Intervention de Francis le Gunehec

Réunion du 9 février 2016 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Francis le Gunehec, chef du bureau de la législation pénale générale de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice :

La spécificité du droit canadien est liée à une décision de 1990 de la Cour suprême, qui a reconnu, dans l'arrêt « Lavallée », une sorte de légitime défense différée. Cette décision a fait l'objet de commentaires de la doctrine et de magistrats, notamment à propos de l'emprise qui était exercée sur la victime. On a notamment comparé sa situation à celle d'un otage régulièrement menacé de mort qui tuerait son ravisseur sans attendre que celui-ci tente effectivement de l'assassiner. Toujours est-il qu'une loi est intervenue suite à cette jurisprudence, non pas pour clarifier la notion de différé, mais pour fixer des critères de bon sens – qui, selon moi, relèvent de l'interprétation de la loi plutôt que de la loi elle-même – qui permettent d'apprécier la légitime défense.

Je précise que nous n'avons pas de statistiques sur l'application effective de cette jurisprudence de 1990. En revanche, dans une décision plus récente, qui date de 1998, la Cour suprême canadienne a validé l'hypothèse dans laquelle la femme avait été déclarée coupable mais très faiblement condamnée. Vous avez indiqué vous-même que vous ne réclamiez pas un permis de tuer. Or, la légitime défense, l'état de nécessité ou la contrainte sont des causes d'irresponsabilité pénale, qui entraînent l'acquittement de l'auteur des faits. D'un point de vue strictement juridique, la légitime défense est donc un permis de tuer. Dans l'affaire Sauvage, la question qui se posait était celle de savoir si elle devait être acquittée ou si elle devait être condamnée à une peine moins sévère. Vous avez dit vous-même que ses avocats avaient axé sa défense sur la demande d'acquittement au nom de la légitime défense, et non sur la reconnaissance de circonstances qui auraient justifié une peine moindre. Le choix de la défense n'est donc pas anodin, en l'espèce.

Il s'agit de savoir ce que souhaite le législateur dans un tel cas. Souhaite-t-il que la femme battue qui tue son mari soit considérée comme pénalement irresponsable – et alors il faut faire évoluer la notion de légitime défense, qui est vieille de deux siècles – ou souhaite-t-il qu'elle ne soit pas condamnée à une peine disproportionnée – et il faut envisager une autre solution ? J'ajoute que, dans l'affaire dont nous parlons, se posait la question de l'application de la circonstance aggravante liée au fait que Mme Sauvage avait tué son conjoint, alors même que cette circonstance aggravante a été créée pour protéger les femmes se trouvant dans sa situation.

Il me semble donc que la légitime défense ou d'autres causes d'irresponsabilité n'offrent pas une solution satisfaisante, que ce soit du point de vue juridique ou même du point de vue sociologique, car encourager ainsi une femme battue à se défendre seule en lui reconnaissant le droit de tuer son mari violent serait, pour l'État, un terrible aveu d'impuissance.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion