Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion du débat budgétaire concernant la mission « Enseignement supérieur et recherche », j’avais souhaité mettre en avant le paradoxe existant entre les ambitions affichées par M. le secrétaire d’État et les moyens réellement attribués à notre université.
Ce budget avait donné lieu à des manifestations et rassemblements d’universitaires, de chercheurs et d’étudiants, qui réclamaient une augmentation de 3 milliards d’euros pour faire face à l’augmentation des effectifs. Ils n’ont pas été satisfaits.
Ce paradoxe a été mis en lumière par le rapport remis au ministère par Mme Béjean et M. Monthubert sur la définition d’une stratégie nationale de l’enseignement supérieur suite à la mission qui leur a été confiée en vertu de la loi du 22 juillet 2013.
Si ce rapport présente les atouts dont dispose notre système pour relever les grands défis de la connaissance, de l’élévation des qualifications et du rayonnement de notre pays, il décrit aussi les barrières à franchir pour y parvenir. Il nous invite à trouver les moyens d’investir dans la société apprenante en affirmant que les dépenses d’enseignement supérieur et de recherche doivent être reconnues comme un investissement pour l’avenir.
Le rapport se fixe l’objectif ambitieux de porter en 2025 60 % d’une classe d’âge en licence, 25 % en master et de promouvoir 20 000 docteurs par an. Mais, pour cela, il faut agir sur un des fléaux qui pèsent lourdement sur le développement de notre système universitaire : son incapacité à permettre une véritable démocratisation de l’université.
Certes, le nombre d’étudiants est en forte augmentation, mais l’objectif de démocratisation bute sur la difficulté d’assurer à tous et à toutes les conditions de la réussite. Un étudiant sur deux échoue en première année ; 17 % des étudiants sortent de l’université sans diplôme.
La sélection sociale est bien là ! Dans la génération 2010, seuls 28 % d’enfants d’ouvriers étaient diplômés de l’enseignement supérieur, pour 68 % d’enfants de cadres. Un étudiant issu d’un milieu favorisé a vingt fois plus de chances qu’un étudiant issu d’un milieu populaire d’intégrer une grande école, et l’on sait que le taux d’échec est plus élevé parmi les étudiants salariés.
Selon l’Observatoire de la vie étudiante, 45 % des étudiants – près d’un sur deux – sont contraints à un travail salarié, dont 19 % dans des activités considérées par cet organisme comme concurrentes à leurs études.
En outre, si l’on peut se satisfaire d’une augmentation du nombre des bourses, le compte n’y est pas. Les crédits alloués aux oeuvres universitaires ne cessent de baisser, et je pense que l’attribution de la prime d’activité aux étudiants conforte la pérennisation de deux sortes d’étudiants : ceux qui ont les moyens de ne pas se salarier et les autres. Aussi, pour créer les conditions de la réussite pour tous et toutes, quelle que soit leur origine sociale, ne faut-il pas avancer enfin vers une réelle allocation d’autonomie ?
La loi Fioraso a défini une voie de l’excellence. Mais permettez-moi d’insister : l’excellence ne peut pas se fonder sur l’élimination. Comment justifier une sélection organisée par l’université entre le master 1 et le master 2 ? Il faut viser au contraire la promotion du plus grand nombre et l’élévation des qualifications de tous et toutes.
Or l’encadrement des étudiants perd chaque année des moyens. Entre 2012 et 2014, on dénombre 688 équivalents temps plein en moins pour 150 000 étudiants de plus.
En 2013, je n’ai pas approuvé la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche, parce que, malgré la volonté affichée de voir les étudiants réussir, elle suivait une logique qui visait surtout à la compétitivité, à la concurrence entre établissements, enseignants et étudiants – notions bien éloignées du partage et de la collaboration indispensables dans le domaine du savoir, de la connaissance et de la recherche.
Vous nous proposez de poursuivre sur ces pistes que je juge contradictoires avec les ambitions affichées dans le rapport de la StraNES.
Permettez-moi une remarque sur le lien entre université et recherche. L’une comme l’autre doivent pouvoir se développer ensemble pour mieux se développer chacune. Je pense que c’est à la nation d’assumer cette responsabilité, et non à d’éventuels mécènes.
Mon souhait est donc qu’aujourd’hui, à l’occasion de notre débat, vous puissiez nous dire comment vous allez travailler pour atteindre l’ambition affichée dans le rapport de référence, et combler les attentes ou les besoins qui se manifestent dans notre pays à l’égard du système universitaire et d’une recherche publique conséquente.
Le 18/02/2016 à 09:40, laïc a dit :
"La loi Fioraso a défini une voie de l’excellence. Mais permettez-moi d’insister : l’excellence ne peut pas se fonder sur l’élimination. Comment justifier une sélection organisée par l’université entre le master 1 et le master 2 ? Il faut viser au contraire la promotion du plus grand nombre et l’élévation des qualifications de tous et toutes."
On apprend aux professeurs à ne pas éliminer au primaire, au collège et au lycée, mais ensuite, à la fac, c'est feu à volonté. Plus de 55 pour cent d'échec en première année (mais bizarrement, c'est 90 % de réussite au bac, chercher l'erreur, où est la cohérence du système scolaire en France ?), le numérus clausus en médecine (donc réussir à avoir la moyenne n'est pas encore assez, vive la France !), aucun suivi au niveau de l'orientation, des étudiants laissés seuls face à leur échec et à leur incapacité à se reconvertir, un système professoral et universitaire incapable de voir ses torts, de se remettre en cause et de dialoguer réellement avec les étudiants (vus comme des ennemis, vive la démocratie), voilà la réalité de l'enseignement supérieur en France.
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