Intervention de Isabelle Attard

Séance en hémicycle du 17 février 2016 à 15h00
Débat de contrôle sur la politique nationale en matière d'enseignement supérieur

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Je vous avais alors lu une lettre ouverte, à vous adressée, qui avait pour sujet le délabrement de notre université et qui se terminait par une invitation à visiter des locaux vétustes, dégradés et dangereux. Quatre mois plus tard, vous souvenez-vous de cette lettre ouverte ? Si je vous pose la question, c’est parce que vous ne m’avez jamais répondu !

Je sais bien que vous êtes très occupé et qu’il vous serait difficile de répondre positivement à chaque demande de déplacement émanant d’un chercheur. Mais il ne s’agissait pas de la demande d’un simple chercheur : il s’agissait d’une interpellation d’un membre du Gouvernement – vous – par une députée chargée par la Constitution française du contrôle de l’action de l’État – moi.

Je vais donc reprendre la déclaration de ma collègue Gilda Hobert : « Concernant le patrimoine immobilier de nos établissements d’enseignement supérieur, comme l’a souligné la rapporteure pour avis Anne-Christine Lang, sa situation est préoccupante. En effet, 40 % des locaux se trouvent dans un état de dégradation que la rapporteure qualifie d’inquiétante, voire de franchement préoccupante pour 12 % d’entre eux. » Vous avez balayé d’un revers de la main ce rapport parlementaire, prétendant que parler d’université en ruines, c’est porter préjudice à nos universités. C’est pourtant tout le contraire, monsieur le secrétaire d’État ! Nommer honnêtement les choses, c’est regarder la réalité en face. Cacher la misère sous un coup de peinture, traiter nos chercheurs en souffrance de menteurs, voilà ce qui porte préjudice à nos universités !

Je m’interroge donc, et j’interroge l’ensemble de mes collègues. Pourquoi sommes-nous là aujourd’hui ? Nous sommes douze dans l’hémicycle, et j’espère avoir l’immense honneur de retenir votre attention cette fois-ci.

Très récemment, l’historien Christophe Granger, dans son ouvrage titré La destruction de l’université française, évoquait la soumission de l’université à la logique de l’économie capitaliste et du marché du travail. Il est vrai que depuis 2012, on ne cesse de marteler les mots « compétitivité », « classement de Shanghai », « rentabilité », « course à l’excellence », et surtout le mot « transfert », le plus important de la loi de 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.

Les cours doivent aujourd’hui répondre aux besoins du marché pour former de futurs travailleurs. Terminées les notions de transmission des savoirs, d’apprendre à apprendre, de se préparer par une culture large à des métiers qui n’existent pas encore.

Les enseignements ne doivent plus, je cite, « fournir des savoirs mais bien des compétences ». « Les études ne sont plus un temps à part permettant de se former un esprit critique, mais une antichambre du temps de travail ».

Je le clame depuis 2013, nous avons bien deux visions de l’enseignement supérieur diamétralement opposées. J’ai peur de savoir quelle est celle de votre gouvernement, mais si je me trompe, je vous en prie, dites-le moi.

J’ai commencé mon intervention par les bâtiments, car ils sont la partie émergée de l’iceberg qu’est l’abandon des universités publiques. Sous l’eau, il y a les innombrables précaires : contractuels, temporaires, mal payés, de plus en plus nombreux à être recrutés par les universités.

Christophe Granger rappelle que 16 % des docteurs en chimie sont au chômage. Twitter, je suppose que cela ne vous a pas échappé, regorge de messages tristes et résignés de docteurs qui, après un post-doc à l’étranger, abandonnent recherche et enseignement pour chercher un emploi. Quel gâchis, monsieur le secrétaire d’État !

Mais cette précarité, ce délabrement et ce gâchis ne sont pas une fatalité ou une conséquence de la crise. Ils résultent d’un vrai choix politique – choix qui n’est pas uniquement le vôtre.

Alors oui, l’université française attire encore les étudiants étrangers, vous nous l’avez rappelé, car nous vivons toujours sur l’image d’une gloire passée. Le choc du contraste leur saute d’autant plus au visage une fois arrivés sur place. Dans le même esprit, j’ai moi-même eu honte de recevoir des chercheurs étrangers dans mon laboratoire vétuste…

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