Intervention de Daniel Goldberg

Réunion du 16 février 2016 à 13h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Goldberg, rapporteur :

La question de la mobilisation du foncier privé constructible en zone tendue a été discutée à plusieurs reprises dans le cadre de notre commission. Nous sommes, depuis des années, dans une situation paradoxale, puisque, alors que, par définition, une crise est transitoire, nous connaissons une crise du logement qui dure. Elle a des conséquences sociales pour ceux qui ont des difficultés à se loger, qu'ils soient issus de milieux défavorisés ou des classes moyennes, en Île-de-France ou dans de nombreuses régions. Il s'agit d'un enjeu économique pour toute la filière du bâtiment, mais aussi d'un enjeu de compétitivité pour notre pays, car les difficultés à se loger entraînent une agilité moindre du point de vue économique, lors de mutations professionnelles, par exemple.

Pour construire, il faut des terrains : il est donc indispensable que nous nous intéressions à la question foncière. Notre assemblée a d'ailleurs délibéré sur la mobilisation du foncier public à l'occasion de l'examen d'un projet de loi adopté en janvier 2013. M. Thierry Repentin, délégué interministériel à la mixité sociale dans l'habitat, travaille sur la question, dans le dessein de libérer du foncier propriété de l'État ou de différentes entreprises publiques. Mais la majeure partie du foncier disponible concerne sans doute des territoires privés et situés, de surcroît, dans le « diffus » : ce qui signifie qu'il ne s'agit pas de grandes parcelles pouvant permettre des opérations d'importance.

Notre mission a donc essayé de comprendre comment mobiliser au mieux, dans le « diffus », ce que je qualifie de foncier « d'occasion » : des terrains déjà utilisés, où se dresse, par exemple, un entrepôt désaffecté ou un pavillon délabré non habité, et pour lesquels propriétaires et acquéreurs ne se sont pas rencontrés.

À l'issue d'une trentaine d'auditions et de déplacements en région, nous avons dressé un premier constat concernant l'état du marché du foncier. En ce qui concerne les terrains nus ou potentiellement mutables, le foncier est peu ou mal mobilisé et le marché est peu ou mal connu. Il est relativement opaque, tant du point de vue de l'équilibre des prix que de la connaissance fine des parcelles et des servitudes qui peuvent peser sur un certain nombre d'entre elles. Il est donc nécessaire de mieux identifier ce foncier.

Nous proposons d'aller vers une logique d'open data concernant la connaissance technique des terrains, leur existence, les éventuelles servitudes et l'identification de leur propriétaire. Dans le cas d'une transmission avec plusieurs héritiers, tous les propriétaires ne sont pas forcément identifiés : les promoteurs potentiels doivent alors les rechercher pour leur demander s'ils veulent bien vendre. Les prix sur le marché du logement sont relativement connus, grâce à des échelles assez fines de prix au mètre carré, mais ce n'est pas le cas pour le foncier.

Le rapport formule donc des propositions destinées à favoriser une plus grande transparence du marché. C'est d'autant plus important que, ces dernières années, la part du foncier dans une opération de construction a beaucoup augmenté : elle est de 45 % en Île-de-France, de 37 % en Rhône-Alpes et de 39 % en Languedoc-Roussillon, suivant l'ancien découpage des régions. Le marché suit une logique de compte à rebours : ce n'est pas le prix du foncier qui détermine le prix des logements, mais le prix auquel on peut vendre les biens bâtis qui fixe le prix du foncier. Aussi la part du foncier dans la richesse nationale, qui a beaucoup crû dans les années 2000, est-elle aujourd'hui considérable.

En outre, le prix du foncier d'un terrain non construit ou non utilisé augmente mécaniquement dès lors qu'il se trouve à proximité d'équipements construits ou faisant l'objet d'un projet de construction – gares du réseau de transports du Grand Paris en Île-de-France, équipements publics, comme les collèges, voire investissements privés, comme le siège social d'une entreprise. Ainsi, la puissance publique est parfois très généreuse : en finançant un équipement public, elle fait mécaniquement augmenter le prix du foncier aux alentours et doit ensuite elle-même payer plus cher lorsqu'elle veut se lancer dans la construction de logements ou dans l'investissement locatif à cet endroit. Il y a là une forme de captation sans cause de la richesse produite.

Une meilleure utilisation du foncier constructible se heurte souvent à des recours contentieux, qui grèvent les opérations de construction. Notre assemblée et le Gouvernement ont beaucoup travaillé sur la question. Une ordonnance a été prise en juillet 2013, suivie de décrets en octobre 2013. Mais les acteurs du logement que nous avons rencontrés considèrent qu'il faudrait aller plus loin. Des propositions sont faites dans le rapport pour limiter la durée des procédures contentieuses, car, lorsqu'il s'agit de construction de logements, le temps, c'est de l'argent, et le temps passé peut grever la réalisation de l'opération.

La première partie de notre rapport concerne donc la nécessité d'identifier le foncier disponible et d'en finir avec un marché opaque.

Dans la deuxième partie, nous avons essayé de réfléchir à ce qui contribuerait à une plus grande stabilité des décisions publiques et à une meilleure efficacité de chacun des acteurs. Il nous semble aujourd'hui nécessaire d'allier urbanisme opérationnel et fiscalité durable, au sens de la pérennité des décisions fiscales, pour mobiliser le foncier constructible.

Chaque fois que nous en avons débattu, nous avons regretté, sur tous les bancs, que les règles fiscales changent sans cesse. Depuis six ans, les règles d'imposition des plus-values immobilières ont été modifiées chaque année ou presque : les particuliers propriétaires de terrains ne savent plus ce qui les attend s'ils se décident à vendre, et les acteurs professionnels, eux aussi, ont du mal à s'y retrouver. Aujourd'hui, on taxe beaucoup plus ceux qui vendent un terrain que ceux qui le détiennent pendant de longues années. Au lieu de proposer une mesure de portée annuelle, nous sommes donc favorables, dans un objectif d'intérêt général, à l'instauration d'une fiscalité plus incitative, claire dans ses objectifs et pérenne pour tous les acteurs. Ainsi le rapport propose-t-il que soit débattue une loi de programmation fiscale, par nature pluriannuelle, plutôt que d'en rester à une logique de « choc d'offre » sur une année ou sur quelques mois, qui a prévalu dans certains exercices budgétaires récents et a donné très peu de résultats.

Nous recommandons un changement de logiciel fiscal, afin de taxer davantage la détention d'un terrain qui n'est pas utilisé et beaucoup moins le fait de le vendre. Cette logique fiscale a montré son efficacité dans d'autres pays. Les bases de notre imposition cadastrale, qui datent de 1961, ne correspondent plus à la réalité du marché. L'évolution de la fiscalité prendra du temps et devrait être un projet pour la prochaine majorité de l'Assemblée nationale, quelle qu'elle soit. La prochaine législature devrait s'emparer du projet, mener des expérimentations sur les territoires et prendre en compte les évolutions de la valeur vénale des terrains, ce qui n'a pas été fait depuis plus de cinquante ans.

Au-delà de l'évolution de la fiscalité, il faut que les outils de l'urbanisme opérationnel, les plans locaux d'urbanisme (PLU) et les programmes locaux de l'habitat (PLH) correspondent beaucoup plus à ce que souhaitent les élus qui les mettent en place. Aujourd'hui, ces documents sont essentiellement déclaratifs. Dans un PLU, on déclare par exemple qu'on ne veut pas construire plus d'un certain nombre d'étages. Les PLH sont aussi très déclaratifs en termes de nombre de logements construits, mais ils n'indiquent pas forcément les moyens qui permettront de construire ces logements dans un certain délai. Le rapport propose de rendre ces documents plus exécutoires, sans toutefois exiger qu'ils soient respectés à la ligne près. Ainsi, les PLH devraient pouvoir fixer des plafonds de charges foncières ou imposer des servitudes de mixité sociale dans les différents PLU. De même, lorsqu'une commune programme la construction de plusieurs centaines de logements en cinq ou six ans, le PLH devrait comporter la description précise de la partie du territoire communal sur laquelle ces logements seront construits.

Les terrains qui nous intéressent sont relativement nombreux, qu'ils soient situés dans le diffus ou qu'ils soient des terrains d'occasion : il est donc nécessaire de proposer aux communes de mettre en place des « zones de mobilisation foncière », à l'intérieur desquelles sont recherchés les terrains constructibles non habités, insuffisamment construits et insuffisamment utilisés dans les zones les plus tendues. Il faut permettre aux villes d'engager alors un processus de mobilisation effective de ces terrains, faute de quoi ils seront laissés au plus offrant, en dehors de toute organisation publique.

Enfin, il semble nécessaire de réfléchir à une évolution du droit et des pratiques, en inscrivant le droit au logement dans la Constitution – ce qui avait déjà été évoqué lors de l'examen de la loi instituant le droit au logement opposable –, afin que la puissance publique définisse clairement les objectifs qu'elle se fixe en termes de construction de logements, comme le réclamait le chercheur récemment décédé M. Jean-Philippe Brouant.

Nous avons réfléchi à cette question avec plusieurs collègues issus de tous les bancs de notre assemblée. Le Gouvernement a missionné M. Dominique Figeat pour travailler sur ce sujet : celui-ci rendra son rapport le mois prochain au ministre concerné.

Dans les années soixante-dix, M. Edgard Pisani a publié Utopie foncière : partant de sa double expérience de ministre du général de Gaulle – d'abord à l'agriculture, puis à l'équipement et au logement –, il y établit un parallèle entre deux impératifs, celui de nourrir les habitants de notre pays et celui de les loger. Plusieurs des propositions contenues dans ce rapport s'inspirent des réflexions d'Edgard Pisani et font le parallèle entre la crise du logement que nous connaissons aujourd'hui et les moyens mis en oeuvre à la Libération pour mobiliser le foncier agricole non utilisé. Devant un logement rare et cher, il faut peut-être, en effet, que les villes s'inspirent des campagnes. Cela ne sera possible que si les règles du jeu sont fixées de manière pluriannuelle et si chaque acteur assume ses responsabilités. Ce cadre, stable et connu de tous, permettra enfin de mobiliser le foncier privé en faveur du logement.

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