d'autre part, en matière de lutte contre le trafic d'armes ?

L'article 11 adapte nos règles procédurales aux enjeux de la cybercriminalité. Il prévoit de nouveaux critères de compétence territoriale dès lors que la victime est française, de nouveaux critères de compétence du parquet, du juge d'instruction et du tribunal correctionnel en raison du domicile de cette victime et l'extension des règles procédurales de la criminalité organisée aux atteintes aux systèmes informatiques de l'État comportant des données personnelles. Pourquoi ne pas reconnaître une compétence spécifique à la juridiction parisienne en matière de cybercriminalité ? Comment l'État et les opérateurs d'importance vitale protègent-ils leurs systèmes informatiques contre le cyberterrorisme ?

J'en viens maintenant à l'enquête et aux contrôles administratifs.

L'article 17 étend les pouvoirs des forces de l'ordre à l'occasion des contrôles et vérifications d'identité. Il introduit la possibilité, pour les officiers de police judiciaire agissant sur réquisition du procureur de la République en application de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale, de procéder, dans les lieux et pour la période prévus par ce magistrat, à l'inspection visuelle et à la fouille de bagages en plus des contrôles d'identité et de la visite des véhicules. Quelles garanties encadrent-elles cette extension, du point de vue des libertés individuelles ?

L'article 18 permet aux forces de l'ordre, à l'occasion d'un contrôle d'identité, de retenir une personne lorsqu'il y a des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste, le temps de l'examen de sa situation, qui pourrait comprendre la consultation plus extensive de fichiers de police, la vérification de sa situation administrative et la consultation des services à l'origine du signalement. Ce temps d'examen ne pourra excéder quatre heures à compter du début du contrôle. Comment s'articulera cette nouvelle retenue avec la garde à vue, si cette dernière s'avère nécessaire ? Comment la sécurité juridique de la procédure sera-t-elle garantie ?

L'article 19 précise le cadre légal de l'usage des armes par les policiers, les gendarmes, les douaniers et les militaires déployés sur le territoire national en renfort des forces de sécurité intérieure, en dehors des cas de légitime défense, dans le cas d'un périple meurtrier durant lequel la légitime défense ne pourrait être invoquée, mais qui relève de l'état de nécessité. Comment cette mesure s'articulera-t-elle avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme relative au droit à la vie ? La notion de « temps rapproché » désigne-t-elle une durée de quelques minutes ou de plusieurs jours ?

Enfin, si le départ vers des pays en guerre de ressortissants français souhaitant participer aux combats n'est pas nouveau, il a pris une ampleur inédite au cours des dernières années : des centaines de jeunes, hommes et femmes, se rendent notamment en Syrie pour rallier des groupes de combattants terroristes. Le rapport de la commission d'enquête menée par l'Assemblée nationale à ce sujet établit un constat inquiétant : « Les retours de djihadistes de la zone irako-syrienne sont l'un des facteurs importants de l'aggravation de la menace, la majorité d'entre eux ayant combattu dans les rangs de Daech, qui a officiellement appelé à la commission d'attentats terroristes en France et dans les pays participant à la coalition ». L'article 20 renforce le contrôle à l'égard des personnes qui se sont déplacées à l'étranger afin de participer à des activités terroristes, et qui, de retour sur le territoire national, sont susceptibles de constituer une menace pour la sécurité publique. À combien estimez-vous le nombre de personnes qui pourraient être concernées par ces mesures ?

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Monsieur Urvoas, c'est avec beaucoup d'émotion et de plaisir que nous vous retrouvons ici en qualité de garde des Sceaux, de surcroît, pour nous présenter un texte majeur. Je pense que ces sentiments sont partagés par tous.

Pascal Popelin et moi-même avons été désignés rapporteurs sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. Ce texte regroupe les dispositions relatives aux formes les plus graves de criminalité. Je m'occuperai, pour ma part, des modifications apportées à la procédure de droit commun ainsi qu'à la lutte contre le blanchiment – Yann Galut sera sur ce point rapporteur pour avis de la commission des Finances.

Le projet de loi comporte des avancées intéressantes en matière de contradictoire dans les enquêtes préliminaires, de pénalisation du trafic de biens culturels et d'organisation de la cellule Tracfin qui détecte les mouvements financiers suspects. Certains points obscurs de notre droit sont clarifiés, comme les conséquences des arrestations en haute mer ou encore l'encadrement des délais de jugement dans le contentieux de la détention provisoire. Ce sont des articles qui, je pense, emporteront facilement l'adhésion de la commission des Lois et de l'Assemblée nationale dans son ensemble.

Je concentrerai mes questions sur la philosophie générale du texte et j'évoquerai les doutes entendus lors des auditions que nous venons de commencer. Chacun admet la nécessité de renforcer les prérogatives policières en période d'urgence et de doter les forces de l'ordre de moyens efficaces d'investigation. Mais le projet de loi va plus loin en prévoyant un double mouvement : l'un au profit de l'administration et au détriment du juge judiciaire ; l'autre au sein même de ce monde judiciaire, du juge d'instruction vers le parquet, sous le regard du juge des libertés et de la détention.

Concernant le premier point, pourquoi le Gouvernement a-t-il fait le choix de confier le contrôle administratif des retours sur le territoire national au ministre de l'Intérieur plutôt qu'à la magistrature ? N'est-ce pas le rôle du juge judiciaire que de superviser les restrictions de liberté, hors période d'état d'urgence ? Nous faisons toute confiance à l'administration et aux forces de l'ordre mais la confiance n'exclut pas le contrôle ; or il revient par nature aux magistrats judiciaires de fixer des bornes aux actions de l'exécutif.

Le second point, à savoir l'influence grandissante du procureur dans la procédure judiciaire, est l'aspect le plus présent dans le texte et dans les articles que la Commission m'a demandé de rapporter. L'enquête préliminaire est rapprochée, sur bien des points, de l'instruction. N'est-ce pas une remise en cause progressive du rôle du juge d'instruction, qui agit selon une procédure plus stricte mais plus encadrée, au bénéfice du procureur – que la justice européenne ne tient pas pour un magistrat indépendant ? Certes, le projet de loi prévoit qu'il enquête « à charge et à décharge », mais cette proclamation n'est pas vraiment assortie d'applications concrètes. Seriez-vous ouvert à un renforcement du contradictoire dans l'enquête préliminaire et à l'institution de voies de recours là où elles font défaut ? Nous savons qu'un statut du juge des libertés et de la détention est prévu dans le projet de loi organique accompagnant la réforme de la justice du XXIe siècle. Pouvez-vous nous confirmer que ce texte sera prochainement inscrit à l'ordre du jour de notre Commission ?

Au-delà de la rédaction proposée par le Gouvernement, certaines dispositions additionnelles pourraient apporter des compléments intéressants. Je pense aux mesures adoptées par notre Commission lors de l'examen du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne, qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme. Je pense aussi aux protections renforcées que réclament certains professionnels détenteurs de secrets protégés par la loi – avocats, journalistes, médecins – face au risque d'interceptions policières mettant en jeu les droits de leurs clients, de leurs sources et de leurs patients. Pouvons-nous compter sur la bienveillance du Gouvernement si nous proposons de telles mesures ?

Je constate aussi que l'article 33 prévoit une liste particulièrement longue d'habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnances. Certaines des mesures concernées étant particulièrement arides et techniques, je ne suis pas opposée à ce qu'elles soient prises par ordonnance plutôt que par la loi. D'autres évolutions, cependant, me paraissent relativement simples et susceptibles de faire l'objet d'un débat parlementaire classique. Comme vous le savez, notre Commission apprécie peu la multiplication des ordonnances. Êtes-vous ouvert à la conversion de certaines habilitations en dispositions « en dur », au sein du présent texte ? En outre, on lit curieusement à l'article 33 que le Gouvernement sollicite six mois pour prendre des ordonnances quand il laisse au Parlement un délai bien plus réduit pour voter la loi. Je vous demanderai donc des mesures d'harmonisation.

Nous sommes conscients que les menaces qui pèsent sur la France justifient un renforcement des moyens dévolus aux services de la justice. Nous savons, monsieur le garde des Sceaux, que vous mettrez tout en oeuvre pour obtenir les crédits budgétaires nécessaires. Nous vous remercions d'ailleurs de l'avoir indiqué dès votre prise de fonctions. En ce qui concerne les moyens humains, vous savez pouvoir compter sur le dévouement sans faille des hommes et des femmes qui prennent part à l'institution judiciaire – magistrats, fonctionnaires et personnels de greffe. S'agissant enfin des moyens légaux, la commission des Lois saura prendre les responsabilités qui sont les siennes pour garantir aux citoyens une France plus sûre dans un monde incertain. Nous exercerons notre droit d'amendement en préservant l'économie générale du projet de loi ainsi que ses ambitions.

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Vous avez affirmé, monsieur le garde des Sceaux, que le projet de loi qui nous est présenté ce matin avait été longuement pensé : c'est exact. Il me semble néanmoins avoir déraillé.

Afin de préparer l'examen de ce texte, notre Commission avait institué une mission d'information relative à la réforme de la procédure pénale, dont les rapporteurs furent l'actuel président de notre commission et moi-même, et qui a notamment auditionné le directeur des affaires criminelles et des grâces. En outre, et comme vous l'avez indiqué, la Chancellerie s'est appuyée sur les trois rapports que vous avez cités. L'essentiel des réflexions contenues dans ces rapports n'est cependant que très partiellement repris dans le texte du Gouvernement. En effet, le problème de la justice judiciaire réside principalement dans son encombrement et son enlisement dans les contentieux de masse. Il est donc indispensable de simplifier les procédures pour rendre à la justice judiciaire sa capacité de réaction. Pierre Drai, alors Premier président de la Cour de cassation, disait : « La justice apporte des solutions mortes à des questions mortes. » Voilà qui appelle des remèdes importants. Pourtant, le problème des contentieux de masse, auquel une grande partie de la réflexion est consacrée, est aujourd'hui écarté. Les auditions auxquelles nous avions procédé montrent que pareille omission entraînera une grande déception.

Nous nous trouvons dans une situation paradoxale. En effet, au moment où le Gouvernement proclame de plus en plus, et à juste raison, la nécessaire indépendance de l'ordre judiciaire – avec en perspective la réforme du Conseil supérieur de la magistrature –, nous assistons à deux phénomènes préoccupants : d'une part, à l'enlisement de la justice judiciaire dans les contentieux de masse, qui la prive de toute autonomie réelle ; d'autre part, et plus grave encore, au transfert d'une grande partie des compétences du juge judiciaire vers le juge administratif, sans d'ailleurs que personne ne se pose la question de l'indépendance de ce dernier. Sans doute est-ce la dévitalisation – peut-être consentie – de la justice judiciaire qui conduit à de tels transferts de compétences. Il ne sert à rien de dénoncer l'insuffisante indépendance de l'ordre judiciaire lorsqu'on transfert vers la justice administrative l'essentiel de ses compétences. Le discours sur l'indépendance est malvenu : il est inadéquat et quelque peu hypocrite.

C'est avec inquiétude que j'ai entendu le ministre de l'Intérieur dire que si l'article 66 de la Constitution, qui donne compétence aux magistrats judiciaires en matière de protection des libertés individuelles, demeurait, son sens est en réalité de plus en plus réduit. Désormais, en effet, le juge judiciaire serait compétent en matière de privation de liberté mais pas de restriction de liberté, domaine qui échoirait au juge administratif. Or, j'avais appris au cours de mes leçons de droit – très anciennes – que la liberté était indivisible. Il semble là qu'on veuille pratiquer une césure dans le traitement des libertés. Seule la privation de liberté de longue durée serait contrôlée par le juge judiciaire puisque jusqu'à douze heures de privation, le juge administratif serait compétent. Et dans le cadre de l'état d'urgence, on va très au-delà.

Le Premier président de la Cour de cassation a ainsi publié une note dans laquelle il se demande si, compte tenu de cette évolution et de ces transferts – sanctionnés de longues date par la jurisprudence du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel –, le temps n'est pas venu, afin de garantir l'indépendance, de fusionner la justice administrative et la justice judiciaire.

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Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice

Je commencerai par aborder la question des moyens de la justice qui n'est pas directement liée à ce projet de loi mais qui est en réalité le défi principal auquel je serai confronté dans les quinze mois qui viennent et que Mme Capdevielle vient d'évoquer. Comme je l'ai souligné lors de ma première intervention publique, à l'occasion de la passation de pouvoirs entre Christiane Taubira et moi-même, c'est à la loi de finances que je dois consacrer toute mon énergie. On peut adopter de nombreuses lois et ouvrir tous les postes que l'on veut, si l'on ne donne pas à la justice les moyens de fonctionner, on ne créera pas de vrais droits. Nous devons faire en sorte que les droits votés soient des droits appliqués. Ce ne sont pas les dix jours que je viens de passer à la Chancellerie qui m'ont fait changer d'avis sur ce point : chaque dossier que j'ouvre me renvoie à ce manque de moyens. En l'espèce, les responsabilités supplémentaires que nous donnons au juge des libertés et de la détention engageront nécessairement des moyens. Nous devrons consacrer l'énergie nécessaire à cette question et je compte sur le soutien de la commission des Lois de l'Assemblée nationale lors du vote de la loi de finances. Je suis naturellement à la disposition des parlementaires pour me rendre dans les juridictions car il n'est de meilleur moyen de nourrir une argumentation que de voir ce qui se fait en leur sein.

M. Patrick Devedjian vient de souligner un point important. On pense toujours à la justice pénale. Mais en dépit des multiples maux auxquels elle est confrontée, celle-ci bénéficie d'un atout : l'encadrement de ses procédures dans des délais. En revanche, dans la justice civile, la justice du quotidien – celle du surendettement, des prud'hommes et du divorce – , l'attente est la règle. Chaque jour que je passe à la Chancellerie, je commence par lire ce que les présidents et procureurs disent à l'occasion des audiences. La situation n'est d'ailleurs pas identique sur tout le territoire. Il est des juridictions dans lesquelles la situation n'est certes pas confortable mais, du moins, acceptable tandis que certains tribunaux sont à l'agonie. Sans doute faut-il donc hiérarchiser les urgences. Il n'est pas acceptable que des justiciables abdiquent dans l'exercice de leurs droits parce que nous ne sommes pas capables de faire fonctionner la justice. La question des moyens sera donc pour moi une bataille centrale pour garantir l'exercice des droits votés.

Mme Capdevielle m'a interrogé concernant l'article 33 du projet de loi qui habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnances. Quelques-unes de celles-ci visent à la transposition de directives européennes, d'autres tirent les conséquences de questions prioritaires de constitutionnalité. Si l'Assemblée nationale souhaite transformer ces habilitations en articles au sein du présent projet de loi, je n'y serai pas opposé dans la mesure où leur objet est très précis.

En ce qui concerne le renforcement à venir du statut du juge des libertés et de la détention, au-delà de la question des moyens que j'ai déjà évoquée, un aspect du texte mérite d'être rappelé et clarifié, à en croire les commentaires que j'ai pu lire ou entendre de la part des représentants de professions juridiques que j'ai rencontrés. Je songe notamment aux représentants d'organisations d'avocats – le Conseil national des barreaux, le Barreau de Paris, la Conférence des bâtonniers – que j'ai croisés hier lorsque vous les auditionniez. Les garanties que nous apportons pour préserver la sérénité du juge des libertés et de la détention dans l'exercice de ses fonctions sont, j'en suis convaincu, utiles et attendues par la profession. Dans l'état actuel du droit, le juge ne bénéficie pas de garanties suffisantes : il est désigné par une décision du président de sa juridiction, une décision sur laquelle celui-ci peut à tout moment revenir. L'intention du Gouvernement est de faire du juge des libertés et de la détention un magistrat spécialisé, nommé à ses fonctions par décret après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

À ce propos, j'insiste sur le souhait du Gouvernement de faire aboutir la réforme du CSM. Je crois savoir que M. Georges Fenech n'y est pas hostile. L'Assemblée nationale a voté un texte, le Sénat aussi ; ils sont assez éloignés l'un de l'autre, mais celui du Sénat serait déjà un premier pas appréciable. Le Gouvernement entend donc demander à l'Assemblée nationale de se prononcer sur le texte sénatorial et s'il peut y avoir un vote conforme – je répète ici ce que le Président de la République a dit vendredi à Bordeaux devant 366 auditeurs de justice qui prêtaient serment, soit la promotion la plus nombreuse que la Ve République ait connue –, le Gouvernement se saisira du texte en l'état et la Constitution sera modifiée en ce sens. Ce n'était pas l'intention première du Gouvernement, qui défendait un projet plus vaste et, à mon sens, plus ambitieux. Mais l'avis conforme du CSM est une avancée bonne à prendre.

Je reviens au juge des libertés et de la détention, qui serait nommé, à l'instar des autres magistrats spécialisés, pour une durée maximale de dix ans dans une même juridiction et aux mêmes fonctions. Cette réforme figure dans le projet de loi organique, bien connu de vous, relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats.

En ce qui concerne le durcissement des modalités d'aménagement de peine pour les condamnés terroristes, je n'y suis pas hostile ; je pense que cette question, qui n'a jamais été débattue quant au fond, mérite de l'être. Si l'on veut conserver le principe d'individualisation des peines – que personne, j'imagine, n'entend remettre en cause –, on peut discuter de cette possibilité pour les détenus les plus signalés ou dangereux. Au sein de la magistrature, le président du tribunal de grande instance de Paris a déjà évoqué quelques éléments qui seraient utiles pour éclairer l'Assemblée nationale.

J'en viens à la protection des témoins, un sujet évidemment sensible. Le régime de protection des témoins a été créé en 2004 par la loi dite « Perben II », mais n'est applicable que depuis deux ans. Il coûte 450 000 euros par an, financés par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués – quand les Italiens consacrent depuis des années plusieurs millions par an au dispositif équivalent. Il existe aujourd'hui une commission nationale de protection et de réinsertion, placée auprès du ministre de l'Intérieur et composée de sept personnes dont, à sa tête, Mme Anne Kostomaroff, avocat générale près la cour d'appel de Paris. C'est cette commission qui délivre le statut de collaborateur de justice et qui décide du niveau de protection accordé. Les dossiers lui sont soumis par des magistrats et la gestion est confiée au bureau de protection des repentis au sein du service interministériel d'assistance technique (SIAT), qui relève de la direction centrale de la police judiciaire. Une modification est aujourd'hui proposée afin d'apporter des éléments utiles concernant la base légale de ce dispositif, qui paraît en effet perfectible.

J'en viens au trafic d'armes et à son lien avec le terrorisme. Même si le Gouvernement est un, ce sujet concerne prioritairement le ministre de l'Intérieur, qui a présenté un plan de lutte contre le trafic d'armes, ainsi que le ministre de l'économie et des finances, qui a la tutelle des douanes. Voici ce que je puis vous en dire de mon côté : depuis 2014, 6 000 armes sont saisies chaque année et la mise en oeuvre de l'état d'urgence a permis d'accroître notablement ce nombre ; 212 infractions à la législation sur les armes font actuellement l'objet de poursuites. Le lien avec le terrorisme est évident : on a observé que les auteurs des récents attentats étaient lourdement armés. En la matière, la coopération européenne est absolument nécessaire, afin d'harmoniser les législations. Les Anglais, en particulier, ont réussi à juguler le trafic d'armes ; il est vrai que l'insularité est un avantage que nous n'avons pas, mais nous pourrions utilement nous inspirer des techniques qu'ils ont utilisées.

En ce qui concerne les coopérations à propos desquelles vous m'avez interrogé, vous comprendrez que, par strict respect des responsabilités de chacun, je laisse à mes collègues le privilège de vous répondre dans l'hémicycle.

S'agissant de la compétence spécifique de la juridiction parisienne en matière de cybercriminalité, l'idée vient du Sénat : le président de la commission des Lois M. Philippe Bas l'a fait figurer dans la proposition de loi qu'il a défendue la semaine dernière. J'y suis défavorable. Le « rapport Robert », que j'ai souvent eu l'occasion d'évoquer et que M. Patrick Devedjian a également mentionné, invite à reconnaître une compétence concurrente au tribunal de grande instance de Paris pour les seules atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données (STAD) visant les services de l'État et les opérateurs d'importance vitale, et une compétence résiduelle aux juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) pour l'ensemble des autres cyberaffaires commises en bande organisée.

En ce qui concerne la protection de l'État et des opérateurs d'importance vitale face au cyberterrorisme, rappelons qu'en France, on a fait le choix de séparer les activités de cyberoffensive, confiées à l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), de celles de cyberdéfense, qui relèvent des services. Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) organise leur coopération. Les effectifs de l'ANSSI ont très fortement augmenté depuis la création de l'agence en 2009, passant de 120 agents à l'origine à 250 en 2012, puis à 360 en 2013, enfin à 500 aujourd'hui. Le Gouvernement a ainsi indiqué clairement que la mission de l'agence est pour lui une priorité. De fait, l'ANSSI joue un rôle déterminant dans la protection de l'État et des opérateurs d'importance vitale et je ne doute pas que M. Guillaume Poupard, son directeur général, serait ravi de venir vous en parler.

Quant à la retenue administrative, prévue à l'article 18 du texte, sa durée – quatre heures – ne vient pas de nulle part : elle a été validée par le Conseil constitutionnel en matière de vérification d'identité. Cette durée sera naturellement imputée sur celle de la garde à vue si cette mesure est ensuite ordonnée.

La modification des règles d'usage des armes par les policiers a fait l'objet d'un engagement du Président de la République lors de la réunion organisée le 22 octobre dernier à l'Élysée, puis d'un groupe de travail auquel plusieurs parlementaires de votre commission ont participé, dont Mme Élisabeth Pochon et M. Éric Ciotti. Le Conseil d'État a signalé à ce sujet qu'une réflexion plus globale méritait d'être conduite. Néanmoins, ces questions relèvent elles aussi du ministre de l'Intérieur, chargé du pilotage ; je me réserve donc de lui demander s'il est ouvert ou non à des amendements.

Les individus qui pourraient être concernés par l'article 20 en raison de leur retour de Syrie sont aujourd'hui 250, d'après les chiffres fournis par le ministère de l'Intérieur. Je veux souligner le caractère novateur de l'alternative proposée, qui inclut des possibilités de déradicalisation ou de réinsertion. En la matière, l'offre mérite d'être structurée. Mais le ministre de la justice, tant au sein de l'administration pénitentiaire que de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), a conduit des réflexions que je découvre et qui méritent à mon avis d'être valorisées. Naturellement, le Parlement a déjà élaboré sa doctrine, comme en témoigne le rapport de M. Sébastien Pietrasanta. Le rôle du secteur associatif, trop méconnu, mérite une attention particulière.

J'en viens à l'équilibre entre procureur et juge d'instruction, évoqué par Mme Capdevielle et dont j'ai constaté qu'il suscitait beaucoup d'interrogations. Le rôle du juge d'instruction n'est pas remis en cause ; je crois même avoir dit en commençant que je souhaitais que le projet de loi le renforce. Mais il est nécessaire de renforcer également les prérogatives du procureur, pour deux raisons. Premièrement, plus de 97 % des enquêtes sont aujourd'hui conduites sous son contrôle, sans qu'un juge d'instruction ne soit saisi. Il importe donc de lui donner les moyens nécessaires à l'élucidation de ces affaires. Deuxièmement, dans les 3 % d'affaires qui nécessitent la saisine d'un juge d'instruction, il faut permettre au procureur de diligenter les premières investigations afin d'être en mesure de saisir le juge lorsque cela est justifié, sans l'engorger inutilement – un drame auquel toutes les juridictions sont confrontées. Cette idée d'équilibre, quelque peu galvaudée, a vraiment servi de boussole dans la préparation de ce texte. Le procureur ne décide pas seul, mais uniquement sur autorisation du juge des libertés et de la détention ; et la durée de validité de sa décision est inférieure à celle des décisions du juge d'instruction.

S'agissant enfin de la place de la police administrative, M. Devedjian est libre d'adopter une interprétation plus limitative, mais il existe de nombreuses décisions du Conseil constitutionnel – entre 50 et 100 depuis 1999, ce qui témoigne d'une certaine stabilité – qui confient à la police administrative la restriction de liberté et à l'autorité judiciaire la privation de liberté, en référence aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

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Avant de laisser la parole aux représentants des groupes, je précise, afin d'éviter par avance toute frustration, que la discussion générale pourra se poursuivre à l'occasion de la prochaine réunion et de l'examen des amendements.

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Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice

Le ministre est convoqué tous les mercredis matin, de dix heures à midi, à une réunion où il n'est pas prévu que l'on puisse être excusé – fût-ce au nom de la souveraineté du Parlement à laquelle je suis très attaché ! (Sourires)

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Je m'exprimerai au nom du groupe Les Républicains.

Ce projet de loi est le cinquième texte de lutte contre le terrorisme depuis 2012. En 2012, nous avions réclamé un projet de loi d'orientation et de programmation financière destiné à lutter contre le terrorisme. Je regrette que nous n'ayons pas été écoutés.

Dans un contexte de menace extrêmement élevée – le Premier ministre l'a encore rappelé –, le présent texte introduit des dispositions dont une partie nous semble positive. Toutefois, à bien des égards, il nous paraît très largement inachevé. Nous espérons que, grâce au débat parlementaire, et grâce à votre accession à la Chancellerie, monsieur le garde des Sceaux – je vous en félicite à nouveau, mais je forme aussi pour vous des voeux de courage, car vous avez à remédier à une situation passablement dégradée –, ce projet de loi ne restera pas une occasion manquée.

Le dispositif proposé souffre de graves lacunes. C'est un dispositif beaucoup plus large, plus complet, plus élaboré que nous défendrons par voie d'amendement. Car ce texte doit être l'occasion d'une rupture profonde avec la politique pénale portée par Mme Taubira. Ainsi, nous proposerons de rétablir les « peines plancher », qui étaient très efficaces contre la délinquance, et de revenir sur la contrainte pénale. Le texte doit aussi permettre d'instaurer un véritable dispositif de renseignement pénitentiaire – que vous avez défendu dans d'autres fonctions, monsieur le ministre.

Il convient en outre de se prémunir contre le retour des djihadistes. À ce sujet, permettez-moi d'évoquer le témoignage diffusé dans les médias de la personne qui a permis d'arrêter Abaaoud et, ainsi, d'empêcher de terribles attentats. Outre qu'il soulève des questions pertinentes sur la protection des témoins – le sort réservé à cette personne était manifestement inadapté compte tenu du service qu'elle a rendu à la nation –, il nous apprend que, d'après ce qu'Abaaoud a déclaré à Hasna Aït Boulahcen, 90 djihadistes sont rentrés en même temps que lui et se cachent actuellement en Île-de-France. C'est terrifiant ! Cela nous ramène au problème de leur détection et, plus généralement, du traitement des retours – un point essentiel ; nous ne cessons de le répéter depuis la loi présentée par M. Manuel Valls en 2012 et nous y insistons plus encore aujourd'hui. Vous prévoyez un dispositif d'assignation à résidence de quelques heures. Je n'ignore pas les contraintes qu'impose la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais la réforme que vous avez engagée aurait pu être l'occasion d'une disposition fort utile à cet égard. Le problème des retours doit être au coeur de nos débats. Comment protéger notre pays de leurs conséquences ?

En ce qui concerne la protection des forces de l'ordre, le dispositif limité au cas des tueurs de masse n'est absolument pas suffisant. Vous l'avez dit vous-même à mots choisis, monsieur le garde des Sceaux : l'avis du Conseil d'État, particulièrement éclairant sur ce point, signale que le dispositif risque de contraindre davantage les forces de l'ordre lorsqu'elles mobilisent la force armée dont elles ont le monopole. Nous défendrons donc, dans le sillage de la proposition de loi que j'avais déposée avec MM. Guillaume Larrivé, Philippe Goujon et Olivier Marleix, un dispositif beaucoup plus large prenant notamment en considération les notions de danger imminent et de violence grave.

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Monsieur le ministre, au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen, je vous félicite à nouveau de votre nomination. Vous avez brillamment présidé la commission des Lois ; vous êtes un universitaire tout aussi brillant, et l'exigence qui caractérise cette profession ne pourra qu'influencer très favorablement l'exercice de la très haute responsabilité qui vous revient.

Notre groupe a désigné trois représentants sur ce projet de loi : M. Yves Goasdoué, Mme Élisabeth Pochon et moi-même. Nous avons apprécié que vous rappeliez le travail mené en amont à la Chancellerie : on ne peut pas parler de précipitation à propos du texte qui arrive devant nous, même si l'accélération du rythme pose des problèmes aux députés et particulièrement aux rapporteurs – mais nous ferons tout pour que la qualité et le niveau d'exigence du projet n'en pâtissent pas.

Nous sommes naturellement très favorables à ce texte qui tend à adapter le dispositif législatif au besoin de sécurité et à l'assortir d'une exigence nouvelle de prévention des risques menaçant la vie de la nation comme des individus.

La simplification sur laquelle vous avez insisté est essentielle. Elle suppose de libérer le juge du contentieux de masse et de le réinstaller dans son rôle, le cas échéant en réorganisant ses missions pour le soulager de travaux en commission qui l'accaparent trop. Ce sont des questions qu'il faudra poser. En outre, la simplification organisationnelle et des mesures de modernisation du dispositif sont indispensables.

Vous l'avez rappelé, les moyens budgétaires doivent être accrus. Nous serons à vos côtés pour rappeler que la justice mérite cet effort. Nous pouvons tous en témoigner, les juridictions sont en souffrance, pas seulement en Île-de-France mais dans tout le pays. Les parquets craquent !

La loi soulève aussi le problème de la place des magistrats du ministère public. De fait, le moment nous paraît opportun pour nous interroger sur le renforcement du statut du procureur, au regard des exigences constitutionnelles et conventionnelles. Vous l'avez également indiqué.

Le statut du juge des libertés et de la détention, élément important du dispositif, est prévu par le projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats. Nous apprécions bien sûr tout particulièrement l'idée que sa nomination sera soumise à l'avis conforme du CSM.

Les dispositions du texte consacrées à Tracfin sont en parfaite cohérence avec la loi de 2015 sur le renseignement, qu'elles complètent très utilement. Je songe en particulier aux mesures concernant les cartes prépayées et à la nouvelle infraction de trafic de biens culturels. C'est tout à fait essentiel.

À mes yeux, avec ce texte, nous travaillons bien et de manière cohérente. La cohérence finale viendra du texte sur la justice du xxie siècle qui traitera du public, du justiciable, de son attente et de la réorganisation qu'elle exige, de l'accueil et de l'accès au droit des citoyens.

Je vous transmets également, à sa demande, une observation de Mme Mazetier, qui conteste la sévérité de l'avis du Conseil d'État sur le projet de loi.

Enfin, s'agissant tout particulièrement de Tracfin, nous nous interrogeons sur l'absence de frontières. Un dispositif européen et international accompagne-t-il les mesures prises pour leur donner toute l'efficacité requise ?

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Monsieur le ministre, je vous félicite à mon tour de votre nomination. Je n'ai pas siégé à la commission des Lois lorsque vous en étiez président, mais j'ai pu y apprécier vos qualités de juriste au cours de la précédente législature.

J'ai écouté avec intérêt votre exposé introductif, qui était une sorte de défense et illustration de l'État de droit. Mais on a le sentiment, à la lecture du projet de loi, qu'il ne s'agit que d'une vitrine. En réalité, le texte contribue à installer dans le droit commun des dispositions qui relèvent aujourd'hui de l'état d'urgence. Il a surtout le grave défaut de faire passer le juge judiciaire après le policier, le procureur et le préfet – qui entre pour la première fois dans le code de procédure pénale.

Je me contenterai de citer ici de hauts magistrats, les premiers présidents des cours d'appel, dans leur délibération commune du 14 janvier dernier : le texte « contient des dispositions dangereuses pour les libertés et gravement contraires aux droits de l'homme » – et d'en citer quatre exemples : « l'assignation à résidence par l'autorité préfectorale pour des motifs imprécis et sans autorisation ni contrôle du juge judiciaire, l'extension juridiquement inutile, au regard des critères actuels de la légitime défense, de l'usage des armes par les forces armées et de sécurité intérieure, des perquisitions de nuit dans les domiciles par les forces de police, en enquête préliminaire, hors flagrant délit, des retenues, à l'initiative de l'autorité préfectorale, créant une garde à vue administrative ».

Je formulerai pour ma part les observations suivantes.

D'abord, le projet de loi, qui a pour vocation d'alourdir l'arsenal pénal et administratif antiterroriste, introduit – c'est son vice originel – trop de pouvoirs dérogatoires, au sein du code de procédure pénale comme du code de la sécurité intérieure. Il était pourtant censé renforcer les garanties du procès équitable, notamment du contradictoire par l'accès au dossier ; ce n'est pas le cas.

Ensuite – je ne suis pas seul ici à le dire –, le juge d'instruction est marginalisé au profit du juge des libertés et de la détention dont le statut, fragile, reste à préciser par une loi organique et qui, déjà « surbooké », aura bien du mal, dans l'urgence, à juger de la proportionnalité des mesures dont il devra décider. C'est une régression de la place du juge d'instruction, normalement chargé des enquêtes les plus lourdes.

L'article 17 illustre parfaitement le recul du juge judiciaire au profit des forces de police et de l'autorité administrative. Je songe en particulier à la fouille des véhicules, à l'inspection visuelle et à la fouille des bagages.

En outre, ce texte vient après toute une série de dispositions législatives relatives au terrorisme qui ont été votées sans faire l'objet de la moindre évaluation. Le décompte de notre collègue Éric Ciotti est erroné. Depuis 1986 ont été votées : la loi du 9 septembre 1986, qui introduit un régime dérogatoire au droit commun ; celle de 1996, qui crée l'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme ; celle de 2001 relative à la sécurité quotidienne, qui autorisait à titre temporaire, jusqu'au 31 décembre 2003, la fouille des véhicules – mais comme par hasard, le 18 mars 2003, une loi a pérennisé les outils de procédure pénale. Voilà qui rappelle les prélèvements ADN qui devaient être limités aux délinquants sexuels et sont maintenant pratiqués sur des syndicalistes ou sur des faucheurs volontaires : c'est un bon exemple de la manière dont une loi temporaire peut devenir permanente. Ensuite, la loi du 9 mars 2004 a institué une procédure pénale bis, avec ses infractions dites de délinquance ou de criminalité organisée. La loi de 2006 impose à tout opérateur de télécommunications et à tout fournisseur d'accès de conserver les données de connexion pendant un an et porte la durée de la garde à vue de quatre à six jours. La loi du 14 mars 2011, dite « LOPPSI II », accroît le recours aux traitements automatisés de données à caractère personnel. Celle du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme prévoit des interdictions administratives d'entrée sur le territoire ou de sortie du territoire. Vient enfin la loi de juillet 2015 relative au renseignement.

Le texte prévoit trop d'ordonnances – plus d'une vingtaine : ce n'est rien d'autre qu'une forme de mépris envers le Parlement, qui devrait pouvoir connaître des dispositions concernées. Il est toujours dangereux de légiférer par ordonnance.

J'ai entendu dire que nous connaissions parfaitement les IMSI-catchers ; en effet : nous savons qu'il s'agit d'espionnage de masse, du premier pas vers une société de type orwellien. Dans la mesure où le juge judiciaire, entièrement effacé, ne peut protéger nos libertés individuelles, nous avons toutes les raisons de nous inquiéter.

Il a enfin été question d'un débat intéressant, qui n'a jamais été ouvert dans cette maison. Il concerne le Conseil d'État, créé par Napoléon – vous savez, cet organe qui juge qu'il ne faut pas construire le pont sur l'île de Ré une fois que celui-ci est terminé, ou qui rend un arrêt considérant comme illégal un barrage, d'ailleurs tout proche de Sivens, qui n'en est pas moins resté en place… Je vous conseille vivement la lecture d'une tribune publiée aujourd'hui dans Libération par un chercheur, sous le titre « Le Conseil d'État, verrou de l'Élysée ». Comment le juge administratif peut-il à la fois dire le droit et conseiller le prince ? Ce sujet mérite tout notre intérêt lorsque nous réfléchissons aux réformes à venir : sans doute devrions-nous envisager la suppression du Conseil d'État.

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Membre de la commission des affaires européennes, j'aimerais vous demander une précision, monsieur le ministre. Vous avez évoqué la nécessaire coopération européenne. Or la directive relative au contrôle de l'acquisition et de la détention d'armes est en cours de révision. Cette question doit faire l'objet d'une communication à la commission des affaires européennes dans quinze jours. Vous avez signalé nos difficultés à imposer la vision française, laquelle rejoint dans une certaine mesure celle du Royaume Uni. Comment le présent texte s'articule-t-il avec les discussions au niveau européen sur cette directive, qui a été amendée parce qu'elle a révélé des failles dans la législation européenne ? Comment s'appuyer sur ce texte pour aller un peu plus loin ?

Par ailleurs, l'article 1er introduit une référence nouvelle à la prévention d'un risque d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique. Qu'apporte-t-elle de plus ?

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J'aimerais formuler une remarque de méthode et de principe sur le processus d'élaboration de la loi.

J'entends bien que plusieurs hauts magistrats s'expriment à ce sujet, mais je ne voudrais pas que certains se croient autorisés à ressusciter les remontrances des Parlements d'Ancien Régime. Je suis trop attaché à la conception classique de la séparation des pouvoirs pour ne pas demander que chacun fasse son office. Nous sommes le législateur, nous sommes même parfois le constituant ; nous le sommes pleinement ; et, si le dialogue avec telle ou telle personnalité du monde judiciaire est tout à fait souhaitable, il me semble que chacun doit rester dans son champ. Il n'appartient pas à l'autorité judiciaire de formuler des recommandations ni de suggérer des orientations au pouvoir législatif.

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Voulez-vous répondre aux orateurs, monsieur le ministre ?

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Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice

Monsieur le président, vous êtes très aimable de me redonner la parole ; mais, à cette heure avancée, je crois préférable de garder nos arguments pour l'examen des articles. J'avais prévu de répondre à des parlementaires qui n'ont pas eu la courtoisie d'attendre ma réponse avant de partir ; je ne le ferai donc pas.

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Il nous reste à vous remercier, monsieur le ministre.

La séance est levée à 13 heures 10.