Intervention de René Rouquet

Réunion du 20 janvier 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRené Rouquet, Président de la Délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe :

e souhaite tout d'abord remercier chaleureusement la présidente de la commission, Mme Danielle Auroi, de nous accueillir aujourd'hui pour évoquer l'autre Europe, celle du Conseil de l'Europe. Je suis heureux d'être présent devant vous, aux côtés de Jean-Claude Mignon, dont j'assure la succession en tant que Président de la Délégation, et qui est un membre important de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui y laissera une trace en tant que Président.

Créée en 1949, le Conseil de l'Europe est en effet bien peu médiatisé à l'Ouest de l'Europe, à l'exception notable du Royaume-Uni, il est vrai pour en dire pis que pendre.

Cette institution mérite-t-elle ce relatif oubli ? Je ne le crois pas. Outre la Cour, seul élément connu de tous, je citerai simplement pour en montrer la diversité, quelques organes moins connus, mais d'une grande utilité. Moneyval, chargé de lutter contre le blanchiment des capitaux, auquel, ces dernières années, tant le Saint-Siège qu'Israël ont fait appel sur une base volontaire. Le Conseil de l'Europe est à l'origine de la première Convention internationale sur la lutte au plan mondial contre la contrefaçon de médicaments ; je pourrais également évoquer, sans aucune exhaustivité, la lutte contre la violence dans les stades, l'évaluation des systèmes judiciaires en Europe ou le respect des droits de l'homme dans les lieux de privation de liberté. Même si l'Union Européenne constitue souvent un problème pour le Conseil de l'Europe, il existe des exemples de coopérations réussies entre les deux organisations. Pour me limiter à quelques exemples, je citerai ainsi la Direction européenne de la qualité du médicament, Eurimages, qui soutient le cinéma d'auteur, ou l'Observatoire européen de l'audiovisuel.

L'organe qui offre peut-être la coopération plus exemplaire entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe est sûrement la Commission de Venise. Composée d'experts de 60 Etats membres, dont les Etats-Unis, la Corée ou Israël, l'Union étant membre avec un statut spécial, elle émet des avis sur des questions juridiques complexes. Rappelez-vous qu'elle fut ainsi saisie de certaines lois hongroises qui faisaient polémique et tout récemment de lois polonaises. Les institutions européennes, du Parlement à la Commission, se sont souvent référées à ses avis.

Le Conseil de l'Europe, c'est aussi une Assemblée parlementaire composée de représentants des 47 États membres. La délégation française comprend 24 députés et 12 sénateurs dont certains sont ici présents aujourd'hui. L'une des responsabilités premières de l'APCE est d'élire les juges à la Cour européenne des droits de l'homme, mais aussi, et c'est important, d'observer les élections dans les États de son champ de compétence, voire au-delà – je pense à la Tunisie. Son instrument premier d'action réside cependant dans l'adoption de résolutions et de recommandations, sur la base de rapports préparés par ses membres. Cet instrument n'est pas à sous-estimer. L'APCE a joué ainsi un rôle déterminant dans l'adoption de conventions importantes, à commencer par la plus célèbre, la Convention européenne des droits de l'homme. L'APCE, sur le rapport de notre collègue suisse, Dick Marty, révéla le scandale des prisons secrètes de la CIA. Plus récemment, elle dénonça la FIFA bien avant que le scandale soit universellement établi.

Je voudrais maintenant évoquer deux dossiers concrets d'intérêt commun à l'Union européenne et au Conseil de l'Europe, la Convention européenne des droits de l'homme et les migrations. Sur la Convention européenne, la première question est naturellement celle de l'adhésion de l'Union européenne. Dès lors que le traité de Lisbonne le prévoit, il est impossible d'y renoncer. Pour autant, au-delà du langage diplomatique, l'avenir de cette adhésion est de plus en plus incertain. Pour résumer en une phrase, les exigences de la Cour de justice sont extrêmement difficiles à satisfaire, et ce d'autant plus que les États non membres de l'Union européenne ne sont pas, de l'autre côté, prêts à n'importe quelle concession supplémentaire. S'ajoute à cela le fait que tous les États membres ne sont pas nécessairement, en leur for intérieur, consternés par l'impasse actuelle. Il serait très dommageable que ce projet d'unification de la protection des droits de l'homme en Europe ne voie pas le jour. L'un des risques est d'aller vers des jurisprudences divergentes, la Cour de Luxembourg s'appuyant sur la Charte des droits fondamentaux et la Cour de Strasbourg sur la Convention. De plus, cela n'empêchera nullement la Cour de Strasbourg de se prononcer de facto sur de nombreux actes communautaires, via leur mise en oeuvre par les États, et ce sans les garanties prévues par le projet d'adhésion d'où des risques là aussi de conflits. Si cela devait se produire, il n'est pas certain que l'idée européenne en sorte grandie aux yeux de nos concitoyens.

Un dernier mot sur la Convention européenne des droits de l'homme : la Cour éponyme est l'objet d'une certaine hostilité dans un certain nombre d'États, en particulier la Russie et le Royaume-Uni. Je note que le gouvernement britannique a renoncé à l'idée de sortir de la Convention. Pour autant, son refus d'exécuter un arrêt légitime fâcheusement l'attitude de pays beaucoup plus critiquables au regard des droits de l'homme. On peut toujours être en désaccord avec telle ou telle décision de la Cour, mais je crois essentiel de respecter ses décisions. N'oublions pas, alors que nous traversons des heures difficiles, que le passé sinistre dont cette Convention avait pour but de prévenir le retour en 1950 n'est pas nécessairement aussi éloigné que nous le croyons. Restons fidèles à nos valeurs ! Observation qui vaut aussi pour les migrations.

En 2015, La commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées de l'APCE a axé ses travaux sur deux questions particulièrement préoccupantes pour notre continent. En premier lieu, elle s'est penchée sur les conséquences humanitaires du conflit en Ukraine avec notamment la situation des personnes déplacées, à l'intérieur de l'Ukraine mais aussi vers la Russie. La question des PDI, les personnes déplacées internes, sur laquelle j'ai eu l'occasion de faire un rapport en 2014 à l'APCE, devrait davantage nous interpeler, en particulier dans les Balkans occidentaux qui ont vocation à rejoindre un jour l'Union européenne ou dans le Caucase du Sud où elles sont un élément clé de la résolution des conflits dits gelés C'est d'ailleurs là, je le rappelle, que Jean-Claude Mignon en tant que Président de l'APCE a principalement axé son action pendant sa présidence. La crise migratoire et l'afflux de réfugiés fuyant la guerre en Syrie et en Irak mais aussi des régimes dictatoriaux comme en Érythrée ou en Somalie a bien entendu constitué la deuxième grande thématique. Le Conseil de l'Europe, de par son histoire, a toujours porté une attention spécifique au sort des réfugiés. Ainsi il convient de rappeler que la banque de développement du Conseil de l'Europe, dont je salue les récentes excellentes initiatives, fut créée, je cite, avec « pour objectif prioritaire d'aider à résoudre les problèmes sociaux que pose ou peut poser aux pays européens la présence de réfugiés, de personnes déplacées ou de migrants résultant de mouvements de réfugiés ou d'autres mouvements forcés de populations », à une époque où l'Europe faisait face à un afflux de réfugiés et de déplacés européens à la suite de la seconde guerre mondiale.

Au-delà du drame humain, la crise migratoire a conduit à une profonde division de notre continent entre les pays de premier accueil et les autres. Lors de nos débats au sein de la commission, les pays du sud de l'Europe et les pays de transit nous ont interpelés à de nombreuses reprises sur le manque de solidarité européenne et sur l'injustice du Règlement de Dublin. Ces échanges ont conduit notre commission à réfléchir à l'après-Dublin et à une réponse globale européenne. A l'évidence, il nous faut dépasser les égoïsmes nationaux et aller vers une politique commune à tout le continent en matière de droit d'asile et revoir le règlement de Dublin. Et en tant que président de la délégation, je suis fier que lors du débat de la session d'automne en séance plénière sur cette question, 12 membres de la délégation, sénateurs ou députés de toutes tendances politiques, se soient exprimés, montrant combien la délégation française est consciente de l'enjeu que représente notre gestion de cette crise.

Enfin, j'aimerais souligner que notre délégation s'est montrée particulièrement active dans cette commission des Migrations dont je suis vice-président et dont la présidence jusqu'à la fin de ce mois est exercée également par un Français, M. Thierry Mariani. Ainsi, Mme Marietta Karamanli, également membre de la Commission des affaires européennes, a présenté un rapport sur l'intégration des migrants en 2014 et le sénateur Jean-Marie Bockel a travaillé cette année sur les conséquences humanitaires de l'avancée du groupe État islamique. Actuellement M. Philippe Bies prépare un rapport sur les migrations forcées. Pour ma part, je suis rapporteur sur la question de la protection des enfants non accompagnés. Notre délégation s'est également rendue fin 2014 au centre de rétention de Calais et j'ai eu l'occasion dans le cadre de la commission ad hoc du Bureau de me rendre en 2015 en Turquie dans les camps de réfugiés situés à la frontière syrienne.

En conclusion, je voudrais me réjouir de ce que le 17 décembre le Sénat ait autorisé la ratification de la Convention Médicrime du Conseil de l'Europe. J'espère que l'Assemblée nationale pourra bientôt faire de même et que ce texte entrera en vigueur, renforçant la lutte contre un fléau mondial, en particulier dans les pays en développement. Occasion aussi de me réjouir de la souplesse des instruments créés par cette organisation puisqu'en l'espèce des Etats non européens peuvent adhérer.

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