Intervention de Francis le Gunehec

Réunion du 9 février 2016 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Francis le Gunehec, chef du bureau de la législation pénale générale de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice :

C'est en effet le cas. Il existe une interrogation légitime, depuis quelques années, sur la présence du mot « race » dans notre législation. Une proposition de loi a été votée par l'Assemblée nationale, initialement pour le supprimer, puis, sur la suggestion de la direction des affaires criminelles et des grâces, pour le remplacer par des expressions telles que « raisons racistes » ou « prétendue race », afin de réprimer le racisme sans pour autant donner le sentiment que l'on cautionne l'existence des races.

Pour revenir à la question du féminicide, je rappellerai un précédent qui doit nous amener à réfléchir ; je veux parler de celui qui concerne l'inceste. Un texte a en effet été adopté dont l'objet était d'inscrire l'inceste dans le code pénal, non pas pour sanctionner des faits qui ne l'étaient pas, mais pour qualifier les choses plus clairement. Or, la définition de l'inceste soulevait des difficultés telles que cette disposition a finalement été censurée par le Conseil constitutionnel. Un nouveau texte sur la protection de l'enfance a depuis été voté, dont la partie relative à l'inceste – partie qui a d'ailleurs été adoptée conforme par le Sénat et l'Assemblée – ne pose plus, selon moi, de problèmes d'ordre constitutionnel. Il me paraît toutefois plus difficile, d'un point de vue juridique, d'aboutir à une définition du féminicide qui n'encourrait pas la censure du Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, à chaque fois que l'on a rencontré des problèmes particuliers, par exemple celui des mariages forcés, on les a réglés en créant une circonstance aggravante. La question des crimes d'honneur peut se poser, mais il faut savoir exactement ce que l'on veut réprimer et la manière dont on veut le réprimer. La formule générale « à raison du sexe » n'est pas satisfaisante de ce point de vue. Prenons l'exemple du racisme : la circonstance aggravante est établie notamment lorsque des propos racistes ont accompagné des violences ou un meurtre. Si l'on suit la même logique, le meurtre commis par une femme qui tue sa rivale en proférant des insultes sexistes devrait être qualifié de sexiste. Or, cela n'a pas de sens. Le parallèle entre sexisme et racisme n'est donc pas opérant : on aboutirait à des situations absurdes, voire contre-productives.

Si une réforme doit intervenir, elle doit donc cibler de façon précise ce que l'on veut réprimer, étant observé que, dans le cas des crimes d'honneur, par exemple – qui sont a priori déjà aggravés par la préméditation et passibles, à ce titre, de la réclusion criminelle à perpétuité –, il n'y a aucune difficulté à ce que les cours d'assises prononcent le maximum des peines encourues. On peut donc prévoir une aggravation dans un souci pédagogique – ou d'affichage, diront certains –, mais elle n'est pas forcément indispensable d'un point de vue juridique. Sur ce point, la réflexion doit peut-être se poursuivre. En revanche, la circonstance aggravante de sexisme paraît complexe à mettre en oeuvre, de même que la notion de féminicide, qui peut avoir une utilité en sociologie mais qu'il est délicat d'introduire dans la loi, dès lors que doivent être respectés le principe de légalité des peines ainsi que la sûreté et la prévisibilité de la loi.

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